La justice européenne cadenasse la revente d’ebooks d’occasion
Les Kabinets vont fermer
Le 19 décembre 2019 à 15h55
4 min
Droit
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Saisie par des éditeurs néerlandais, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) vient de trancher : la revente d’ebooks d’occasion est synonyme de nouvelle « communication au public », dès lors soumise à autorisation des ayants droit.
La traditionnelle règle de « l’épuisement des droits » ne s’applique donc pas pour les livres numériques. Tout du moins pour ceux ayant été téléchargés, « pour un usage permanent ».
Aujourd’hui, quand vous revendez un livre traditionnel à un ami, sur Leboncoin ou dans un vide-grenier, il n’est pas nécessaire d’avoir préalablement obtenu le feu vert de l’éditeur, ou même de l’auteur. Et pour cause : « l’épuisement des droits » permet à l’acquéreur d’une œuvre protégée de la revendre librement. La principale condition est que l’œuvre ait été acquise licitement.
C’est sur la base de cette règle que la société Tom Kabinet, implantée aux Pays-Bas, pensait pouvoir revendre licitement des livres numériques (achetés bien souvent auprès de particuliers) depuis 2014, à un tarif bien entendu moindre qu’en « première main ». L’effacement du fichier source était exigé lors du rachat, avant qu’un « filigrane numérique » ne soit posé sur la copie revendue à titre définitif.
Sans surprise, les éditeurs n’ont guère apprécié ces pratiques, qui ont rapidement été trainées devant les juridictions néerlandaises. Ces dernières ont toutefois saisi la Cour de justice de l’Union européenne de questions préjudicielles, afin de savoir si les ayants droit pouvaient s’opposer à ces reventes d’occasion, sur le fondement de la directive sur le droit d’auteur.
La règle de l’épuisement réservée aux « objets tangibles »
Toute la question était de savoir si l’on pouvait reconnaître ici la règle de l’épuisement des droits. Non, a clairement répondu la CJUE. Les magistrats ont « notamment déduit du traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) sur le droit d’auteur, à l’origine de cette directive, ainsi que des travaux préparatoires de cette dernière, que le législateur de l’Union avait eu l’intention de réserver cette règle d’épuisement à la distribution d’objets tangibles, tels que des livres sur support matériel ».
Pas question donc d’en faire profiter les ebooks. « Les copies numériques dématérialisées, à l’inverse des livres sur un support matériel, ne se détériorent pas avec l’usage, de sorte que les copies d’occasion constituent des substituts parfaits des copies neuves. En outre, les échanges de telles copies ne nécessitent ni effort ni coût additionnels, de sorte qu’un marché parallèle de l’occasion risquerait d’affecter l’intérêt des titulaires à obtenir une rémunération appropriée pour leurs œuvres de manière beaucoup plus significative que le marché d’occasion d’objets tangibles », soulignent au passage les juges.
Comme le préconisait l’avocat général, la cour a considéré que les pratiques de Tom Kabinet s’assimilaient à une nouvelle « communication au public » des ebooks en question, dès lors soumise à l’autorisation préalable des ayants droit (ce qui passe bien souvent par une compensation financière).
Cette lecture devra néanmoins être vérifiée par les juridictions néerlandaises, à qui l’affaire va être renvoyée, précise l’arrêt de la CJUE. Ce dernier donne malgré tout une grille de lecture qui ne laisse guère de place au doute :
« Dès lors que la mise à disposition d’un livre électronique est en général, ainsi que l’ont relevé [les éditeurs à l'origine de la procédure, nldr], accompagnée d’une licence d’utilisation autorisant seulement la lecture, par l’utilisateur ayant téléchargé le livre électronique concerné, de celui‑ci à partir de son propre équipement, il y a lieu de considérer qu’une communication telle que celle effectuée par Tom Kabinet est faite à un public n’ayant pas été déjà pris en compte par les titulaires du droit d’auteur et, partant, à un public nouveau, au sens de la jurisprudence ».
Autant dire que cet arrêt risque de porter un coup d’arrêt – c'est le cas de le dire – à la filière, déjà bien balbutiante, des livres numériques d’occasion.
La justice européenne cadenasse la revente d’ebooks d’occasion
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La règle de l’épuisement réservée aux « objets tangibles »
Commentaires (42)
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Abonnez-vousLe 19/12/2019 à 16h51
Le 19/12/2019 à 16h56
Je crois que c’est à cause de l’extension de la loi Lang sur le prix unique du livre.
Donc la loi française oblige à vendre au prix fort les livres électroniques neufs et la justice nous interdits de les revendre !
Le meilleur des mondes et après on s’étonne que les gens sont réticents au progrès ….
Le 19/12/2019 à 17h02
La jurisprudence pourra s’étendre aux jeux vidéo ?
L’UFC avait eu une victoire contre Steam (y’a eu un appel ?), mais bon, Europe>France.
Le 19/12/2019 à 17h09
Le 19/12/2019 à 17h25
Le modèle de l’oeuvre numérique à la vente est foireux, à part iTune qui a eu un succès un temps (mais dans l’environnement très fermé Apple), ça n’a jamais vraiment fonctionner.
Permettre la revente d’occasion d’oeuvre numérique signerait la fin de ce modèle de distribution*.
Le seul modèle aujourd’hui qui fonctionne est la location à l’unité ou d’une bibliothèque (spotify/netflix). Et comme c’est à la location, exit l’idée de faire de l’occasion.
Le 19/12/2019 à 17h28
Bof et encore on a de la chance , on peut très bien imaginer qu’on peut lire avec un seul oeuil.
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Le 19/12/2019 à 18h05
Autant dire que cet arrêt risque de porter un coup d’arrêt – c’est le
cas de le dire – à la filière, déjà bien balbutiante, des livres
numériques d’occasion…
Et des livres numériques tout court.
Pourquoi donc acheter, pour le même prix, une version qui ne pourra pas être revendue plus tard?
A vrai dire, la version numérique d’un livre n’a pas qu’un seul avantage : être numérique.
Avantage qui s’avère être désavantageux avec les DRM et la lecture limitée sur un appareil.
Et après on s’étonne que ce marché stagne
Le 19/12/2019 à 18h21
C’est pas plus mal, le livre papier a certainement un meilleur bilan carbone.
Le 19/12/2019 à 18h27
Bah ça fait 10-15 ans que c’est comme ça pour les jeux pc .le support physique en prime n’étant plus vendable ( du moins ne permet pas d’y jouer sans licence )
Le 19/12/2019 à 18h55
Le 19/12/2019 à 19h03
Pas dans tous les cas. Si tu pars à Vladivostok en 103SP avec l’intégrale de Jules Verne, le bilan carbone est sans doute meilleur avec de l’ePub qu’avec ça…
Le 19/12/2019 à 19h11
Je note, les z’éditeurs ne veulent pas que les oeuvres soient diffusées " />
Le 19/12/2019 à 19h21
Le 19/12/2019 à 20h48
Sauf que là CJUE avait rendu un avis allant pour la droit de revente des licences logicielles, sans autorisation, ni rémunération des ayants droits.
Cette nouvelle position est complètement incohérente avec les avis précédents.
Le 19/12/2019 à 23h35
Euh… Un logiciel ou un jeu, ça « s’use ».
C’est juste que si un jour le livre électronique devient la seule alternative possible, là on va morfler.
Le 20/12/2019 à 06h21
Certains éditeurs jouent heureusement le jeu du numérique : Bragelone est un très bon exemple !!
Livre version poche vers 9€ et la version numérique à 5 ou 6€
Pour les livre broché, c’est 22€ en moyenne et la version numérique est à 12/15€
Certes, tu ne peux pas revendre la version numérique mais t’as déjà payé à mi-chemin entre le prix du neuf et le prix de l’occas !! (Donc très bon compromis)
Et en plus, l’éditeur prône l’absence de DRM (sauf chez apple avec l’ibook store, mais un mail à bragelone avec la facture en copie et tu reçois une version sans DRM)
Le 19/12/2019 à 16h07
Ah voila un progrès pour la diffusion et l’accessibilité de la culture !
Je trouve même qu’il manque une petite précision dans la motivation de la CJUE:
“accompagnée d’une licence d’utilisation autorisant seulement la lecture, par les seuls yeux de l’utilisateur ayant téléchargé le livre électronique concerné, de celui‑ci à partir de son propre équipement,”
Voila c’est corrigé, parce que le risque c’est qu’il puisse en plus montrer un passage du bouquin à quelqu’un et là c’est une violation avec du gravier des ayants droits !
Le 19/12/2019 à 16h10
Tu oublies l’ interdiction de lire à voix haute je pense, qui entraine une diffusion de masse!
Le 19/12/2019 à 16h13
Le 19/12/2019 à 16h14
Et les ebook sont vendu au même prix que les livres papier ou presque.
Le 19/12/2019 à 16h16
Pas toujours, parfois ils sont vendus plus cher ! " />
Le 19/12/2019 à 16h17
Petit question subsidiaire : est-il licite de faire don des-dits ebooks ?
Le 19/12/2019 à 16h22
Le 19/12/2019 à 16h26
Il y a une volonté de casser le marché ou quoi ?
Bon en meme temps ca ne me concerne pas mais je trouve que c’est une strategie tres suicidaire…
Le 19/12/2019 à 16h27
Donc en fait on ne peut même pas l’acheter pour la liseuse familiale. Hum.
Le 19/12/2019 à 16h28
Le 19/12/2019 à 16h31
Le 19/12/2019 à 16h32
Ça va dissuader l’achat de ebook et/ou encourager le piratage.
Au moins un livre papier ça dure et ça se revend.
Le 19/12/2019 à 16h34
là en l’occurrence c’est la CJUE, ne mettons pas tous les fonctionnaires européens dans le même panier. " />
mais tu peux pas non plus nier qu’entre le neuf et l’occaz, y’a absolument aucune différence. ^^
c’est même pas comme un rip de bluray ou tu peux te dire que tu perds en qualité, là c’est identique au bit près.
donc c’est vrai que c’est dommage, mais revendre des ebooks d’occaz, c’était quand même assez couillu comme concept dès le départ. " />
Le 20/12/2019 à 07h46
et comme le dit le jugement : les échanges de telles copies ne nécessitent ni effort ni coût additionnels,
ça ne s’applique pas aux éditeurs cette constatation ?
Le 20/12/2019 à 08h10
C’est volontaire pour ne pas trop fragiliser les libraires
Si t’es libraires et que tu vois tes fournisseurs vendre tous les livres numériques a -90% de ton prix de vente (et donc moins cher que ton prix d’achat), tu lui claque la porte
Le 20/12/2019 à 08h13
Le 20/12/2019 à 08h22
Pourquoi, voilà ma raison : je n’ai plus de place dans mes 2 bibliothèques et je n’ai pas la place d’en mettre une troisième :)
Le 20/12/2019 à 08h22
Si tu prend en compte le trajet Brest Vladivostok en 103SP, la part du poids du livre dans le bilan carbone de l’opération n’est pas négligeable. " />" />
Le 20/12/2019 à 10h12
Le 20/12/2019 à 10h18
Le 20/12/2019 à 15h35
Moi ça me paraît logique. Comment tu veux vérifier que l’acheteur original n’a pas fait une copie dans un coin de l’ebook avant de le “revendre” ?
Le 20/12/2019 à 15h53
Une blockchain par exemple?
Le 20/12/2019 à 23h49
Le 20/12/2019 à 23h53
Les DRM ne servent pas à ça ?
Le 23/12/2019 à 09h28
Jadis, les juges rendaient la justice au nom du peuple.
Le 23/12/2019 à 13h11
N’est-ce pas contradictoire avec ce qui est passé précédement juridiquement pour les JV d’occasion?