La CJUE décapite ReLire, le régime français des livres indisponibles
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Le 16 novembre 2016 à 09h52
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La France peut-elle confier aux sociétés de gestion collectives l’exploitation des livres indisponibles du XXe siècle en vue de leur numérisation ? La CJUE vient d’ausculter ce régime... Pour y mettre un terme.
La loi du 1er mars 2012 relative à l’exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle a voulu faciliter la valorisation du patrimoine écrit devenu inaccessible. Concrètement, les livres publiés en France avant le 1er janvier 2001 peuvent depuis être numérisés dès lors qu’ils ne font plus l’objet d’une diffusion commerciale par un éditeur ou ne sont plus imprimés d’une manière ou d’une autre.
Comment ? La SOFIA, société de gestion collective, se voit reconnaitre le droit d’autoriser la reproduction ou la représentation de ces livres sous une forme numérique. Il lui suffit d’attendre un délai de six mois à compter de l’inscription des ouvrages dans ReLIRE, le Registre des livres indisponibles en réédition électronique géré par la Bibliothèque nationale de France.
Pendant ces six mois, l’auteur d’un livre indisponible et son éditeur peuvent s’y opposer. Au-delà, seul l'auteur peut encore mettre un coup d’arrêt à cette exploitation s’il démontre que la reproduction ou la représentation du livre est susceptible de nuire à son honneur ou à sa réputation. Il peut en outre faire retirer à la SPRD le droit d’autoriser la reproduction et la représentation du livre dans des conditions précisées par le Code de la propriété intellectuelle.
Manuel Valls, Audrey Azoulay et la SOFIA vs une ribambelle d'écrivains
Deux personnes, M. Soulier (décédé depuis) et Mme Doke, rejointes par le Syndicat des écrivains de langue française (SELF) et l’association Autour des auteurs, outre trente-cinq personnes physiques, ont réclamé devant la CJUE l’annulation de ce régime. Demande à laquelle se sont opposés le Premier ministre, la ministre de la Culture et évidemment la SOFIA.
La question soulevée devant la justice européenne, dans son exhaustivité :
« Les [articles 2 et 5] de la directive 2001/29 s’opposent-[ils] à ce qu’une réglementation, telle que celle qui a été [instituée par les articles L. 134 - 1 à L. 134 - 9 du code de la propriété intellectuelle], confie à des sociétés de perception et de répartition des droits agréées l’exercice du droit d’autoriser la reproduction et la représentation sous une forme numérique de “livres indisponibles”, tout en permettant aux auteurs ou ayants droit de ces livres de s’opposer ou de mettre fin à cet exercice, dans les conditions qu’elle définit ? »
Soit, plus clairement, est-ce que ce régime est respectueux de la directive sur le droit d’auteur ?
Pas d'accord implicite, sans information effective et individualisée
D’entrée, la Cour souligne que la France a fait cavalier seul : elle a ajouté une limitation au monopole des auteurs non prévue par la directive en vigueur. Et pour la CJUE, pas de doute : en dehors des cas prévus par le droit européen, et même si la numérisation des oeuvres indisponibles est un beau projet, « toute utilisation d’une oeuvre effectuée par un tiers sans un tel consentement préalable doit être regardée comme portant atteinte aux droits de l’auteur de cette œuvre ». Par définition, donc, ajouter une brèche non prévue par la directive est attentatoire aux intérêts des auteurs.
Mais, question immédiate : peut-on malgré tout déduire du silence d’un auteur, son consentement à nourrir la base ReLire, pour le plus grand plaisir de la SOFIA ? Non, enchérit la Cour ; un tel accord implicite ne peut se déduire qu’à la condition que l’auteur dispose d’une « information effective et individualisée » qui fait ici défaut.
La Cour imagine d'ailleurs cette situation, loin d’être exotique : « Il n’est (…) pas exclu que certains des auteurs concernés n’aient en réalité pas même connaissance de l’utilisation envisagée de leurs oeuvres, et donc qu’ils ne soient pas en mesure de prendre position, dans un sens ou dans un autre, sur celle-ci. Dans ces conditions, une simple absence d’opposition de leur part ne peut pas être regardée comme l’expression de leur consentement implicite à cette utilisation ».
De plus, le contexte d’une publication qui ne fait plus l’objet de diffusion commerciale s’oppose elle aussi à présumer qu’ « à défaut d’opposition de leur part, tous les auteurs de ces livres « oubliés » [soient] pour autant favorables à la « résurrection » de leurs oeuvres, en vue de l’utilisation commerciale de celles-ci sous une forme numérique ».
Ainsi, le silence poli d’un auteur ne permet pas de déduire son accord à la numérisation des œuvres et la gestion confiée aux trésoriers de la SOFIA.
La législation ReLire doit être revue et corrigée
Et pour enfoncer plus profondément le clou dans le cercueil de la législation française, les juges estiment en outre que seul l’auteur peut mettre fin à une telle exploitation. Il n’a pas à trouver un commun accord avec l’éditeur, comme le prévoit une option du texte français.
La Cour conclut son arrêt par cette réponse sans appel :
« l’article 2, sous a), et l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, confie à une société agréée de perception et de répartition de droits d’auteurs l’exercice du droit d’autoriser la reproduction et la communication au public, sous une forme numérique, de livres dits « indisponibles », à savoir des livres publiés en France avant le 1er janvier 2001 et ne faisant plus l’objet ni d’une diffusion commerciale ni d’une publication sous une forme imprimée ou numérique, tout en permettant aux auteurs ou ayants droit de ces livres de s’opposer ou de mettre fin à cet exercice dans les conditions que cette réglementation définit »
En clair, le régime français est mis à genoux. Il devra être corrigé pour organiser une information préalable de chaque auteur et pour permettre à l’auteur de mettre fin à l’exercice des droits d’exploitation sans devoir se soumettre à une quelconque formalité surabondante.
La CJUE décapite ReLire, le régime français des livres indisponibles
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Manuel Valls, Audrey Azoulay et la SOFIA vs une ribambelle d'écrivains
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Pas d'accord implicite, sans information effective et individualisée
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La législation ReLire doit être revue et corrigée
Commentaires (47)
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Abonnez-vousLe 16/11/2016 à 10h05
La CJUE est bien utile quand même parfois
C’était bien ubuesque ce système, de la bonne administration/embrouille française comme on l’aime
Tiens Manu " />
Le 16/11/2016 à 10h09
Mouais.
Autant tout passer à disposition sans accord clair de l’auteur c’est un poil osé, autant ça aurait peut être réduit le nombre de vautours qui tentent de vendre des oeuvres tombées dans le droit commun à prix d’or.
Le 16/11/2016 à 10h18
La bonne solution aurait été un courrier à l’auteur pour lui indiquer que son œuvre sera intégrée dans le système ReLire dans les 3 mois s’ils ne s’y oppose pas. Ainsi il est avertit et peux refuser l’intégration de l’œuvre ou bien ne rien faire et donc accepter la republication de celle-ci.
Le 16/11/2016 à 10h19
De toute manière le droit d’auteur est actuellement une calamité. Bientôt les arrières petits-enfants pourront toujours gagner de l’argent sur ce qu’on fait leurs ancêtres. Dire qu’au début du droit d’auteur, il ne servait juste qu’à laisser quelques mois ou 1 an maximum pour permettre aux auteurs d’avoir le temps de créer de nouvelles oeuvres.
On est bien loin de l’idée originale. On se fout vraiment du monde.
Le 16/11/2016 à 10h26
Le 16/11/2016 à 10h27
Et encore, c’est 70 ans… ou plus : les oeuvres d’Antoine de St-Exupéry, par exemple, ne sont pas dans le domaine public, même si il est mort depuis plus de 70 ans.
Le 16/11/2016 à 10h28
C’est pas monté à 90 ans ?
Le 16/11/2016 à 10h30
Ou bien on parle d’une “nouvelle oeuvre” quand on retouche un peu une existante (le journal d’Anne Franck par exemple, censuré par son père).
" />
Le 16/11/2016 à 10h30
Ca dépend, Walt Disney est mort il y a combien de temps? " />
Le 16/11/2016 à 10h32
Ca vous défrise que des gens soient fiers des oeuvres de leurs ancêtres?
Pourquoi devrait on tout avoir gratuit sous prétexte que c’est vieux ?
Le 16/11/2016 à 10h32
Dans ce cas précis, l’avantage, c’est que la version originale non censurée par le paternel est elle dans le domaine public. " />
Le 16/11/2016 à 10h38
Ben justement non, il y a une polémique sur la date. Les modifs du paternel vont débat, et on parle d’une date jusqu’à 2050 (!) pour le domaine public. Il me semble que l’an dernier, les éditeurs qui avaient republié l’oeuvre (justement pour provoquer le débat sur ces trop longues périodes) avaient eu des emmerdes avec les nayants droits (ça date un peu, je ne retrouve pas l’article).
Le 16/11/2016 à 10h39
Être fier c’est une chose, toucher des subsides pour des œuvres en est une autre.
Le 16/11/2016 à 10h42
Fiers? Ah si, ils peuvent. Mais pourquoi quelqu’un qui n’a rien à voir avec une oeuvre devrait toucher de l’argent dessus? Et sans dec, tu connais ton arrière-arrière-arrière grand père toi? Moi pas, hein… Et quoi qu’il ait fait, je n’en touche pas une cacahuète, et ça me paraît parfaitement normal.
Le 16/11/2016 à 10h43
Ceux qui piratent le plus les auteurs seraient les sociétés de gestions collectives? Les mêmes qui dénoncent la piraterie? " />
Le 16/11/2016 à 10h45
“Opt-out: si tu dis rien, c’est que t’es d’accord.”
Ca semble devenir la vision universelle du droit… " />
Le 16/11/2016 à 10h49
Je connais des petits-fils de maçons fiers du travail de leur ancêtre qui vont venir te demander de payer des droits d’auteur sur ta maison.
Le 16/11/2016 à 10h51
Le 16/11/2016 à 11h01
Le droit d’auteur à l’origine ne servait qu’en “une reconnaissance publique” en paternité d’une Œuvre, son exploitation commercial n’était que l’accessoire à la chose.
C’est le cachet commercial en quelque sorte, la griffe.
Un auteur publiait une oeuvre, il était reconnu pour cela, et les gens pouvaient acquérir de ses nouvelles créations voir lui en commander (exemple des pièces de théâtre, Molière etc.)
Moi ce que je ne comprends pas c’est la différence de traitement entre Œuvre de l’esprit.
pourquoi autan de différence entre la protection d’une invention ou d’un brevet, et celle d’une production artistique (littéraire ; Phonographique ; Cinématographique etc.)
20 ans (date de dépôt) versus 70 ans après la date de mort de l’auteur (PAS la date dépôt ou 1er publication) …
Le 16/11/2016 à 11h13
Le 16/11/2016 à 11h20
il faut enlever/ajouter les années de guerre à droite et a gauche qui font augmenter le delai. Il ya des loi a chercher qui précise les date réel c’est assez bien fait :)
c’est du genre 1945 +1, janvier de l’année suivante, j’eu chercher pour un bouquin assez rare que je voulais mettre a dispo sur internet. Faut attendre 2021 …
il ne faut pas oublier que c’est le livre publié a la date qui compte, les réédition font repartir le compteur des droit voisins donc inutilisable pour la mise a dispo rapide.
pour ‘le petit prince’ pour le diffuser va falloir trouver une édition de l’époque, par exemple une édition de 1990 nous feras attendre 2040 pour faire ce que l’on veut avec (+50). En imaginant que les droit d’auteur ont expiré en 1999
Le 16/11/2016 à 11h24
Même pas, l’industrie pharmaceutique ou ou chimique pèsent plus lourd (je crois) et pourtant …
Le 16/11/2016 à 11h27
@ Marc Rees:
C’est bien la loi qui a été crée pour contrer la volonté de Google de numériser tous les bouquins d’auteurs de livre orphelin (auteurs/ayant injoignable), non??
Dans ce cas demander de contacter chaque auteurs (ce qui est le problème des œuvres orphelines) revient à tuer l’esprit même de cette loi non??
Le 16/11/2016 à 11h30
Et dans des industries comme le le luxe, on se passe très bien de brevets et on fait pourtant plein d’argents!!
Après tu as des boites comme Mosanto ou Myriad qui brevettent du vivant.
Le 16/11/2016 à 11h32
Car c’est ce qui est prévu à la base pour le droit d’auteur: une exclusivité puis une arrivée dans le domaine public. C’est le deal entre l’auteur et la société.
Le 16/11/2016 à 11h34
Déjà, même sur une génération c’est un peu limite d’hériter du droit d’auteur, c’est de la rente alors que tu n’a même pas le mérite d’être à l’origine de l’oeuvre…
Le 16/11/2016 à 11h46
15 décembre 1966
Walt Disney a fortement poussé l’allongement de la durée du droit d’auteur pour servir ses intérêts:
WikipediaSauf erreur en 2020, Mickey Mouse arrivera dans le domaine public.
Le 16/11/2016 à 11h48
Le problème principal c’est pour les œuvres orphelins (auteurs et surtout ses ayants-droits/successeurs) dont ne sait à qui faire la demande. Sauf erreur, c’est pour s’occuper de ces cas là que l’on a créé cette loi.
Le 16/11/2016 à 11h50
Aux USA oui
http://www.tomwbell.com/writings/©_Term.html
, pas en France.
Le 16/11/2016 à 11h53
Quand une œuvre arrive dans le domaine public (ce que tu dois nommer droit commun), tout le monde peut la publier.
Donc si des vautours la vendent à prix d’or, l’absence de monopole fait d’autres personnes pourront la proposer moins chère.
Le 16/11/2016 à 12h10
En France, on aime bien la paperasse." />
Le 16/11/2016 à 12h13
Le 16/11/2016 à 12h28
j’aurais tendance à dire parce que un brevet couvre un concept/une idée/un procédé issu de la R&D à des fins productives (donc il couvre un outil au sens large - outil qui peut n’être qu’une méthode particulière). Il n’est donc pas souhaitable pour la concurrence (vision classique et néo-classique INside) que cet avantage concurrentiel soit interdit aux autres agents économiques (le paradigme n’aime pas trop les monopoles)
À contrario, l’œuvre de l’esprit (livre, musique, etc.) est un “produit fini” qui assure les revenus (“moyens de subsistance”, c’est encore mieux si tu veux faire larmoyer l’auditoire).
Le “pourquoi 70 ans et pas moins” est en revanche complètement arbitraire : je suppose que c’est le temps qu’ont estimé les auteurs de la loi nécessaire pour assurer le passage à la postérité. (ou pour une autre obscure raison)
Le 16/11/2016 à 12h38
Le 16/11/2016 à 12h48
tout à fait : auparavant (rappel : le droit d’auteur, c’est Victor Hugo pour les débuts) les questions de transmission directe (aux enfants) et de postérité seules se posaient.
De là on est passé une espèce rente la plus longue possible (je suis presque sûr qu’il y a une concomitance entre cet allongement et le transfert des droits depuis les auteurs vers les maisons d’édition/de production - pour faire large les ayant-droits non-créatifs - mais ça n’est peut-être que mon mauvais esprit qui parle " />)
Le 16/11/2016 à 13h05
[message à supprimer si quelqu’un passe par là - erreur]
Le 16/11/2016 à 14h00
Le 16/11/2016 à 14h05
Le 16/11/2016 à 14h47
Le 16/11/2016 à 15h14
Prévient avant de faire des liens vers ça…
Le 16/11/2016 à 15h19
Le 16/11/2016 à 15h55
Le 16/11/2016 à 16h10
pour le petit prince, allez le télécharger en Belgique, par chez nous c’est déjà dans le domaine public
Le 16/11/2016 à 19h24
Le 70 ans, c’est suite à une harmonisation des délais en Europe. Sauf en France où l’on a conservé et ajouté aux 70 ans le principe de prorogation de guerre qui permet de prolonger ces délais.
Pour Mickey, on en est à 95 ans après publication, 1928 donne une date limite à 2023… Pour l’instant, mais il parait qu’ils ont plus à y perdre maintenant que la souris est ancrée dans l’inconscient collectif.
On reconnait les loups affamés comme en 2010 où “la guerre des boutons” est tombée dans le domaine public. Paf deux adaptations en film juste après. " />
Le 16/11/2016 à 22h47
Le 17/11/2016 à 08h32
Le 17/11/2016 à 10h30
Yep, à la base c’était le but.