Guerre froide des semi-conducteurs : le pont d’or des États-Unis à TSMC pour une troisième usine
TAIwannabee made in USA
La guerre des semi-conducteurs continue de dérouler sa partition, avec l’annonce d’une troisième usine aux États-Unis. L’enjeu est hautement stratégique pour les Américains, qui veulent se détacher de la Chine, mais les usines ne sont qu’une partie du problème. L’Europe se retrouve entre les deux et tente, elle aussi, d’assoir sa souveraineté.
Sébastien Gavois , Jean-Marc Manach
Le 09 avril à 11h05
8 min
Économie
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La guerre froide des semi-conducteurs
Ces derniers mois, on a eu droit à une valse d’annonces tous azimuts autour des semi-conducteurs. La Chine a restreint des exportations sur des matériaux critiques (utilisés pour la fabrication des puces), les États-Unis bloquent les exportations de puces vers la Chine et, plus récemment, la Chine a banni AMD, Intel et Windows de ses administrations. Et on ne parle même pas du bannissement de Huawei et ZTE pour des raisons de sécurité nationale.
Et, l'Europe dans tout cela ? La Commission européenne s’inquiète et brandissait l’année dernière le spectre d’une possible action devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC). De leur côté, les Pays-Bas ont mis en place des restrictions sur l’exportation de semi-conducteurs vers certains pays, même si la Chine n’était pas explicitement nommée. La mesure concerne principalement ASML, leader (néerlandais) dans la production de machines servant à la fabrication de processeurs. En février 2023, l’un de ses employés en Chine lui avait dérobé des « informations sensibles ».
C’est dans ce climat tendu que le département du commerce états-unien a annoncé lundi qu'il accorderait à Taiwan Semiconductor Manufacturing Co (TSMC) une subvention de 6,6 milliards de dollars pour la production de semi-conducteurs avancés à Phoenix, en Arizona « et jusqu'à 5 milliards de dollars sous forme de prêts gouvernementaux à faible taux d'intérêt », précise l'agence Reuters.
TSMC « on fire » : 12, 40 et maintenant 65 milliards
La première usine en Arizona avait été annoncée en mai 2020, avec 12 milliards de dollars d’investissement. Le gouvernement américain expliquait déjà à l’époque que l’un des enjeux était de renforcer « la sécurité nationale américaine ».
La seconde (toujours en Arizona) a été annoncée fin 2022, avec un investissement en forte hausse : 40 milliards de dollars pour les deux usines.
TSMC multiplie donc par plus de cinq la mise initiale et accepte d'augmenter son investissement prévu de 25 milliards de dollars pour le porter à 65 milliards de dollars. L’entreprise ajoute au passage une troisième usine en Arizona d'ici à 2030, a déclaré le département du commerce.
Production des puces en 2025, 2028 et horizon 2030
TSMC en profite pour faire le point sur son calendrier. La première usine est « en bonne voie » pour commencer sa production de puce en 4 nanomètres durant le « premier semestre 2025 », soit dans un an à peine. Nous n’avons pas plus de détails sur les puces qui y seront fabriquées.
L'entreprise taïwanaise exploitera la technologie de 2 nanomètres « la plus avancée au monde » (en plus des lignes en 3 nm déjà annoncées) dans sa deuxième usine d'Arizona. La production devrait commencer quelques années plus tard, en 2028 ont précisé le ministère et TSMC.
Enfin, la troisième usine produira des puces « gravées en 2 nm, voire moins ». Cette fois-ci, « la production commencera d’ici à la fin de la décennie ». Dans toutes ses usines américaines, TSMC met en avant une « fabrication écologique », avec notamment un « taux de recyclage de l’eau de 90 % ». Des promesses dont on attendra de voir ce qu’il en est quand les usines seront en marche.
Gina Raimondo, ministre du Commerce, a assuré que TSMC allait créer « au moins 6 000 emplois directs » dans ces usines, « plus de 20 000 emplois » pour la construction et « des dizaines de milliers d'emplois indirects ».
En 2020, le département d'État (l'équivalent du ministère des Affaires étrangères des autres pays) annonçait que l'implantation de TSMC permettra de « créer des milliers d’emplois hautement qualifiés et des dizaines de milliers d’emplois supplémentaires sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement pour les années à venir ».
Les États-Unis veulent une production locale en masse
« Pour la première fois, nous allons construire en masse les semi-conducteurs les plus sophistiqués du monde aux États-Unis », a applaudi Gina Raimondo lors d'une conférence de presse.
« Ce sont les puces qui sous-tendent toute l'intelligence artificielle, et ce sont les puces qui sont des composants nécessaires pour les technologies dont nous avons besoin pour soutenir notre économie, mais franchement, un appareil militaire et de sécurité nationale du 21ᵉ siècle », a déclaré la secrétaire d'État au Commerce, Gina Raimondo, dans un communiqué.
« Plus concrètement, les États-Unis veulent se protéger de futures pénuries de ces puces incontournables dans les téléphones portables, les voitures électriques, ou les équipements militaires de pointe », explique La Tribune.
Les Américains veulent ainsi pouvoir suivre l’ensemble de la chaine de production, un enjeu hautement stratégique, comme nous avons eu l’occasion d’en parler avec l’affaire des micropuces espionnes chinoises (que celles-ci soient présentes ou pas, la problématique existe).
Les usines ne sont qu’un des paramètres
Et ce, alors que les États-Unis « sont très dépendants de l'Asie pour ces composants », mais également « vulnérables en cas de crise géopolitique, en particulier dans une région aussi fébrile que celle de Taïwan, île dont la Chine revendique la souveraineté ».
Même si les usines se trouvent aux États-Unis, il reste la question des matières premières, et notamment des matériaux rares/critiques. Pour certains, ils proviennent essentiellement d’Asie et d’Afrique, mais aussi du continent américain pour d’autres. Une guerre froide s’installe depuis plusieurs mois/années sur ces sujets, tant ils sont sensibles et au cœur de quasiment toutes les innovations technologiques.
On se retrouve donc avec des sociétés américaines qui développent les puces (AMD, Intel, Qualcomm…), qui sont ensuite produites en Asie. Les Américains veulent s’affranchir de la seconde étape, mais la Chine ne compte pas se laisser faire, notamment en bloquant des exportations comme indiqué en introduction.
Dans cette optique d’émancipation, fin mars, « le ministère du Commerce est parvenu à un accord préliminaire avec Intel pour lui fournir jusqu'à 8,5 milliards de dollars de financements directs et 11 milliards de dollars de prêts dans le cadre du "Chips and Science Act" », détaillait la Maison-Blanche dans un communiqué.
D’ailleurs TSMC compte lui aussi profiter largement de la « bonté » du gouvernement américain : l’entreprise « prévoit de demander des crédits d’impôt à l’investissement au département du Trésor américain allant jusqu’à 25 % des dépenses d’investissement admissibles par TSMC Arizona ».
Les « fabs » de TSMC et Intel s’installent en Europe et en Amérique
TSMC, en froid avec la Chine, multiplie les partenariats partout dans le monde. « Sous la pression de ses clients – mais aussi des gouvernements –, le taïwanais a inauguré, fin février une méga-usine au Japon – pour un coût équivalent à 8 milliards d'euros – subventionnée à plus de 40 % par le Japon », explique La Tribune.
D'autant qu'ils sont aussi « préoccupés par une éventuelle invasion future de Taïwan par la Chine » (un serpent de mer qui revient sur le devant de la scène depuis des dizaines d’années, avec même des exercices militaires en 2022 et 2023), alors que TSMC « concentre à lui seul plus de la moitié de la production mondiale de semi-conducteurs ».
En août, le fabricant taïwanais avait aussi donné son feu vert pour construire une usine en Allemagne, un projet d'un montant total de 10 milliards d'euros au sein duquel TSMC détiendra 70 %. Le Néerlandais NXP, ainsi que les Allemands Infineon et Bosch auront 10 % chacun (pour arriver à 100 %, le compte est bon).
La région de Dresde en Allemagne est une des places fortes actuelles de la microélectronique en Europe, certains parlent d’ailleurs de « Silicon Saxony ». L’été dernier, Berlin avait par exemple annoncé une augmentation de la subvention accordée à Intel ; elle passait à 10 milliards d'euros. « En outre, l'Allemand, Infineon, a récemment lancé à Dresde le chantier d'une nouvelle usine de semi-conducteurs – un projet à 5 milliards d'euros –, et l'Américain Wolfspeed a annoncé un important investissement dans l'ouest de l'Allemagne », rappelait l’AFP.
En septembre, l'Union européenne avait de son côté mis 43 milliards d'euros sur la table dans le cadre du « Chips Act » qui vise à atteindre 20 % des parts de marché de l'industrie en 2030, ce qui nécessite de quadrupler la production dans un marché mondial à forte expansion.
Guerre froide des semi-conducteurs : le pont d’or des États-Unis à TSMC pour une troisième usine
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Les usines ne sont qu’un des paramètres
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Les « fabs » de TSMC et Intel s’installent en Europe et en Amérique
Commentaires (15)
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Abonnez-vousLe 09/04/2024 à 11h33
Si je me souviens bien, TSMC n'était pas en froid avec la Chine, au contraire, ils ont juste cessé de livrer Huawei par les menaces de sanctions US. La carotte et le bâton.
Mais bon, cette amérique est en train de se débattre dans son agonie, dans 10 ans, ils ne domineront plus grand chose.
Le 09/04/2024 à 12h21
Le 09/04/2024 à 12h34
Ensuite, TSMC produit déjà près de 70% des puces dans le monde, et sont parmi les plus avancés Donc implanter leurs usines localement fait sens. Et les gvt subventionnent aussi les autres fabricants (Intel, AMD, ST, ...) pour que les usines de semi soient plus également réparties dans le monde.
Enfin, les USA à l'agonie ... la c'est très exagéré. De toute façon tant qu'à être dominé par une super puissance, je préfère encore les USA que des dictatures comme la Chine ou la Russie.
Le 09/04/2024 à 13h01
Et la dictature comme la démocratie n'est qu'un moyen de gouvernance. Et l'une comme l'autre amène à des catastrophes en cas d'abus.
(Oui la démocratie peut être abusé et amène à de la terreur lorsqu'elle est même employée
Cf. Révolution Française et la Terreur (sic) ; L'ascension du parti Parti national-socialiste des travailleurs allemands (NSDAP) en1920. )
Le 09/04/2024 à 14h43
Les cas que vous citez n'ont pas de rapport direct avec la démocratie, puisqu'ils consistent justement à utiliser la démocratie contre elle même (et bien que je ne sois pas certain qu'on puisse qualifier les premières organisations politiques post révolution française de démocratiques) pour faire élire un pouvoir dictatorial qui s'empresse de détruire tous les garde fous existant dès son arrivée au pouvoir.
Le 09/04/2024 à 14h57
De Gaulle (avec 2 "l") bouffe les pissenlits par la racine depuis plus de 50 ans. Lui prêter des intentions et des actions dans le monde actuel n'a aucun sens.
>"Et la dictature comme la démocratie n'est qu'un moyen de gouvernance. Et l'une comme l'autre amène à des catastrophes en cas d'abus."
Et donc quoi? N'hésitez pas à pousser votre raisonnement jusqu'au bout au lieu de nous laisser sur notre faim.
C'est quand même mignon d'évoquer le pseudo sens de l'indépendance de De Gaulle pour dans la phrase suivante se lancer dans du relativisme politique où tout équivaut à tout.
Cf. Révolution Française et la Terreur (sic) ; L'ascension du parti Parti national-socialiste des travailleurs allemands (NSDAP) en1920. )"
La Terreur et l'avènement du nazisme n'ont pas grand chose à voir avec un processus démocratique. Mais ça reste bien pratique effectivement pour faire toutes sortes de raccourcis. On peut au moins leur reconnaître ça.
Modifié le 09/04/2024 à 17h24
Je suis aller avec mes gros sabots. Mais c'est surtout le raccourci USA=démocratie=Gentil versus Chine=Dictature= méchant
(Officiellement la chine comme les États-Unis d'Amérique sont des démocratie).
La dictature était une forme de gouvernance qui attribuait tout les pouvoirs au "dictateur" afin de pouvoir assurer face à une situation critique exceptionnel.
La confusion dictateur avec tyran vient du fait qu'une fois la situation critique finie, le "dictateur" ne rendait pas les pouvoirs que le peuple via le sénat lui avait attribué.
Je crois me souvenir que c'est l'article 16 de notre constitution qui pourrait s'y rapprocher.
Car confiant les pouvoirs exécutif et législative au président de la République.
°°°
(Dans le doute je suis aussi aller revoir la définition de dictature.
https://dictionnaire.lerobert.com/definition/dictature)
"La Terreur et l'avènement du nazisme n'ont pas grand chose à voir avec un processus démocratique."
Oui et non, les deux ont agit au nom du peuple pour commettre leurs exactions.
D'où l'importance de se souvenir et de l'Histoire.
Pour ma part je pense si la France veut retrouver son statut de leader mondiale, elle ne le pourra qu'au travers d'un soutien à l'Union Européenne.
°°° Digression Je me suis posé la question du "Pouvoir Judiciaire" et je suis tombé sur cet article:
https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-membres/le-statut-constitutionnel-de-l-autorite-judiciaire#:~:text=I.-,L%27article%2064,son%20ind%C3%A9pendance%2C%20dans%20son%20ensemble.
Modifié le 09/04/2024 à 14h55
Si TSMC pour une raison ou pour une autre est racheté un jour, il pourrait fermer les usines qu'il a envie, même s'il n'est pas racheté d'ailleurs, si des usines sont beaucoup rentables que d'autres à cause des mêmes freins qui ont envoyé tous les fabricants en Chine, mais ils ne fabriqueront pas toujours 70% des bouts de silicium, un jour quelqu'un fera mieux qu'eux, forcément, tout comme Intel et Amd se sont fait dépasser dans certains domaines.
Enfin, les USA à l'agonie ... la c'est très exagéré
Avec leur endettement, ils seraient déjà coulés s'ils ne fabriquaient pas les dollars, le jour où le monde commence à se passer des dollars, il faudra qu'ils payent vraiment. déjà voir les dominations qu'ils ont dû abandonner dans l'automobile et les télécom, le spatial ça n'est plus vraiment ça non plus, L'électronique, on en parle, ça va leur coûter cher pour que ça revienne un peu, reste les exportations d'armes, mais même, si ça se passe mal en Ukraine pour eux, ils vont perdre pas mal de cote, surtout si ils larguent l' OTAN.
Le 09/04/2024 à 16h37
Le 09/04/2024 à 17h31
Mais la Chine continue à avancer dans le monde, surtout le tiers monde et l'asie sauf celle sous haut contrôle US (japon et corée sud ainsi que philippines), elle n'a pas d'inflation, quand l'ouest avance à 6%, les prix vont continuer à s'en ressentir, même sans subventions donc les subventions il en faudra de plus en plus pour compenser côté occident.
Le monde n'a pas que 500 millions de consommateurs, même si ce sont les plus gourmands, quand Washington met des taxes protectionnistes sur les produits importés ou des subventions, ce sont encore les américains qui les paient, pas les chinois.
Les usines américaines peuvent produire (à plus cher) pour l'amérique, mais n'exporteront pas, sauf contrainte et chantage, comme pour l'armement.
Le 09/04/2024 à 11h39
Le 09/04/2024 à 12h30
Et pas Nivida ?
La mesure concerne principalement ASML, leader (néerlandais)
C'est le seul dans le monde qui fait ça, je ne sais pas si on peut l'appeler un leader
Le 09/04/2024 à 12h40
Le 09/04/2024 à 17h44
Le 09/04/2024 à 12h50
Action contre qui ? La chine ou les USA ? (même si j'ai mon idée...)
Le peuple étatsunien est peut notre ami, même pas son économie.