Accéder aux mails d’un collègue de travail peut justifier un licenciement
Non mais de quoi j'm-email ?
Le 20 août 2019 à 14h00
6 min
Droit
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Le Conseil d’État vient de confirmer le licenciement d’un salarié, remercié pour s’être introduit dans la messagerie d’une collègue de travail. L’intéressé avait notamment accédé à des courriels identifiés comme privés par cette employée.
Si l’employeur n’a pas le droit de consulter les emails estampillés « personnel » ou « privé » de ses salariés, qu’en est-il lorsqu’un employé s’introduit sans autorisation dans la messagerie d’un de ses collègues ? Au travers d’un arrêt rendu le 10 juillet dernier, le Conseil d’État a estimé que ce comportement pouvait être constitutif d’une faute disciplinaire.
Mais pourquoi donc le Conseil d’État, plus haute juridiction administrative, s’est-il prononcé sur un licenciement ? Le salarié mis en cause, qui exerçait des fonctions d’encadrement au sein d’une mission locale de Haute-Garonne, bénéficiait d’une protection particulière, puisqu’il était visiblement représentant du personnel ou conseiller prud’hommal. Son départ était ainsi soumis à autorisation de l’inspecteur du travail.
Des courriels expressément identifiés comme personnels
En septembre 2011, l’inspecteur du travail s’était toutefois opposé au licenciement, au motif que les faits étaient prescrits.
À l’automne 2010, soit près d’un an plus tôt, l’employeur avait appris que le salarié s’était « introduit dans la messagerie professionnelle d'une autre salariée de l'entreprise, en vue de lire la correspondance échangée par celle-ci avec le directeur de la mission locale ». L’intéressé avait alors notamment « accédé aux messages qu'elle avait classés dans un dossier expressément identifié comme ayant un caractère personnel ».
L’inspecteur du travail avait justifié sa décision en s’appuyant sur l'article L 1332 - 4 du Code du travail, selon lequel « aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales ».
En février 2012, le ministre du Travail d’alors, Xavier Bertrand, a toutefois donné suite à un recours hiérarchique exercé à l’encontre de la décision de l’inspecteur du travail. Considérant que des poursuites pénales avaient été lancées par un tiers (probablement la salariée dont les mails avaient été ouverts), il a en ce sens autorisé le licenciement.
Alors que ce point de procédure était contesté devant les tribunaux administratifs, le Conseil d’État a finalement confirmé la décision du ministre du Travail, avant d’examiner le fond du dossier.
Un manquement à l’obligation de loyauté du salarié
Un dossier particulier, puisque le salarié mis en cause bénéficiait d’une protection exceptionnelle, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs. « Lorsque [le] licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec [l’] appartenance syndicale », rappelle à cet égard l’arrêt du Conseil d’État.
Il appartenait ainsi à l’inspecteur du travail et au ministre compétent de « rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié [étaient] d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il [était] investi ».
Ce qui était le cas dans cette affaire, a conclu la haute juridiction administrative : « Le fait pour un salarié d'utiliser les outils informatiques mis à sa disposition par l'employeur pour s'introduire dans la messagerie professionnelle d'un autre salarié sans l'accord de celui-ci et y détourner de la correspondance ayant explicitement un caractère personnel doit être regardé comme une méconnaissance de l'obligation de loyauté découlant du contrat de travail ».
Et ce peu importe que ces faits soient commis « en dehors des heures de travail », ou même si « le salarié n'est pas sur son lieu de travail », précise l’arrêt (dans lequel il n’y a pas plus de détails sur l’affaire en question).
En somme, les salariés qui consultent des emails privés de leurs collègues sont « fautifs non seulement pénalement mais également à l’égard de leur employeur », résume Maître Carole Vercheyre Grard dans un billet.
Des précédents côté judiciaire
De son côté, le juge judiciaire a également eu l’occasion de se plonger dans des litiges similaires. En mai 2018, la cour d’appel de Poitiers a par exemple considéré qu'un salarié qui s’était introduit sur la session informatique de son supérieur hiérarchique, afin de consulter des courriels personnels et confidentiels (notamment ceux relatifs à la négociation d’un avenant à son contrat de travail), avait eu un comportement « déloyal et fautif ».
L’employé mis en cause avait imprimé puis « oublié » certains messages, révélant la rémunération du directeur commercial, dans l’imprimante commune.
L’intéressé s’était défendu en affirmant notamment qu’il n’y avait pas eu d’intrusion de sa part, les mots de passe en vigueur dans l’entreprise étant connus de tous (l’identifiant d’accès à la boîte mail de chaque salarié étant alors composé d’une trame commune, à laquelle s’ajoutait le nom du salarié concerné).
« Nonobstant l’absence de verrouillage des messageries des salariés, rien n’autorise un salarié à s’introduire sur la messagerie d’un autre salarié, à son insu, ce encore plus lorsque le salarié subissant l’intrusion est un supérieur hiérarchique », avait retenu la cour d’appel.
Aux yeux des juges, ces faits n’étaient néanmoins pas constitutifs d’une faute grave – synonyme de licenciement immédiat, sans aucune indemnité. Le licenciement avait été requalifié en licenciement pour cause réelle et sérieuse, et l’employeur condamné à verser plusieurs milliers d’euros à son ex-salarié, notamment au titre de l’indemnité de préavis.
Accéder aux mails d’un collègue de travail peut justifier un licenciement
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Des courriels expressément identifiés comme personnels
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Un manquement à l’obligation de loyauté du salarié
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Des précédents côté judiciaire
Commentaires (57)
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Abonnez-vousLe 20/08/2019 à 15h08
Il y a néanmoins un point qui n’a pas été traité dans le deuxième cas. En effet, le fait d’avoir une trame connue de tous, et obligatoire, pour les mots de passe des messagerie est une faute du dirigeant. Pas dans le fait que cela autoriserait un salarier à consulter les messages des autres avec une sorte d’assentiment.
Mais dans le fait qu’il y a un dirigeant n’assure pas tous les moyens possible pour protéger les données de son entreprise, dans ce cas précis, un mot de passe qui part d’une trame commune avec le nom du salarié ne peut être considéré comme un moyen fiable de sécuriser un accès, l’imposer peut donc exposer le dirigeant à une sanction.
Le 20/08/2019 à 15h12
La généralisation est arrivée bien après, l’usage généralisé d’une messagerie sur smartphone ne deviendra un automatique que vers 2014, soit bien après. Il faut toujours faire attention lorsque l’on juge des faits du passés avec des normes d’aujourd’hui.
Ensuite, si l’on fait bien attention à la première affaire, il se trouve que les échanges privés avaient lieu entre deux membres de l’entreprise. Hors, aujourd’hui encore, dans ces cas, les messages privés passent souvent par le canal de l’entreprise. Tout va dépendre de l’âge des protagonistes.
Le 20/08/2019 à 15h17
tu fais un CC à ta boite perso
Le 20/08/2019 à 15h30
Parce que lorsqu’un collègue veut te contacter pour des affaires perso, il utilise généralement ton courriel de travail (vu que c’est le seul qu’il connaît et qu’il a la flemme de te demander ton courriel perso).
Le 20/08/2019 à 15h33
Ça n’a pas non plus mis en danger la boîte, faut pas exagérer…
Le 20/08/2019 à 15h41
Faut juste espérer que ça ne dérive pas trop. On connaît tous le coup du collègue qui s’absente 2min sans verrouiller sa session, et un rigolo s’empresse d’utiliser la machine pour envoyer un mail “demain c’est moi qui offre les croissants” à tout l’équipe " />
Le 20/08/2019 à 15h46
Oui c’est litigieux. Il devrait y avoir une jurisprudence croissant
Le 20/08/2019 à 15h46
AMHA le fait que c’est commis par un salarié protégé amplifie d’autant plus la faute. C’est tout simplement inexcusable
Le 20/08/2019 à 15h48
ça dépend aussi de la culture d’entreprise. Je connais des entreprises ou des gens qui ne goûtent pas ce type de plaisanteries (ou seulement à très petites doses, les meilleures blagues étant le plus souvent les plus courtes).
Le 20/08/2019 à 15h50
La nature humaine est toujours pleine de surprises et pleine de diversité (on pourrait citer Forrest Gump).
Le 20/08/2019 à 15h53
C’est quoi que t’as pas compris dans “potentiellement” ? :)
Quand tu divulgues par exemple le salaire d’un collaborateur accidentellement, en laissant la feuille dans l’imprimante, c’est bien dans le but de nuire à la personne mais aussi indirectement à la société (pour reprendre l’autre exemple cité).
De plus la position de l’individu rend la faute particulièrement lourde puisqu’il s’agit en quelque sorte d’un abus de position.
J’ai, à titre personnel, risqué un licenciement pour faute grave pour bien moins que ça dans le passé. Donc oui, quand je constate ce type d’agissement je ne trouve pas normal que ce soit classé en simple licenciement pour faute avérée, où la personne touchera en plus ses indemnités.
A un moment tu joues au c*n, tu assumes.
Le 20/08/2019 à 15h59
Le 20/08/2019 à 16h27
En cela rien d’exceptionnel.
En revanche, la motivation sur l’effet des poursuites pénales sur la prescription de la procédure de sanction disciplinaire est un peu lapidaire et peut prêter à confusion :
“Pour estimer ce motif illégal et, par suite, retirer sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique de la mission locale et annuler la décision de l’inspecteur du travail, le ministre du travail s’est fondé sur ce que, si le délai de prescription avait effectivement couru dès le 15 novembre 2010, des poursuites pénales à raison des mêmes faits avaient été engagées contre le salarié le 21 décembre 2010, interrompant ainsi le délai de prescription. La circonstance que l’engagement des poursuites pénales ne résultait pas d’une plainte de l’employeur est sans incidence sur le fait que leur engagement a interrompu, y compris à l’égard de celui-ci, le délai de deux mois prévu par l’article L.1332-4 du code du travail.”
Le point de départ de la prescription est le jour où l’employeur a eu connaissance des faits (ou aurait du les connaître) pouvant être sanctionnés, sauf à ce que l’employeur n’ait découvert les faits et leurs conséquences que du fait des poursuites pénales (et plus précisément de la décision de condamnation).
Par ailleurs, si les poursuites pénales (attention pas enquête préliminaire, mais mise en mouvement de l’action publique) sont engagées dans le délai de deux mois pour sanctionner sur le plan disciplinaire, alors et seulement alors ce délai de deux mois est interrompu. Cass. soc., 10 mars 1998, no 95-42.715, Bull. civ. V, no 123.
Donc ne pas comprendre comme ne le dit pas clairement cet arrêt, que pour sauver un procédure de sanction disciplinaire prescrite il suffit d’avoir des poursuites pénales. Il faudra que ces poursuites soient engagées dans le délai de deux mois pour sanctionner disciplinairement (et ce n’est pas le cas d’une plainte simple qui par définition ne met pas en mouvement l’action publique).
Le 20/08/2019 à 16h59
Le gars était représentant du personnel. Le consulter avec sa boite pro, c’est sur certains dossiers se tirer une balle dans le pied, il y a un réel intérêt à utiliser une boite personnelle pour assurer la confidentialité. Ety cela permet aussi le suivi des dossiers si le représentant/délégué quitte la société : il donne l’accès à son remplaçant, alors qu’une boite pro (généralement avec l’identifiant de la personne) ne le permet pas.
Le 20/08/2019 à 17h12
Le 20/08/2019 à 17h17
Le 21/08/2019 à 11h11
Le 21/08/2019 à 12h15
Dans ma boite nous n’avons pas le droit d’avoir des comptes perso sur les ordis pros.
Il est possible d’avoir accès à la boite de courrier de quelqu’un sans qu’il le sache, mais ça doit passer par une demande officielle aux IT avec autorisation du gestionnaire.
Tout accès non autorisé à la session d’un autre utilisateur par contre, peut être sanctionné par un licenciement . C’est clairement écrit dans les règles d’utilisations des systèmes informatiques, c’est avisé durant les périodes d’intégration, une affaire comme ca ne serait jamais monté aussi haut…
Le 21/08/2019 à 13h22
Le 21/08/2019 à 14h30
Le 21/08/2019 à 15h52
C’est le type de licenciement qui implique des indemnités.
Faute grave = rien
Cause réelle et sérieuse = indemnités
Faut pas chercher plus loin que l’application de la loi.
Le 21/08/2019 à 20h49
Et quand l’ANSSI encourage le croissantage, ils vont prendre complicité ?
Le 22/08/2019 à 08h38
Le 22/08/2019 à 08h54
Le 22/08/2019 à 14h18
Le 20/08/2019 à 14h11
Décision somme toute logique.
Un employeur n’a légalement pas à le faire, aucune raison qu’un salarié le soit.
Le 20/08/2019 à 14h20
Et faut être surtout un connard fini pour regarder les messages perso d’un collègue." />
Le 20/08/2019 à 14h24
J’ai pas encore tout lu, mais j’ai du mal comprendre pourquoi des gens utilisent leur boîte pro pour des mails perso..
Le 20/08/2019 à 14h27
Bonne question, si je dois envoyer un mail perso pendant les heures de travail, le fait de mon tel.
Le 20/08/2019 à 14h27
Le 20/08/2019 à 14h31
Le 20/08/2019 à 14h33
Le 20/08/2019 à 14h37
Le 20/08/2019 à 14h39
Le 20/08/2019 à 14h41
Une demande au RH reste personnelle, ainsi que certains mail via ta hiérarchie.
Pourquoi utiliser une boite perso si tu as celle de ton travail disponible ?
Le 20/08/2019 à 14h43
Pour en garder une trace en dehors du lieu de travail.
Le 20/08/2019 à 14h49
Il y a des boites (dont la mienne) qui bloquent toute forme de webmail au niveau firewall, pour éviter spams, scams et autres saloperies. Donc oui, y a eu une période (assez courte) entre mon début de carrière et mon premier smartphone ou j’ai échangé des mails perso avec ma boite pro.
Et ça m’arrive encore de transférer des trucs à imprimer (billets, avis de retrait de colis…) via la boite pro puisque pas le droit non plus aux clés USB. Après, c’est rarement des trucs sensibles que je ne veux pas voir dans la nature.
Mais bien sur, tout le monde n’est pas un geek parano, et je pense que beaucoup utilisent leurs mails pro pour des raisons persos, juste parce que c’est le compte qui est “sous la main” quand ils sont sur l’ordi du taff…
Le 20/08/2019 à 14h49
Aux yeux des juges, ces faits n’étaient néanmoins pas constitutifs d’une faute grave – synonyme de licenciement immédiat, sans aucune indemnité. Le licenciement avait été requalifié en licenciement pour cause réelle et sérieuse, et l’employeur condamné à verser plusieurs milliers d’euros à son ex-salarié, notamment au titre de l’indemnité de préavis.
Ça c’est assez surprenant.
Non seulement le salarié commet une faute mais en plus l’employeur, qui le licencie suite à cela, doit lui verser ses indemnités de départ alors que la faute est avérée et peut potentiellement porter préjudice à l’entreprise.
Je ne suis pourtant pas le premier à défendre les licenciements pour faute grave, souvent abusifs. Mais dans le cas présent cela me paraît pourtant plus que justifié (pour une fois). Et certains se retrouvent licenciés pour faute grave pour moins que ça…
Le 20/08/2019 à 14h59
Le 20/08/2019 à 15h03
Le 20/08/2019 à 15h08
Les premier smartphone date de 2007 2008 environ.
Le 20/08/2019 à 17h17
Le 20/08/2019 à 17h24
J’étais chez orange avant de passer à Free, l’abonnement couter chère." />
Le 20/08/2019 à 17h27
Le 20/08/2019 à 17h39
Le 20/08/2019 à 18h53
Le 20/08/2019 à 19h22
Ma faute, j’aurai du préciser ceux sous android.
Le 20/08/2019 à 19h26
Le 20/08/2019 à 19h42
2008 pour le premier smartphone sous Android.
Le 20/08/2019 à 21h02
Le 20/08/2019 à 21h12
Le 20/08/2019 à 21h41
Le 21/08/2019 à 06h08
C’est clairement peu apprécié chez nous (sans compter les cas où l’intéressé le prend très très mal " />). Dans l’absolu c’est même considéré comme une usurpation d’identité, ce que, en tant qu’administrateurs (ou utilisateurs) nous nous engageons à ne pas faire dans la charte informatique " />
On savait vivre et plaisanter avant…" />
Le 21/08/2019 à 07h43
Je suis un connard, mais j’ai une éthique " />
…
…
Je vais l’ajouter dans mes favoris
Le 21/08/2019 à 08h28
Le 21/08/2019 à 08h28
Le 21/08/2019 à 09h55