Pourquoi les FAI vont devoir travailler à l’oeil pour l’État
Bercy beaucoup
Le 19 février 2014 à 09h00
7 min
Droit
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Un arrêt rendu voilà quelque temps par le Conseil d’État va impacter directement l’ensemble des opérateurs et des fournisseurs d’accès. La décision est passée inaperçue en novembre dernier, nous y revenons en conséquence compte tenu de ses nombreuses implications.
Dans ses missions de lutte contre la fraude fiscale, Bercy profite d’un droit de communication à l'encontre des informations détenues par les FAI et les opérateurs. Le fisc peut ainsi par ce biais se voir communiquer les factures détaillées d’un abonné Michu. Un moyen bien pratique par exemple pour connaitre ses liens d’intérêts dans le cadre d’un contrôle de ses revenus ou pour vérifier par exemple s’il possède un abonnement TV.
Voilà pourquoi, si selon la loi, les acteurs du numérique doivent gommer ou anonymiser les données de trafic sans attendre, ils peuvent avoir à différer ce coup d’éponge pour un an lorsqu’il s’agit par exemple de lutter contre la fraude fiscale.
L’affaire tranchée le 25 novembre 2013 par le Conseil d'Etat, opposait Orange à l’administration fiscale sur ce terrain. En février 2000, à ce titre, une convention est signée entre France Télécom et l’État afin de fluidifier ces échanges prévus par la loi. Dans cette convention, Bercy s'engageait à indemniser Orange via une tarification bien précise. Le 31 décembre 2002, le contrat en question prend fin. Cependant, les bonnes habitudes ne s’oublient pas facilement.
Le fisc continue ainsi à réclamer ces données tout en refusant de verser une compensation. Le beurre, la crémière et le pis de la vache. En face, Orange estime qu’elle a droit à une juste compensation, mais le fisc lui répond qu’il n’a pas à payer quand la loi ne prévoit pas d'indemnisation. En 2008, une tentative de règlement amiable échoue. Orange prend le dossier sous le bras pour le soumettre au juge administratif (TA).
Devant les juges du fond, la victoire d'Orange
En 2010, le « TA » de Paris rejette une partie des demandes d’Orange, pour cause d’irrecevabilité ou de prescription. Cependant il fait droit aux revendications de l’opérateur pour les années 2004 à 2007 en lui allouant 1,35 million d’euros (le jugement). Ces montants sont confirmés en 2012 par la Cour d’appel de Paris : « en l'absence de dispositions législatives autorisant le pouvoir réglementaire à définir de manière unilatérale un mécanisme de compensation financière, il appartenait à l'administration fiscale de prendre toutes dispositions, notamment par la voie de conventions, afin d'assurer aux opérateurs de communications électroniques une juste rémunération de leurs prestations accomplies pour le compte de l'administration fiscale ».
Les magistrats s’appuient spécialement sur une décision du Conseil constitutionnel du 28 décembre qui a posé le principe « d'une juste rémunération » dont ont droit les opérateurs, lorsqu’ils concourent aux activités de l'État tendant à la sauvegarde de l'ordre public. Ils considèrent que dans le cadre contraire, il y aurait « rupture d’égalité devant les charges publiques. »
Le dossier n'en reste pas là. En juillet 2012, Bercy attaque cette décision devant le Conseil d’État. Devant la haute juridiction, Orange s'abrite derrière la Déclaration des droits de l’homme et réclame une Question prioritaire de constitutionnalité afin que ce point de droit soit enfin purgé.
Devant le Conseil d'État, la victoire de Bercy
Le Conseil d’État va cependant refuser d’y donner droit (l'arrêt). « La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen n'interdit pas de faire supporter des charges particulières à certaines catégories de personnes pour un motif d'intérêt général, dès lors qu'il n'en résulte pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques » expliquent les juges.
En clair ? Lorsque le fisc bombarde les opérateurs de demandes de communication, il n’y a que « des charges d’une portée limitée ». Du coup, il n’y a pas de rupture d’égalité avec ces broutilles insignifiantes d’autant que ces demandes « répondent à l'objectif à valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale ». De même, « l'exercice du droit de communication, qui se borne à prévoir l'accès de l'administration fiscale à certains documents, ne traduit aucune atteinte au droit de propriété ». Bref, circulez, il n’y a rien à QPCer.
Mais quid de la décision du Conseil constitutionnel du 31 du 28 décembre 2000, laquelle a « posé un principe de juste rémunération du concours apporté par les opérateurs de réseaux de télécommunications aux activités menées par l'État, dans l'intérêt général de la population, dans le cadre de ses missions tendant à la sauvegarde de l'ordre public » ?
Travailler gratuitement pour l'État, dans le silence de la loi
Simple répond le Conseil d’État : dans cette décision, il s’agissait de compenser le coût des investissements et une partie des charges d'exploitation touchant aux interceptions de communications justifiées par les nécessités de la sécurité publique. Mais jamais, estime le juge administratif, « le Conseil constitutionnel n'a (…) posé, de façon générale, le principe d'une juste rémunération du concours qui peut être apporté par les opérateurs de réseaux de télécommunications à toutes les activités, quelles qu'elles soient, menées par l'État dans l'intérêt général. »
Or, ici, le droit fiscal, édité par le législateur, n’a prévu aucune compensation. Il « se borne à imposer aux personnes visées de communiquer à l'administration fiscale, sur sa demande, des informations qu'elles détiennent dans le cadre de leur activité sans pouvoir opposer le secret professionnel », point barre.
En clair, ce n’est pas parce que les opérateurs sont indemnisés pour les interceptions de sécurité qu’ils peuvent l’être pour le droit de communication du fisc. Pour Bercy, c’est une victoire sur toute la ligne : le fisc peut demander ces communications et n’a pas à verser un kopek en contrepartie « eu égard à la portée limitée des sujétions » qui en résultent.
Pour enfoncer un peu plus le clou dans le cercueil des revendications d’Orange, les juges considèrent que le contrat signé entre l’opérateur et le fisc en 2000 « n'était pas de nature à faire naître une espérance légitime de continuer de bénéficier d'une contrepartie financière non prévue par la loi ». Bref, ce contrat était une sorte de bienveillance généreuse et le cadeau a depuis pris fin. D’ailleurs, outre que ce droit de communication n’entraîne pas de préjudice financier grave, il existe à l’encontre d’autres acteurs privés. En conclusion, il n’y a pas de rupture d’égalité devant les charges publiques. Orange n’a donc pas droit à indemnisation et le fisc peut solliciter des informations des opérateurs sans avoir à verser de contrepartie.
Soit la meilleure décision que pouvait espérer le ministre des Finances, et la pire pour les opérateurs.
Pourquoi les FAI vont devoir travailler à l’oeil pour l’État
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Devant les juges du fond, la victoire d'Orange
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Devant le Conseil d'État, la victoire de Bercy
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Travailler gratuitement pour l'État, dans le silence de la loi
Commentaires (87)
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Abonnez-vousLe 19/02/2014 à 14h49
Le 19/02/2014 à 15h38
Marc, moi je pense que tu pourrais ajouter … à la fin : ce sont les clients qui , de facto, devront payer !
simple non ?
Le 19/02/2014 à 21h31
Est ce qu’on sait pour sûr que les autres FAI ont vécu ce genre d’aventure ?
Orange est “réquisitionnée” par l’état de par son ancien statut FT, il doit rester des accointances avec l’état ou un reste de politique interne sur le fait de servir l’état.
Là, ils ont voulu se rebiffer (et à juste titre !) mais ils ont joué velours, tout dans la logique classique de la loi, ils n’ont pas tenté un pied de nez comme Free qui modifie allègrement ses tarifs pour ne pas payer une taxe.
Le 19/02/2014 à 22h21
C’est quand même assez fabuleux que le Conseil d’État puisse refuser qu’Orange adresse une QPC au Conseil Constitutionnel, sous prétexte que “selon eux”, il n’y a pas matière, et puis que la décision du CC d’il y a quelques années qui est quand même sur un domaine très proche, “c’est pas pareil parce qu’on l’a décidé, et c’est pas nécessaire de demander au CC si effectivement sa décision d’il y a quelques années doit s’appliquer dans ce cadre qui est quand même vachement proche”…
Et y a pas à dire, y a pas trop de surprise à voir le Conseil d’État statuer dans le sens de l’État bien que le tribunal de première instance et la cour d’appel aient statué contre lui, et bloquer par la suite les autres possibilités de recours, parce que bon, “faudrait pas qu’une autre juridiction moins soumise à l’État vienne invalider cette décision aberrante”.
Douce France…
Bon le problème c’est que c’est de pire en pire partout ailleurs également, difficile d’y échapper et c’est pas pour demain que le peuple se soulèvera non plus :(
Le 20/02/2014 à 01h24
Entre ce pouvoir et celui obtenu par la loi de programmation militaire, le fisc n’a qu’à tout écouter et pis on n’en parle plus.
Je propose qu’on abolisse la police.
Leurs pouvoirs sont tellement ridicules face à ceux du fisc, autant économiser un ministère. Les gendarmes étant désormais rattachés au ministère de l’intérieur, ça fait dans les 250.000 salaires économisés.
En imaginant que l’état est méga pingre et que les gars gagnent en moyenne, disons 1800€ net, ça fait plus de 450 millions d’euros économisés par mois, rien qu’en salaires. Sans compter les charges, les frais de fonctionnement, les infrastructures…
On devrait également pouvoir faire l’économie du ministère de la justice, dans un souci d’amélioration du délai de traitement des dossiers. Et puis les prisons ça ne génère pas de pognon non plus, autant s’en passer.
L’exécution sommaire si t’es pas solvable, ya que ça de vrai.
Par contre si tu as de quoi payer, c’est bon. Quoi que tu aies fait, après tout t’as “payé ta dette” (en sonnant et trébuchant, pragmatique).
Le 20/02/2014 à 07h11
Pourquoi les FAI vont devoir travailler à l’oeil pour l’État
travaux d’intérêt général
Le 20/02/2014 à 07h20
Le 20/02/2014 à 12h26
l’intérêt général
est quand même une invention géniale, peut être la meilleure invention depuis le feu.
Le 20/02/2014 à 12h36
Le 20/02/2014 à 14h24
Le 21/02/2014 à 00h43
Le 21/02/2014 à 00h59
Le 21/02/2014 à 01h04
Le 21/02/2014 à 01h19
Le 19/02/2014 à 09h22
Le 19/02/2014 à 09h23
Le 19/02/2014 à 09h23
Le 19/02/2014 à 09h25
Le 19/02/2014 à 09h25
Le 19/02/2014 à 09h29
dura lex, sed lex
Le 19/02/2014 à 09h30
Le 19/02/2014 à 09h36
Le 19/02/2014 à 09h40
Le 19/02/2014 à 09h42
Le 19/02/2014 à 09h44
Vive l’état soviétique" />
Le 19/02/2014 à 09h47
Le 19/02/2014 à 09h49
Quand je bossais à Auchan, on voyait tous les ans un inspecteur des impots 2 ou 3 jours éplucher les relevés de ventes de TV et d’abonnement Canal, canal sat et TPS…
Maintenant, ils passent à l’ère numérique !
Le 19/02/2014 à 09h51
Le 19/02/2014 à 09h54
On a une idée de ce qui se fait pour nos voisins proches( Allemagne, Espagne,Belgique, …) car les opérateurs locaux doivent bien avoir le même genre de demande ?
Sinon du point de vue des agences de renseignements, ils payent leurs demandes ou là aussi les différentes entreprises “fournissent” gracieusement ?
Le 19/02/2014 à 09h58
Le 19/02/2014 à 09h59
Le 19/02/2014 à 09h59
Le 19/02/2014 à 10h01
Et le mieux dans tout ça, c’est que la souscription d’un abonnement TV auprès de son FAI n’est pas suffisant pour te rendre éligible à la redevance TV ^^
Le 19/02/2014 à 10h02
Le 19/02/2014 à 10h08
Le 19/02/2014 à 10h10
Le 19/02/2014 à 10h11
Le 19/02/2014 à 10h14
Le 19/02/2014 à 10h17
Le 19/02/2014 à 10h17
Le 19/02/2014 à 10h22
Le 19/02/2014 à 10h33
Le 19/02/2014 à 10h35
Je me souviens d’une anecdote amusante où un type en Russie devait payer les écoutes de la police.
Orange ou un autre FAI / Opérateur peut-il demander le paiement des frais des demandes du Fisc à la personne concernée ? En aurait-il le Droit ?
Ce serait fort amusant de se retrouver avec une facture avec des frais administratifs " />
Le 19/02/2014 à 10h36
Le 19/02/2014 à 10h38
Le 19/02/2014 à 10h39
Le 19/02/2014 à 11h57
Quelle sont les réactions d’Orange?
Que comptent-ils faire? Ils vont faire appel ou ça va en rester là?
Le 19/02/2014 à 12h09
Le 19/02/2014 à 12h12
Le 19/02/2014 à 12h14
Le 19/02/2014 à 12h18
Le 19/02/2014 à 12h18
Ils feraient mieux de la mettre obligatoire et virer leur système de flicagecontrôle.
Je pari que ça coûte plus chère de poursuivre les fraudeurs que de les faire payer la redevance.
Mais après ça posera un problème d’éthique aux quelques pélots qui soit disant ne regarde pas la télé.
Le 19/02/2014 à 12h22
Le 19/02/2014 à 12h39
L etat de kon…
Le 19/02/2014 à 13h14
Le 19/02/2014 à 13h15
Le 19/02/2014 à 13h21
Le 19/02/2014 à 13h25
Le 19/02/2014 à 13h30
Le 19/02/2014 à 13h43
Le 19/02/2014 à 13h47
Le 19/02/2014 à 13h56
Le 19/02/2014 à 10h42
Le 19/02/2014 à 10h43
Est ce qu’il existe en France une possiblité d’avoir un accès à internet “pur” (adsl ou fibre) sans services annexes, triple play, box à la con ou autre ?
Comme à l’époque où on pouvait se passer du modem usb moisi de l’opérateur et gérer sa propre passerelle-routeur Netgear…
Je ne veux pas payer la redevance car je ne regarde pas la télé, et pour tout le reste (seedbox, fonction NAS & co) j’ai un vrai NAS.
Le 19/02/2014 à 10h44
Le 19/02/2014 à 10h53
Le 19/02/2014 à 11h02
Sachant que les TV maintenant on toutes un tuner TNT, du coup même si on à pas de décodeur TV et pas d’abonnement TV par ADSL chez sont FAI, on doit payer cette redevance ou non ?
Le 19/02/2014 à 11h09
Le 19/02/2014 à 11h11
Le 19/02/2014 à 11h12
Le 19/02/2014 à 11h14
Le 19/02/2014 à 11h19
C’est le role du conseil d’etat qui pose probleme !" />
Le 19/02/2014 à 11h26
Maintenant que le conseil d’état a tranché, recours possible devant les juridictions européennes ?
Le 19/02/2014 à 11h33
Le 19/02/2014 à 11h36
Le 19/02/2014 à 11h45
Le 19/02/2014 à 11h49
Pour ceux qui cherchent un accès à internet «Comme au bon vieux temps» ou l’on est pas pollué par TV/Telephone, *Box ou encore filtrage ou restrictions modernes diverses… Il y as plein de petites associations qui font ce type de chose un peu partout en France. (Elle sont regroupée dans la FFDN)
Le 19/02/2014 à 11h53
Le 19/02/2014 à 09h07
Bien que je ne vais pas plaindre les opérateurs (1,35 million d’euros sur 4 ans pour orange ce n’est rien dans leur budget).
Mais bon ça ne reste pas normal de ce servir comme ça. J’aime bien l’argument du prix pas fixé dans la loi donc gratuit.
Ca marche pour nous aussi?
Le 19/02/2014 à 09h12
C’est l’Hadopi qui se frotte les mains.
Le 19/02/2014 à 09h15
Le 19/02/2014 à 09h15
Le 19/02/2014 à 09h16
Le 19/02/2014 à 09h18
Le 19/02/2014 à 09h18
dans l’intérêt général.
Nananananan, désolé, l’intérêt général est comprit par “intérêt du peuple”. Et le peuple n’a aucun intérêt à payer toujours plus d’impôt.
C’est dans l’intérêt de l’Etat, s’too
Le 19/02/2014 à 09h19
Le 19/02/2014 à 09h21