Le Parlement européen vient d'adopter le texte sur l'« Internet ouvert », censé entériner la fin des frais d'itinérance en Europe et la neutralité du Net. Tous les amendements proposés ont été rejetés, alors que des questions restent en suspens.
Le moment est historique. En votant ce midi sur l'« Internet ouvert » et la fin des frais d'itinérance, le Parlement européen a officiellement entériné le principe de neutralité du Net. Si l'expression n'est pas dans le texte, elle est sur toutes les lèvres. Le texte européen doit sacraliser les principes de non-discrimination des contenus et des usagers, avec quelques exceptions en cas de réel besoin. Il s'agit de la deuxième lecture du texte, après un jeu de ping pong entre les institutions européennes sur différentes versions du projet de règlement. La fin de l'itinérance, notamment, a finalement été repoussée à la mi-2017, alors qu'elle était initialement prévue cette année.
Les deux mesures, la fin de l'itinérance et la neutralité des réseaux, sont deux progrès adoptés en même temps. Le texte a donc été voté dans sa version remaniée par les institutions européennes, l'ensemble des modifications proposées ayant été rejetées en bloc. Il sera donc applicable à partir d'avril 2016.
Great news that #EP just approved end of #roaming surcharges, putting #NetNeutrality into EU law. Congratulations, excellent news for Europe
— Andrus Ansip (@Ansip_EU) 27 Octobre 2015
Des points bloquants pour les défenseurs de la neutralité
Pour de nombreux observateurs et députés, le texte méritait pourtant d'être amendé. Les défenseurs de la neutralité du Net se sont mobilisés très tôt contre cette version du texte, qui laisserait une trop grande place aux contournements. Ils sont notamment représentés par SaveTheInternet, qui regroupe plusieurs organismes comme l'Electronic Frontier Foundation (EFF), La Quadrature du Net et Reporters sans frontières.
Plusieurs sujets gênent particulièrement les défenseurs d'une neutralité plus marquée. Le premier est la possibilité pour les opérateurs de passer des accords avec des fournisseurs de services Internet pour des services spécialisés, séparés du flux principal. Pour ces défenseurs, il s'agit tout simplement d'une distorsion de concurrence, qui permettrait tout simplement aux gros acteurs de payer pour une meilleure qualité de service.
Dans le même ordre d'idées, ils demandent que le texte permette d'interdire le zero-rating, ce qui n'est pas écrit pour l'instant. Cela consiste à ne pas décompter les données utilisées par un service particulier. Cette pratique a par exemple été utilisée par Orange pour fournir Deezer en illimité, ou pendant un temps par RED de SFR avec YouTube. C'est aussi le modèle choisi par Facebook pour fournir gratuitement une sélection de services mobiles dans des pays en développement. Une démarche vertement critiquée par les défenseurs d'un Internet « équitable », qui questionnent le besoin de limiter l'accès à quelques sites seulement.
Ils demandent enfin à ce que tout le contenu soit traité équitablement. Le principal point d'inquiétude à ce niveau est la « gestion raisonnable du réseau », lorsque celui-ci est saturé. Le texte européen permet, sous conditions, de discriminer les types de contenu quand le réseau subit une charge trop importante. Il interdit notamment aux fournisseurs d'accès de créer une congestion artificielle pour limiter l'accès à certains contenus. Pour SaveTheInternet, les conditions de gestion du réseau doivent être clarifiées et rendues transparentes.
Hier, le « père » du web, Tim Berners-Lee, a lui-même publié une lettre ouverte à l'attention du Parlement européen, les enjoignant à écouter les propositions de SaveTheInternet. « Pour soutenir une croissance économique et un progrès social continus, les Européens méritent les même protections de la neutralité du Net qu'ont récemment garanti les États-Unis » affirme-t-il. Plusieurs amendements répondent donc à leurs inquiétudes, notamment en supprimant certaines exceptions ou précisions floues.
« Nous sommes en train d'aider quelques grandes entreprises »
Le vote de ce midi a été précédé par une dernière série de discussions ce matin au Parlement. Deux camps se sont très logiquement opposés : les partisans d'un vote du texte tel que présenté aujourd'hui (après une navette de va-et-vient entre les institutions), et ceux d'un vote des amendements. Pour rappel, le vote des amendements aurait signifié un nouveau tour du texte entre les institutions européennes, alors que le vote du projet de réglement tel que proposé ce midi signe son adoption définitive par l'Europe.
Parmi les partisans d'un vote sans amendements figure Andrus Ansip, vice-président de la Commission européenne. Selon lui, le texte a déjà été assez repoussé et il serait dommageable d'attendre encore pour l'adopter, d'autant qu'il offrirait des protections suffisantes. Un point de vue notamment soutenu par l'eurodéputé socialiste Édouard Martin, qui estime qu'adopter les amendements serait mettre en danger l'adoption de la neutralité du Net, alors qu'il faudra surtout être vigilant à l'application du texte.
Pour le vice-président de la Commission européenne, le vote est aussi important pour une chose : le marché unique numérique européen. Il s'agit d'un ensemble de mesures favorisant le numérique en Europe, qui doivent être votées d'ici fin 2016. En votant les amendements, les eurodéputés auraient repoussé d'autant le projet de la Commission. Andrus Ansip aurait d'ailleurs largement exagéré la durée du report, a relevé ce matin la députée pirate Julia Reda :
Unfortunately @Ansip_EU claims amendments would delay package by years. Actually it's only 6 weeks until 3rd reading. #NetNeutrality
— Julia Reda (@Senficon) 27 Octobre 2015
Face à eux, plusieurs députés ont relevé les points bloquants signalés par SaveTheInternet. Pour certains, cette version du texte serait un compromis avec les lobbies des opérateurs. « Nous avons troqué la fin de l'itinérance contre une mauvaise définition de la neutralité des réseaux » juge par exemple l'eurodéputé italien Dario Tamburrano. « On paie un prix trop élevé pour la suppression des frais d'itinérance » renchérit son homologue allemande Petra Kammerevert. « Nous sommes en train d'aider quelques grandes entreprises » estime encore l'eurodéputé autrichien Michel Reimon. Pour eux, les amendements qui ont été présentés ce midi étaient indispensables pour une réelle protection des citoyens européens.
Récemment, l'ARCEP avait étudié le texte, le jugeant globalement protecteur. Le régulateur saluait surtout le fait que l'Europe ait pu trouver un accord sur ce sujet, alors qu'elle « donnait l’impression de patiner depuis dix ans sur le numérique ». « Beaucoup de choses vont se jouer dans la mise en œuvre, l’interprétation, la jurisprudence » pondérait son président, Sébastien Soriano, dans un entretien à Rue89 la semaine dernière.
Dans tous les cas, l'ARCEP précise que « ses dispositions s’appliquent directement dans chaque État membre et ne requièrent pas de transposition en droit interne ». Il faudra tout de même des dispositions législatives dans chaque pays afin de définir le cadre institutionnel.
Commentaires (59)
#1
Bienvenu dans le web 3.0 : “« Nous avons troqué la fin de l’itinérance contre une mauvaise définition de la neutralité des réseaux »”, la messe est dite.
#2
Pour être honnête, je ne comprends pas vraiment à 100% le fonctionnement des institutions européennes, mais là j’ai un gros doute.
Est-ce réellement un vote définitif? Ou n’est-ce qu’une étape du processus législatif?
Vu que le Conseil reste l’organe suprême de l’Union, il me semblerait bizarre qu’un vote du Parlement soit l’étape finale. Donc je ne suis pas sûr que ce soit le texte définitif?
#3
Le Conseil l’a déjà voté. S’il y avait des amendements, il aura dû refaire la navette ;)
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#5
Aaaaaaaaah
J’avais compris que le Parlement avait rejeté des amendements faits par le Conseil. " />
Tout s’éclaire, merci.
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#7
Une neutralité du net dans la lignée de l’Open Data français, au moins, ça reste cohérent " />
#8
En gros et pour faire court, on l’a bien profond !!
#9
Le Conseil n’est pas l’organe suprême, loin de là. Il est co-législateur avec le Parlement. Dans le cas d’une procédure classique (comme c’était ici le cas), le texte fait la navette entre les deux institutions pour trouver un compromis. Les deux institutions sont à égalité.
Mais on est d’accord, c’est un fonctionnement assez compliqué, mais le parlement l’explique pas trop mal avec cette infographie :http://www.europarl.europa.eu/aboutparliament/fr/20150201PVL00004/Pouvoir-l%C3%A…
Là on était au #4, le Parlement a voté le texte, il est donc définitivement adopté.
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#11
Vaut-il mieux un mauvais accord que pas d’accord du tout?
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#13
Le Parlement n’est pas à égalité avec le Conseil. Ni dans la loi européenne, ni dans les faits.
Le Parlement européen a un certain pouvoir d’interférence et de négociation avec le Conseil, mais qui varie en fonction des cas, et qui est dans une fourchette [circulez y’a rien à voir ; on discute d’égal à égal mais vous avez l’initiative], en gros.
Dans les projets de lois initiaux, le Parlement n’avait qu’un pouvoir consultatif, le Conseil décidait. Il lui a ensuite été donné un certain pouvoir, mais le Conseil reste prioritaire, de manière générale.
#14
Puisque c’est Édouard Martin qui le dit… " />
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#15
Si il y a une faille demain, il faudra attendre 2017. C’est aussi rapide que pour Adobe flash ? " />
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#16
#17
#18
La fin de l’itinérance était loin d’être acquise. Si les frais d’itinérance en Europe se sont calmés récemment, ce n’est pas grâce à la main invisible du marché, c’est parce que l’Europe lui a tapé sur les doigts. On a eu quelques progrès là-dessus en France en plus de ça, et c’est certes remarquable (certains forfaits avec SMS voire appels gratuits depuis l’UE, forfaits avec un certain montant de data autorisé par an), mais ça reste limité.
C’est sûr, ça ne va rien changer pour Monsieur et Madame Michu. Par contre pour des entreprises ou même des particuliers voyageurs ou frontaliers, ça va être un progrès énorme.
Et c’est même, soyons fous, un premier pas vers une unification du marché des télécommunication. Pas de frais d’itinérances = tu peux acheter ton forfait téléphonique chez un opérateur grec, si tu en as envie. Tu payeras le même prix en téléphonant depuis la France. Que ce soit une bonne chose ou pas, à chacun d’avoir son opinion là-dessus. Mais ce qui est sûr, c’est que l’unification du marché, c’est un des objectifs affichés par l’UE.
#19
Le réseau d’eau potable: vendu.
Le réseau électrique/gaz: vendu.
Le réseau ferré: vendu.
Les autoroutes: vendues.
Internet: vendu.
Prochaine vente: l’air qu’on respire? les mots du dictionnaire?
#20
#21
Je ne suis personnellement pas complètement opposé au texte.
Ce qu’il ressort des différentes critiques du texte, ce n’est pas nécessairement le fond. Ce qui en ressort, c’est la forme. Le problème est que le texte laisse certaines portes ouvertes qui pourraient sembler être parfois du bon sens, mais qu’il les laisse tellement ouvertes que beaucoup craignent que certains opérateurs rentrent dedans sans aucune gêne.
J’ai toujours un problème avec les procès d’intentions. Mais je ne m’attends pas à ce que les opérateurs soient bien intentionnés. J’aurais préféré que le texte soit plus ferme, mais bon, on va bien voir ce que ça va donner…
#22
#23
#24
http://www.assemblee-nationale.fr/14/europe/rap-info/i0422-4.gif
http://www.assemblee-nationale.fr/14/europe/rap-info/i0422.asp
#25
#26
Oui oui, je suis plutôt d’accord avec vous tous: les amendements auraient étés bénéfiques.
Mais ici on a enfin un texte qui aborde le sujet et les gens persistent à nier un progrès.
Car en critiquant le résultat, ils transforment ce qui pour moi est une demi victoire en défaite.
Oui, ç’aurait pu être mieux. Mais de ce que je lis, c’était mieux plus tard (et rien maintenant) ou ça maintenant (et mieux plus tard?).
Il y a des lacunes.
Mais il y a des progrès.
#27
#28
#29
J’avoue ne pas tout comprendre à ton point de vue mais comme c’est un sujet qui m’intéresse, je me permets de te relancer.
#30
Je parle des versions initiales des lois régissant la législature européenne ;)
Au début du projet européen, il n’était question que d’un pouvoir consultatif du Parlement.
Pour faire court: le Parlement a au mieux l’équivalent d’un droit de véto qui s’applique à tout le texte. Le Conseil a au pire l’équivalent d’un droit de véto.
Par exemple: imagine que l’Europe veut lutter contre les taxidermistes qui tuent des baleines dans la jungle polonaise. Le Conseil a été séduit par le lobby des charmeurs de crocodiles qui les a convaincus d’y glisser un article de loi précisant qu’ils avaient le droit de laisser leurs bêtes chasser la baleine. Le Parlement ne veut aucune exception à la loi. Toutes les négociations entre le Parlement et le Conseil échouent.
À aucun moment le Parlement n’aura l’occasion d’imposer un texte sur interdisant tout chasse à la baleine. Le meilleur choix que le Parlement aura pour ce faire sera soit d’accepter tout le texte (et donc autoriser la chasse à la baleine par les crocodiles charmés), soit rejeter tout le texte (et donc la chasse à la baleine restera autorisée dans les jungles polonaises). Et suivant la procédure qui est adoptée, le Parlement n’aura même pas nécessairement la possibilité de s’y opposer.
En tout cas, pour ce que j’en sais, et pour ce que j’ai pu voir dans les quelques cas où j’ai suivi ce qu’il se passait.
Les deux organes sont au mieux à égalité, au pire, le Conseil a la main.
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#32
. Tous les amendements proposés ont été rejetés…
tiens…ça, ça m’étonne ???
pour 1 fois, l’UE ne suit pas “les recommandations” des Lobbys !
#33
#34
Ou comment voter des pseudo-solutions face un problème fabriqué de toute pièce. Le théâtre politique coûte vraiment trop cher pour ce qu’il apporte. Enfin, difficile de rosser la suffisance de ces bouffons tout en niant celle des populistes neutralisés.
#35
#36
Un GIF avec une seule frame. Il y a mieux comme format, et le cookie est tout sauf justifié " />
#37
#38
“Le texte européen doit sacraliser les principes de non-discrimination des contenus et des usagers”[…]“Le premier est la possibilité pour les opérateurs de passer des accords avec des fournisseurs de services Internet pour des services spécialisés, séparés du flux principal”C’est contradictoire, non ? En gros, pas de discrimination, mais un peu quand même ?
#39
Si j’ai bien compris, à partir d’avril 2016, on pourra appeler et utiliser internet sans surcoût dans toute l’Europe ?
C’est moi ou c’est génial ? Y’a un loup ?
#40
Avec 4 FAI le choix est vachement réduit. C’est pas comme s’il y en avait des centaines (comme ton boulanger par exemple) et s’ils appliquent tous la même politique tu l’as dans les fesses.
Et encore, c’est sans compter sur les conditions de mise à disposition de réseaux et les ententes sur les zones à fibrer en priorité etc…
#41
#42
“le marché unique numérique européen. Il s’agit d’un ensemble de mesures favorisant le numérique en Europe, qui doivent être votées d’ici fin 2016”
Ah on va enfin voir la fin du racket de la copie privée, qui sera donc abolie? " />
#43
J’ai du mal à comprendre comment on peut appliquer une QoS réseau tout en étant parfaitement et rigoureusement “Net neutre”. Faudrait que tout le trafic soit en best effort ?
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#45
Le texte européen doit sacraliser les principes de non-discrimination
des contenus et des usagers, avec quelques exceptions en cas de réel
besoin
aïe !
c’est, ces 2 mots qui me font peur !
(ça va être, encore, interprété “selon la sauce des Opérateurs” ) !
#46
Donc, quand pourrons-nous utiliser notre forfait data à l’étranger (dans l’UE) sans roaming ?
J’ai bien lu l’article mais ne suis toujours pas sûr si c’est apr-16 ou fin-16
#47
#48
#49
#50
Et allez… tout le monde râle sur la “mauvaise” définition de la neutralité. Mais il n’y a pas de définition qui soit à la fois bonne et universelle de la neutralité d’un réseau à accès aléatoire (i.e. tout le monde peut lire/écrire en même temps). C’est un peu le même problème avec un OS multi-tâche et le scheduling. Il n’y a pas de définition bonne et universelle d’un scheduling “neutre”. Fair share ? Earliest deadline ? FIFO ? Priority based ?
Pour une fois qu’une décision courageuse n’est pas remise aux calendes grecques, on va pas se plaindre.
#51
Il est grand temps que l’itinérance cesse car il y a trop d’abus. En effet il y a des frais d’itinérance facturé même si l’on reste chez le même opérateur. En Espagne un client Orange est facturé la même chose s’il va sur le réseau de Movistar qui est un concurrent que celui d’Orange Espagne qui pourtant ne coûte rien.
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L’itinérance, dans ce cas present elle s’applique sur la data ou la voix ?
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#54
Tu sais que dans le format GIF originel, il n’était pas question de pouvoirs stocker plusieurs images. C’était un format d’image classique " />
#55
La gestion des pannes est le seul cas où même les “intégristes” de la neutralité admettent que cette dernière n’est pas applicable.
Si un tuyau pète, il faudra bien essayer de faire passer un maximum de contenus dans ceux en état de marche, et si ça déborde, bin faudra balancer une partie du trafic.
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