Shift Project : la trajectoire du numérique est « insoutenable », d’autant plus avec l’IA
Shift storm dans 3…2…

Dans un rapport intermédiaire sous-titré « quelles infrastructures dans un monde décarboné ? », le Think Tank de Jean-Marc Jancovici, The Shift Project, se demande quelle place l'IA doit occuper alors que nous allons devoir « s'affranchir de notre dépendance aux énergies fossiles ».
Le 18 mars à 10h12
8 min
IA et algorithmes
IA
Dans une démarche plus modeste et à l'écoute d'éventuelles critiques, The Shift Project, a publié un rapport « intermédiaire » sur « Intelligence artificielle, données, calculs : quelles infrastructures dans un monde décarboné ? » [PDF]. Le lobby explique que, « bien qu’il soit déjà le fruit d’un travail collectif, ce rapport intermédiaire est encore un document de travail imparfait, incomplet et évolutif » et propose de le contacter pour envoyer toute remarque, critique et proposition.
Ce travail, qui fait quand même une centaine de pages, permet néanmoins de réfléchir sur l’empreinte énergie-climat de l’intelligence artificielle et le développement des capacités informatiques.
Si dans son introduction, le Shift Project présente le numérique comme « à la fois outil et défi pour la décarbonation de l'économie », la direction actuelle est « une trajectoire insoutenable qu’il s’agit d’infléchir ».
La part du numérique croît toujours
En s'appuyant sur ses propres chiffres de 2021, le lobby explique que le numérique « représente déjà près de 4 % des émissions mondiales soit du même ordre que l’intégralité des véhicules utilitaires lourds dans le monde ». Mais surtout, il pointe que « la particularité du secteur numérique tient à la rapidité d’augmentation de ses émissions, qui croissent selon une tendance particulièrement incompatible avec sa décarbonation :+ 6 %/an en moyenne au niveau mondial (The Shift Project, 2021) et + 2 à 4 %/an en France ». Il ajoute que le constat fait en 2021 continue de se vérifier alors que certaines études de l'époque envisageaient un plafonnement de ces impacts grâce au progrès technologique.
Le Shift Project rappelle que les terminaux pèsent énormément dans l’empreinte carbone du numérique mondial. Mais il ajoute que « le numérique fonctionne en système et ses trois tiers (terminaux, infrastructures réseaux, centres de données) évoluent de concert, rendus interdépendants par les échanges de données. Les choix de déploiements faits au niveau des usages et infrastructures de la donnée impactent l’ensemble du système numérique tout en étant le résultat de la trajectoire générale donnée au système ».

« Rendre le numérique compatible avec la double contrainte carbone consiste donc non pas seulement à renforcer des leviers d’optimisation déjà déployés, mais à le placer sur une trajectoire fondamentalement différente de celle qu’il suit actuellement », explique le rapport.
Et pourtant, l'arrivée de l'IA générative ne va pas dans ce sens : « l'adoption massive d'un service par construction intense en calcul amplifie significativement la pression s’exerçant sur les ressources électriques et l’environnement ».
Sans données partagées, l'analyse des datacenters est difficile
Tout en n'oubliant pas les autres aspects du numérique, donc, « les centres de données sont aujourd’hui un élément central de cette nouvelle dynamique numérique », affirme le Shift Project. Mais le problème, comme nous l'avons déjà évoqué, c'est qu'il est très difficile de le mesurer.
« À l’échelle mondiale, le saut de 200 TWh à 460 TWh entre les deux publications IEA (IEA, 2021b, 2024a) ou entre celles de Masanet et LBNL (LBNL et al., 2024 [PDF]; Masanet E. et al., 2020 [PDF]) est révélateur de cette difficulté à mesurer et prévoir les consommations énergétiques à l’échelle de 3 à 5 ans », explique le rapport.
Et d'ajouter que « l’absence de suivi de l’évolution des centres de données ces dernières années et la confiance excessive placée dans le potentiel des gains d’efficacité semblent avoir freiné toute préparation concernant la production d’électricité pour ces acteurs, la gestion des réseaux de transport d’électricité ainsi que toute vision d’encadrement des émissions de gaz à effets de serre (secteur non inclus dans le marché de permis d’émissions EU-ETS, par exemple) ». Pour Le Shift Project, « ce manque de préparation se fait sentir, dans un secteur numérique aux dynamiques particulièrement intenses ».
Le rapport met son lecteur face aux historiques des estimations en consommation électrique des centres de données élaborés par le Lawrence Berkeley National Laboratory dans son rapport de 2024 [PDF] mais déplore qu'il n'existe de suivi historique réel : « il serait précieux pour l’action publique et internationale de retracer l’historique réel du déploiement des centres de données ainsi que d’évaluer les décisions prises en conséquence ».



Le Shift Projet a, lui, dans son rapport rassemblé diverses projections de la consommation électrique (TWh) des centres de données et des capacités informatiques (GW) réalisées par divers acteurs (de l'énergie, des cabinets de conseils, des labos R&D et académiques et des financeurs) :


Le rapport soulève par contre des précautions de lecture, expliquant que « la description des hypothèses dans les rapports consultés bien trop minime au vu de l’importance du sujet » mais aussi que les périmètres peuvent être bien différents selon les études. Le Shift Project explique d'ailleurs qu'il espère pouvoir « récolter, critiquer et consolider les valeurs des paramètres clés de la modélisation, afin de construire une vision d’ensemble transparent ».
Il propose déjà plusieurs conclusions. Notamment, que « le statu quo qui prévalait jusqu’en 2021 d’une consommation électrique mondiale annuelle des centres de données quasi-constante autour de 200 TWh est définitivement obsolète ». Mais aussi, il pointe le fait que la consommation et la puissance de ces projections ne reflètent « ni le type d’électricité employée ni l’empreinte carbone embarquée » alors que certains centres de données s'appuient sur le gaz ou le charbon.
L'IA générative exacerbe la tendance
Dans son rapport, le Shift Project affirme que « le déploiement actuel de l'IA générative exacerbe cette tendance d'ici 2030 en induisant une séquence d'investissements massifs sur tous les continents dont la nécessaire rentabilisation pourrait entraîner un triplement de la consommation en huit ans (en se basant sur la vision haute de l’IEA dans IEA WEO, aboutissant à une consommation de 1391 TWh) ».
Concernant l'empreinte carbone des centres de données, le Shift Project prévoit qu'« entre 2022 et 2030, les émissions de gaz à effets de serre évolueraient vers 514 à 864 MtCO2e, soit une augmentation de 80 % à 200 % ». L'hypothèse la plus pessimiste se base sur « un ajout de centre de données dont toute la nouvelle demande ne serait satisfaite que par du gaz » et un facteur d'intensité carbone de l’électricité qui stagne à 460 gCO2e/kWh.

Le Shift Project évoque aussi les effets induits par l’IA sur les terminaux. Il formule plusieurs hypothèses. « La prise en compte des nouveaux besoins en ressources numériques (mémoire et stockage, capacités de traitement) pour pouvoir rendre des services d’IA locaux (au niveau des terminaux) et déconnectés pourrait aboutir à l’augmentation de l’empreinte environnementale des terminaux, tant à la production qu’à l’usage », imagine-t-il.
Effet rebond
Et il projette que « les gains d’efficacité énergétique (qui ne concernent donc que la phase d’usage) au niveau des terminaux pourraient être contrebalancés par le renouvellement du parc dû à l’obsolescence (provoquée par divers facteurs : incompatibilité avec les nouvelles couches logicielles, déclenchement de l'acte d'achat d'un nouveau terminal simplement par attractivité des services offerts avec etc.) et les impacts engendrés par la production de ces nouveaux équipements ».
Le rapport évoque aussi les effets de l'IA sur les réseaux, mais l'analyse du Shift Project l'amène surtout à poser des questions comme « Aujourd’hui, le trafic lié à l’IA paraît mineur et n’est pas mesuré. Comment pourrait-on publiquement observer cette évolution ? » ou encore « L’intelligence artificielle peut-elle autant multiplier la création de contenus personnalisés et être à l’origine d’une hausse de trafic possible ? ».
On le voit, les évaluations des impacts de l'IA générative sur la consommation énergétique du numérique et son empreinte écologique restent encore à explorer.
Shift Project : la trajectoire du numérique est « insoutenable », d’autant plus avec l’IA
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La part du numérique croît toujours
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Sans données partagées, l'analyse des datacenters est difficile
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L'IA générative exacerbe la tendance
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Effet rebond
Commentaires (24)
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Abonnez-vousLe 18/03/2025 à 10h24
Le 18/03/2025 à 11h07
En bref : bulle qui éclate != secteur qui disparaît
Le 18/03/2025 à 11h38
Sinon, sur l'article (merci!)
- un système insoutenable
- de l'exploitation/captation à outrance (des gens, des données, des ressources)
- pour le bénéfice de 0.1%
Conclusion: "çay mal"
no
shit
sherlock
Le 18/03/2025 à 11h04
Bon bah on sait déjà que ça ne vaut que dalle donc.
Il serait de bon ton de rappeler les précédents faits d'armes du Shift Project avec ses estimations de l'impact carbone du streaming.
Pas de surprises, on viens faire peur avec les scénarios catastrophes plus que de chercher à être correct.
Wow, 200% c'est des gros chiffres qui font très peur. Les projections de rejet mondiaux pour 2030 sont de 36 211 MtCO2e. Cela voudrais dire qu'au pire l'empreinte carbone des DC serait de moins de 2.4% de l'empreinte mondiale. Clairement cela doit être une priorité.
Bien entendu, comme l'objectif des luddites modernes est avant tout de taper sur le numérique, à aucun moment ils ne tenteront d'estimer les émissions évitées grâce au numérique afin de faire le bilan.
Le 18/03/2025 à 11h14
Le 18/03/2025 à 11h31
Tu as plus d'infos sur les faits d'armes que tu décris ?
Le 18/03/2025 à 11h32
Tu pourrais mettre un lien sur ce point, pour que je me fasse un avis ?
Modifié le 18/03/2025 à 11h40
Pour limiter le réchauffement climatique, il faut atteindre la neutralité carbone. Pourquoi le numérique aurait un passe-droit pour continuer à émettre de plus en plus ?
*Je vais pas trop défendre le shift project non plus, leur réponse à ce sujet est... bizzare sur certains points disons.
EDITH: pour ceux qui demandent des liens : le rapport du shift project, un article reprenant le chiffre avec l'erreur (j'ai pas retrouvé la dépêche AFP qui semble être la première avec l'erreur) un article relevant des erreurs (dont ces histoire de byte), la réponse du shift project.
Modifié le 18/03/2025 à 13h44
même les chiffres corrigés du Shift se sont révélés bien au loin de la réalité https://www.iea.org/data-and-statistics/charts/electricity-per-hour-of-streaming-video-shift-project-compared-to-different-use-cases-2019 https://www.carbonbrief.org/factcheck-what-is-the-carbon-footprint-of-streaming-video-on-netflix/
mais on peu aussi parler de leurs estimations sur les ravages de la 5g aussi
Pour limiter le réchauffement climatique il faut agir là où on peut avoir le plus de gain. Le numérique contribue à la décarbonisation et représente une broutille en matière de rejet de CO2. Taper sur le numérique en permanence comme le fait el Shift et L'ademe est une perte de temps
Le 18/03/2025 à 14h09
Ah mais non, c'est du catastrophisme. Donc tout va bien ...
Modifié le 18/03/2025 à 14h44
Mais j'avais dit que je ne défendrais pas trop le shift project, alors regardons d'autres choses. Et ça tombe bien, des personnes compétentes l'ont fait : hal-04069500. On y vois que oui, le shift project est au dessus des autres estimées (mais "seulement" d'un facteur 4), mais les estimées de l'IEA sont aussi singulières, plus basses que tous les autres modèles quelque soit les hypothèses. Compte tenu de la sensibilité de chacun des modèles aux hypothèses, bien plus élevée qu'un facteur 4, il n'y a pas lieu de crier au scandale.
Le 18/03/2025 à 12h14
C'est quoi cet argument à 2 cesters ? En quoi faire une étude et utiliser ses résultats obtenus la rend inutile ? La démarche est documentée et les méthodes sont ouvertes. Que tu me dises que les études des labo pharma qui te disent que mettre des feuilles de tuyas sur les douleurs de dos la soulage de 80% c'est du pipo, je veux bien mais eux ne font aucuns calculs secrets.
Et puis quoi ? Ca veut dire que de mettre des images de cancer des poumons sur les paquets de cigarettes c'est mentir car ça ne va pas forcément t'arriver ?
A un moment donné, il faut bien pouvoir regarder la situation comme elle est : Catastrophique. Soulage toi aux toilettes et pas ici. Tu dors certainement mieux en pensant qu'il n'y a pas de problème, mais cela ne change pas la réalité de ce qu'on est en train de vivre.
Le 18/03/2025 à 13h43
le rapport ?
Le catastrophisme n'amènera nulle part.
Vous dormez certainement mieux en pensant être utile à couper le wifi la nuit et à lutter contre la méchante 5g. Personnellement j'ai une connaissance réelle des enjeux et des ordres de grandeur, je préfère donc m'atteler aux vrais problèmes du monde physique où se situe 99% des enjeux et pas à des épiphénomènes mal définis qui se révèlent en fait être des facteur de décarbonisation.
Le 18/03/2025 à 14h24
Le 18/03/2025 à 17h15
- pêter le capitalisme.
- *
ah non en fait ça suffit.
(plus sérieusement, y a en effet un tas de trucs à faire, mais la conséquence est la même. Une fois que t'as régulé l'extractivisme, collectivisé la connaissance, et l'exploitation des ressources, autonomisé les régions, éduqué la population, donné des perspectives de vie heureuse sans pousser à la conso, aligné la gouvernance avec la réalité physique du monde, mis à mal les systèmes de domination... et bien y a plus trop de levier à l'exploitation d'humains par d'autres humains.
Modifié le 18/03/2025 à 15h08
Le 18/03/2025 à 15h06
Le 18/03/2025 à 17h21
- "ça fait que x % c'est queudalle"
- oui mais non nous on fait du bien au monde au fait
- oui mais non ceux qui mesures sont catastrophistes (du coup, faisons comme Trump, on casse le thermomètre pour arrêter de mesurer la fièvre).
- les autres d'abord
Valérie Masson-Delmotte a fait une supper interview y a à peine qques jours sur le podcast Circular Metabolism (que je recommande chaudement) avec à peu près ce discours: vu que le dérêglement climatique est maintenant indéniable (sauf quelques *nards), TOUS les leviers d'actions sont discrédités, conspués, freinés pour des raisons sois-disant technique, idéologiques, religieuse, etc.... "oui ça chauffe mais en fait on peut rien faire parce que ça empêcherait xxxx". Dans les faits, on sait très bien ce que ça empêcherait : au 0.1% de s'empifrer encore plus, mais c'est décliné à toute les sauces selon les sujets et les groupes sociaux.
Le 19/03/2025 à 10h45
Le rapport ? C'est qu'il y a des gens qui ont un intérêt à ce que les gens changent de comportement ou en adoptent certains pour vendre plus. SP ne vend rien et n'a rien à gagner à publier autant sur le sujet que le bien de la population mondiale.
Qu'est ce que tu définis comme catastrophisme exactement ?
Je n'éteins pas mon wifi la nuit, ni lutte d'une quelconque façon contre le 5g mais je me rend bien compte que la forme de discours que tu tiens est juste nauséabond. PS proposent tout plein de changement à grande échelle et si tu les écoutais un peu plus tu verrais qu'il ne se voilent pas la face.
Je te conseil sa BD sur le sujet qui est assez cher (30€) mais qui est extrêmement bien écrite.
Le 19/03/2025 à 11h15
Mais surtout truffée d'erreur. Outre le grand classique de JMJ sur le peak oil et le couplage énergie/croissance (20 ans de retard), tu trouveras facilement des debunk sur ses estimations de stock de minerais/metal, ou sur l'impossibilité de la transition énergétique
Le 18/03/2025 à 13h57
Bref, je ne vois en quoi le fait d'alerter sur le fait que la consommation des DC va dans le mauvais sens, le tout tirer ou pousser (selon son point de vue) par des secteurs entiers qui n'ont aucun intérêt, serait faux.
La meilleure énergie est celle qu'on ne consomme pas
Le 19/03/2025 à 09h13
Quand on aura des coupures d'électricité, voire des pénuries d'eau (entre le réchauffement climatique et l'utilisation abusive pour ces services), on pourra toujours à l'IA de nous trouver une solution (certes il n'y a pas que l'IA qui cause cette augmentation).
Le 19/03/2025 à 13h20
En même temps, je suis candide à placer des espoirs sur une personnalité publique...
Le 19/03/2025 à 14h54