Les États-Unis attaquent Apple pour abus de position dominante
Avec de vrais morceaux de pomme
Alors que la situation promet d’être tendue en Europe, l’orage éclate de l’autre côté de l’Atlantique : le ministère américain de la Justice, quinze États et le district de Columbia viennent de déposer plainte pour abus de position dominante. De multiples pratiques anticoncurrentielles sont pointées du doigt.
Le 22 mars à 10h35
7 min
Droit
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Sale temps pour Apple. Dans un (long) communiqué, le Department of Justice dépeint une situation spécifique : celles des États-Unis, où Apple possède une part de marché de 70 % dans le monde des smartphones haut de gamme, et de 65 % sur l’ensemble des smartphones.
Pour le ministère, Apple a atteint cette situation pour deux raisons. D’abord, « en gardant une longueur d'avance sur la concurrence sur le fond ». En clair, Apple propose de bons produits et n’usurpe donc pas totalement sa place. Deuxièmement, et c’est tout le problème, « en violant la loi fédérale antitrust », la fameuse loi Sherman.
Pour le ministère de la Justice, Apple a violé la loi
« Nous alléguons qu'Apple a employé une stratégie qui repose sur un comportement d'exclusion et anticoncurrentiel qui nuit à la fois aux consommateurs et aux développeurs », assène le ministère.
Pour les premiers, « cela s'est traduit par un choix plus restreint, des prix et des frais plus élevés, des smartphones, des applications et des accessoires de moindre qualité, et moins d'innovation de la part d'Apple et de ses concurrents ». Les développeurs, eux, ont été « contraints de respecter des règles qui protègent Apple de la concurrence ».
Apple n’aurait donc pas maintenu sa position dominante en améliorant ses propres produits, mais en dégradant ceux des autres. Ce « comportement d'exclusion et anticoncurrentiel » aurait été mis en œuvre de deux manières. D’abord, par des « restrictions contractuelles et des frais » qui auraient induit des limitations dans ce que les développeurs peuvent offrir à leurs utilisateurs. Deuxièmement, par une restriction sélective de « l'accès aux points de connexion entre les applications tierces et le système d'exploitation de l'iPhone ».
Grâce à ces pratiques, Apple aurait pu imposer sa commission de 30 % pendant 15 ans aux entreprises de toutes les tailles.
Super-applications, streaming, messages…
Pour étayer son propos, le ministère donne plusieurs exemples d’applications et services dont Apple a empêché l’émergence par son comportement. Premièrement, les « super-applications » qui, par leur grand nombre de services et de capacités, tendent à nier les avantages que peut apporter une plateforme plutôt qu’une autre.
Deuxièmement, les applications de streaming, en particulier de jeux vidéo. Le cas est bien connu et est revenu sous les projecteurs récemment, quand Apple a fait mine de supprimer les applications web dans iOS 17.4. GeForce Now et le Xbox Game Pass, par exemple, ne peuvent pas avoir d’application native sur iPhone, Apple l’interdit.
Le ministère de la Justice évoque ensuite le cas des messages. « Comme peut en témoigner tout utilisateur d'iPhone qui a déjà vu un message texte vert ou reçu une vidéo minuscule et granuleuse, le comportement anticoncurrentiel d'Apple consiste également à rendre plus difficile pour les utilisateurs d'iPhone l'échange de messages avec les utilisateurs de produits autres que ceux d'Apple ». Et de citer l’absence de chiffrement, la pixellisation et l’aspect granuleux des vidéos et l’absence de fonctions « modernes », comme la modification des messages et l’indicateur de saisie.
Le ministère n’évoque pas les protocoles, alors toute l’explication est là : les messages verts sont de simples SMS/MMS, expliquant le manque de fonctions et de qualité. La question serait plutôt de savoir pourquoi Apple n’a jamais pris en charge le RCS. D’autant que la situation va changer, puisque cette intégration a déjà été annoncée pour cette année.
Montres connectées, applications bancaires et NFC
Ensuite, Apple rendrait intentionnellement l’utilisation de montres connectées de marques concurrentes plus compliquée sur iPhone. Une intention qui se manifesterait de trois façons : en rendant complexe la réponse aux notifications émises par l’iPhone, la réception de ces mêmes notifications via la connexion cellulaire de la montre, et en limitant les possibilités sur le Bluetooth, là où l’Apple Watch aurait un traitement de faveur.
Sur les activités bancaires, le DoJ tire à boulets rouges. Apple aurait ainsi « empêché les développeurs tiers de créer des portefeuilles numériques concurrents sur l'iPhone qui utilisent ce que l'on appelle la fonctionnalité "tap-to-pay" ». À la place, Apple s’est inséré entre les utilisateurs et « leur banque, leur prestataire de soins médicaux ou un autre tiers de confiance ».
« Lorsqu'un utilisateur d'iPhone introduit une carte de crédit ou de débit dans Apple Wallet, Apple s'insère dans un processus qui, autrement, pourrait se dérouler directement entre l'utilisateur et l'émetteur de la carte. Cela introduit un point de défaillance potentiel supplémentaire pour la vie privée et la sécurité des utilisateurs d'Apple », affirme le ministère.
« Et ce n'est là qu'un des moyens par lesquels Apple est prêt à rendre l'iPhone moins sûr et moins privé afin de maintenir son pouvoir de monopole », ajoute étrangement Merrick B. Garland, procureur général à l’origine du communiqué.
Un (trop) grand pouvoir
Le ministère rappelle qu’une position de monopole n’est en soi pas un délit. Une entreprise peut tout à fait se hisser à cette position par la qualité de ses produits, par exemple. Il rappelle cependant la définition donnée par la Cour Suprême, selon laquelle le pouvoir de monopole est celui « de contrôler les prix ou d'exclure la concurrence ».
Tout le problème est là pour le ministère : Apple dispose de ce pouvoir sur le marché des smartphones et n’a pas hésité à s’en servir. « Apple a conservé son pouvoir non pas en raison de sa supériorité, mais en raison de son comportement d'exclusion illégal », assène Merrick B. Garland.
Apple se défendra « vigoureusement »
Sans surprise, la firme de Cupertino est vent debout contre les arguments invoqués par le ministère et annonce qu’elle se battra de toutes ses forces.
« Chez Apple, nous innovons chaque jour pour créer des technologies que les gens aiment, en concevant des produits qui fonctionnent parfaitement ensemble, qui protègent la vie privée et la sécurité des gens, et qui créent une expérience magique pour nos utilisateurs. Ce procès menace notre identité et les principes qui distinguent les produits Apple sur des marchés extrêmement concurrentiels », explique l’entreprise, dont tout le modèle commercial risque de vaciller sous les coups de boutoir conjugués de l’Europe et des États-Unis.
« Si elle aboutissait, [la plainte] entraverait notre capacité à créer le type de technologie que les gens attendent d'Apple, où le matériel, les logiciels et les services s'entrecroisent. Elle créerait également un dangereux précédent, en permettant au gouvernement d'intervenir lourdement dans la conception de la technologie des citoyens. Nous pensons que cette action en justice est erronée sur le plan des faits et du droit, et nous nous défendrons vigoureusement contre elle », poursuit Apple.
Une rhétorique rappelant celle de sa communication face au DMA européen : la simplicité, la cohérence et l’homogénéité de l’environnement seront remis en cause si Apple ne peut pas continuer à faire les choses à sa manière.
Du côté de la Coalition for App Fairness, cofondée notamment par Epic et Spotify, on se réjouit bien sûr. « Avec l'annonce d'aujourd'hui, le ministère de la Justice prend fermement position contre la mainmise d'Apple sur l'écosystème des applications mobiles, qui étouffe la concurrence et nuit aux consommateurs et aux développeurs américains », peut-on lire dans un communiqué.
Les États-Unis attaquent Apple pour abus de position dominante
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Pour le ministère de la Justice, Apple a violé la loi
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Super-applications, streaming, messages…
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Montres connectées, applications bancaires et NFC
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Un (trop) grand pouvoir
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Apple se défendra « vigoureusement »
Commentaires (33)
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Abonnez-vousLe 22/03/2024 à 11h09
Bien sûr, ils réservent peut-être leurs vrais arguments pour le tribunal...
Le 22/03/2024 à 11h09
Le 22/03/2024 à 11h38
Le 22/03/2024 à 19h21
Bref, les 2,8 milliards, c'est juste un moyen de transférer de l'argent de la boite privée vers le gvnt chinois.
Le 22/03/2024 à 11h39
Le 22/03/2024 à 20h01
Le 23/03/2024 à 01h10
Le 22/03/2024 à 11h39
Le 22/03/2024 à 13h09
Le 22/03/2024 à 19h39
1. Freiner le monopole, pour favoriser la concurrence intérieure, mais en s'affaiblissant à l'international => on partage mieux le gâteau, mais qui rétrécie au fil du temps.
ou
2. Garder le monopole, ça fait râler en interne, mais ça permet de plus facilement dominer l'international => on garde un gros gâteau, mais les petits acteurs doivent se contenter de plus petites parts.
Entre une grosse part d'un petit gâteau, ou une petite part d'un gros gâteau, la taille de la part est la même pour les petits acteurs. Sauf qu'au niveau international, bah le gâteau est plus petit pour les USA.
Quand les USA étaient seuls maitres du monde, bah tu peux te permettre de casser tes monopoles, aucun acteur international ne vient te piquer tes parts de marché à l'international. Aujourd'hui, c'est différent, si t'affaiblis un acteur US, ça profite directement à la Chine.
Parce que la Chine de son coté, elle en a rien à faire d'avoir des gros monopoles, du moment qu'elle s'étend à l’international.
Après, j'en sais rien de ce qui est mieux pour nous ou pas, USA/Chine... Je me dis qu'avec les USA, tant qu'on reste à notre place, l'Histoire montre qu'on n'a rien à craindre d'eux. La Chine, je sais pas.
Un reportage intéressant de France TV: YouTube
Le 23/03/2024 à 14h40
Les EUA veulent imposer, y compris par la force, un modèle compatible avec leur organisation économico-sociale.
Par exemple, un américain mange l'équivalent annuel de 5 planètes. Pour continuer à l'alimenter, les EUA doivent sans cesse trouver des ressources. Ainsi, raisonnablement, pourquoi avoir besoin d'une itération annuelle d'Iphone pour laquelle, Apple devra trouver les ressources humaines et moyens de production en nombre (d'où le recours à la Chine) si ce n'est pour alimenter la machine à consommation américaine?
Tant que les EUA resteront sur ce modèle, ils seront aussi dans une stratégie impérialiste du monde* là où la Chine recherche plutôt la collaboration.
Je ne dis pas pour autant que la Chine est un modèle préférable, je dis surtout qu'il serait temps de cesser de tout miser sur les EUA.
*Ainsi, nous allons bientôt voir par qui la France a été sorti d'Afrique.
Le 25/03/2024 à 09h53
Par la Russie, il n'y a pas d'ambiguïté là dessus. Les USA sont aussi en train de subir la manipulation des opinions dans des pays d'Afrique identifiés comme fragiles par la Russie.
"Tant que les EUA resteront sur ce modèle, ils seront aussi dans une stratégie impérialiste du monde [...] là où la Chine recherche plutôt la collaboration."
Certainement, ça se voit d'ailleurs à tous les pays annexés par les USA, et par le fait que la Chine ne s'installe jamais dans les eaux internationales, ni ne va chercher les poux à ses voisins dans leurs propres eaux internationales.
Le 25/03/2024 à 18h38
Les Chinois sont historiquement un pays moins belliqueux que les EUA, c'est factuels, il suffit de regarder les conflits depuis la 2nd guerre mondiale où les EUA c'est presque 2 x plus que la Chine.
Je rappelle le budget 2024 des EUA DoD c'est 864 Mds$. La Chine c'est 231 Mds$.
Je ne ferai pas le ration par habitant hein mais bon
Bref, ce ne veut pas dire pour autant que les Chinois ne représente pas une menace mais elle est différente, moins agressive et plus efficace que la poudre.
Le 27/03/2024 à 10h46
La position et les intentions belliqueuses de la Chine ne sont même quasiment plus cachées, il ne faut pas se voiler la face : le discours actuel de Xi est le même que celui de Poutine il y a qql années. Et le but ultime, c'est toujours d'imposer le communisme au monde entier (merci, mais non merci).
Ce n'est pas si simple que ça. À deux exceptions près, les interventions des USA ont toujours eu deux buts : l'intervention dans des conflits (guerres civiles ou guerres interétatiques) virant au génocide, ou blocage du développement du communisme (ce dernier étant une idéologie non seulement expansionniste, raison pour laquelle tes analyses sur la Chine ne tiennent pas, mais en plus absolument inhumaine - 50 millions de morts pour la seule Chine communiste) au Vietnam et en Corée (l'ouverture des hostilités étant à l'initiative de la CdN) notamment.
Pour le reste, toutes les interventions des USA ont pour but premier une expansion des démocraties (ça ne marche pas toujours, mais des fois si), et jamais la conquête, au contraire de la Russie ou de la Chine (qui en est à construire des îlots artificiels en pleine mer pour s'arroger le contrôle des eaux internationales), qui n'ont jamais libéré personne de l'Axe pendant la seconde guerre mondiale (la Russie a profité de l'occasion pour annexer toute l'Europe de l'Est). Pour finir sur les dépenses militaires américaines : en part du PIB ça reste peu (3.5%), et ça pourrait être moins si les Européens assumaient leur part du fardeau de la défense des pays démocratiques (au lieu de se palucher sur les dividendes de la paix qui sont en train de nous revenir en pleine poire).
Et si tu considères les Chinois comme étant moins belliqueux, tu te fourres le doigt dans l'oeil. Les Chinois, c'est JC Dusse : ils savent pas ce qui les retient de nous casser la g..., mais c'est la trouille. Sans les USA, ça fait longtemps qu'ils seraient à Taiwan, aux Philippines et chez d'autres voisins (ils s'installent aussi tranquillement en Russie).
Ça doit être pour ça que les affaires étrangères des USA s'alarment de la perte de leur influence en Afrique au profit de la Russie.
https://www.foreignaffairs.com/articles/africa/2022-02-17/russia-has-big-plans-africa
https://www.cfr.org/backgrounder/russias-growing-footprint-africa
The Guardian
Le 27/03/2024 à 20h16
Le 22/03/2024 à 11h40
Le 22/03/2024 à 16h07
Le 22/03/2024 à 13h26
Le 22/03/2024 à 13h42
Le 22/03/2024 à 17h05
Le 22/03/2024 à 17h36
Le 22/03/2024 à 18h46
Le 22/03/2024 à 13h39
Depuis je crois pas avoir entendu de "oui mais nos produits sont moins bien parce qu'on donne les mêmes possibilités aux autres !"
Le 22/03/2024 à 15h38
Il l'a fait, en sabotant le HTML, Javascript, Java, mais maintenant ce n'est plus le cas.
Et Microsoft garde assez peu de secrets: la doc est énorme, quasi complète, plutôt à jour même sur des fonctionnements internes de Windows, SQL Server (moins Office et surtout Office 365)
Le 15/04/2024 à 17h02
Modifié le 22/03/2024 à 15h28
Le 22/03/2024 à 15h08
Il reproche un abus de position dominante.
C'est quand même marrant que ce concept soit si difficile à appréhender.
Le 22/03/2024 à 15h21
Ah non ça y est déjà plusieurs fois :p
Le 22/03/2024 à 19h51
signé: un fanboy Apple en plein déni.
Le 22/03/2024 à 23h27
il y a sans doute quelques raisons de venir secouer Apple, n’en doutons pas.
Mais une partie de l’accusation s’attaque au fondement même, au particularisme de Apple. Qui a mis de loooongues années à convaincre (de manière large) sur son modèle, modèle qui a fait ses preuves.
Aujourd’hui qu’ils sont en haut de l’affiche et ont convaincu, on évoque ce modèle même pour venir justifier une procédure : qui n’a pas besoin de ça à mon sens. Il y a quelques points sur lesquels taper et donner sa leçon à La Pomme. Sans besoin de sortir cet argumentaire en grande partie mâtiné de bullshit.
Le 25/03/2024 à 10h00
Le 25/03/2024 à 13h53
Les 150 millions ont permis de régler ce différend, de sauver les fesses d'Apple, d'éloigner la menace d'un procès d'abus de position dominante pour MS, et, cerise sur le gâteau, de faire de IE le navigateur par défaut sur les Mac pendant une durée déterminée (2, 3 ou 5 ans, je ne sais plus).
Le 24/03/2024 à 09h34