Pour la première fois, des ondes gravitationnelles observées par trois instruments
Et ça change pas mal de choses
Le 28 septembre 2017 à 13h25
8 min
Sciences et espace
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Et de quatre. Une nouvelle fournée d'ondes gravitationnelles a été détectée par des scientifiques. Un « détail » change cette fois-ci : trois instruments les ont mesurées, contre deux auparavant. L'air de rien, c'est important, car cela permet de localiser la source avec plus de précision et de procéder à des analyses complémentaires. Explications.
Le 11 février dernier, une importante découverte était annoncée par les chercheurs des collaborations LIGO aux États-Unis et Virgo en Italie (le CNRS est membre fondateur dans le second cas) : la première détection directe d'ondes gravitationnelles, lors de mesures le 14 septembre 2015.
Deux physiciens français ont d'ailleurs obtenu la médaille d'or du CNRS pour leurs travaux : Alain Brillet et Thibault Damour. Pour rappel, elles avaient été prédites il y a plus de 100 ans par Einstein dans son principe de relativité générale. Le travail sur les ondes gravitationnelles a déjà été récompensé par un prix Nobel de physique en 1993 pour Russell A. Hulse et Joseph H. Taylor Jr. À l'époque, ils apportaient une preuve indirecte de leur existence.
Depuis, une deuxième détection a été annoncée le 15 juin 2016 (données enregistrées le 26 décembre 2015), suivie d'une troisième le 1er juin 2017 (données du 4 janvier 2017). Aujourd'hui, c'est donc la quatrième détection (sur des données relevées le 14 août 2017), mais celle-ci est particulière à plus d'un titre : c'est la première fois qu'elle est enregistrée par trois instruments à la fois : les deux de LIGO et celui de Virgo.
Des versions « Advanced » des instruments pour arriver à ce résultat
Avant d'entrer dans le vif du sujet, un rappel. Sylvie Leon, scientifique spécialisée dans la physique fondamentale au CNES, explique qu'une onde gravitationnelle est une « oscillation de l’espace-temps », une notion plus difficile à cerner qu'il n'y parait (voir cette actualité sur le voyage dans le temps). Pour simplifier, on peut les représenter comme « de petites vaguelettes qui se propagent dans la structure de l’espace-temps et qui changent sa géométrie ». Nous avons déjà longuement détaillé leur fonctionnement dans cette actualité.
Pour mesurer ces infimes variations de l'espace-temps – de l’ordre du milliardième de la taille d’un atome –, les scientifiques utilisent des interféromètres de Michelson. Il s'agit d'un instrument de plusieurs kilomètres de long formant un « L » : un faisceau laser est envoyé par un émetteur et fait plusieurs allers/retours dans les deux bras de l'appareil (qui ont exactement la même longueur). Une fois que les deux faisceaux se retrouvent, l'instrument mesure s'il y a un décalage. Si c'est le cas, alors une onde gravitationnelle a déformé l'espace-temps lors de la mesure.
Il faut donc une précision redoutable pour effectuer les mesures. LIGO n'a d'ailleurs détecté les premières ondes gravitationnelles qu'après une mise à jour dite « Advanced » afin d'augmenter « grandement » la sensibilité de ses instruments. De son côté, Virgo n'a eu droit à sa version Advanced qu'au 1er août, légèrement en retard sur le calendrier qui prévoyait fin 2016. Sans cette amélioration, Virgo n'aurait probablement pas pu détecter l'onde du 14 août.
« Virgo est équipé de miroirs plus lourds, de faisceaux plus gros, et d'une instrumentation mieux isolée qui permet d'améliorer sa sensibilité d'un facteur pouvant aller jusqu'à 10. On peut d’ores et déjà voir 2 à 3 fois plus loin qu'avec le Virgo initial » explique Benoît Mours (membre de l'équipe Virgo au Laboratoire d'Annecy de Physique des Particules) à nos confrères de Sciences et Avenir.
Trois détections ouvrent la voie à une « triangulation »
Cette quatrième détection (et première conjointe) s'est déroulée le 14 août 2017 à 9h30 heure française. Advanced LIGO à Livingston en Louisiane (États-Unis) est le premier à enregistrer cette petite vaguelette, observée 8 millièmes de seconde plus tard par Advanced LIGO à Hanford dans l’État de Washington (États-Unis également) et enfin 6 millièmes de seconde après par Advanced Virgo à proximité de Pise (Italie).
Avec deux instruments seulement, la provenance des ondes gravitationnelles n'était pas évidente à déterminer : « la zone de recherche dans le ciel s'étendait sur une zone équivalant à plusieurs milliers de fois la surface de la pleine Lune » explique le CNRS. Avec trois, elle est environ dix fois plus petite : 80 degrés carré, soit environ 320 fois la taille de la pleine Lune dans le ciel. De plus, l'estimation de la distance de la source d'émission des ondes gravitationnelles est deux fois meilleure.
Ces données de meilleure qualité améliorent donc « les chances d'observer des signaux avec d'autres instruments ». Suite à cette découverte, 25 groupes d'astronomes ont scruté cette partie de l'espace, notamment à la recherche d'un signal optique, mais n'ont rien pu observer.
Afin de mieux appréhender la précision apportée par le troisième instrument, Virgo propose une carte de l'Univers avec l'emplacement des fusions des trous noirs ayant entrainé des ondes gravitationnelles mesurées :
Zone de détection : en bleu LIGO, en orange LIGO et Virgo, en vert une projection affinée par ordinateur
Quand deux trous noirs ne font plus qu'un
Dans le cas présent, ces ondes gravitationnelles proviennent de la fusion de deux trous noirs. Le premier avait une masse équivalente à 25 fois celle de notre Soleil, contre 31 fois pour le second. La masse du trou noir en résultant est de 53 fois celle de notre étoile. Avec un rapide calcul (25 + 31 - 53 = 3) on se rend compte que trois masses solaires ont disparu dans cette opération. Cela représente tout de même près de 6x10^30 kg ou encore presque 1 000 000 fois la masse de la Terre, excusez du peu.
Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme comme disait Lavoisier. La matière a été transformée en une énergie colossale qui secoue donc l'Univers sous la forme d'ondes gravitationnelles. Pour vous donner un ordre de grandeur de l'énergie dégagée, rappelez-vous la fameuse formule d'Einstein : E = mc² (« c » étant la vitesse de la lumière).
Dans le cas présent, cette fusion s'est déroulée à 1,8 milliard d'années-lumière, ce qui signifie que les ondes se sont propagées dans l'espace pendant 1,8 milliard d'années avant d'arriver sur la Terre (et de continuer leur route évidemment).
Fonctionnement des noms : GW (Gravitation Waves) xx (année) yy (mois) zz (jour). GW170814 correspond donc au 14 août 2017.
Saviez-vous qu'il existe plusieurs théories sur le type d'ondes gravitationnelles ?
Si Advanced Virgo permet de localiser plus finement l'origine des ondes, ce n'est pas son seul avantage : « Son orientation, différente de celle des deux instruments LIGO. Ceci rend possible de nouveaux tests de la théorie de la relativité générale, élaborée par Albert Einstein, qui décrit la force de gravitation » explique le CNRS.
Dans sa théorie, Einstein explique que l'espace s'étire dans un sens tout en se contractant dans un autre. D'autres pensent au contraire qu'il se déforme dans une seule direction, voire dans toutes les directions à la fois, différentes théories existant sur le sujet. Pour le centre national de la recherche scientifique, l'analyse des signaux permet de confirmer la théorie d'Einstein et « c'est un prélude à de futurs tests plus poussés de la relativité générale ».
Les trous noirs abondants dans l'Univers, mais en quoi est-ce important ?
Quoi qu'il en soit, « ce nouvel événement confirme que les couples de trous noirs sont relativement abondants » dans l'Univers. Avec trois détecteurs en service, nul doute que les annonces vont continuer d'aller bon train. Rendez-vous au prochain épisode afin de savoir ce que les ondes gravitationnelles peuvent nous apprendre de plus.
Les possibilités sont nombreuses. Pour les scientifiques cosignataires de la première publication, « les ondes gravitationnelles portent en elles des informations qui ne peuvent pas être obtenues autrement, concernant à la fois leurs origines extraordinaires (des phénomènes violents dans l’Univers) et la nature de la gravitation ». Pour d'autres, elles peuvent également lever un des mystères de l'Univers : il serait composé à 95 % d'énergie et matière noire invisibles pour nous, mais avec des effets gravitationnels.
Enfin, un des buts ultimes de la recherche sur les ondes gravitationnelles serait de remonter jusqu'au Big Bang ; un événement qui en a produit énormément. Si les scientifiques arrivaient à mesurer ces ondes gravitationnelles, ils auraient « une photo » du milliardième de seconde après le Big Bang.
Pour rappel, des scientifiques essayent actuellement de compiler des données afin d'essayer de créer la première image d'un trou noir. Comme quoi, il nous reste encore énormément de choses à apprendre sur l'Univers.
Le 28 septembre 2017 à 13h25
Pour la première fois, des ondes gravitationnelles observées par trois instruments
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Des versions « Advanced » des instruments pour arriver à ce résultat
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Trois détections ouvrent la voie à une « triangulation »
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Quand deux trous noirs ne font plus qu'un
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Saviez-vous qu'il existe plusieurs théories sur le type d'ondes gravitationnelles ?
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Les trous noirs abondants dans l'Univers, mais en quoi est-ce important ?
Commentaires (30)
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Abonnez-vousLe 28/09/2017 à 13h47
#1
Je me demande si l’orientation différente des instruments est issue d’une réflexion, du hasard ou simplement du fait qu’ils sont chacun éloignés de grandes distances (donc à cause de la courbure de la terre parce qu’on les monte à l’horizontale).
Reste plus qu’à en monter quelques autres avec une orientation complètement différente et le plus loin possible des autres, et on va arriver à faire de bonnes mesures.
Le 28/09/2017 à 13h50
#2
Le 28/09/2017 à 13h53
#3
Fallait bien que quelqu’un fasse la blague !
Mais ne nous inquiétons pas, bientôt sera lancé un satellite pour vérifier que la terre est plate, je pense qu’ils vont être déçus !
Le 28/09/2017 à 13h55
#4
Tout le monde sait qu’elle est plate, ça a encore été montré récemment. #OuvrezLesOeils " />
http://www.begeek.fr/complot-arme-dun-niveau-a-bulle-prouve-terre-plate-250196
Le 28/09/2017 à 14h00
#5
Le 28/09/2017 à 14h09
#6
les premiers pas vers la vitesse de distorsion
Le 28/09/2017 à 14h27
#7
Bel article! Bien expliqué avec l’histoire du bazar." />
Si Einstein avait imaginé ça 100 ans après…ça vend du rêve " />
Le 28/09/2017 à 14h45
#8
Je fais une petite publicité pour la série tv sur Einstein créé par national Geographic.
Genius.
C’est très bon!
Le 28/09/2017 à 14h50
#9
“Comme quoi, il nous reste encore énormément de choses à apprendre sur l’Univers.”
Quelqu’un en doutait ?
Le 28/09/2017 à 14h51
#10
Voilà de la preuve scientifique indiscutable " />
Le 28/09/2017 à 15h15
#11
Rendez-vous au prochain épisode afin de savoir ce que les ondes gravitationnelles peuvent nous apprendre de plus.
Vous allez être étonné !
Le 28/09/2017 à 15h42
#12
Et oubliez pas que les miroirs des 2 instruments sont francais. https://lejournal.cnrs.fr/videos/les-miroirs-les-plus-parfaits-du-monde
Le 28/09/2017 à 16h39
#13
Non, tout est courbe, une droite n’est qu’une courbe redressée " />
Le 28/09/2017 à 17h10
#14
c’est ça que mon ryzen calculait avec BOINC? " />
" />
Le 28/09/2017 à 17h15
#15
" />
Fabriquer en Allemagne, Polie en Californie, Saupoudrer à Lyon
Le 28/09/2017 à 17h20
#16
Le 28/09/2017 à 17h58
#17
Chez moi la bulle ne bouge pas. Ta table ne droit pas être à l’horizontal. " />
Le 28/09/2017 à 22h08
#18
Le 28/09/2017 à 22h16
#19
^^ Bon, allez!
Une dose d’ondes gravitationnelles, et au dodo… " />
Le 29/09/2017 à 06h38
#20
Le 29/09/2017 à 07h41
#21
Le 29/09/2017 à 09h10
#22
C’est marrant, cette fusion des trous noirs, ça fait vraiment penser à la fusion atomique.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Fusion_nucl%C3%A9aire
Deux noyaux se recontre et il y a émission d’énergie.
L’infiniment petit et l’infiniment grand :)
Le 29/09/2017 à 09h20
#23
Le 29/09/2017 à 09h38
#24
Le 29/09/2017 à 12h29
#25
Le 01/10/2017 à 10h14
#26
Le 02/10/2017 à 06h53
#27
Le 02/10/2017 à 08h00
#28
Rien que l’orbite de l’ensemble est hypnotisante !
C’est assez loin 2034, et ça fait une grande distance avec un placement terriblement précis des orbites à faire…
Un vrai cauchemar de calibration d’orbites, en espérant qu’aucune poussière spatiale ne vienne les embêter.
Le 02/10/2017 à 08h19
#29
Le 02/10/2017 à 18h25
#30
Je crois que tu as pas tout compris de l’importance du soupoudrage :)