Pour la Cour de cassation, les logs d’IP en entreprise exigent un consentement
Consentement et justice éclairés

Image by Sang Hyun Cho from Pixabay
Un récent arrêt de la Cour de cassation estime que l'identification d'un salarié à partir de son adresse IP, interne au réseau de l'entreprise et enregistrée au sein de fichiers de journalisation, n'est licite que si ce dernier a donné son consentement explicite pour ce recueil. La décision, motivée par le RGPD, interroge.
Le 02 mai à 09h30
5 min
Droit
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Plusieurs juridictions ont déjà largement consacré l'adresse IP comme donnée personnelle. Mais le RGPD impose-t-il pour autant qu'une entreprise recueille le consentement explicite de ses employés si elle souhaite constituer et exploiter des fichiers de journalisation (logs) ? La question se pose en des termes nouveaux depuis le 9 avril dernier, date à laquelle la Cour de cassation a choisi d'y répondre par l'affirmative.
La cour d'appel distingue IP du réseau pro et donnée personnelle
L'affaire oppose une société de promotion immobilière à l'un de ses salariés. Après que les deux parties ont négocié une rupture conventionnelle, l'entreprise découvre que son employé a, la veille du rendez-vous, supprimé plusieurs milliers de dossiers et fichiers informatiques de l'agence à laquelle il est rattaché.
Elle affirme par ailleurs que l'employé a transféré sur des adresses personnelles une centaine de courriers électroniques issus de sa messagerie professionnelle, et fait constater ces manipulations par un huissier, en s'appuyant sur l'adresse IP du poste de son collaborateur.
La rupture conventionnelle se change alors en licenciement pour faute grave. L'employé échoue à contester ce licenciement devant le Conseil de Prud'hommes local. Il interjette ensuite appel, en arguant que « le contrôle de traçabilité informatique utilisé par l'huissier de justice est irrégulier » car l'employeur ne démontre pas avoir accompli de démarches préalables au recueil de l'adresse IP de ses salariés, alors que cette dernière constitue une donnée personnelle.
Dans sa décision du 10 janvier 2023, la cour d'Appel d'Agen choisit d'opérer une distinction entre l'adresse IP personnelle et l'accès au réseau fourni par l'entreprise.
« L'adresse IP n°172.25.11.3 n'est pas attribuée par un fournisseur d'accès à Internet. C'est une adresse IP de classe B qui correspond à une adresse de réseau local et qui n'a pas lieu d'être déclarée à la CNIL parce qu'elle n'identifie que des périphériques dans le réseau local et non une personne physique. Elle ne contient aucune donnée personnelle. Elle identifie seulement un ordinateur », écrit la cour.
Elle conclut sur cette base que le constat d'huissier est recevable et condamne l'ex employé aux dépens.
La Cour de cassation déplace le débat sur le terrain du RGPD
Saisie à la suite de cette décision, la chambre sociale de la Cour de cassation tranche rapidement ce paradoxe – déjà largement étayé par la jurisprudence – selon lequel une adresse IP pourrait ne pas être considérée comme une donnée personnelle, alors même qu'elle est utilisée dans cette procédure à des fins d'identification.
Elle choisit en revanche, dans son arrêt rendu le 9 avril dernier, de porter le débat sur un autre terrain : celui de la conformité au RGPD, qui encadre le traitement des données personnelles, interrogée à la fois sous l'angle de la finalité de la collecte, et sous celui du consentement. Et commence par rappeler :
« Selon l'article 5 du RGPD, les données à caractère personnel doivent être traitées de manière licite, loyale et transparente au regard de la personne concernée (licéité, loyauté, transparence) et collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes, et ne pas être traitées ultérieurement d'une manière incompatible avec ces finalités. »
Avant d'enchaîner sur la question du consentement :
« Selon l'article 6 § 1, le traitement n'est licite que si, et dans la mesure où, au moins une des conditions suivantes est remplie, notamment : a) la personne concernée a consenti au traitement de ses données à caractère personnel pour une ou plusieurs finalités spécifiques. »
De ce rappel de l'article 6, dans lequel elle se borne à mentionner le point a), elle conclut que si les adresses IP sont des données personnelles, « leur collecte par l'exploitation du fichier de journalisation constitue un traitement de données à caractère personnel qui n'est licite que si la personne concernée y a consenti ».
L'attendu final réunit les deux arguments. « En statuant ainsi, alors que l'exploitation des fichiers de journalisation, qui avaient permis d'identifier indirectement le salarié, constituait un traitement de données à caractère personnel au sens de l'article 4 du RGPD et qu'elle constatait que l'employeur avait traité, sans le consentement de l'intéressé, ces données à une autre fin, à savoir le contrôle individuel de son activité, que celle pour laquelle elles avaient été collectées, ce dont il résultait que la preuve était illicite, la cour d'appel a violé les textes susvisés », conclut la cour.
Le consentement s'impose-t-il vraiment ?
La décision fait s'interroger plusieurs professionnels du droit et de la protection des données, remarque Le Monde informatique. Elle semble en effet éluder les autres conditions prévues par le RGPD pour que le traitement de données personnelles revête un caractère licite, alors que la procédure montre qu'il est légitime de questionner certaines d'entre elles.
Ces conditions sont, pour mémoire, au nombre de six, et l'exécution de l'une d'entre elles suffit. Le traitement de données personnelles peut ainsi se faire sans consentement s'il est nécessaire à la sauvegarde d'intérêts vitaux, à l'exécution d'une mission d'intérêt public ou d'autorité publique, à l'exécution d'un contrat, au respect d'une obligation légale, ou à des fins d'intérêts légitimes tels que, par exemple, la sécurité d'un système d'information.
Pour la Cour de cassation, les logs d’IP en entreprise exigent un consentement
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La cour d'appel distingue IP du réseau pro et donnée personnelle
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La Cour de cassation déplace le débat sur le terrain du RGPD
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Le consentement s'impose-t-il vraiment ?
Commentaires (29)
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Abonnez-vousLe 02/05/2025 à 10h43
Modifié le 02/05/2025 à 13h05
On est sur des faits qui se déroulent en novembre 2019, soit moins d'un an et demi après l'entrée en vigueur du RGPD.
C'est probablement pour cela qu'il y a encore des arguments (des 2 côtés) comme déclaration des traitements à la CNIL, "correspondant informatique et liberté (CIL)" qui sont hors sujet depuis le RGPD.
L'arrêt sur lequel se fonde le salarié de novembre 2020 qui cite la déclaration à la CNIL concerne très certainement des faits antérieurs au RGPD. Il est donc à utiliser avec précaution. Le status donnée personnelles ou non d'une adresse IP qui était retenu dans cet arrêt peut probablement être utilisé pour le RGPD, par contre, la déclaration à la CNIL non.
La cour de Cassation recentre à juste titre le débat sur le RGPD mais effectivement en ne citant que le a) du 1 de l'article 6 en fait une lecture très (trop ?) restreinte.
En plus, il ne suffit pas qu'une des 6 conditions de licéité soit établie pour que le traitement soit licite, il faut aussi qu'il y ait information des personnes.
Sur ce point, ça a l'air d'être le cas par la charte informatique (datant d'avant le RGPD) d'après ce qu'en dit l'employeur, mais le problème est quand même que comme cette charte date de 2015, elle n'est peut-être pas conforme au RGPD. Ce point serait à creuser mais je pense qu'elle ne parle pas de motifs légitimes pour justifier le traitement des logs avec adresses IP alors même que ce serait probablement ici une condition valable pour le traitement et donc il n'y aurait pas besoin du consentement.
L'article 13 du RGPD dispose qu'il faut indiquer : Si la Cour de Cassation ne parle que de consentement, c'est peut-être bien que les intérêts légitimes n'ont pas été indiqués par l'employeur ce qui rend le traitement illicite. Il reste cependant à analyser ce traitement vis-à-vis du 4. de l'article 6 qui peut quand même rendre possible le traitement et ça, c'est le travail d'un juge, c'est assez compliqué de mettre en balance les droits des 2 parties.
Je pense donc que sur le fond, la Cour de Cassation a bien fait de casser le jugement qui n'avait pas l'air de s'appuyer sur le RGPD. Il ne faut pas attacher trop d'importance à ce qu'elle ne cite que le consentement dans le cas présent. Il ne faut pas faire de cette décision une jurisprudence qui dirait que seul le consentement importe.
Le 02/05/2025 à 11h24
Pas besoin de discourir avec des effets de manches d'avocats
Le 02/05/2025 à 13h19
La plainte s'appuyant sur l'article 323-2 de Code pénal : Ensuite, ils demandent aux prudhommes ou en appel d'attendre le jugement pénal avant je jugement civil. Is auraient eu plus de chance d'avoir une preuve valable : la condamnation de l'employé. À mon avis, la seule absence de mention des motifs légitimes devrait pouvoir passer au pénal, le traitement lui-même semblant être décrit dans la charte informatique.
Le 02/05/2025 à 15h29
Je vais finir par prendre ton 06 si un jour j'ai de nouveau des salariés en France
Le 02/05/2025 à 16h32
Attention au pénal la lecteur des articles est strictes (cad ne passe pas par une interprétation).
La loi
[...]entraver ou de fausser le fonctionnement d'un système de traitement automatisé de données [...]
Les faits :
[...]son employé a[...]supprimé plusieurs milliers de dossiers et fichiers informatiques [...]
[..] l'employé a transféré sur des adresses personnelles une centaine de courriers électroniques issus de sa messagerie professionnelle, [...]
Bien que je trouve aussi que cette employé meriterai qqch se passe avec ses genoux ; Des les deux faits indiqués, l'entrave ou le faussage ne sont pas clairement explicte.
Le 02/05/2025 à 11h19
Le 02/05/2025 à 11h25
Le 02/05/2025 à 11h31
Le 02/05/2025 à 11h42
Le 02/05/2025 à 12h14
Modifié le 02/05/2025 à 13h06
«traitement», toute opération ou tout ensemble d'opérations effectuées ou non à l'aide de procédés automatisés et appliquées à des données ou des ensembles de données à caractère personnel, telles que la collecte, l'enregistrement, l'organisation, la structuration, la conservation, l'adaptation ou la modification, l'extraction, la consultation, l'utilisation, la communication par transmission, la diffusion ou toute autre forme de mise à disposition, le rapprochement ou l'interconnexion, la limitation, l'effacement ou la destruction;
Le 02/05/2025 à 15h08
"
Ni la collecte, ni l'utilisation. pas seulement la collecte ou l'utilisation."Modifié le 02/05/2025 à 13h40
Et il reste un point qui n'est pas abordé par les tribunaux : si le recueil du consentement est nécessaire pour enregistrer l'IP, peut-on refuser de le donner, sans que cela n'ait d'importance pour le travail du salarié, ou sans qu'il soit discriminé pour cette raison ?
Edit : un début de réponse par Aeris :
Modifié le 02/05/2025 à 13h55
C'est d'après ce que j'ai vu ici rarement retenu par les autorités de contrôle. Un responsable de traitement devrait donc utiliser cette condition de l'article 6 du RGPD avec la plus grande précaution.
Et justement, ici, je pense que c'est un cas où l'utilisation est possible : prouver qu'un employé détruit des données dans un système informatique ou exfiltre des données me semble un intérêt légitime valable (par opposition aux tracking d'un utilisateur pour lui faire de la pub ciblée). Voir mon premier commentaire (cs ce n'est déjà fait) : je pense que si l'intérêt légitime d'identifier les attaquants du système d'information avaient été invoqué dans la charte informatique, la Cour de cassation n'aurait pas cassé le jugement.
L'inconvénient est d'utiliser l'intérêt légitime est que l'employé peut s'y opposer, mais il ne le fera probablement pas parce que l'employeur pourrait le licencier, par exemple pour manque de confiance dans un employé qui ne veut pas que ses actions sur le système informatique soit tracées.
Quant à ta dernière question, sur le consentement, si tu n'acceptes pas, je pense que le raisonnement que je tiens pour l'intérêt légitime tient aussi ici : risque de licenciement faute de confiance ou de possibilité de faire son travail sans informatique. Cela montre que le consentement n'est pas forcément une bonne condition ici, parce que l'employé est obligé d'accepter pour ne pas risquer un licenciement. On peut alors dire que le consentement n'est pas libre.
En y réfléchissant, le motif légitime me semble un meilleur choix pour l'employeur que le consentement qui pourrait a posteriori ne pas être considéré comme libre.
Et comme dit dans mon premier commentaire, je pense que la Cour de cassation ne cite que le consentement que parce que dans ce cas, c'était la seule condition de l'article 6 pouvant être appliquée.
En tout cas, merci pour tes questions qui m'ont permis d'affiner ma position sur l'intérêt légitime sur lequel j'étais généralement défavorable.
Édit suite à ton lien vers Bluesky :
On est au moins d'accord avec @aeris22 que le consentement est dangereux pour l'employeur dans ce cas.
Par contre, je ne comprends pas pourquoi, il parle de TA (Tribunal administratif ?) alors qu'il s'agit de la Cour de Cassation (on est dans du droit civil et pas administratif).
Le 02/05/2025 à 14h17
C'est le titre de l'article relu dans le message de Bluesky cité par @Jarodd qui m'a fait relire la décision de la CC. Je pense qu'il ne faudrait pas être aussi affirmatif dans le titre.
Les DPO et autres avocats vont pouvoir dormir tranquille.
Le 02/05/2025 à 15h35
Le 03/05/2025 à 13h38
Le 03/05/2025 à 23h53
Le 03/05/2025 à 17h55
Ce qu'il faudrait pour calmer tout le monde serait la constitution de boîtes noires qui stockeraient des fichiers journaux sensibles mais dont l'exploitation nécessiterais une clef privée non détenue par la société mais par la justice. Comme pour les dashcam.
Le 03/05/2025 à 19h19
Même si le poste de travail était partagé mais qu'il y ait une authentification de l'utilisateur par exemple lors de son login sur le poste et que ce login soit journalisé avec les informations : utilisateur, adresse IP du poste et horodatage du login et du logout, l'adresse IP devient aussi une donnée à caractère personnel.
Par contre, une adresse IP d'un robot n'est pas une donnée à caractère personnel.
Le 03/05/2025 à 23h55
Le 04/05/2025 à 11h33
Le 05/05/2025 à 18h11
Une adresse IP ne permet donc pas d'identifier formellement une et une seule personne mais seulement une machine dans un parc de machines.
Si le salarié a utilisé son compte pro pour pirater les données, c'est l'utilisation son adresse pro qui prouve sa culpabilité, pas l'adresse de la machine.
Le 04/05/2025 à 00h18
Tout en douceur.
On ne va pas se fâcher...
Modifié le 04/05/2025 à 00h03
Tant qu'on y est, n'oubliez pas de cotiser à https://www.ircec.fr/
@SébastienGavois ? une idée d'article croustillant ? :p
Le 04/05/2025 à 10h26
Le 05/05/2025 à 09h32
Le 10/05/2025 à 11h29