L’école Polytechnique veut migrer sur Microsoft 365 et déclenche un tollé
Dissonance cognitive

La directrice générale de Polytechnique a préparé les conditions d'une migration express d'une partie des services informatiques de l'école vers l'offre Microsoft 365. La migration concernerait notamment les messageries, y compris au sein des « zones à régime restrictif » qui hébergent des projets de recherche sensibles. L'information, révélée au lendemain de notre article illustrant la persistance des liens commerciaux entre l’Éducation nationale et Microsoft, a déclenché des protestations véhémentes.
Le 21 mars à 14h23
6 min
Économie
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La directrice générale de l'école militaire, Laura Chaubard, a présenté en interne un projet de migration d'une partie des services informatiques en direction de l'offre Microsoft 365, révèle la Lettre dans son édition du 19 mars.
La décision concerne notamment la messagerie des étudiants, des chercheurs et des personnels administratifs de l'X, y compris au sein des « zones à régime restrictif ». Ces ZRR englobent les laboratoires au sein desquels les effectifs travaillent sur des projets sensibles (chiffrement, quantique, cybersécurité, etc.) relevant du dispositif PPST (potentiel scientifique et technique de la Nation) et susceptibles de nourrir des applications militaires.
Une messagerie soumise aux lois extraterritoriales états-uniennes
D'après la Lettre, le sujet de la migration aurait été « effleuré » en conseil d'administration, le 12 décembre dernier (en tout état de cause, il n'apparaît pas dans le relevé PDF des délibérations associé), avant d'être enclenché. La bascule devrait ainsi s'échelonner entre mai et septembre, et susciterait déjà des réticences en interne.
Si le projet inquiète, c'est notamment parce que Microsoft est soumise aux lois extraterritoriales états-uniennes, à commencer par le fameux Cloud Act, qui permet aux autorités d'exiger, sous certaines conditions, l'accès à des données hébergées par une entreprise américaine, même si les serveurs ou les clients de cette dernière sont situés à l'étranger.
Au-delà du choix d'une solution états-unienne, ce sont les modalités expéditives de la bascule qui interrogent. D'après une présentation interne, dont une capture d'écran est reproduite sur LinkedIn par Elsa Trujillo, journaliste à la Lettre, l'idée de faire converger les laboratoires de l'école vers Microsoft 365 constituerait une « demande expresse » de la directrice générale.
Une volonté de rationalisation ?
Le projet aurait notamment pour objectif de faire « converger » les outils de l'école vers une solution commune. D'après ce même document, plusieurs des laboratoires de Polytechnique disposeraient aujourd'hui de serveurs de messagerie autonome. Autant d'instances qu'il conviendrait donc de réunir sous une bannière commune. « La DSI déploiera en priorité les outils de back office de Microsoft (rester dans le standard pour ne rien perdre de la "puissance" de l'écosystème Microsoft), quitte à renoncer à une partie de l'extrême personnalisation actuelle (XAJAM et autres) », indique encore cette présentation.
Pourquoi choisir Microsoft dans ce contexte, particulièrement pour une école rattachée au ministère des Armées, qui ne peut ignorer les arguments géopolitiques ? L'offre cloud Bleu, qui vise à déployer des services Microsoft sur des infrastructures cogérées par Orange et Capgemini, aurait été envisagée, mais écartée pour cause de calendrier, indique la Lettre.
L'explication pourrait-elle ne tenir qu'à une simple logique de coût, et donc de moyens fournis par le ministère de tutelle, en l'occurrence les Armées ? « La bascule des ZRR n'aurait pas dû avoir lieu. Pour le reste, c'est une question de moyens, fait par exemple remarquer Alexandre de Pellegrin, DSI de l'ENSEA (École nationale supérieure de l’Électronique et de ses Applications), qui réunit environ 1 000 étudiants. Prenons mon établissement, Microsoft 365 nous coûte moins de 4 000 euros par an pour l'ensemble des usagers avec une offre de services collaboratifs de très bonne facture. Je n'ai pas les ressources pour gérer en interne l'équivalent ni le budget pour prendre une solution souveraine ».
Cette logique de guichet unique, capable de délivrer aussi bien les solutions serveurs que les logiciels clients ou leurs équivalents en ligne apparaissait aussi comme l'un des déterminants du marché public portant sur l'achat de licences Microsoft récemment attribué par l’Éducation nationale, que Next révélait mardi.
Un choix à contre-courant de la position officielle
Ces deux annonces successives interviennent alors que Clara Chappaz, ministre déléguée au Numérique, a défendu à plusieurs reprises cette semaine la nécessité d'une « souveraineté économique » sur les marchés en plein essor du cloud ou de l'intelligence artificielle. D'abord pendant un événement organisé par la Direction interministérielle du Numérique, puis devant la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, où la question de la protection face aux lois extraterritoriales a justement été soulevée.
Face aux députés, Clara Chappaz a notamment rappelé que la stratégie du gouvernement passait par la labellisation SecNumCloud, et que la doctrine adressée aux administrations en matière de données sensible demandait bien que ces dernières soient stockées dans des clouds agréés. Elle a aussi admis que le processus d'émergence de ces offres souveraines « prenait du temps ».
Un peu trop sans doute aux yeux du député Philippe Latombe, qui s'est ému jeudi sur LinkedIn des choix opérés par l’Éducation nationale et Polytechnique et promet d'interpeller le gouvernement par le biais de questions écrites. « Les décideurs, dans les deux cas, ont fait fi des directives successives qui, depuis plusieurs années déjà, les alertent, voire leur interdisent, de continuer à utiliser ou choisir des solutions étrangères, non souveraines et, dans le cas qui nous intéresse, assujetties à l’extraterritorialité du droit américain », écrit-il, avant de rappeler le cas du Health Data Hub, objet d'une récente alerte de la CNIL.
« Alors que l’ENS avait rétropédalé suite à une mobilisation massive des personnels et étudiants contre une initiative similaire en 2021, cette décision de Polytechnique constitue un signal désastreux pour la souveraineté numérique française et européenne », estime pour sa part le Conseil national du logiciel libre (CNLL). Dans un communiqué virulent, il réclame « la priorité absolue aux solutions open source et européennes, conformément aux recommandations de la DINUM, aux lois ESR et République numérique, et aux exigences de sécurité et de souveraineté ».
L’école Polytechnique veut migrer sur Microsoft 365 et déclenche un tollé
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Une messagerie soumise aux lois extraterritoriales états-uniennes
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Une volonté de rationalisation ?
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Un choix à contre-courant de la position officielle
Commentaires (54)
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Abonnez-vousLe 21/03/2025 à 14h38
Comme on voit la fiabilité relative de nos "alliés", on est en train de dire : on va faire une défense souveraine, mais ne vous inquiétez pas, toutes les spécifications seront stockées aux U.S.
Et ça ne choque personne ?
Le 21/03/2025 à 14h45
Ah non je ne dirai rien de plus, ce serait de la diffamation sinon
Le 21/03/2025 à 19h08
Et puis Microsoft offre une sécurité, celle du parapluie de responsabilité. "C'est pas moi chef, c'est la faute de Microsoft/Les autres font la même chose..." Et l'administration française adore le "pas de vague".
ça n'encoure pas l'innovation ni la recherche d'alternative.
Le 21/03/2025 à 23h23
Les alternatives sont moins sexy, donc si le/la/les décideurs se fient aux visuels et autre, pas de chance pour des solutions open-source en comparaison.
A l’INSA on avait Zimbra + Moodle en officiel. Entre nous on utilisait Gdoc (le seul collaboratif à l'époque).
Imparfait mais vivre avec un IT imparfait c'est une très bonne préparation à la vie d'entreprise. Comme le fait de connaître différents outils.
Le 21/03/2025 à 14h43
Il serait peut être temps de travailler à des solution souveraines, si ce n'est en France à minima en Europe. Cela ne va pas se faire du jour au lendemain mais dans les sommes colossales dont il est question pour le réarmement, on pourrait en prendre une partie pour le numérique.
Car la souveraineté numérique est AUSSI une arme.
Le 21/03/2025 à 14h46
Le 21/03/2025 à 16h46
AMHA, à ce niveau, c'est l'enquête anti-dumping qui s'impose et devrait passer très au dessus de la tête du DSI (fauché, comme souvent) de l'ENSEA...
Modifié le 25/03/2025 à 22h46
C'est 0€/étudiant/an car "Démarrez avec Microsoft Office 365 gratuitement"
Modifié le 21/03/2025 à 14h56
TL;DW: Il n'y aura pas de géant du numérique français et européen si la puissance publique ne pousse pas, ni si les acteurs ne s'entendent pas entre eux pour collaborer.
Le 21/03/2025 à 16h15
"Toi tu utilises vmware ? T'en es content ?"
"ouais"
"ok ben du coup je vais utiliser vmware moi aussi"
Le 21/03/2025 à 16h50
Le 21/03/2025 à 17h55
Le 21/03/2025 à 15h03
En effet s’il est question d’extension juridique extra-territoriale de la part des USA alors en quoi ce type de cloud est vraiment sécurisé ?
Le 21/03/2025 à 15h19
Certains contradicteurs disent, mais sans le prouver que MS ou autre Google suivant les solutions pourraient quand même être obligées de pousser des modifications qui permettraient d'exfiltrer des données au profit des USA.
Modifié le 21/03/2025 à 15h34
Tu plaisantes ! Toute société américaine est en plus soumise aux lois américaines dont le fameux Patriot Act qui l'oblige à fournir toute donnée demandée par ses autorités, où qu'elle exerce.
D'ailleurs Trump râle à mots fleuris et rappelle que les sociétés américaines devraient être soumises uniquement au droit américain (Patriot Act entre autres) et à aucun autre droit parce qu'il l'a bien dit aussi l'EU a été créée pour emm... l'Amérique !
En résumé pour la différence : "sécurisé" est terme un marketing qui ne veut rien dire tant qu'on ne précise pas contre quoi on vise à se sécuriser. En l'occurrence si l'on entend sécurisé contre les fuites de données vers les agences américaines (CIA, FBI, ...) ça ne l'est PAS en vertu des obligations auxquelles toutes sociétés américaines doivent se conformer où qu'elles opèrent (extra-territorialité)
Le 21/03/2025 à 15h59
Je veux bien que tu me dise que c'est faux, mais sans rien pour l'étayer, je te classe dans les "sans le prouver".
Et pour ta seconde partie, tu n'apportes aucune source qui prouve tes affirmations. Tu es donc vraiment à classer dans les "sans le prouver". Prouver c'est aller plus loin que dire : il y doit bien y avoir une loi US qui me permet d'affirmer des choses.
Tu utilises les délires de Trump, qui n'ont pas force de loi et qui sont là pour faire du marchandage, seule chose que ce mauvais businessman sait faire, comme preuve alors que ce débat date de bien avant sa réélection.
Le patriot Act est une loi antiterrorisme, pas sûr que l'on puisse l'employer pour espionner des états, mais tu peux me citer un passage précis pour me contredire.
Et ta dernière phrase ne veut rien dire.
Modifié le 24/03/2025 à 12h22
Le 24/03/2025 à 12h31
C'est quoi UN ?
Modifié le 24/03/2025 à 17h09
Le 21/03/2025 à 15h25
Modifié le 21/03/2025 à 15h35
y'a plus qu'à
Le 21/03/2025 à 18h26
Le 21/03/2025 à 15h42
Le 21/03/2025 à 15h47
Le 21/03/2025 à 16h38
Il y a sûrement plus de choses que de simple licence.
Mais ça me fait penser a cette petite réflexion:
Quand c'est gratuit (ou pas cher du tout...), c'est que c'est toi le produit.
Modifié le 21/03/2025 à 23h51
Sauf que les labos ne sont pas censés bénéficié de ces tarfis réservé aux étudiants et enseignants... :)
C'est ce qui est arrivé au CERN, Microsoft a du jour au lendemain décidé que leurs labos ne pouvait plus bénéficier de ce tarif qui a fait x10!
https://www.cio-online.com/actualites/lire-le-cern-va-abandonner-microsoft-pour-des-solutions-alternatives-11297.html
Le 24/03/2025 à 07h46
Modifié le 21/03/2025 à 21h00
Le 21/03/2025 à 16h53
Le 21/03/2025 à 15h45
Modifié le 21/03/2025 à 16h25
Le pire c'est que ça fonctionne...
Le 21/03/2025 à 16h41
Le 21/03/2025 à 17h23
Le 23/03/2025 à 11h43
Le 21/03/2025 à 17h53
Le 21/03/2025 à 19h00
Le 21/03/2025 à 19h17
Je sais que souvent, les polytechniciens qui restent militaires ne sont pas les meilleurs (c'étaient au moins dans le temps les derniers au classement de sortie qui restaient dans l'armée), mais quand même, un polytechnicien, ça sait réfléchir et un militaire, c'est patriote.
Le 21/03/2025 à 20h14
Modifié le 22/03/2025 à 10h43
Par contre, un militaire non patriote n'est pas très sensé.
Voir ici.
Le 21/03/2025 à 21h39
Le 22/03/2025 à 02h39
Le 22/03/2025 à 10h35
Modifié le 22/03/2025 à 10h46
#noussachons
Le 22/03/2025 à 19h29
#pluscestgrospluscapasse
Modifié le 23/03/2025 à 11h43
Il y a tellement d'autres raisons pour avoir fait ce choix, même si elles sont pas très bonnes. Accuser quelqu'un de corruption est grave.
Le 24/03/2025 à 10h32
Le 22/03/2025 à 11h21
Ça me rappelle cette scène dans l’ascenseur au sortir de la signature du contrat dans les locaux de Microsoft. Le désarroi visible des 2 techs info qui regardent les deux commerciaux se congratuler en se tapotant sur l’épaule : « Ha, on a bien négocié, c’est presque gratuit !! ». Et l’un des tech de reprendre : « presque ».
(Toutes similitudes avec votre histoire vécue n'est totalement pas fortuite)
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Pour ceux qui parlent de souveraineté des clouds.
Un bon cas d'étude serait WeTransfert. Il a du serveur (apparemment, mais pas certain) en Europe et est détenu par un groupe italien (qui fait dans le licenciement plus que dans la création de valeur). Donc droit Européen.
MAIS, son infrastructure repose sur AWS S3 dont les infrastructures sont majoritairement aux USA (si ce n'est tout).
Si le gvt américain devait trouver de l'info X ou Y. Passerait-il par Wetranfert ou Amazon ? Bon, on se doute de la réponse.
Ce n'est pas seulement la devanture qui compte bien malheureusement. C'est tout le circuit. Et parfois, c'est bien difficile de trouver les informations. Tant il y a du secret des affaires autant que des trucs inavouables.
Le seul moyen d'être sûr et certain, c'est de le faire soit même ou d'avoir une boite (comme CleverCloud - très bonne interview au passage) qui aura l'intégralité de ces infrastructures dans le pays.
Mais ça, cela voudrait dire qu’on a une volonté gouvernementale sur le sujet. Non, ne rigolez pas… C’est quand même un gros problème.
Le 22/03/2025 à 11h47
J'aurais dû préciser que mon "qui gère la solution" s'étendait au contrôle physique des machines. On n'est donc pas au cas que tu décris pour lequel tu as raison. Si AWS est l'hébergeur et que les données hébergées ne sont pas chiffrées, le Cloud Act s'applique.
De toute façon, c'est l'ANSSI qui se prononcera au final sur la sécurité du montage et ils auront accès aux contrats : pas de secret des affaires à ce niveau. Je leur fais confiance sur le sujet.
Le 22/03/2025 à 11h57
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L'article de Laura Chaubard, DG de l'X, sur la Jaune et la Rouge : https://www.lajauneetlarouge.com/230-ans-au-service-de-la-patrie-des-sciences-et-de-la-gloire/
Le 22/03/2025 à 21h31
Le 23/03/2025 à 14h20
Maintenant, il serait peut être temps d'obliger les responsables à signer avec leur sang et d'assumer toutes les conséquences de leurs décisions.
Le 23/03/2025 à 11h38
Armée, ça craint un peu quand même...
Le 23/03/2025 à 23h05
Le 24/03/2025 à 11h20
je vois juste pas comment ça peut être possible en fait, donc soit personne n'a rien vu, soit quelqu'un va le voir rapidement, mais je vois pas comment à un moment donné les données des ZRR peuvent se retrouver là-bas.
il faudrait que tout un tas de gens se coalisent pour prendre en conscience des décisions qui vont à l'encontre de tout un tas de textes.
Au vu du CV de la dame (qui pointe vers la case "pas une tanche"), y'a un truc qui cloche quelque part dans cette information.