Le Sénat fracasse l’Open Data des décisions de justice
Dataclysme
Le 25 octobre 2017 à 07h36
5 min
Droit
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Contre l’avis du gouvernement, le Sénat a adopté cette nuit des dispositions visant à limiter très strictement l’ouverture des décisions de justice (telle que prévue par la loi Numérique). Pour certains parlementaires, cette décision est synonyme d’un considérable retour en arrière.
La loi Numérique vient à peine de fêter son premier anniversaire que la haute assemblée voudrait déjà y apporter quelques modifications. Tard hier soir, les sénateurs ont en effet voté les articles 6 et 9 de la proposition de loi « pour le redressement de la justice », lesquels ont vocation à compléter le texte porté jadis par Axelle Lemaire, l’ancienne secrétaire d’État au Numérique.
Alors qu’il est prévu que l’ensemble des décisions rendues par les juridictions judiciaires et administratives soient à terme mise en ligne gratuitement en Open Data, certains sénateurs s’inquiètent du risque de ré-identification des personnes – quand bien même il est bien évidemment prévu que ces jugements soient anonymisés, comme pour les publications qui ont d’ores et déjà lieu sur le site Légifrance.
Ces parlementaires, menés par le président de la commission des lois, Philippe Bas (LR), pointent surtout « un risque de perturbation de l'office du juge et du cours normal de la justice ». Selon eux, il serait « possible de dresser un profil moyen des jugements rendus par chaque juridiction dans tel ou tel type de contentieux ». Si les critères de l'affaire s'y prêtent, poursuivent-ils, certains justiciables pourraient « choisir le tribunal le plus à même de satisfaire [leurs demandes], en fonction de sa jurisprudence ».
« Le risque zéro n’existe pas »
Pour éviter ces « dérives possibles », le Sénat a donc introduit des dispositions pour que les modalités de mise à disposition de la jurisprudence « préviennent tout risque de ré‑identification des magistrats, des greffiers, des avocats, des parties et de toutes les personnes citées dans les décisions, ainsi que tout risque, direct ou indirect, d’atteinte à la liberté d’appréciation des magistrats et à l’impartialité des juridictions ».
Une tâche « difficile, voire impossible », s’est insurgé le centriste Yves Détraigne à l’approche des débats. Au travers d’un amendement visant à retirer la réforme envisagée par la proposition de loi de Philippe Bas, et soutenu par neuf autres sénateurs, le parlementaire faisait valoir qu’un tel tour de vis reviendrait à « ré-anonymiser » les décisions qui sont déjà sur Légifrance, ou à toutes les supprimer...
Et pour cause. « Les expérimentations techniques conduites jusqu’à présent pour anonymiser les décisions démontrent que le risque zéro n’existe pas – les experts estiment que les marges d’erreur varient entre 1 % et 10 % », admettait il y a peu Axelle Lemaire, montée exceptionnellement au créneau pour défendre sa loi. On voit dès lors mal comment il serait possible, demain, d’éliminer « tout risque » de ré-identification...
L’exécutif attend le rapport Cadiet avant de se positionner clairement
Lors des débats d’hier, très succincts, Yves Détraigne n’a pas réussi à se faire entendre de la majorité sénatoriale. L’élu a eu beau rappeler que tous les professionnels du droit ne partageaient pas forcément les craintes de Philippe Bas (le Conseil national des barreaux s’étant par exemple opposé à l’occultation du nom des avocats), rien n’y a fait.
« La majorité des magistrats est pour l'anonymisation, les greffiers également, a rétorqué le rapporteur Jacques Bigot (PS). Chez les avocats, les avis divergent : certains voient dans l'absence d'anonymisation une forme de publicité indirecte ». L'élu, qui avait durci le texte lors des débats en commission, a sans surprise émis un avis défavorable à l'amendement de suppression d'Yves Détraigne.
Sur le banc du gouvernement, la ministre Nicole Belloubet est restée extrêmement discrète. La Garde des Sceaux s’est en effet contentée d’apporter son soutien au centriste, « parce que la Chancellerie attend les conclusions de la mission qu'elle a confiée à M. Loïc Cadiet sur l'application des articles 20 et 21 de la loi pour une République numérique [qui portent sur la mise en Open Data des décisions de justice, ndlr] ».
Les sénateurs ont ensuite adopté les dispositions en vertu desquelles le premier président et le procureur général de la Cour de cassation devront veiller « à ce que la réutilisation des informations figurant dans les décisions mises à la disposition du public (...) favorise l’harmonisation des jurisprudences, prévienne le contentieux en matière civile, contribue à améliorer la qualité des décisions de justice et ne porte pas atteinte à la liberté d’appréciation des magistrats et à l’impartialité des juridictions ».
La proposition de loi de Philippe Bas a été transmise à l’Assemblée nationale.
Le Sénat fracasse l’Open Data des décisions de justice
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« Le risque zéro n’existe pas »
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L’exécutif attend le rapport Cadiet avant de se positionner clairement
Commentaires (80)
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Abonnez-vousLe 25/10/2017 à 07h51
Selon eux, il serait « possible de dresser un profil moyen des jugements rendus par chaque juridiction dans tel ou tel type de contentieux ». Si les critères de l’affaire s’y prêtent, poursuivent-ils, certains justiciables pourraient « choisir le tribunal le plus à même de satisfaire [leurs demandes], en fonction de sa jurisprudence ».
C’est ça surtout qu’ils veulent éviter, d’avoir une mesure de perf, du profilage des tribunaux.
Par contre, je ne comprends pas, de mémoire, toutes les décisions de justices sont publiques non ?
Le 25/10/2017 à 08h02
Les juges veulent garder leur neutralité, ils ne vont sûrement pas vouloir faire partie d’un hitparade
Le 25/10/2017 à 08h10
Le 25/10/2017 à 08h19
Le 25/10/2017 à 08h20
+1 De plus il faut ajouter le risque pour les justiciables : sur legifrance faites une recherche dans les décisions avec “@gmail.com” ou autre et vous trouverez pas mal d’exemples de données pas anonymisées (mail avec nom et prénom) avec les risques que cela comporte comme ici ou un certain Christian B utilise le mail [email protected].
Le 25/10/2017 à 08h27
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Le 25/10/2017 à 08h37
+1. Surtout pas de statistiques pouvant mener à une classification/différenciation.
Il faut maintenir l’idée que les petits-pois sont parfaitement interchangeables. " />
Le 25/10/2017 à 08h41
Le 25/10/2017 à 08h44
Mine de rien il y a une certaine logique.
On constate ce que ça donne aux US, où certains états & certains tribunaux sont tellement orientés que ça en devient quasiment une industrie (ex: La législation sur les brevets au Texas qui a donné les patent-troll).
Sans aller jusque là en France, c’est sur qu’en “choisissant” bien le lieu du procès (chose qui est certainement plus facile à faire pour une société qu’un particulier…) , il serait possible “d’orienter” plus favorablement certaines affaires….
Le 25/10/2017 à 08h49
Pour les justiciables il n’y a pas de débat, bien sûr que ça doit être anonymisé. En revanche pour les professionnels, c’est compliqué.
Le 25/10/2017 à 08h57
Ces parlementaires, menés par le président de la commission des lois, Philippe Bas (LR), pointent surtout « un risque de perturbation de l’office du juge et du cours normal de la justice ». Selon eux, il serait « possible de dresser un profil moyen des jugements rendus par chaque juridiction dans tel ou tel type de contentieux ». Si les critères de l’affaire s’y prêtent, poursuivent-ils, certains justiciables pourraient « choisir le tribunal le plus à même de satisfaire [leurs demandes], en fonction de sa jurisprudence ».
Sauf que… ça existe déjà depuis longtemps. Depuis les débuts de la justice, je dirais même.
Les avocats savent déjà quelle est la tendance de tel ou tel tribunal, voire pour certains, les affinités de certains magistrats.
De même, de nombreuses sociétés choisissent des tribunaux dont ils savent justement que les jugements leur seront le plus souvent favorables.
Le caractère humain fait partie du jeu et tout le monde est au courant.
C’est un peu faux-cul de sortir ce prétexte maintenant alors que ça n’a jamais gêné personne auparavant.
Pour éviter ces « dérives possibles », le Sénat a donc introduit des dispositions pour que les modalités de mise à disposition de la jurisprudence « préviennent tout risque de ré‑identification des magistrats, des greffiers, des avocats, des parties et de toutes les personnes citées dans les décisions, ainsi que tout risque, direct ou indirect, d’atteinte à la liberté d’appréciation des magistrats et à l’impartialité des juridictions ».
Faudra m’expliquer comment ces identifications pourront porter atteinte à une quelconque liberté d’appréciation ou impartialité des magistrats.
Bien au contraire, cela permettra de vérifier qui agit comment, voir même de savoir pourquoi ils agissent ainsi.
Je sens qu’on va découvrir de grosses horreurs (corruption et malversation) sur certains juges.
C’est bien beau de vouloir défendre la magistrature mais encore faut-il arrêter de vouloir la rendre totalement irresponsable de ses vicissitudes et ses comportements humains.
La justice souffre depuis trop longtemps d’une irresponsabilité des magistrats: il serait peut-être de rééquilibrer la chose non?
Le 25/10/2017 à 09h00
Assez amusant de voir la façon dont est traité cette nouvelle sur un site qui est ouvertement contre le big Data et ses dérives.
Un parfait exemple d’une idée de départ parfaitement louable dans un monde de bisounours mais qui pourrait être détournée dans la vraie vie…
Le 25/10/2017 à 09h03
le souci avec l’anonymisation c’est de garantir un résultat sur l’existant, mais aussi dans la durée.
vouloir une ano à 100% dès le départ, c’est effectivement demander la lune.
je ne sais pas comment sont stockées les décisions de justice, mais si c’est du full text, c’est un défi énorme à relever, en fonction des données à anonymiser et des règles d’anonymisation choisies (et du budget évidemment).
il y a un très bon podcast de nolimitsecu sur le sujet (c’est une sale habitude chez eux ^^).
Le 25/10/2017 à 09h05
Le 25/10/2017 à 09h07
Le 25/10/2017 à 09h18
Le 25/10/2017 à 09h18
L’un des deux est un dépositaire de l’autorité par délégation de la puissance publique.
Ca ne me parait pas aberrant que l’autorité suprême (= le peuple souverain) puisse surveiller un peu les usages fait de cette délégation d’autorité. non ?
Le 25/10/2017 à 09h25
Le 25/10/2017 à 09h27
Le 25/10/2017 à 09h28
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Le 25/10/2017 à 10h23
Le 25/10/2017 à 10h24
Le 25/10/2017 à 13h02
Le 25/10/2017 à 13h24
Le 25/10/2017 à 13h25
Le 25/10/2017 à 13h46
J’attaque tes arguments en y répondant et tu le sais (et je prends assez de temps pour ça accessoirement).
Si j’ai écrit un “espèce d’âne”, c’est à force d’exaspération.
Que tu connaisses le milieu de la justice, c’est possible, mais vu tes COMMENTAIRES ici, c’est comme si tu connaissais plutôt mal. Je ne suis pas le seul à avoir critiqué tes propos.
Le 25/10/2017 à 13h57
Le 25/10/2017 à 14h10
Une fois que ces données seront ouvertes, l’Etat pourra appliquer tous les correctifs qu’on peut imaginer, ce sera trop tard. Du coup je trouve ça plutôt bien qu’ils réfléchissent un peu avant.
Le 25/10/2017 à 14h14
Le 25/10/2017 à 14h22
Pardon, mais tu présupposes beaucoup. Là, le Sénat veut acter que les données à publier soit anonymisées correctement, sachant que le boulot va être difficile, que c’est nécessaire pour les citoyens dont les noms se retrouvent dans les comptes-rendus de décision et s’interroge de savoir si ça l’est pour les magistrats et avocats.
Et effectivement, le Sénat s’inquiète de savoir ce que pourrait faire un mauvais citoyen de telles données, mais dans la mesure où il y a des mauvais citoyens, c’est légitime, d’autant que les mauvais citoyens pourraient aussi utiliser ces données pour faire du tort à de bons citoyens (ou de moins bons qui ne mérite par pour autant une 2e peine) plutôt que de foutre le feu aux barreaux de France et de Navarre.
Le 25/10/2017 à 16h35
Le 25/10/2017 à 16h37
Le 25/10/2017 à 16h51
Le 25/10/2017 à 17h00
Mais bon sang, encore une fois, ça n’a rien à voir avec le fait de publier en open data les décisions de justice.
On n’a pas besoin de la publication en open data pour ça, on le fait déjà.
“on” le fait déjà? Qui est ce “on”?
Le CSM? (si oui, ça veut dire que tu trolles et ne connais rien au sujet)
Le 25/10/2017 à 17h04
Le 25/10/2017 à 17h05
Le 25/10/2017 à 17h08
Pour ceux qui se posent la question les décisions de justice originales sont pour l’instant au format papier une fois signées à l’encre par le juge et le greffier. La Cour de cassation a déjà rendu au moins une décision au format entièrement dématérialisé mais je ne sais pas si depuis ils ont généralisé la pratique. La signature électronique arrive doucement en juridiction classique mais les applications de production des jugements ne l’intègre pas encore.
Le 25/10/2017 à 17h26
Le 25/10/2017 à 10h41
Le 25/10/2017 à 10h46
Le 25/10/2017 à 11h04
Le 25/10/2017 à 11h07
Le 25/10/2017 à 11h07
Tu as lu le lien que tu mets ? 1ere phrase:
Vous ne pouvez pas consulter l’avis d’impôt sur le revenu d’une tierce personne.Tu peux obtenir certains details, mais l’avis complet non.
Le 25/10/2017 à 11h11
Le 25/10/2017 à 11h16
Le 25/10/2017 à 11h20
Le 25/10/2017 à 11h21
Le 25/10/2017 à 11h30
Le 25/10/2017 à 11h35
Le 25/10/2017 à 11h45
Je pense que les technologies de la communication ont suffisamment évoluées pour s’éloigner du modèle fermé dans lequel seul une élite aurait accès à l’information et où la plèbe devrait se contenter de croire tout ce que pensent, font et disent la classe dirigeante.
Bref, j’ai la faiblesse de croire que la république n’est pas un asile d’aliéné dans lequel le président serait le directeur, les fonctionnaires seraient le personnel hospitalier et les citoyens les débiles mentaux.
(ok la dernière phrase est un peu trollesque, mais vous voyez l’idée)
Le 25/10/2017 à 11h53
Le 25/10/2017 à 11h58
Le 25/10/2017 à 12h21
Le 25/10/2017 à 12h28
Le 25/10/2017 à 18h08
Le 25/10/2017 à 18h16
Le 25/10/2017 à 20h05
Le 26/10/2017 à 09h24
Le 26/10/2017 à 09h45
Le 26/10/2017 à 12h29
Le 26/10/2017 à 12h37
Oui, mais certains, ici, voudraient tout savoir (pour soit-disant choisir son procureur à la carte et écarter les autres)
Le 26/10/2017 à 14h24