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La pression sur le chiffrement s’accroît en Europe

Ça s'en va et ça revient

La pression sur le chiffrement s’accroît en Europe

En France, en Suède, au Danemark comme au niveau de la Commission européenne, les attaques contre le chiffrement des communications se multiplient.

Le 24 avril à 10h40

Au niveau national comme à celui de la Commission, la pression augmente sur le chiffrement de bout en bout des communications (end-to-end encryption, E2EE).

Début avril, la Commission européenne présentait son plan ProtectEU, une nouvelle stratégie de sécurité interne. L’un des chapitres de la feuille de route concerne directement la nécessité de « fournir de meilleurs outils aux forces de l’ordre » et aux agences européennes.

Dans son communiqué, la Commission annonçait par exemple vouloir renforcer la coopération entre Frontex, Eurojust et l’ENISA (l'agence de l’UE pour la cybersécurité), mais aussi préparer une « feuille de route technologique sur le chiffrement et une analyse d’impact dans le but d’actualiser les règles de l’UE en matière de conservation de données ».

Du côté des États, la France vient de débattre ardemment pour la suppression de l’article 8ter de la loi Narcotrafic, qui aurait permis aux forces de l’ordre d’obtenir un accès aux messageries sécurisées. La proposition a été définitivement enterrée fin mars. Mais ailleurs en Europe, l’Espagne et la Suède s’attaquent eux aussi au sujet, de même que le Royaume-Uni.

Les forces de l’ordre « les yeux bandés »

Au Danemark, le ministre de la Justice Peter Hummelgaard a ainsi souligné auprès de Politico que le monde numérique avait rendu « beaucoup plus simple la coordination en temps réel et l’accès à une large audience pour des cybercriminels ». Et de pointer plus spécifiquement l’explosion de la pédopornographie, du blanchiment d’argent ou du trafic de drogues.

Du côté de l’agence européenne Europol, un porte-parole renchérissait auprès du média : « sans accès aux communications chiffrées, les forces de l’ordre se battent contre le crime les yeux bandés ». Une position régulièrement tenue par les chefs des polices européennes.

La tendance a mené à plusieurs passes d’armes publiques avec Meredith Whittaker, présidente du service de communication chiffré Signal. Début 2025, la Suède s’est attelée à une proposition de loi susceptible de forcer les opérateurs de messageries à enregistrer tous les messages de leurs usagers, ce qui créerait de facto une backdoor dans les systèmes de messageries chiffrés. Comme elle l’avait fait lors de l’étude de l’Online Safety Act au Royaume-Uni, l’experte avait déclaré que Signal quitterait le pays plutôt que de se plier à ce type d’obligation.

Pas de backdoor qui ne soit accessible par une multiplicité d’acteurs

Interrogée l’an dernier sur la récurrence des tentatives d’attaquer le chiffrement des communications, la présidente de Signal ne niait pas la réalité des problématiques auxquelles font face les forces de l'ordre. Auprès de Next, elle déclarait en revanche : « la promesse est toujours la même : si vous nous donnez accès à tout, nous pourrons résoudre tous les problèmes du monde. Sauf qu’il n’y a aucune preuve de cela, pas plus que de démonstration que le chiffrement soit le coupable. »

PDG de Telegram, Pavel Durov s'est joint aux critiques. Il a déclaré qu’il préférait fermer le service en France (qu'il a quittée en mars après plusieurs mois d'interdiction de sortir du territoire) et dans d'autres pays européens plutôt que renoncer à son option de chiffrement de bout en bout dans la messagerie.

Comme depuis la création du chiffrement, les experts en cybersécurité répètent par ailleurs que la moindre création de backdoor met en danger l’intégralité de l’édifice d’un système de communication, puisque son existence pourrait ensuite être utilisée par des pirates ou des gouvernements autoritaires.

Trois types de menaces

Quoi qu'il en soit, la responsable des politiques de chiffrement chez l’ONG Access Now, Namrata Maheshwari, décrit à Wired trois types d’attaques récentes contre le chiffrement. La première consiste en la demande, par des gouvernements ou des forces de l’ordre, d’obtenir un « accès légal » à des données chiffrées.

En février, le Washington Post révélait ainsi que la justice britannique avait secrètement ordonné à Apple de lui permettre l’accès aux données enregistrées par ses utilisateurs, partout sur la planète. Plutôt que d’y accéder, Apple a suspendu le service Advanced Data Protection, qui donne la possibilité de chiffrer de bout en bout les données stockées sur iCloud, pour les internautes britanniques.

La deuxième consiste en des propositions relatives au « scanning côté client », ou « analyse sur appareil », qui consiste à examiner les messages localement sur l’appareil d’une personne, avant qu’ils ne soient chiffrés. C’est le raisonnement qui avait animé le projet européen de lutte contre la pédocriminalité surnommé #ChatControl, ou « le projet de loi européen le plus critiqué de tous les temps ». Il proposait de vérifier l’ensemble des photos, vidéos et URL avant qu’elles ne soient envoyées dans des messageries potentiellement chiffrées.

Le troisième consiste enfin en un risque persistant de suspension de l’accès aux services de messageries chiffrées. La Russie a, par exemple, bloqué l’accès à Signal fin 2024. En Inde, WhatsApp est aux prises avec une action en justice qui pourrait l’obliger à quitter le pays ou à renoncer au chiffrement de bout en bout dans ce marché.

Cela dit, des voix importantes s’élèvent aussi en faveur du chiffrement. Aux États-Unis, à la suite de la cyberattaque Salt Typhoon, plusieurs représentants du FBI et de la CISA (US Cybersecurity and Infrastructure Security Agency) ont encouragé la population à largement utiliser des applications de messagerie chiffrées.

Commentaires (8)

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Je ne connaissais pas l'affaire Salt Typhoon. Ce dernier paragraphe fait du bien à lire, le tableau mondial est quand même très noir concernant le chiffrement. Aura-t-on encore du chiffrement dans 10 ans, sans devenir criminel ? Ou tous nos échanges vont-ils tomber sur la place publique ...?
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Y'a 40 ans, c'était compliqué... (enfin surtout, en France, pas légal à moins que faible). Retour en arrière ?
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A l'exception des cas où il y a un recours gracieux possible, je vois difficilement comment justifier et généraliser ces pouvoirs délirants.

Moi je veux bien une option "en clair" avec un compteur de 2 mois. Ce serait sensé.
[même remarque pour les trames CPL non filtrées : 2 mois de groupage générationnel tolérable, pas plus]
Seulement voilà, comme nous sommes gouvernés par des imbéciles éloignés des réalités des vrais gens (vous savez, les citoyens quoi) bah cela ne se fera jamais. Ce n'est pas faute d'avoir modifié le code civil en ajoutant le mot "relatif" mais bon, qui lit encore ce genre de textes à l'heure des contrats NSO et Palantir ?
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À défaut de pouvoir déchiffrer (ça date d'aujourd'hui même, 24 avril 2025) :

https://www.francetvinfo.fr/societe/drogue/narcotrafic-les-telephones-portables-des-consommateurs-vont-etre-confisques-en-cas-d-arrestation_7208487.html

:nimp:
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Quand ces crétins de politiques comprendront que négocier le chiffrement est aussi stupide que vouloir négocier la valeur de pi ? Bientôt un texte de loi pour arrondir pi à trois pour favoriser le commerce ?
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Certains ont même confondu e avec la température du fond diffus cosmologique. Ils n'étaient pourtant pas politiques au départ.

C'est le problème plus général des valeurs fixes: pour les uns c'est une constante de la physique, pour les autres un nombre transcendant.

On peut aussi dire que "truc" est égal à zéro virgule. C'est souvent plus instructif que les simplismes internationnaux.
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Je propose qu'on interdise les mathématiques. Ainsi ces petits filous ne pourront contourner l'interdiction de chiffrement.
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La seule appli SMS sécurisée (à ma connaissance) était Silence, mais son dév (Bastien Le Querrec, de la Quadrature du Net) a arrêté le développement, et le code source a disparu :craint:

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