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Le plan de l’Arcep pour un « numérique désirable »

Désirable pour qui ?

Le plan de l’Arcep pour un « numérique désirable »

L’Arcep vient de présenter son programme pour les 5 années à venir, puis précisément son plan « Ambition 2030 ». Le très haut débit, le cloud, les infrastructures et les questions environnementales sont évidemment au cœur des attentions. But de la manœuvre : « s’assurer qu’Internet reste un espace de libertés ».

Le 23 janvier à 12h20

Dans son discours liminaire à l'occasion des vœux annuels de l'autorité, la présidente de l’Arcep – Laure de la Raudière – explique que « c’est le bon moment » pour revoir sa stratégie. Deux raisons sont mises en avant : « l’évolution des marchés télécoms qui arrivent à une certaine maturité » et aussi « l’évolution des technologies réseaux ». Elle rappelle les ambitions de l’Arcep : « chaque utilisateur doit disposer d’une connectivité Très Haut débit fixe et mobile, de qualité, à un tarif abordable ».

Sur l’évolution des réseaux, elle cite les « nouveautés » de ces dernières années : déploiement massif de la fibre, généralisation de la 4G et déploiement de la 5G, début de la « cloudification » des réseaux, services satellitaires Direct to Device, fermetures du réseau cuivre, extinction de la 2G et 3G…

Chacun connait « ses engagements et ses responsabilités »…

Sur la fibre justement, sa généralisation « est la condition de réussite du plan France Très Haut débit. Chacun, ici, sait quels sont ses engagements et ses responsabilités. Je ne vais pas m’y attarder ». D'aucuns diront que l'occasion était toute trouvée pour, au contraire, s’y attarder et pousser davantage les opérateurs à respecter leurs engagements.

L’Arcep pourrait, par exemple, passer la seconde sur les sanctions (comme cela lui arrive parfois) plutôt que multiplier les mises en demeure contre Orange et XpFibre sur le déploiement de la fibre par exemple. Il y a également le fameux mode STOC qui fait tant parler de lui depuis une année, même s’il a « beaucoup progressé en deux ans », expliquait récemment David Elfassy (président d’Altitude Infra).

… l’Arcep en a aussi

En octobre dernier, Marie-Christine Servant (membre du collège de l’Arcep) le reconnaissait : « on est encore au milieu du gué, on n’a pas fini le travail »

La présidente le rappelle néanmoins : « Les obligations de complétude doivent être respectées, l’Arcep en est le garant. La fermeture du réseau cuivre ne peut d’ailleurs pas être conduite sur une commune sans que la fibre n’ait été déployée complétement ».

Elle parle du bout des lèvres du marché des entreprises, largement dominé par Orange et SFR dans une moindre mesure : « nous pensons que la bascule vers le réseau fibre est une opportunité pour rebattre les cartes de la concurrence. Dans le respect des prérogatives qui sont les nôtres, nous veillerons à ce que les offres et conditions tarifaires du marché de gros le permettent ».

Le sujet est sensible, preuve en est avec la récente bronca d’opérateurs alternatifs contre les hausses sur le tarif d’accès au Génie civil Boucles et Liaisons d’Optique (GC BLO) annoncées l’année dernière (mises en place début 2024 et début 2025). Des opérateurs étaient montés au Conseil d’État, qui avait donné raison à l’Arcep.

La connectivité est « une nécessité »

Pour l’Arcep, c’est aussi « le bon moment de revoir [sa] stratégie, aussi du fait de l’évolution des attentes des utilisateurs », que ce soit des particuliers, des entreprises ou des collectivités : « la bonne connectivité ce n’est plus seulement un atout, mais c’est une nécessité, indispensable à chacun et à la vie économique de notre pays. C’est tout simplement pourquoi j’ai mis la qualité des réseaux parmi les premières priorités de l’Arcep dès mon arrivée ».

Sur la qualité justement, la présidente se félicite « des débuts d’amélioration », mais sans crier victoire car « c’est prématuré ». D’autant que, comme le reconnait l’Arcep dans sa méthodologie, les pannes de son observatoire ne sont comptabilisées qu’au niveau des échanges entre les opérateurs commerciaux et ceux d’infrastructure : « Cet indicateur ne recouvre donc pas l’ensemble des pannes, notamment celles dont la résolution relève des seuls opérateurs commerciaux (par exemple la panne d’un équipement actif ou un défaut sur le raccordement final) ».

La présidente annonce que, dans le courant de l’année, l’Arcep intègrera « de nouveaux indicateurs reflétant mieux l’expérience utilisateurs et le mode "STOC" pour chacun des opérateurs », sans plus de précisions. L’arrivée de nouveaux indicateurs n’est pas nouvelle, l’Arcep en parlait déjà dans son observatoire l’année dernière.

En octobre dernier, Laure de la Raudière l’affirmait déjà : « L’heure n’est vraiment plus à chicailler sur la responsabilité du voisin ou sur la mise en œuvre d’un énième process. L’heure est aux résultats et à l’amélioration concrète de la qualité des interventions ». Une déclaration qui avait d’ailleurs inspiré Flock.

Des données et rapport sur l’empreinte du numérique

La présidente revient aussi sur les nouvelles missions données par le législateur. Sur l’empreinte environnementale du numérique, le régulateur poursuit ses travaux de compréhension, notamment avec une collecte de données environnementales plus large : « équipementiers et fabricants de câbles sous-marins cette année et auprès d’autres acteurs du numérique les années suivantes ». Plusieurs dossiers sont publiés avec l’Ademe. C’est le cas de celui sur l’empreinte environnementale des terminaux.

Laure de la Raudière affirme que « cette collecte est unique en Europe, et sans doute dans le monde ». Cet outil permet de suivre l’évolution de l’impact du secteur et de déterminer « avec justesse quelles actions pertinentes conduire ». Pour l’Arcep, cela doit se passer au niveau européen.

Elle rappelle d’ailleurs à juste titre quelques fondamentaux, que certains peuvent avoir tendance à vite oublier :

« Ce n’est pas parce que les services numériques sont "apparemment" virtuels, que leur développement n’a pas une empreinte environnementale bien réelle, sur la croissance du nombre de data center, le renforcement des réseaux ou le changement des terminaux numériques par les utilisateurs.
La croissance des usages de l’intelligence artificielle et son impact sur les besoins en puissance de calcul, la consommation énergétique ou encore le renouvellement des terminaux le montrent bien. L’utilisation de codecs vidéo efficients, la limitation de l’auto play ou du scrolling infini, le maintien des logiciels d’exploitation pendant toute la durée de vie des terminaux ou encore le développement des Intelligences artificielles plus sobres nous paraissent de bonnes pratiques à défendre dans les futurs travaux européens. Nous nous y attacherons ».

L’Arcep veut un « numérique désirable »

En lien avec ce constat, l’Ambition 2030 de l’Arcep est donc « de doter le pays des infrastructures numériques pour décennies à venir et de s’assurer qu’internet reste un espace de libertés », avec des infrastructures « accessibles partout, pour tous et pour longtemps ».

Laure de la Raudière parle d’un « numérique désirable ». Un discours prononcé mardi, au lendemain de l’investiture de Donald Trump comme président des États-Unis, avec à ses côtés une large partie des patrons de la tech.

Pour expliquer cette notion de numérique désirable, elle appuie son propos sur le ressentiment exprimé par certains clients : « La grogne sur les coupures de fibre, sur le temps de rétablissement, la grogne sur le temps d’écran et les addictions des jeunes et des moins jeunes, la grogne sur l’influence des grandes plateformes sur nos démocraties et nos économies, la grogne sur les questions de cybersécurité et de souveraineté, la grogne sur les questions climatiques et les enjeux écologiques… ».

En 2030, un numérique « synonyme de progrès humain »

Comment résoudre cette équation ? « En 2030, le numérique doit être redevenu enthousiasmant et synonyme de progrès humain ».

Elle rêve ainsi d’une famille connectée, qu’elle soit rurale ou citadine, dont chaque membre dispose d’un « smartphone de plus de cinq ans, qui n’est pas devenu obsolète du jour au lendemain » au gré des nouvelles fonctionnalités et des mises à jour logicielles, utilisant des réseaux sociaux ouverts et interopérables, « protégés par des systèmes de contrôle parental et ne sont pas soumis à des défilements infinis de contenus addictifs ». Les mots sont choisis avec soin puisqu’il s’agit de projet déjà en cours au niveau français ou européen.

Trois « modes d’action » en plus des outils classiques de régulation

Dans son programme Ambition 2030, l’Arcep rappelle qu’elle dispose d’une panoplie d’outils classiques de régulation : analyses de marché, contrôle du respect des obligations des opérateurs, pouvoir de sanction et de règlement des différends ou l’attribution des fréquences et des numéros aux opérateurs, etc. Mais elle s’appuie aussi sur « trois modes d’action complémentaires pour accroître l’impact de sa régulation » : réguler par la donnée, agir en réseaux et mettre ses travaux au service du débat public.

La régulation par la donnée n’a rien de nouveau à l’Arcep, on en parlait déjà début 2016 lors de la présentation de sa « nouvelle stratégie ». Concernant les « réseaux », il s’agit de réseaux de personnes/institutions et pas de réseaux télécoms (fibre, 5G) à proprement parler. Comme la régulation par la donnée, il s’agit de continuer dans « la dynamique nouvelle impulsée ces dernières années », notamment autour des nouvelles missions de régulation du cloud.

Dernier point : ses travaux au service du débat public. Le régulateur use ici de sa position privilégiée auprès des opérateurs pour récupérer des informations inaccessibles au public. Il en propose des synthèses accessibles à tous. Le gendarme des télécoms annonce qu’il « produira et mettra à disposition du public des données permettant à chacun la prise de conscience de ces enjeux ».

Ces rapports, nous en faisons régulièrement l’écho, car ils permettent en effet d’avoir une vision globale d’un marché, avec des données traitées par une autorité indépendante.

En voici deux exemples :

Le document se termine par neuf objectifs stratégiques :

  • Connectivité : finaliser la transition vers le THD pour tous
  • Compétitivité : garantir la connectivité des entreprises et dynamiser la concurrence
  • Résilience : assurer la qualité, la pérennité et la résilience des infrastructures
  • Environnement : partager la connaissance des impacts environnementaux du numérique
  • Cloud : favoriser une plus grande liberté de choix de services cloud
  • Durabilité : agir pour réduire les impacts environnementaux du numérique
  • IA : œuvrer à l’ouverture des marchés numériques et des systèmes d’IA
  • Données : favoriser le développement de l’économie par la donnée et l’innovation
  • Distribution de la presse : favoriser la modernisation de la distribution de la presse et valoriser la place du marchand

Arbitre, architecte, gardienne… quid du gendarme et de son bâton ?

Un mot enfin sur l’identité et le manifeste de l’Arcep. Elle se présente comme : « arbitre expert et neutre au statut d’autorité administrative indépendante, l’Arcep agit en tant qu’architecte et gardienne des réseaux d’échanges comme biens communs ». Le choix des mots est intéressant : arbitre, architecte et gardienne… mais pas gendarme des télécoms (avec un pouvoir de sanction allant au-delà de mises en demeure).

Son pouvoir de sanction, l’Arcep en parle une fois dans son programme Ambition 2030, dans la partie feuille de route sur comment veiller à la qualité des réseaux : « L’Autorité pourra mobiliser en tant que de besoin ses pouvoirs d’enquête et de sanction, notamment si les engagements de la filière ne permettaient pas d’améliorer durablement la qualité des réseaux en fibre optique ».

Commentaires (3)

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Le dessin de Flock sur les sanctions est magnifique 🤣
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Ce genre de chose me fait toujours penser à la tentative d’interpellation de Simon Phenix dans Demolition man :

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Et donc dans ce futur numérique désirable, on parle de la place des GAFAM, de la technopolice, de la liberté d'avoir des conversations confidentielles, du désir de pas cramer la planète avec de l'e-waste, de la violence en ligne ? Y a plein d'idées pour avoir un numérique désirable.

Le plan de l’Arcep pour un « numérique désirable »

  • Chacun connait « ses engagements et ses responsabilités »…

  • … l’Arcep en a aussi

  • La connectivité est « une nécessité »

  • Des données et rapport sur l’empreinte du numérique

  • L’Arcep veut un « numérique désirable »

  • En 2030, un numérique « synonyme de progrès humain »

  • Trois « modes d’action » en plus des outils classiques de régulation

  • Arbitre, architecte, gardienne… quid du gendarme et de son bâton ?

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