Les images d’immeubles des domaines nationaux bientôt soumises à autorisation
Extension du domaine de la lutte
Le 24 mars 2016 à 08h24
6 min
Droit
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Dans le cadre du projet de loi Création, les députés ont adopté une disposition interdisant l’utilisation commerciale des images des immeubles des domaines nationaux. Un coup dur pour Wikipedia et le domaine public.
L’amendement adopté par les parlementaires soumet en effet à autorisation « l’utilisation à des fins commerciales de l’image des immeubles qui constituent les domaines nationaux ». Cette autorisation préalable sera nécessaire quel que soit le support et pourra être assortie d’une contrepartie financière, une redevance qui devra tenir compte « des avantages de toute nature procurés au titulaire de l’autorisation ».
L’amendement Kronenbourg
Si on remonte les débats parlementaires, ce texte avait été introduit début février au Sénat, sous le petit nom d’amendement Kronenbourg. Cette référence nous replonge en 2010 lorsque le célèbre brasseur avait illustré une campagne de publicité pour sa bière « 1664 » avec une photographie du château de Chambord. Peu content que son image soit associée à ce breuvage mousseux, le domaine national avait porté le contentieux devant la justice, non sans éteindre les incertitudes juridiques.
Par la suite, les juridictions administratives avaient néanmoins reconnu l’existence d’un régime d’autorisation sans texte. Comme résumé par la ministre de la Culture en séance, ce droit jurisprudentiel permet au propriétaire « soit s’opposer à ces exploitations à des fins commerciales de la reproduction d’un bien appartenant au domaine public, soit de se faire rémunérer pour cette exploitation en raison de l’image de marque qui est utilisée ».
Ses sources d’inspirations se retrouvent également dans un rapport d’évaluation « de la politique de développement des ressources propres des organismes culturels de l’État », publié en juin 2015. Le document, dans son annexe 5, avait suggéré l’instauration d’une telle autorisation dans la loi.
Le sénateur Alain Marc avait plaidé en faveur de cette ponction : « Chaque fois que l’on prend en photo [le viaduc de Millau] et que l’on veut en utiliser l’image à des fins commerciales, il faut acquitter des royalties à la société de Norman Foster. Dès lors, je me dis qu’il ne serait pas idiot, en cette période de vaches maigres, d’adopter les amendements de nos collègues : la rénovation des monuments historiques pourrait être envisagée grâce à l’argent que leur adoption permettrait de récolter. »
Toujours dans cette version sénatoriale, le texte ne concernait à l'origine que les utilisations à des fins « strictement commerciales ». En commission des affaires culturelles, le député Patrick Bloche a dégommé l’adverbe, afin de déployer ce droit à autorisation et redevance beaucoup plus largement.
Des exceptions à l'obligation d'autorisation
En toute dernière ligne droite, juste avant l’adoption du projet de loi Création, l'article a une nouvelle fois été remanié pour lâcher un peu de lest. Il prévient en effet qu’ « aucune autorisation n’est requise pour l’utilisation de cette image dans le cadre de l’exercice de missions de service public, ainsi qu’à des fins culturelles, artistiques, pédagogiques, d’enseignement, de recherche et d’illustration de l’actualité ».
En résumé, cet article, adopté avec avis favorable de Patrick Bloche et d’Audrey Azoulay, va donc interdire toute utilisation commerciale de l’image d’un monument issu des domaines nationaux, quand bien même celui-ci est dans le domaine public. Les seules utilisations commerciales, sans autorisation, seront celles liées à l’exercice des missions de service public, ou à la Culture, l’enseignement et la pédagogie, l’art, la presse et la recherche.
L’utilisation commerciale et les réseaux sociaux
L’article ouvre donc beaucoup d’exceptions en façade, mais il risque malgré tout de poser quelques soucis d’application sur Internet. Certes, la publicité Kronembourg sera évidemment concernée, mais d’autres pratiques de dissémination des images sont potentiellement dans le viseur compte tenu de la large amplitude du concept d’ « utilisation à des fins commerciales ».
Est-ce que par exemple une image postée sur Facebook sera soumise à autorisation (et redevance) ? Certes, pour l’utilisateur, il n’y a aucune destinée financière dans la mise en ligne, mais la présence de publicités placardées par le réseau social ne risque-t-elle pas d’enclencher ce critère ?
L’imbrication avec la liberté de panorama
De même, cette disposition va devoir s’imbriquer soigneusement avec la liberté de panorama exception en pénible voie de reconnaissance dans le projet de loi sur la République Numérique. Désormais au Sénat, ce texte prévoit plusieurs conditions cumulatives imposées pour autoriser ces prises de vue. Il doit s’agir d’une œuvre architecturale ou sculpturale, placée en permanence sur la voie publique, reproduite et diffusée par des particuliers et surtout à des fins non lucratives.
Si on croise l’amendement Kronenbourg et la nouvelle exception, on peut craindre quelques frictions juridiques, par exemple l’utilisation non commerciale d’une image par une association dont l’objet est étranger à la culture, l’enseignement, la pédagogie, l’art, la presse ou la recherche.
La question des licences utilisées par Wikipédia
Plus lourdement, les licences attachées aux photos sur Wikipédia, représentant des monuments des domaines nationaux, risquent d’en pâtir. Alors que l’encyclopédie en ligne a lancé sur le sujet une pétition en ligne, ses licences pourront beaucoup moins librement autoriser les utilisations commerciales (toutes les licences Creative Commons non estampillées « NC » ) ou les utilisations non commerciales par des personnes autres que les personnes physiques.
Ces débats interviennent alors que la Commission européenne a justement lancé une consultation sur la liberté de panorama dans toute l’Europe où elle évoque justement « l’instauration d’une exception au niveau de l’UE s'appliquant aux utilisations non commerciales d’œuvres ». La France a donc préféré prendre les devants sans attendre les futures conclusions de ces travaux européens...
Les images d’immeubles des domaines nationaux bientôt soumises à autorisation
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L’amendement Kronenbourg
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Des exceptions à l'obligation d'autorisation
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L’utilisation commerciale et les réseaux sociaux
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L’imbrication avec la liberté de panorama
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La question des licences utilisées par Wikipédia
Commentaires (44)
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Abonnez-vousLe 24/03/2016 à 08h31
Je, je… suis une raclure !!!! Je mange à tous les râteliers !!!!
Le 24/03/2016 à 08h31
Wikipedia n’est-elle pas assimilable à de l’enseignement ?
Le 24/03/2016 à 08h34
Pour ces députés là, Wikipedia doit faire parti des GAFA. " />
L’éducation est et doit rester l’apanage de l’état
Le 24/03/2016 à 08h34
moi je comprends pas ce sont des domaines publique en un sens on a tous payé pour qu’il soit la pourquoi les soumettre à autorisation. Le bien commun ne devrai être soumis à aucun droit de redevance faut qu’ils arrêtent avec ce délire
Le 24/03/2016 à 08h42
NeedSumSleep a écrit :
moi je comprends pas ce sont des domaines publique en un sens on a tous payé pour qu’il soit la pourquoi les soumettre à autorisation. Le bien commun ne devrai être soumis à aucun droit de redevance faut qu’ils arrêtent avec ce délire
Et tu trouveras donc normal qu’une marque X puisse faire de la pub, donc du blé, grâce à des images de monuments dont TU paye l’entretien, la restauration ? Cela ne changera rien pour le quidam, les exceptions sont nombreuses. Mais dès que tu veux faire du pognon avec, tu payes. Ça me semble normal.
Le 24/03/2016 à 08h49
Le 24/03/2016 à 09h00
Le 24/03/2016 à 09h00
Le 24/03/2016 à 09h14
Ne pourrait-on pas étendre cette mesures aux sites naturels (falaises, forêts, rivières, lacs ) en effet l’état dépense des fortunes pour entretenir la nature et préserver, et il est anormal que quelqu’un en tire un bénéfice commercial sans s’acquitter d’une contribution.
Par exemple photographier les flamands roses en Camargue permettra de recueillir des fonds pour sauver l’espèce.
Le coucher de soleil sur les iles sanguinaires pourrait même devenir une source de revenus pour l’ile de beauté et on prélèverait sur le billet de chaque touriste un droit de copie privée (exactement comme d’autres le font pour le stockage) pour qu’il ait le droit de photographier ce site (qui ne lui appartient pas, rappelons le). Si il veut en faire un usage commercial (carte postale) il devrait en plus s’acquitter de droits commerciaux.
Il y a là toute une économie à développer, ça créerait même des emplois pour percevoir ces taxes.
Ceux qui ne veulent pas de cette taxe sont contre ces emplois et veulent certainement entretenir le chômage.
Le 24/03/2016 à 09h16
Ca devait manquer de petits fours ou de champagne à la dernière sauterie, manque d’argent pour améliorer les buffets. Voici une nouvelle source de financement !
Le 24/03/2016 à 09h17
Le 24/03/2016 à 09h20
Le 24/03/2016 à 09h22
Le 24/03/2016 à 09h27
Donc augmenter les taxes et abaisser les charges ?
Le 24/03/2016 à 09h29
Le 24/03/2016 à 09h35
Bloche et Azoulay c’est Dupont et Dupond ?
C’est plus le ministère de la Culture c’est le ministère de la Taxation
Le 24/03/2016 à 09h35
Culture, partage de la connaissance toussa… .
Le 24/03/2016 à 09h45
Le 24/03/2016 à 10h05
Ben non, je suis d’accord sur le principe, mais l’air de la campagne est autant voir plus pollué par les pesticides et autres saloperies, donc il faut taxer les citadins pour compenser (d’autant plus que cela égaliserais les niveaux de vie).
Le 24/03/2016 à 10h15
On pourrait aussi dire que ce sont ses employés qui font vivre le patron, mais bon…
Le 24/03/2016 à 10h28
Ne me parlez plus de socialisme ! " />
Le 24/03/2016 à 10h32
oui tu as raison il faut une taxe pour compenser pour les pesticides.
Mais les campagnards peuvent aller dans la forêt ramasser des champignons que les citadins doivent acheter sous cellophane dans l’hypermarché de la zone commerciale donc c’est de la TVA en moins et de l’impôt sur les sociétés en moins pour l’entreprise qui les commercialise. Une taxe sur les bottes en caoutchouc et les grosses chaussures pour marcher dans la gadoue s’impose (si j’ose dire …).
Le 24/03/2016 à 10h37
Eh ben, picatrix est en forme ce matin…
Le 24/03/2016 à 10h42
De plus en plus de forêts étant privatisées, cela est de plus en plus difficile. " />
Il faudrait aussi taxer les citadins car ils ont des commerces de proximité que les campagnards n’ont pas. De même pour les salles de concerts que la campagne n’a pas (quoique cela puisse être un avantage). " />
Le 24/03/2016 à 10h44
Le 24/03/2016 à 10h51
je pense que le stagiaire du gouvernement chargé de la veille technologique sur NXI aura maintenant de bonnes idées de nouvelles taxes à créer pour les quinquennats suivants.
C’est la démocratie 2.0, des suggestions à nos honorables dirigeants pour augmenter les recettes et diminuer la dette.
Le 24/03/2016 à 11h06
Le 24/03/2016 à 11h41
Très joli troll. Un 10⁄10 tu obtiens.
Le 24/03/2016 à 12h02
Le 24/03/2016 à 13h10
Quand j’étais étudiant en archi, je voulais mettre sur pied un magazine dans la lignée de GEO, intitulé “Eglises et cathédrales”. Avec ce texte, il faudrait donc que je remunère l’Etat pour le fait de photographier ces lieux ?
Le 24/03/2016 à 13h20
une disposition interdisant l’utilisation commerciale des images des immeubles des domaines nationaux. Un coup dur pour Wikipedia et le domaine public.
Ai-je râté quelque chose ? S’il s’agit d’utilisation COMMERCIALE, en quoi Wikipedia est-il affecté ?
Ou vouslez-vous dire que l’utilisation commerciale par un tiers de Wikipedia sera affectée… Il suffit de ne pas mettre la photo et reprendre le texte et élément propres à Wikipedia
Le 24/03/2016 à 13h38
Cela ne va rien changer du tout au niveau des recettes :
l’utilisation par des entreprises française va disparaitre : pas de recette
l’utilisation par des entreprises purement étrangères pourront continuer : pas de recette non plus.
Le 24/03/2016 à 13h59
Ah les crevards ont sorti leur loi du jour. C’est mignon comme jour après jours ils crachent à la figure de la liberté pour pouvoir s’en mettre plein les poches.
Le 24/03/2016 à 14h16
C’est pas pour rien qu’ils ont jeté la loi travail dans la fosse aux lions hein.
C’est pour que le public s’occupe d’un truc pendant qu’ils passent ce genre de “loi” .
Le 24/03/2016 à 14h37
Le 24/03/2016 à 14h45
Le 24/03/2016 à 14h46
Le 24/03/2016 à 15h11
Le 24/03/2016 à 15h57
Le 24/03/2016 à 16h14
Les entreprises participent aussi au financement donc oui c’est normal. C’est la définition d’un bien public.
Le 24/03/2016 à 16h17
Parce que tu n’as pas le sens des affaires. C’est justement à cause de ce genre d’usages que tu as des touristes japonais au Louvre.
Si une telle loi avait été votée début 1900, la tour Eiffel n’aurait probablement pas survécu et nous n’aurions pas des millions de touristes pour participer à notre économie et à l’entretien de notre patrimoine.
Le 24/03/2016 à 18h15
Je vois ça comme une énorme porte d’entrée vers la taxation du domaine public…
Le 24/03/2016 à 18h26
a France a donc préféré prendre les devants sans attendre les futures conclusions de ces travaux européens…
L’Europe oui, mais pas chez nous !
Le 24/03/2016 à 20h30