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Stand up for Science : les chercheurs veulent mobiliser contre l’obscurantisme de Trump

« Le vent se lève, il faut tenter de vivre »

Stand up for Science : les chercheurs veulent mobiliser contre l’obscurantisme de Trump

La recherche, les faits, les institutions scientifiques et leurs personnels font aujourd’hui l’objet d’attaques frontales, notamment par le gouvernement de Donald Trump. Ce vendredi 7 mars, des manifestations sont organisées pour « soutenir la science » aux États-Unis, mais aussi en France.

Le 06 mars à 09h00

Depuis la mi-février, des chercheurs, ingénieurs et techniciens américains ont prévu de manifester ce vendredi 7 mars pour « soutenir la science », « stand up for science » en anglais. En soutien à cette mobilisation, leurs collègues français organisent aussi un mouvement et des manifestations.

Chargée de recherche en géophysique à l'IGN et à l'IPGP, Kristel Chanard participe à Stand Up for Science en France. Auprès de Next, elle explique que ce mouvement réagit à l'attaque sans précédent du gouvernement américain contre ses propres institutions de recherche. Comme nous l'avons raconté, le nouveau gouvernement de Donald Trump, installé depuis moins de deux mois, a décidé de nombreuses suppressions d'emploi, de financements ou même de contrats de location de bâtiments d'institutions scientifiques.

Une violence inouïe

« C'est d'une violence assez inouïe : nos collègues, avec qui nous travaillons depuis longtemps sont licenciés du jour au lendemain », regrette Kristel Chanard. Science évoque encore ce mardi 4 mars différents profils de personnes évincées à la NOAA, l'agence américaine d'observation océanique et atmosphérique. Par exemple, le climatologue Zachary Labe, qui tient un site de visualisation de données sur le climat. Il travaille, entre autres, sur les méthodes d'IA explicable pour améliorer les modèles climatiques.

« Nous avons l'impression qu'il y a vraiment une chasse à la science et aux scientifiques et que l'ennemi, c'est l'université et la science parce que finalement toute production ou transmission de connaissances est un problème pour installer une idéologie assez autoritaire », déplore Kristel Chanard.

« Les universités sont l'ennemi », pour JD Vance

Ce n'est pas qu'une impression : le vice-président de Donald Trump, JD Vance, avait titré l'une de ses interventions pendant sa campagne sénatoriale de 2021 « les universités sont l'ennemi ». Il y affirmait : « Si l'un d'entre nous veut faire ce que nous voulons pour notre pays et pour les gens qui y vivent, il doit s'attaquer franchement et de façon agressive aux universités de ce pays », rappelait Inside Higher Education en 2024.

« Tous les chercheurs des agences fédérales américaines ont interdiction de parler à leurs collègues étrangers, il faut voir le degré d'intimidation. Il n'y a pas d'analogue dans un pays démocratique récent, ça ressemble à ce qu'ont fait des régimes totalitaires », s'insurgeait, le 5 mars, Valérie Masson-Delmotte au micro de France Inter.

La paléoclimatologue n'hésite pas à comparer les décisions de Donald Trump contre la recherche américaine à celles prises sous « la révolution de Mao, l'Allemagne de 1933 ou la France de Vichy, où il y a eu ce type de chasse aux sorcières sur la communauté scientifique ».

De jeunes chercheurs américains pour faire bouger leurs collègues

Aux États-Unis, Stand Up for Science a commencé à se former mi-février. Le média américain Science News raconte qu'à la première grande conférence scientifique américaine après l'investiture de Donald Trump, l'AAAS Annual Meeting organisée par l'éditeur de la revue Science, quasiment toutes les personnes qui ont parlé ont au moins fait allusion à la situation politique de leur pays. Katherine Ognyanova, chercheuse en science politique à l'université Rutgers, a commenté dans son intervention sur la méfiance à l'égard de la science : « bon, il y a plus de désinformation que jamais et il n'y a pas de garde-fou, alors nous sommes un peu foutus » et a fini en illustrant la dernière diapositive avec un champignon atomique légendé par un «The end ».

« La nature sans précédent des dernières semaines a laissé beaucoup d'entre nous dans la communauté scientifique et technique dans l'incertitude, l'anxiété et la peur… Ces sentiments sont valables », y a aussi affirmé Joseph Francisco, le président du conseil d'administration de l'AAAS.

« Je pense que nos collègues sont sidérés par ce qu'il se passe, car ça va très vite », explique Kristel Chanard qui ajoute que, « sous le gouvernement Trump 1, il y avait déjà eu des attaques contre la science assez claires, mais là, les actions du gouvernement sont rapides et de grandes ampleurs ».

Justement, en 2017, suite à la première investiture de Donald Trump, une « Marche pour la Science » avait déjà été organisée à Washington. Cette organisation avait aussi essaimé partout dans le monde, en France et ailleurs.

L'un des co-organisateurs de Stand up for Science aux États-Unis, l'étudiant en bioinformatique JP Flores, expliquait d'ailleurs à Science News : « Je me suis simplement demandé : " Où est tout ça ? Qu'est-ce que tout le monde fait ? Où est tout le monde ? » et a décidé d'organiser une marche similaire en discutant avec d'autres étudiants sur Bluesky. Emma Courtney, une autre co-organisatrice, expliquait au média américain : « J'ai eu l'impression qu'il y a des actions qui peuvent être entreprises individuellement, mais que c'est par l'action collective que l'on peut vraiment faire changer les choses ». À Science, JP Flores explique avoir contacté, Jonathan Berman, un des organisateurs de la marche de 2017 pour s'avoir comment en organiser une mais aussi pour connaître les erreurs à ne pas reproduire.

La mobilisation américaine semble prendre au sein des personnels de la recherche. D'un mouvement organisé par quelques étudiants, Stand for Science a réussi à attirer des chercheuses et chercheurs plus installés ainsi que les syndicats du milieu. Ainsi, la présidente du syndicat Union of Concerned Scientists, Gretchen Goldman, fera une intervention lors de la manifestation à Washington DC. L'astrophysicien Phil Plait, plus connu sous le pseudonyme Bad Astronomer, prendra aussi la parole. D'autres manifestations auront aussi lieu ailleurs dans le pays.

Cette mobilisation du milieu universitaire et de la recherche a d'ailleurs fait réagir par anticipation Donald Trump sur son réseau social. Le mardi 4 mars, le président américain a mis la pression sur la liberté d'expression des manifestants en menaçant les établissements où des manifestations se dérouleraient :

« Tout financement fédéral cessera pour tout college [dans le sens américain du terme, il désigne certains établissements d'enseignement supérieur], école ou université qui autorise des manifestations illégales. Les agitateurs seront emprisonnés et/ou renvoyés définitivement dans leur pays d'origine. Les étudiants américains seront renvoyés définitivement ou, selon le délit, arrêtés. PAS DE MASQUES ! Nous vous remercions de l'attention que vous porterez à cette question ».

@realDonaldTrump

All Federal Funding will STOP for any College, School, or University that allows illegal protests. Agitators will be imprisoned/or permanently sent back to the country from which they came. American students will be permanently expelled or, depending on on the crime, arrested. NO MASKS! Thank you for your attention to this matter.
Mar 04, 2025, 1:30 PM

En France, mobilisation « en soutien mais aussi en écho »

Les chercheurs américains trouvent des soutiens du côté de leurs collègues étrangers. En France, un même mouvement « Stand Up for Science » a été créé et des manifestations sont organisées par les personnels de la recherche un peu partout.

« Notre mobilisation vient en soutien mais aussi en écho à la mobilisation de nos collègues américains. La science en France et en Europe est aussi attaquée : nous faisons face à des coupes budgétaires, à des réorganisations perpétuelles... nous avons des problèmes qui pourraient se transformer en ce qu'il se passe aux États-Unis », explique Kristel Chanard.

La chercheuse ajoute que Stand up for Science se mobilise car « les faits scientifiques dérangent et sont attaqués aux États-Unis. Des pans entiers de la recherche sont impactés. La science est, pour nous, un bien commun sur lequel beaucoup de nos décisions sont fondées » Les scientifiques français se mobilisent donc pour défendre les libertés académiques et scientifiques de leurs collègues américains.

« Une science fragilisée » aussi en Europe et en France

Mais le mouvement veut aussi éviter de faire face aux mêmes problèmes ici  : « en Europe et en France, nous faisons aussi face à une science fragilisée, affirme Kristel Chanard, pas autant qu'aux États-Unis mais le sous-financement chronique, une montée du climatoscepticisme et de l'anti-intellectualisme, on est face à un tournant.

« Soit on réagit maintenant et on essaye de faire avancer les choses dans le bon sens pour continuer à avoir des sciences au cœur de notre démocratie permettant de prendre des décisions informées et durables, soit nous risquons de faire face à des problèmes similaires à ceux auxquels font face nos collègues américains aujourd'hui », affirme-t-elle.

La tribune, publiée le 4 mars dans Le Monde au nom du mouvement, ne dit pas autre chose : « nous voulons rappeler l’importance des faits scientifiques, notamment pour la santé, la compréhension des inégalités sociales, les défis climatiques et la biodiversité. Ce qui se joue aujourd’hui aux États-Unis pourrait bien préfigurer ce qui nous attend si nous ne réagissons pas à temps ».

Rappelons qu'Antoine Petit, le PDG du CNRS, s'est embarqué dans un bras de fer avec une bonne partie des employés du CNRS en annonçant une nouvelle catégorie de laboratoires dans le centre : les « key labs ». Le ministre Philippe Baptiste a finalement imposé un moratoire sur ce projet, mais la direction du CNRS n'a pas abandonné l'idée pour autant.

La pression est déjà importante en France. Fin février, par exemple, Abduweli Ayup, un linguiste ouïgour en exil en Norvège, devait participer à une conférence à l’Unesco, à Paris. Mais son intervention a été censurée : la veille, l'organisation lui a envoyé un mail lui signifiant son annulation. Selon des sources du Monde, l'ordre est venu de responsables de l'Unesco sous pression de la Chine dont deux entreprises sont sponsors de l'événement.

Commentaires (20)

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Les masques continuent de tomber outre atlantique : on est en pleine liberté d'expression à géométrie variable.

Une période d'obscurantisme de 4 ans (je suis optimiste) veut démarrer.
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On est retombé à seulement deux genres pour l'espèce humaine... c'est un drame scientifique.

(troll)
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Je suis encore plus optimiste, 2 ans seulement, il y a les élections de mi mandat qui "pourraient" changer la donne
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S'il y a des élections...
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Es-tu sûr qu'il y aura de nouvelles élections ? Il est plus que probable qu'il n'y en est pas du tout.
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C'est sous estimer largement la puissance de leur système de propagande.

Très peu de gens aux US ont accès à des info de qualité. Un grand nombre se contentent de doomscroll des flux de réseaux sociaux, gavés aux mensonges à grande échelle.
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Bien sûr que les manifestants seront emprisonnés, à moins qu'ils décident de faire la manif dont on sait qu'elle est autorisée : envahir le Capitole.
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Bonne initiative, mais reste à voir comment cela sera financé, quand on voit le finacelment de la recherche en France (souvent zéro, démerdez vous avec des projets ANR pour le reste), les postes de maitre de conf inexistants ... Pas simple.
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Il n'y a pas d'argent pour recruter des français, mais subitement il y a de l'argent pour recruter des américains ? Mouais, bof.
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Le dessin de Flock pourrait devenir un étendard...
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@Flock : inspiré de Reservoir Dogs non ?
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Tout à fait, c'est même précisé sur le côté droit :windu:
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bravo @Flock t'es encore en plein dans le mille avec ton illustration :dix:
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Les seuls pays où on emprisonnent les étudiants simplement pour avoir manifesté sont les dictatures.

Quand à renvoyer les étudiants étrangers chez eux, mais quel GENIE ce Trump: sans étudiant étranger la recherche américaine serait un désert
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Oui, et alors ? C'est bien son objectif que la recherche US soit un désert.
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Je crois qu'il se fout totalement du futur plus ou moins lointain. Seul le futur proche compte à priori.
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En France, dans les universités, pour l'instant on n'emprisonne pas les vois dissidentes, mais on les fait taire en les suspendant : youtube.com YouTube

Et on se contente de faire une "enquête" sur les éléments perturbateurs : lemonde.fr Le Monde

Il n'est pas question de science ici, juste d'exprimer un avis qui n'est pas le même que le gouvernement. Les conséquences seront les mêmes à la fin. On finira par faire comme aux Stazunis, avec quelques années de retard, comme d'habitude. On peut toujours préparer le terrain à l'extrème-droite, on gagnera du temps pour la suite.
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Juste une idée rapide sans réflexion approfondie, un peu à côté du sujet, il est clair que les données scientifiques sont en danger, et là, les chercheurs. Un réseau décentralisé de serveurs nextcloud avec liens partagés chez chaque chercheur en auto-hebergé, avec annuaire centralisé pour retrouver les données, ça pourrait être intéressant ? Après, je ne connais pas l'espace disque nécessaire...
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[... la libre circulation de l'information est la seule garantie contre la tyrannie… Méfiez-vous de celui qui vous refuserait l'accès à l'information, car dans son cœur, il se rêve votre maître.]

Ce passage me paraît être dans le contexte.
Bise à ceux qui auront la référence sans chercher sur google :smack:

Stand up for Science : les chercheurs veulent mobiliser contre l’obscurantisme de Trump

  • Une violence inouïe

  • « Les universités sont l'ennemi », pour JD Vance

  • De jeunes chercheurs américains pour faire bouger leurs collègues

  • En France, mobilisation « en soutien mais aussi en écho »

  • « Une science fragilisée » aussi en Europe et en France

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