En cette soirée du 18 Septembre, la pluie battait le toit du hangar désert, un chat noir s’étirait au loin, alors que le tonnerre grondait sourdement au-dessus du Mont Valérien.
La fumée de nos cubains remplissait la pièce, et tandis que je démontais machinalement mon calibre 33, le boss est rentré en trombe dans notre bureau, comme d’habitude, sans frapper.
Il avait le sourire aux lèvres, mon partenaire et moi, on a tout de suite su que c’était pas bon signe.

« Les gars, je sais que vous avez du boulot, mais… »
La tête me tournait déjà, j’avalais d’une traite ce qui me restait de whisky en maudissant la bouteille d’avoir le mauvais goût d’être encore vide.
« … on va racheter Next Inpact ».

On s’est regardés, Jeff et moi, l’incompréhension dans l’œil droit, le désespoir dans l’autre.
On se doutait bien de ce qui nous attendait, et si on en avait été plus sûrs, on aurait sans doute préféré crever sur place.

Le reste de ses explications douteuses et confuses ne s’était pas encore imprimé dans mon ciboulot que le patron était déjà parti en sifflotant, les mains autour de sa grosse bedaine, satisfait de son petit effet.
Jeff et moi, pantois, on se demandait ce qu’on avait fait dans nos vies antérieures pour mériter une telle correction du destin.
Je ne pensais plus qu’à ma chère Margaret qui allait devoir encore patienter, et me le reprocher à sa manière.
« Merde, j’ai encore oublié de lui acheter ses croquettes ! » maugréais-je.
Je ne vais pas m’étendre sur les semaines qui ont suivi, ni sur Margaret, j’suis ni du genre bavard, ni trop sentimental. Vous n’aurez qu’à acheter le bouquin.

Tout ce qu’il faut savoir c’est qu’à la fin de l’histoire, à force de coups et de poings, nous voilà ici, ce soir.
Ces semaines d’efforts, en proie à l’angoisse de la page trop blanche, de bouffées du palpitant jusqu’à l’aube, à courir le code qui toujours se dérobe, pour rendre enfin notre copie.
Je vous entends déjà, vous râlez qu’avec tout ce temps, on aurait pu finasser, que c’est du travail de cochon.
Salopards.
Vous avez déjà codé en imperméable dans la bruine, en planque devant un motel miteux un soir de Novembre, vous ?
J'aurais bien voulu vous y voir, moi, j’vous en donnerais de quoi être sombres, scélérats.

On va la terminer, cette enquête de l’enfer, ça prendra le temps qu’il faudra.
Je ne le fais même pas pour vous, j’ai stoppé le compteur.
C’est personnel, maintenant, je le fais pour moi, je le fais pour Jeff.
C’était mon frère, Jeff, on partageait tout.
Je l’ai enterré hier au vimetière, en petit comit’.
Fauché par un script qu’on n’avait pas vu venir, il restera vivement dans ma mémoire, jusqu’à ce qu’on me débranche.

J’ai trop bavassé, désolé, faut que j’y retourne, et que j’aille m’ensevelir sous la paperasse.
Maintenant qu’on a la base, il reste le pire, le plus long, fignoler les détails sous la pression du client qui veut du vite fait bien fait.
Comme toujours. Le client est roi.
On se reverra vite, vous et moi.

Si vous avez des nouveaux indices, envoyez-les à [email protected], c’est sa boîte aux lettres, à mon Jeff.
J’y zieute de temps en temps, en espérant qu’il ait gagné au loto avant de nous laisser au bord de la route.
Jeff, c’était l’élégance même, il se pourrait bien qu'il soit parti en beauté.

L'horloge sonne trois coups, mes paupières sont lourdes comme un cadavre italien.
On discutera sérieusement de tout ça un peu plus tard, poing par poing.

PS: C'est le matin et nous lisons émus les premiers retours emplis d'amour. Vous êtes adorables. Merci
MERCI