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Étoiles bleues de David : cette opération d’ingérence russe qui a « vraiment marché »

Sel sur les plaies

Étoiles bleues de David : cette opération d’ingérence russe qui a « vraiment marché »

Si toutes les opérations d’ingérences étrangères ne fonctionnent pas faute d’audience, celles qui atteignent les médias audiovisuels peuvent peser dans le débat français.

Le 13 mai à 15h59

« La menace en matière d’espionnage et d’ingérence peut paraître moins mortelle » que celle du terrorisme, mais elle n’en est pas moins « dangereuse pour notre démocratie », alertait en mars la directrice générale de la sécurité intérieure (DGSI) Céline Berthon. Les opérations d’ingérence dans nos espaces d’information et de discussion le sont d’autant plus que, « bien » menées, elles sont amplifiées par les médias français.

C’est sur ce phénomène, particulièrement visible dans l’affaire des étoiles bleues de David, peintes au pochoir sur les murs de la région parisienne, que revient la Revue des médias.

À leur découverte, au matin du 31 octobre 2023, les riverains sont incrédules. Et puis les chaînes de télé continues s’emparent du sujet, bientôt suivies par TF1, France 2, Arte, etc. Avec de nouveaux éléments taggués dans les mois qui suivront, l’épisode participera à alimenter un débat difficile à aborder de façon apaisée sur le sujet de l’antisémitisme.

De fait, le phénomène est en hausse en France depuis l’attaque terroriste du Hamas en Israël et le déclenchement de la riposte israélienne, mais il est aussi utilisé pour disqualifier les critiques de la politique du gouvernement Netanyahou.

BFM TV et CNews en tête de la couverture

Au cours de la journée qui suit leur découverte des étoiles bleues de David, celles-ci sont mentionnées 255 fois sur BFM TV et CNews, calcule la Revue des médias, soulignant chaque fois leur caractère antisémite. Les pochoirs, après tout, ont été découverts trois semaines à peine après l’attaque du Hamas.

Le 1er novembre, BFM TV dévoile qu’un couple de Moldaves a été arrêté. À elles deux, BFM TV et CNews représenteront les deux tiers de la couverture du sujet sur les chaînes d’information en continu (incluant FranceInfo et LCI) pendant les trois semaines qui suivent. Lorsque le préfet de police de Paris Laurent Nuñez annoncera le recensement de 250 étoiles en région parisienne, le 5 novembre, seul CNews reprendra l’information.

Le 6, la possibilité d’une ingérence se précise : le parquet de Paris déclare qu’ « une même équipe » a réalisé l’opération en « un seul périple ». Rapidement, le nom du commanditaire, Anatoli Prizenko, opposant politique moldave proche de Moscou, est dévoilé.

Les suspicions d’ingérence bien moins médiatisées

Et Viginum livre son rapport, qui permet au quai d’Orsay de dénoncer une ingérence russe : l’agence a repéré un réseau de 1 095 robots sur X, parties du réseau RRN/Doppelgänger, ayant diffusé en quelques jours plus de 2 500 messages liés aux étoiles de David tagguées à Paris.

Surtout, le service constate que ces comptes ont été les premiers à diffuser deux photos d’une première vague de tags, opérée dans la nuit du 26 au 27 octobre : elle envisage la complicité des réseaux numériques avec les acteurs de terrain.

À partir du 7 novembre, la Revue des Médias constate une évolution progressive des discours médiatiques : 37 % mentionnent une potentielle ingérence étrangère. Si 29 % citent aussi la notion d’antisémitisme, c’est généralement pour recontextualiser, dans des formulations comme celle de RTL, qui évoque des étoiles « pouvant être perçues comme antisémites ».

La problématique essentielle, cela dit, concerne la reprise de ces nouvelles informations : dès le 1ᵉʳ novembre, les journaux télévisés du soir ont cessé de traiter le sujet. Sur la période du 2 au 15 novembre, l’affaire est mentionnée à peu près autant de fois dans les médias audiovisuels que sur les seuls deux premiers jours. Autrement dit, la visibilité des conclusions de Viginum sur une potentielle ingérence sont bien moins relayées que la thèse initiale d’actes nécessairement antisémites.

Auprès de La Revue des médias, le chercheur Maxime Audinet estime qu’il s’agit de l’« une des rares opérations russes de ces dernières années ayant vraiment marché » — et ce, pour la modique somme de 3 000 euros, si l’on se fie aux affirmations d’Anatoli Prizenko auprès d’Arte.

À Next, la directrice adjointe de Viginum, Anne-Sophie Dhiver, souligne que les acteurs des manipulations d’information « connaissent très bien » la France en tant que société : « ils cherchent nos lignes de fracture, ils mettent du sel sur les plaies ».

Des plaies parfaitement illustrées par « l’impossible nuance » que décrivait Arrêt sur Images dans les évocations d’un autre tag découvert à Paris, qui traçait le mot « jude » sur la fenêtre d’un médecin juif (le terme peut être lu comme le mot « juif », en allemand, un terme utilisé à des fins antisémites en France, mais aussi comme le nom d’au moins un graffeur parisien). Ou encore dans les débats qui entourent ces derniers jours les condamnations des actes de l’armée israélienne à Gaza par trois personnalités influentes de la communauté juive en France : Delphine Horvilleur, Anne Sinclair et Joan Sfar.

Le prisme pro-russe de CNews

Cela dit, les médias audiovisuels français apprennent aussi de leurs erreurs. Six mois après l’affaire des étoiles bleues de David, le 14 mai 2024, des pochoirs de mains rouges sont découverts dans une trentaine de lieux parisiens, dont le Mur des Justes du Mémorial de la Shoah. La date elle-même est effectivement symbolique : le 14 mai 1941, la rafle dite « du billet vert » marque la première arrestation massive de juifs dans la capitale.

Si BFM TV couvre abondamment le sujet, la majorité des médias audiovisuels restent cela dit prudents. La Revue des médias constate que la médiatisation de l’affaire ne décolle réellement qu’à la suite d’une révélation du Canard enchaîné. Le 21 mai, le journal révèle que les deux graffeurs sont de nationalité bulgares – et les qualifient d’« agents de Poutine ». Une exception : CNews.

Après avoir mentionné plus d’une trentaine de fois les mains rouges en les liant à une pratique haineuse hypothétiquement attribuée à des soutiens de la cause palestinienne, la chaîne sera la seule à ne pas mentionner la nationalité bulgare des suspects identifiés.

« Il y a un prisme pro-russe de plus en plus évident » sur la chaîne, estime Maxime Audinet, alors que le pays a perdu l’usage de ses médias RT et Sputnik en Europe occidentale depuis le début de son invasion de l’Ukraine. RT revient par ailleurs par la fenêtre, dans la mesure où l'ex-présidente de sa branche française, Xenia Fedorova, est désormais chroniqueuse dans les médias du groupe Bolloré.

S'appuyant sur les réseaux sociaux, puis sur leurs éventuels relais, le pays n’a pas cessé pour autant de tenter de manipuler l’opinion. Au fil des années, on l’a vu se faire passer pour des médias traditionnels pour tromper les internautes, recourir à toutes les échéances politiques, sportives, et autres actualités conflictuelles, pour verser de l’huile sur le feu, ou encore payer des influenceurs, en France comme en Europe, pour aider à la promotion des récits qui l’intéressent.

Pour améliorer la résilience face à ce type d'action au niveau européen, le député suédois Tomas Tobé vient d'ailleurs de proposer la création d'un équivalent de Viginum au niveau de l'union.

Commentaires (24)

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Après C8, la prochaine chaîne de Bolloré à dégager de la TNT ?
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🤞🏽
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La pluralité des médias c'est vraiment le mal de notre société.
Faudrait garder que les chaines les plus populaires.
Pareil pour les réseaux sociaux

Ah... on me dit que c'est pas une bonne idée...
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Faudrait que des média sans pub, sur abonnement :-)
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Genre comme une contribution audiovisuelle qui serait prélevée en même temps que les impôts pour garantir une neutralité des médias qui en reçoivent le produit ? :windu::D
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T'as vraiment de drôle d'idées, ça marchera jamais :mrgreen:
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Faudrait que des média sans pub, sur abonnement :-)
Tout a fait.
Des médias avec bcp de budget payés par des abonnés très riches.
Des médias avec peu de budget payés par des abonnés très pauvres.

Je ne vois pas ce qui pourrait mal se passer. /s
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Mediapart, Next, Blast ?
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Et sans actionnaire.
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Pas une question de popularité, mais de démocratie :)

Si (quasi) tous les médias sont possédés par une poignée de milliardaires, qui ont donc la possibilité de façonner le champ médiatique, le fameux "quatrième pouvoir" tombe à l'eau (et la démocratie avec elle).
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Si (quasi) tous les médias sont possédés par une poignée de milliardaires, qui ont donc la possibilité de façonner le champ médiatique, le fameux "quatrième pouvoir" tombe à l'eau (et la démocratie avec elle).
Mais où sont les milliardaires de gauche quand on en a besoin ? :D
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En général, une fois milliardaire, tu n'es plus de gauche 😂
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Certains pensent que si : https://www.bvoltaire.fr/matthieu-pigasse-lhomme-qui-se-revait-un-bollore-fantasme-de-gauche/
(attention, bvoltaire : âmes sensibles s'abstenir)
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Je ne sais pas dans quel ordre on classe les 3 autres pouvoirs (législatif, exécutif, judiciaire). Mais quand on voit comment certains (en France ça commence, aux US c'est paroxystique) ignorent le premier et le troisième (dans l'ordre listé), j'avoue une inquiétude pour la démocratie. La "chute" du quatrième en deviendrait presque anecdotique...
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La pluralité des médias, c'est bien.
Encore faut-il que ce soit de bonne qualité parce que si c'est pour balancer des conneries à longueur de temps (quitte à s'excuser en boucle le lendemain), il n'y a pas vraiment d'intérêt mis à part captiver de l'audience pour la pub / laver le cerveau.

Et là, on est plus dans un média d'information ...
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La pluralité des médias, c'est bien.
N'est-ce pas.
Encore faut-il que ce soit de bonne qualité...
Non. Mon avis sur la "qualité" n'a pas d'importance. Ton avis sur la "qualité" non plus.
Je trouve Charlie Hebdo de piètre qualité. Mais #JeSuisCharlie quand même.
Car s'il disparait, c'est de la pluralité d'opinion en moins. Et ca, ca me ferait chier.

Ca ne veut pas dire qu'il faut laisser faire n'importe quoi. Il y a des obligations et les manquements devraient être punis bien plus sévèrement par l'Arcom.

Je serais pour le Name & Shame: un manquement => un texte plein écran sur la chaine, affiché toutes les heures. Avec le problème constaté et le rappel aux obligations.
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En effet, la chaîne d'infos la plus populaire est Cnews, suivie par BFMTV puis LCI et France Info est dernière.
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Faut pas expliquer les blagues ;)
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Coop media
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Si seulement !
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Mouais à titre perso. le coup des étoiles de David au départ j'ai surtout vu un ministre, Darmanin pour ne pas le citer faire le tour des popotes pour en parler et en reparler à longueur de temps (surtout en se plantant au début). Alors d'accord c'est un truc condamnable en France mais qu'elle idée d'en parler tout le temps pour le propager sur les médias c'était plutôt totalement contre productif tout en lui donnant une importance disproportionnée et puis surtout j'ai appris que trois tags au pochoir pouvait terroriser un pays ou pour reprendre son expression faisait "tremblez la France".
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Je trouve particulièrement important que Next se saisisse de ces problématiques vu les liens directs qu'il y a avec le numérique ; ce qui est dommage, c'est que - pour le coup - l'article ne fasse qu'effleurer les enjeux. Cela dit, je crois que c'est le premier qui aborde vraiment ce sujet, donc ma remarque est à relativiser :) (il y a bien les articles de Jean-Marc Manach en lien avec l'actualité politique, mais couvrent rarement les domaines de la géopolitque).
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Quand je regarde les 3 principales chaînes d'info (LCI, CNews et BFM), je trouve qu'aucune n'est neutre et que la majorité du temps, on n'est plus proche de la discussion du bar du coin que du journalisme d'investigation. L'une est plutôt pro-poutine (je n'aime pas utiliser le terme "pro-russe"), une autre est pour l'autre bord. Idem pour Palestine-Israël et bien d'autres sujets.
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Une chaine neutre ça n'existe pas. Tu peux être honnête, mais tu ne feras jamais disparaître tes biais, ça peut vite même être absurde si tu tentes de le faire (l'objectivité, ce n'est pas "5min pour les juifs et 5min pour hitler").

Par contre, l'avènement des chaînes d'information en continu est bien une catastrophe :
* Nécessité de "meubler", les fameux correspondant qui traine devant les tarmacs et où il ne se passe rien.
* Captivation de l'audimat ("il va se passer un truc"), on est proche des problèmes des réseaux sociaux actuels.
* Plus récemment : remplacement peu à peu de l'aspect info par d'innombrable "plateau" de discussion qui ne disent pas leur nom, mais ce sont en gros des plateaux d'opinion, dont la seule différence entre les chaînes sont le choix des intervenants, ainsi, on a du plus bourgeois au plus "beauf", du plus centriste aux plus droitiers (on va tout de même pas mettre un plateau avec des intervenants vraiment à gauche, il ne faut pas déconner non plus). Les raisons sont : ça marche bien et ça coûte pas cher.

Par ailleurs, même France info, c'est vraiment bien pourri dans le traitement de l'information, en particulier sur gaza, ils on été à juste titre souvent mis en cause par Acrimed: https://www.acrimed.org/Mission-tourisme-balneaire-a-Gaza-debacle-a , https://www.acrimed.org/France-Info-et-les-otages-palestiniens .

Étoiles bleues de David : cette opération d’ingérence russe qui a « vraiment marché »

  • BFM TV et CNews en tête de la couverture

  • Les suspicions d’ingérence bien moins médiatisées

  • Le prisme pro-russe de CNews

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