Pavel Durov aurait fait l’objet d’un mandat de recherche pour avoir refusé d’identifier un violeur d’enfant
« Nous ne traitons pas les requêtes qui y sont liées »
La messagerie Telegram se vante à la fois de collaborer avec les autorités en bannissant des comptes et canaux de discussion à caractère terroriste, mais également de ne divulguer aucune donnée concernant ses utilisateurs, « y compris aux gouvernements ». Ce qui aurait, précisément, conduit Pavel Durov, et son frère, à faire l'objet de mandats de recherche.
Le 28 août à 17h47
10 min
Droit
Droit
Mise à jour, 19h09 : les frères Durov ne faisaient l'objet de mandats d'arrêt (qui visent les personnes ne s'étant pas rendus à la convocation dont ils ont fait l'objet, et qui les amènent en détention) comme le mentionne la version en anglais de l'article de POLITICO sur laquelle nous nous étions initialement basé, mais de mandats de recherche (ils ne savaient pas qu'ils étaient recherchés, ce pourquoi Pavel Durov a d'abord été placé en garde à vue), comme le mentionne l'article en français de POLITICO qui a depuis été mis en ligne.
Un document administratif partagé avec POLITICO par une personne directement impliquée dans l'affaire révèle que les autorités françaises avaient émis des mandats de recherche contre le PDG de Telegram, Pavel Durov, ainsi que son frère et cofondateur, Nikolai, le 25 mars dernier. Ils étaient alors poursuivis pour « complicité de détention, distribution, offre ou mise à disposition d'images pornographiques de mineurs, en bande organisée ».
- Pavel Durov (Telegram) : 12 chefs d’accusation, garde à vue jusqu’à mercredi
- Pavel Durov (Telegram), arrêté en France : garde à vue prolongée, encore beaucoup de questions
Le document indique, en effet, que Telegram refusait alors de coopérer avec la police française au sujet d'une enquête sous couverture portant sur des abus sexuels commis sur des enfants. Conduite sur Telegram par la branche cybercriminelle du bureau du procureur de Paris, elle a commencé des mois plus tôt que ce que l'on pensait jusqu'alors.
L'enquête avait identifié un suspect discutant d'attirer des jeunes filles mineures pour qu'elles envoient de la « pornographie infantile autoproduite », puis de les menacer de la diffuser sur les réseaux sociaux, explique POLITICO. Le suspect avait également déclaré aux enquêteurs qu'il avait violé une jeune enfant. Or, Telegram n'avait pas répondu à la demande des autorités françaises d'identifier le suspect.
Les mandats d'arrêt ont été émis au motif que la plateforme de messagerie ne donnait « aucune réponse » à une demande judiciaire antérieure visant à identifier le suspect. Ce motif ne figure pas dans les 12 chefs d'inculpation rendus publics par le Parquet de Paris. Le document souligne également « la coopération quasi inexistante de Telegram » avec les autorités françaises et européennes dans d'autres affaires.
Une personne proche de Durov a par ailleurs expliqué au Wall Street Journal que pendant des années, Telegram avait ignoré les citations à comparaître et les ordonnances judiciaires qui lui étaient adressées, et qui « s'accumulaient dans une boîte aux lettres électronique rarement vérifiée ».
Tout en soulignant le manque de coopération de Telegram avec les autorités, le document mentionne aussi l'utilisation de la plateforme « par de nombreux groupes criminels » pour justifier les mandats d'arrêt à l'encontre des frères Durov. POLITICO précise que « rien n'indique que les frères Durov aient été directement impliqués dans l'une des activités illégales identifiées par l'enquête ».
Le vice-président de Telegram, Ilya Perekopsky, est par ailleurs mentionné dans le résumé de l'affaire, mais le document n'indique pas si un mandat a été délivré à son encontre.
Une cinquantaine d'employés, pour 950 millions d'utilisateurs
Dans une interview au Financial Times, sa première intervention publique depuis 2017, en prévision d'une possible introduction en Bourse, Pavel Durov s'était vanté en février dernier d'avoir dépassé les 900 millions d'utilisateurs, contre 500 millions début 2021.
Il se targuait également de réaliser plusieurs centaines de millions de dollars de revenus après avoir introduit des services de publicité et d'abonnement premium deux ans plus tôt, et espérait pouvoir devenir rentable l'an prochain, voire cette année.
Durov, qui détient Telegram à 100 %, précisait au FT s'être vu proposer de la part d'investisseurs potentiels des évaluations valorisant l'entreprise à plus de 30 milliards de dollars. Et ce, alors qu'elle ne compterait qu'une cinquantaine d'employés à temps plein seulement.
Telegram revendiquait 950 millions d'utilisateurs actifs en juillet 2024, ce qui en fait la quatrième plateforme de messagerie la plus populaire au monde, derrière WhatsApp, WeChat et Facebook Messenger, précise The Independant.
« Je dirige cette entreprise parce que j'aime ça », avait expliqué Durov à l'ex-journaliste complotiste de Fox News Tucker Carlson, qui l'avait interviewé en avril dernier : « Je suis le seul chef de projet parce que je pense que c'est de cette manière que je peux le mieux y contribuer ».
Il avait également précisé que Telegram ne disposait pas d'un service de ressources humaines dédié, et que la messagerie ne compte que 30 ingénieurs dans ses effectifs : « c'est une équipe très compacte, très efficace, comme une équipe de Navy SEAL. C'est ainsi que nous fonctionnons ».
Telegram peut divulguer votre IP, mais cela ne s'est jamais produit
À défaut de savoir combien de personnes seraient employées à la modération, ainsi qu'au traitement des demandes d'aide judiciaire, on peut néanmoins constater que Telegram, en la matière, souffle le chaud et le froid.
Le passage de sa Privacy policy consacré aux Autorités chargées de l'application de la loi (Law Enforcement Authorities) précise, en effet, que « si Telegram reçoit une décision de justice confirmant que vous êtes suspecté de terrorisme, nous pouvons divulguer votre adresse IP et votre numéro de téléphone aux autorités compétentes », mais aussi que « jusqu'à présent, cela ne s'est jamais produit ».
Dans sa FAQ, elle précise qu'en août 2024, ses services « comptaient nettement moins de 45 millions de destinataires actifs mensuels moyens dans l'UE au cours des six mois précédents », ce qui est inférieur au seuil requis pour être désigné comme une « très grande plateforme en ligne ».
Les paragraphes consacrés au « contenu illégal sur Telegram » ainsi qu'aux bots ou canaux de discussions qui portent atteinte au droit d'auteur avancent que « Tous les échanges et groupes sur Telegram restent privés entre leurs participants » et que, dès lors, « Nous ne traitons pas les requêtes qui y sont liées ».
La messagerie souligne cela dit que « les lots d'autocollants, les canaux et les bots sur Telegram sont accessibles publiquement ». Et qu'il est a contrario possible de la saisir, soit par courrier électronique, soit via son bot @ISISwatch, qui publie tous les jours le nombre de bots et channels à caractère terroriste qui ont été bannis de la messagerie, à raison de plusieurs milliers chaque mois.
« Lorsque nous recevons une plainte à l'adresse [email protected] ou [email protected] concernant la légalité d'un contenu public, nous effectuons les vérifications juridiques nécessaires et retirons le contenu lorsque cela est jugé approprié », précise la FAQ :
« Notre mission est de fournir un moyen de communication sécurisé qui fonctionne partout sur la planète. Pour assurer cela dans les endroits où cela est le plus nécessaire (et pour continuer à distribuer Telegram via l'App Store et Google Play), nous devons traiter les demandes légitimes de suppression du contenu public illégal (par exemple, les lots d'autocollants, les bots et les canaux) dans l'application. Par exemple, nous pouvons supprimer les lots d'autocollants qui violent les droits de propriété intellectuelle ou les bots pornographiques. »
« Nous avons divulgué 0 octet de données à des gouvernements »
« Veuillez noter que cela ne s'applique pas aux restrictions locales de la liberté d'expression », souligne Telegram :
« Par exemple, si critiquer le gouvernement est illégal dans un pays, Telegram ne participera pas à une telle censure à caractère politique. Cela va à l'encontre des principes de nos fondateurs. Bien que nous bloquions les bots et les canaux terroristes (liés à ISIS, par exemple), nous ne bloquerons personne exprimant pacifiquement des opinions alternatives. »
Telegram précise par ailleurs que « si vous pensez que nous avons banni votre bot, canal ou lot d'autocollants sans raison apparente, écrivez-nous à [email protected] ». Mais également que les utilisateurs dont les publications ont été retirées dans le cadre du règlement européen relatif à la lutte contre la diffusion de contenus terroristes en ligne (TCO) « peuvent demander des détails sur les raisons pour lesquelles ces publications ont été considérées comme terroristes et comment contester leur suppression » en écrivant à Telegram ou « en contactant le bot @EURegulation sur Telegram et en utilisant la commande /tco_ask ».
La FAQ vante enfin sa fonctionnalité (cachée) d' « échanges secrets », qui « utilisent un chiffrement de bout en bout, ce qui signifie que nous ne pouvons pas divulguer de données », et qu'« à ce jour, nous avons divulgué 0 octet de données utilisateur à des tiers, y compris aux gouvernements » :
« Grâce à cette structure, nous pouvons faire en sorte qu'aucun gouvernement ou ensemble de pays partageant les mêmes idées ne puisse empiéter sur la vie privée et la liberté d'expression des individus. Telegram ne peut être contraint de divulguer des données que si le problème est suffisamment grave et universel pour être soumis à l'examen par plusieurs systèmes juridiques différents dans le monde. »
Un nouveau chapitre de la réponse sociétale aux plateformes
Dans un thread partagé sur X.com, Jonathan Hall, le contrôleur indépendant de la législation anti-terroriste britannique (Independent Reviewer of Terrorism Legislation), estime que l'arrestation de Pavel Durov ferait également suite à la bataille entre Twitter et l'Australie plus tôt cette année. Le commissaire australien à la sécurité électronique n'avait alors lui non plus réussi à obtenir une injonction permanente pour la suppression mondiale de contenus terroristes.
Évoquant également la nébuleuse Terrorgram, « seule organisation terroriste interdite au Royaume-Uni à porter le nom d'un réseau social », il évoque un « nouveau cycle de normes imposées par l'État contre la liberté technologique » qui verrait les enquêteurs français envisager la « responsabilité des systèmes plutôt que celle d'un contenu spécifique » :
« La question se pose alors de savoir ce que Telegram et d'autres plateformes doivent faire. Lire les communications chiffrées ? Recueillir plus de détails sur les utilisateurs ? Investir davantage dans des systèmes permettant d'identifier les abus à partir des métadonnées ? »
Pour lui, ce qui se trame s'apparente à « une bataille autour de l'existence de certains modèles d'entreprises technologiques ». Il s'étonne d'ailleurs que le fonctionnement d'un réseau social comptant près d'un milliard d'utilisateurs puisse ne reposer que sur quelques dizaines d'employés, au surplus au vu du nombre de contenus délictueux, voire criminels qui y sont partagés.
« Il semble que nous entrions dans le troisième chapitre de la réponse sociétale aux plateformes » avance le contrôleur indépendant, dont le rôle est d'éclairer le débat public et politique sur la législation antiterroriste au Royaume-Uni :
« Première phase : émerveillement, gratitude et utopisme technologique / aller vite et tout casser.
2e phase : les plateformes semblent s'autoréguler et intégrer des normes prosociales (confiance et sécurité, Cour suprême de Facebook).
3e phase : les États démocratiques s'affirment. »
« La question fondamentale est de savoir si les États feront valoir que certains modèles commerciaux, comme celui de Telegram, sont tout simplement incompatibles avec la sécurité et l'État de droit », conclut Jonathan Hall.
Pavel Durov aurait fait l’objet d’un mandat de recherche pour avoir refusé d’identifier un violeur d’enfant
-
Une cinquantaine d'employés, pour 950 millions d'utilisateurs
-
Telegram peut divulguer votre IP, mais cela ne s'est jamais produit
-
« Nous avons divulgué 0 octet de données à des gouvernements »
-
Un nouveau chapitre de la réponse sociétale aux plateformes
Commentaires (16)
Vous devez être abonné pour pouvoir commenter.
Déjà abonné ? Se connecter
Abonnez-vousLe 28/08/2024 à 19h36
Et pas trop long en plus.
Le 28/08/2024 à 19h51
Modifié le 28/08/2024 à 19h53
Modifié le 28/08/2024 à 21h16
Le 28/08/2024 à 22h13
Modifié le 28/08/2024 à 23h02
à l'image de l'illustration, on ne comprend pas grand chose en final, ce genre d'article ressemble à une moulinette à information ce qui ajoute au décousu, pour l'analyse on verra plus tard, là c'est un projecteur dans le brouillard.
Le 28/08/2024 à 22h57
Modifié le 29/08/2024 à 08h57
Sur le Media, il y a Fabrice Epelboi qui en parle d'ailleurs il cite même reflets.info.
https://www.youtube.com/watch?v=G8cUfyvm7QU&t=75s
Le 29/08/2024 à 09h25
Le 29/08/2024 à 10h08
Et à l'échelle européenne, il n'y a que Méta qui est concernée par le DSA à ma connaissance. Signal et Telegram sont en dessous du nombre d'utilisateurs requis.
Le 29/08/2024 à 10h20
C'est quand même surprenant qu'une appli qui a au moins 900 millions d'utilisateurs dans le monde en ait moins de 45 millions (mensuels) dans l'UE.
Le 29/08/2024 à 10h46
Le 29/08/2024 à 10h53
Le 29/08/2024 à 11h05
Après, si cela reste effectivement étonnant, certaines applications sont très répandues dans certaines régions du monde et presque absentes ailleurs. Quoi qu'il en soit, si sa croissance continue, ce n'est qu'une question de mois avant que Telegram ne soit soumis considérée comme une très grande plateforme en ligne (VLOP).
Le 29/08/2024 à 13h36
J'avoue ne pas trop savoir sur quel pied danser dans cette histoire : y a t-il un risque pour les messageries sécurisées, ou est-ce un cas particulier de Telegram (mal gérée et/ou non chiffrée de bpit en bout, ou autre...).
Le 29/08/2024 à 17h55
"3e phase : les États démocratiques s'affirment"
Le "problème" c'est que les états non démocratiques aussi vont profiter de cette "affirmation", alors que hormis la chine ils ont rarement les moyens techniques de leurs ambitions.
Télégram est , par exemple, utilisé par les soulèvements de la terre en France pour informer / organiser la lutte contre la A69.
Nul doute que la police française adorerais traquer les diffuseurs sans bouger de leur bureau. Mais démocratiquement, bien sur.
C'est tout le problème d'un outil : On peux en faire ce qu'on veux.