Le SNEP condamné pour avoir voulu filtrer le mot « Torrent » sur Bing et Google
Baïla Amigo !
Le 13 juillet 2016 à 15h20
7 min
Droit
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Les producteurs de musique, représentés par le SNEP, ont vainement attaqué Microsoft et Google afin de faire la chasse au mot « Torrent » dans les résultats de leurs moteurs respectifs. Explications, jugements du 8 juillet 2016 à l’appui.
Non content de profiter des actions de la Hadopi sur les réseaux P2P, au frais du contribuable, le Syndicat national de l’édition phonographique (SNEP) a tenté un joli coup pour purger les moteurs de recherches. Il a soutenu à la porte du tribunal de grande instance de Paris que le mot clé « Torrent » associé avec « Kendji Girac », « Shy’m » et « Christophe Willem » conduit à une majorité de résultats gorgés de contrefaçons des œuvres des artistes respectifs (60 à 89 % des 20 premiers résultats sur Google, 70 % sur Bing).
Il a donc réclamé (en la forme des référés) que Google et Bing soient astreints à un délicat et méticuleux nettoyage, à l’aide d’une mixture composée de javel et d’acide chlorhydrique. Et spécialement, qu’ils soient condamnés à prendre toute mesure permettant d’empêcher « sur leur service de moteur de recherche, quel qu’en soit le nom de domaine de premier niveau, en réponse à toute requête de recherche comprenant le nom de l’un des artistes précités tels que visés au présent dispositif, émanant d’internautes dans les départements français et collectivités uniques ainsi que dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises, l’affichage de tous résultats contenant dans leur nom de domaine le terme « torrent » ».
Dans sa foulée, il souhaitait également que les deux moteurs aient à prendre « dans les mêmes conditions, toute mesure permettant d’exclure la prise en compte par le moteur de recherche du terme « torrent », utilisé comme mot clé, dès lors que ce mot-clé est associé, dans les requêtes de recherche des internautes, avec le nom de l’un des artistes précités ».
En clair, les producteurs ont espéré un filtrage des résultats pour tout nom de domaine ou contenu contenant le mot « Torrent » du moins lorsque le nom de l’un des trois artistes est présent dans la requête tapotée par l'internaute. Pour l’occasion, le SNEP s’est appuyé sur le fameux article L336-2 du Code de la propriété intellectuelle. Une disposition taillée pour leurs intérêts puisqu’elle permet aux ayants droit de réclamer auprès du juge toutes mesures destinées à « prévenir » ou « faire cesser » une atteinte à un droit de propriété intellectuelle ou un droit voisin en ligne auprès de n’importe quel acteur.
Seulement, les rois du microsillon se sont pris un mur.
Face à Google, aucun intérêt à agir
Dans son ordonnance de référé relative à Google (Inc. et France), le tribunal de grande instance de Paris a considéré que le syndicat n’avait pas intérêt à agir. Pourquoi ? Normalement, une telle action doit être fondée pour la défense de l’intérêt collectif des membres du syndicat.
Or, ici, le SNEP a trainé Google devant la justice uniquement pour la défense de trois artistes associés à trois de ses membres producteurs, « excluant de facto les autres artistes dépourvus d’activité récente ainsi que les 38 autres producteurs ». Cette problématique n’a pas été évoquée pour le cas de Bing, du coup le tribunal a utilement examiné les moyens plus au fond.
Face à Bing, la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel
Pour obtenir le nettoyage de Bing, les producteurs en avaient la certitude : « ces mesures ciblées sont proportionnées et efficaces et sont de nature à rendre plus difficiles les consultations non autorisées et à décourager les utilisateurs d’internet et qu’elles ne portent pas atteinte à la libre accessibilité des sites en question, ni à la libre accessibilité à d’autres contenus par ailleurs licites ».
Une analyse évidemment non partagée par Microsoft pour qui « les mesures sollicitées sont imprécises, disproportionnées et inefficaces au regard du but poursuivi, et seraient de nature à la contraindre à mettre en place un système de filtrage préventif » en contrariété- notamment - avec les normes européennes.
Pour trancher cette question, le TGI va se souvenir d’un point que les producteurs ont un peu négligé : la réserve d’interprétation qu’avait émise le Conseil constitutionnel lorsque, au moment de l’examen de la loi Hadopi, il avait eu à examiner ce L336-2. Le juge suprême avait en effet demandé aux juridictions « de ne prononcer, dans le respect de [la liberté d’expression], que les mesures strictement nécessaires à la préservation des droits en cause ». Une réserve rendue impérieuse, les termes de la disposition étant extrêmement larges.
Le point le plus intéressant arrive puisque le TGI va du coup offrir un beau manuel d’utilisation de ce fameux article, terreau du filtrage en France.
La demande des producteurs est indéterminée et générale
Selon les juges, en théorie, la demande exprimée par le SNEP « doit concerner un contenu spécifique et identifiable ». En outre, « les mesures doivent être déterminées et proportionnées et spécifiques pour chaque site énuméré ». Enfin, « elles doivent être précises et nécessaires, efficaces et utiles ». Or, force est de constater que son appétit est bien trop glouton, loin de l’exigence chirurgicale constitutionnelle !
Sa demande est en effet indéterminée puisqu’elle vise aussi bien les phonogrammes actuels des trois artistes, que ceux produits dans le futur. Autre détail, elle est également « générale » puisqu’elle concerne non un site en particulier, mais tous les sites accessibles depuis les moteurs, soit un nombre incalculable !
Quand la justice explique au SNEP ce qu’est le « Torrent »
Pire, les juges reprochent au SNEP d’être parti du postulat qu’un site ayant « Torrent » dans son nom était par nature nauséabond, sans considération de la détermination même de son contenu. Le tribunal va du coup flinguer cette assimilation trop rapide : « le terme “Torrent” est (…) avant tout un nom commun, qui dispose d’une signification en langue française et en langue anglaise, mais également, désigne un protocole de communication neutre développé par la société Bittorrent ».
Bref, « les mesures sollicitées s’apparentent à une mesure de surveillance générale et sont susceptibles d’entraîner le blocage de sites licites ». Mieux encore, ces mesures « ne présentent pas l’efficacité alléguée et ne sont pas strictement nécessaires, car elles visent une pratique marginale, eu égard au nombre de requêtes sur le moteur de recherche Bing, comportant le nom d’un des trois artistes associés au terme “Torrent” et sont susceptibles d’être contournées par les internautes ».
Les demandes du SNEP ont donc été repoussées sans ménagement par le TGI de Paris. Avant de plier bagage, les producteurs devront se délester de 10 000 euros pour Microsoft et autant pour Google pour couvrir les dépens et les frais exposés.
Dernier détail : si le SNEP avait gagné, Google et Bing auraient été contraints de bloquer l'accès à toutes les pages de TorrentFreak où, dans les commentaires, quelqu'un aurait pris le pseudo de Shym ou parlé d'elle. De même, les producteurs auraient automatiquement obtenu le non-référencement de tous les articles de presse évoquant leur succès, dès lorsqu’ils auraient utilisé le terme « Torrent » dans le titre. Enfin, si Kendji Girac, Shy’m ou Christophe Willem avait eu le bon goût d'écrire une chanson intitulée « un torrent d'illusion », ou « je veux t'aimer d'amour dans un torrent de bonheur », leur titre aurait été évacué de Google et Bing, deux des principaux moteurs accessibles en France.
- Télécharger le jugement du 8 juillet 2016 SNEP vs Bing (PDF)
- Télécharger le jugement du 8 juillet 2016 SNEP vs Google (PDF)
Le SNEP condamné pour avoir voulu filtrer le mot « Torrent » sur Bing et Google
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Face à Google, aucun intérêt à agir
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Face à Bing, la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel
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La demande des producteurs est indéterminée et générale
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Quand la justice explique au SNEP ce qu’est le « Torrent »
Commentaires (51)
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Abonnez-vousLe 14/07/2016 à 10h37
Pour une fois, je suis d’accord avec le SNEP. Kendji Girac, Shy’m et Christophe Willem, c’est de la contrefaçon de musique. Qu’on les foute en taule !
Le 14/07/2016 à 10h47
SNEP et Hadopi : c’est un torrent de conneries…
EDIT : je pense que la solution est ailleurs : il faut supprimer d’internet et des radios les artistes qui font de la musique pourrie.
Le 14/07/2016 à 10h48
”(60 à 89 % des 20 premiers résultats” vous pouvez m’expliquer comment on arrive à 89% sur un échantillon de 20? il y avait 17.8 résultat fautif ?
Le 14/07/2016 à 11h10
Cet article me pousserai presque à rechercher ces artistes pour savoir ce qu’ils font exactement.
Le 14/07/2016 à 11h42
encore des qui confondent moteur de recherche et catalogue " />
Le 13/07/2016 à 16h20
Le SNEP ha ha !
Le 13/07/2016 à 16h30
« je veux t’aimer d’amour dans un torrent de bonheur »
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Le 13/07/2016 à 16h52
On peut quand même applaudir la réponse du tribunal. On se plaint souvent de l’incompréhension des instances vis à vis de ces sujets mais là rien à dire.
Le 13/07/2016 à 16h55
Le 13/07/2016 à 17h09
À mettre en relation avec l’arrêt de la CJUE Scarlet vs SABAM de novembre 2011, quand la SABAM voulait forcer tous les FAI à bloquer le p2p.
Rien à faire : en Europe, l’utilisation des torrents en elle-même est légale, et filtrer « linux mint torrent » est inconcevable.
Merci la justice, et merci Marc " />
Le 13/07/2016 à 17h15
Tant qu’ils ne touchent pas à la recherche “artiste/série + ddl”… " />
Le 13/07/2016 à 17h27
L’arrêt SABAM est très important en effet. Remarquons que sur le sujet, il faut bien retenir que la CJUE a interdit le filtrage si et seulement si plusieurs critères sont remplis. Elle ne s’est pas prononcée si certains d’entre-eux seulement le sont (interprétation qui m’avait été à l’époque critiquée par un site voisin, désormais spécialisé sur Pokemon Go).
Le 13/07/2016 à 17h32
De dichlore gazeux pour être précis.
Plus lourd que l’air si la pièce n’est pas aéré, on peut mourir d’asphyxie!
Bref des produits à ne pas mélanger on récure ses WC.
Le 13/07/2016 à 17h36
Le 13/07/2016 à 17h52
Filtrer le mot clé « Torrent », alors là non. Par contre, filtrer « Kendji Girac » pas de problème.
Le 13/07/2016 à 18h05
Plus dense pour être précis " />
Le 13/07/2016 à 18h16
Le 13/07/2016 à 18h22
Le 13/07/2016 à 18h22
Le 13/07/2016 à 18h28
“Dernier détail : si le SNEP avait gagné, Google et Bing auraient été contraints de bloquer l’accès à toutes les pages de TorrentFreak où, dans les commentaires, quelqu’un aurait pris le pseudo de Shym ou parlé d’elle. De même, les producteurs auraient automatiquement obtenu le non-référencement de tous les articles de presse évoquant leur succès, dès lorsqu’ils auraient utilisé le terme « Torrent » dans le titre. Enfin, si Kendji Girac, Shy’m ou Christophe Willem avait eu le bon goût d’écrire une chanson intitulée « un torrent d’illusion », ou « je veux t’aimer d’amour dans un torrent de bonheur », leur titre aurait été évacué de Google et Bing, deux des principaux moteurs accessibles en France.” Personnellement je vois pas en quoi ça aurait été un problème. " />
Le 13/07/2016 à 15h35
[C’est le jeu, ma pôv’ Lucette]
Bon, ils ont tenté, on va pas leur reprocher, hein…
[\C’est le jeu, ma pôv’ Lucette]
Pi’ pour un truc qui passe pas, le gouvernement leur fait 10 cadeaux (cf news sur taxation redevance sur les Box Internet).
Le 13/07/2016 à 15h35
Mélanger eau de javel et acide chlorhydrique entraine un dégagement de chlore …
Le 13/07/2016 à 15h36
Quand les marins d’eau douce s’attaquent aux pirates de torrents
Le 13/07/2016 à 15h36
Ha ben voila Marc, Bravo ! Grâce à toi ils ont déjà les prochains titres de leur chanson… ça leur fera ça en moins de boulot !
Le 13/07/2016 à 15h40
Le 13/07/2016 à 15h41
“dans les Terres australes et antarctiques françaises”
Hum… dis, Marc, y a des stats sur le piratage en Antarctique ? " />
Le 13/07/2016 à 15h42
S’il pouvait aussi leur écrire les paroles " />
Le 13/07/2016 à 15h43
Ils n’ont pas demandé à retirer : Yannick Noah évadé fiscal, Charles Aznavour évadé fiscal, Johnny Hallyday évadé fiscal ou Patricia Kaas évadé fiscal? comme c’est bizarre pour la cultuuuuure française donneuse de leçon et preneuse de rançon " />
Le 13/07/2016 à 15h49
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Le 13/07/2016 à 15h51
“Seulement, les rois du microsillon se sont pris un mur.”
Je viens de ricaner dans l’open-space. J’ai l’impression que Marc se fait plaisir à écrire ce genre de papier.
Le 13/07/2016 à 15h58
SNEP : Société National d’Elevage de Poulet?
Concurrent de la SCEP?
Bon m’en vais lire l’article! 😁
Le 13/07/2016 à 16h13
Non.
Bref, 20000€ en frais de justice, c’est peu, ils auraient pu coller un bonux d’Abus de droit pour le temps perdu.
Le 13/07/2016 à 16h14
Bon boum dans la gueule et bien fait pour eux.
après faut pas se leurrer, quand tu tape torrents + artiste, c’est dans 99,97% des cas pour un piratage.
Le 13/07/2016 à 16h16
Ils auraient plutôt dû demander d’exclure la prise en compte par le moteur de recherche des termes Kendji Girac, Shy’m et Christophe Willem et le problème était réglé :-°
Le 13/07/2016 à 16h19
“Le SNEP condamné pour avoir voulu filtrer le mot « Torrent » sur Bing et Google”
On a repoussé les limites. " />
Le 13/07/2016 à 19h19
kenji chirac?
christophe willemse?
je ne vois pas ce que le fils de chirac et le patron de willemse viennent faire dans cette affaire.
comment ça,c’est pas eux?
ah bah non,j’ai pas la TV,désolé,je ne suis pas pollué.
sinon le CD de nataniel rateliff est à 5€ sur amazon.
oui,mais d’accord,il ne fait pas de procès,mais ça se vend aussi.
Le 13/07/2016 à 19h32
Dans ta face, la snep!
Le 13/07/2016 à 19h37
Tu aurai perdu un article sur NXi “un agriculteur en colère contre la loi numérique déverse un torrent de lisier pendant le concert de Shy’m” " />
Le 13/07/2016 à 20h12
Sous couvert de pseudos défaites, les cadre du “comment il faut faire bien” se met en place.
Le 13/07/2016 à 20h30
Ils avaient cas demander le filtrage de “Kenji Girac” plutôt, ça aurait été un acte d’intérêt public :)
Le 13/07/2016 à 20h33
Le 13/07/2016 à 20h36
Le 13/07/2016 à 20h47
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Le 13/07/2016 à 20h55
Le 13/07/2016 à 21h20
Le 14/07/2016 à 05h17
C’est à mourir de rire ou bien pathétique … au choix.
Le 14/07/2016 à 05h39
C’est pour éviter un futur t411.an et devoir démarcher des pingouins pour faire cesser le tracker…
Le 14/07/2016 à 06h39
En effet.
Merci de me corriger
Le 14/07/2016 à 06h54
J’aime la conclusion … C’est bien ce qui me trottaient dans la tête… Mais qu’ils sont con chez les ayant droit…
Par contre, for the greater good, on pourrait par contre faire filtrer le nom de ces trois “artiste” du web … Personne ne s’en portera plus mal
Le 14/07/2016 à 07h20
C’est cool qu’il y ait les jugements à la fin !
Le 14/07/2016 à 10h33
Excellent article.