L’arrêt du Conseil d’État décapitant le dispositif ReLIRE, sur l’exploitation des livres indisponibles par gestion collective, contient une pépite. Constatant la supériorité du droit européen, il met un point d’arrêt à un généreux cadeau fait régulièrement aux sociétés de perception et de répartition (SPRD).
Avant-hier, le Conseil d’État a rendu un arrêt consacrant la mort de ReLIRE. Un mécanisme franco-français voté par le Parlement, au profit des sociétés de gestion collective du secteur du livre. La loi les autorisait en effet à gérer l’exploitation des titres publiés avant 2001, ceux qui ne sont plus commercialisés mais inscrits sur un registre géré par la BNF.
Six mois après cette inscription et dans le silence des auteurs, la poule aux œufs d’or était confiée aux SPRD. Le 16 novembre 2016 cependant, la Cour de justice de l’Union européenne a rappelé que le silence des auteurs ne pouvait permettre de déduire leur acquiescement à cette gestion collective. Et le Conseil d’État s’est poliment aligné : il a annulé le cœur du décret d’application de la loi du 1er mars 2012 « relative à l’exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle ».
Vaine tentative d'annulation non rétroactive
La SOFIA, l'une des sociétés de gestion collective concernée, a tenté de limiter les effets de cette annulation qui fait disparaitre rétroactivement les dispositions litigieuses.
La société de perception a tenté, sinon d’éviter l’annulation, mais d’en limiter les effets uniquement pour l’avenir. Selon elle, un coup de gomme rétroactif « emporterait des conséquences manifestement excessives en termes de sécurité et de droits acquis compte tenu des contrats de licence signés par la SOFIA avec les éditeurs sur le fondement de ces dispositions ». Au contraire, « le maintien temporaire de ce décret se justifie au regard de l’intérêt général attaché au dispositif de conservation et de mis à disposition des œuvres indisponibles qu’il institue ».
Explications : depuis la mise en œuvre de ReLIRE, la SOFIA a signé de nombreux contrats avec les éditeurs, pour les autoriser à exploiter des œuvres désormais gérées par elle, par le miracle législatif. Et d’après elle, seule une annulation non rétroactive du décret lui permettrait d’assurer le maintien temporaire de ces contrats et de répondre à un objectif d’intérêt général.
D'AC ! à assez
En exploitant cet argumentaire, la SOFIA a tenté de profiter d'une brèche bien connue : la jurisprudence « AC ! » du Conseil d’État. Depuis un arrêt du 11 mai 2004, ce dernier permet de ne réserver l'annulation d'un texte administratif que pour l’avenir, dès lors que les conséquences d’une rétroactivité seraient « manifestement excessives » pour les intérêts publics et privés en présence.
Au point 7 de son arrêt ReLIRE, le même Conseil d’État a cependant refusé de s'y engouffrer. Il a répondu à la SOFIA que la disparition du décret n’emporterait pas, en elle-même, la remise en cause des contrats signés jusqu’alors. Ces contrats sont fragilisés certes, mais ils résistent. Pour les remettre en cause, on imagine que les auteurs devront se réveiller et attaquer ces accords devant les seules juridictions civiles.
Une autre explication est venue terrasser cette demande. Les juges ont indiqué qu’ « en tout état de cause, une telle limitation contreviendrait aux exigences attachées à la primauté et à l’effectivité du droit de l’Union européenne en l’absence de nécessité impérieuse justifiant son usage, compte tenu des circonstances spécifiques de l’affaire ».
Cette petite phrase, tellement logique, est aussi une petite révolution : le Conseil d’État se souvient enfin de la supériorité du droit européen sur les lois et décrets français. Or, au fil de plusieurs décisions rendues ces dernières années, la même juridiction avait maintes fois accepté de déroger au droit de l'Union, pour sauvegarder notamment les intérêts des sociétés de gestion collective.
Copie privée : des centaines de millions d'euros via des barèmes illicites
Il avait par exemple appliqué sa fameuse jurisprudence « AC ! » à l’égard des barèmes de la copie privée lourdement bancals : ceux qui avaient oublié d’exclure les copies de source illicite des études d'usages tout comme ceux ayant omis d’évincer les copies réalisées par les professionnels. Deux pratiques contraires au droit européen.
De ce fait, les sociétés de gestion collective ont pu collecter et redistribuer beaucoup plus, en picorant au passage des frais de dossier. Combien de collecte en trop ? Les montants estimés s'élèvent à des centaines de millions d’euros. Et parce que ces sommes avaient été de longue date consommées notamment pour le financement de festivals, le Conseil d'État avait épargné les sociétés de gestion collective de toute obligation de remboursement. Merci la jurisprudence « AC ! » et la non-rétroactivité des annulations.
La source d’inspiration du point 7 de l’arrêt ReLIRE vient d’ailleurs d’arrêts récents de la CJUE. Le 22 septembre 2016, relatif à la copie privée là encore, les juges de la Cour y ont réaffirmé la primauté du droit européen et surtout signalé à l’ensemble des juridictions qu'elle seule était en capacité de faire varier dans le temps l’application d’une disposition made in UE. Sachant que « pour qu’une telle limitation puisse être décidée, il est nécessaire que deux critères essentiels soient réunis, à savoir la bonne foi des milieux intéressés et le risque de troubles graves ». La même CJUE a d’ailleurs reconnu cette possibilité en juillet 2016, pour des raisons impérieuses liées à la protection de l’environnement.
L’arrêt rendu avant-hier peut être considéré comme la fin de la récréation. Au grand dam du ministère de la Culture, les sociétés de gestion collective vont maintenant devoir batailler ferme pour espérer sanctuariser des situations contraires aux normes européennes. Dans tous les cas, pour espérer obtenir gain de cause, elles devront s'en expliquer devant la Cour de Luxembourg, et non plus devant cette juridiction administrative installée à quelques dizaines de mètres de la Rue de Valois.
Commentaires (25)
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Champagne !
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Premier prix, on est pas blindé comme les AD." />
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Ces voleurs ne sont absolument pas inquiétés, n’auront pas à rendre l’argent bien planqué dans des paradis fiscaux à l’abri du fisc. Mais si un RMIste télécharge une chanson, là par contre c’est allez en prison sans passer par la case départ ni recevoir 20000F, avec une forte amende en prime.
#4
“Les montants estimés s’élèvent à des centaines de millions d’euros. Et parce que ces sommes avaient été de longue date consommées notamment pour le financement de festivals, le Conseil d’État avait épargné les sociétés de gestion collective de toute obligation de remboursement.”
Ces festivals n’ont pas eus de retombées économiques?
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@Marc
Tu ne vas t’y mettre aussi au terme de journaleux “Explications :” (souvent suivi d’un point d’ailleurs). Merci de laisser ça aux autres médias, au même titre que les jeux de mots dans les titres (bon point pour NXI, vous faites ça en sous-titre, ce qui est plus cool et plus libre).
Merci !
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Je veillerai à ne plus ;)
Disons que la non rétroactivité, le contentieux administratif, Relire, cumulé avec les études d’usages de la redevance, exigeait a minima un “explication :” :)
En tout cas, j’évite la grosse vague actuelle de “ce que l’on sait” qui me donne des boutons.
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Oui, j’avoue que c’est velu et que faire une phrase plus complète alourdit encore plus le texte, mais bon, ça me donne des boutons aussi. ;)
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que les contrats signés par Sofia demeurent toujours valables jusqu’à leur terme, c’est normal. Ce qui pourrait être très embêtant, c’est que ces contrats aient des clauses de tacite reconduction et que Sofia laisse couler pour continuer à engranger des sommes qu’elle ne devrait plus percevoir (en même temps le droit européen, qui en a à faire quelque chose !!!).
On ne sait pas combien d’oeuvres sont concernées et je trouve ça très ennuyant.
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J’ai toujours du mal à comprendre ces gens qui racontent n’importe quoi (et on lit régulièrement des commentaires du genre), alors que c’est si facile de se renseigner. Quel plaisir y trouvent-ils ?
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Il faut dire que le fondement même du principe du procédé était quand même sacrément carabistouillé….
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puisque c’est ‘dredi : http://nordpresse.be/apres-telecharge-lalbum-de-kids-united-fille-pere-porte-pla…">
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Parce qu’il s’agit simplement d’une application du droit: les contrats signés avant la suppression du dispositif législatif vont jusqu’à leur terme sauf si on te dit que la disposition en cause était d’ordre public et que tout est annulé. Or le droit d’auteur n’est pas un droit d’ordre public.
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Un exemple avec un schéma
de la Commission permanente de contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits d’auteur
Et voir l’analyse de Que chosiir Droits d’auteur Bienvenue chez les Shadocks
Des sociétés fantomes, avec juste une conseil d’administration (qui doit toucher des jetons de présence). Qui délèguent leur travail a d’autre organisme où siègent les même personnes etc etc
Voir aussi le dossier de Nextinpact
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Le vendredi, c’est permis.
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