Streaming musical : l’Europe inflige à Apple une amende de 1,8 milliard d’euros
Tatin à l'amende
Apple écope d’une lourde amende de 1,8 milliard d’euros infligée par la Commission européenne pour abus de position dominante. Cette amende vise exclusivement les pratiques « anti-steering » de l’entreprise. Spotify crie victoire. Apple fera bien sûr appel.
Le 04 mars à 16h05
7 min
Droit
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Le Financial Times avait évoqué une amende de 500 millions. Les sources étaient loin du compte : avec 1,8 milliard d’euros, l’amende est salée. Comme nous l’indiquions récemment, il s’est écoulé dix ans depuis que Spotify, auteur de la première plainte, avait commencé à pester contre les conditions de l’App Store. Ouverte en 2020, l'enquête avait au départ une cible plus large.
Elle s'est finalement resserrée sur le domaine musical avec le temps, jusqu’à aboutir à cette lourde amende. La Commission plante d’ailleurs le décor dès le départ : « Apple est actuellement le seul fournisseur d'un App Store dans lequel les développeurs peuvent distribuer leurs applications auprès des utilisateurs d'iOS dans l'Espace économique européen (ci-après l'«EEE»). Apple contrôle tous les aspects de l'expérience des utilisateurs d'iOS et fixe les conditions auxquelles les développeurs doivent souscrire pour être présents dans l'App Store et pouvoir toucher les utilisateurs d'iOS dans l'EEE ».
Seigneur et maître
La société dirigeant son App Store d’une main de fer, tout ce qui s’y passe relève de ses choix. Or, Apple a choisi de barrer la route aux services de streaming musical en leur interdisant plusieurs pratiques :
- Pouvoir informer les utilisateurs des tarifs pratiqués en dehors de l’application
- Les informer sur les écarts de tarifs pouvant exister entre ceux de l’App Store et ceux pratiqués ailleurs, notamment sur le site officiel du streaming
- Inclure des liens dans l’application pointant sur d’autres formules d’abonnement
- Contacter les utilisateurs pour les prévenir que d’autres tarifs existent
Ces pratiques, qualifiées d’anti-steering, ont décidé plusieurs entreprises à ne même plus proposer la possibilité de s’abonner via l’App Store. La manipulation a beau être très simple, elle est soumise à la commission de 30 % liée aux achats transitant par la boutique.
Spotify, coincée entre la possibilité d’augmenter ses tarifs pour en tenir compte et l’impossibilité d’indiquer à ses clients que l’on pouvait souscrire un abonnement sur son propre site, a fini par supprimer la souscription depuis l’application. D’autres, comme X, ont simplement répercuté les 30 % sur le tarif.
Bien qu’il ne soit pas mentionné par la Commission, le propre service d’Apple était une composante majeure de la colère des autres plateformes. Elles n’ont eu de cesse de répéter, pendant des années, que les conditions imposées ne pouvaient que propulser Apple Music, dont l’intégralité de l’abonnement revenait forcément à Apple.
Violation du traité de fonctionnement de l’Union
Les conditions commerciales de l’App Store ont ainsi été jugées « déloyales », en violation de l’article 102a du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). La Commission estime qu’elles ne sont « ni nécessaires ni proportionnées pour la protection des intérêts commerciaux d’Apple ». Elles ont également « une incidence négative sur les intérêts des utilisateurs d’iOS ».
En conséquence, de « nombreux utilisateurs » ont peut-être payé « des prix nettement plus élevés pour les abonnements de diffusion de musique en continu » et parfois répercutés par les éditeurs tiers sur leurs abonnements. Surtout, la Commission a jugé qu’il y avait préjudice moral : « Soit les utilisateurs d'iOS devaient se lancer dans des recherches fastidieuses pour trouver des offres pertinentes en dehors de l'application, soit ils ne souscrivaient jamais à aucun service parce qu'ils étaient incapables de le trouver seuls. »
Une amende voulue « dissuasive »
L’amende de 1,8 milliard d’euros tient compte de ces éléments, de la durée et de la gravité de l’infraction et de la capitalisation boursière d’Apple. En outre, la Commission affirme que l’entreprise a présenté « des informations inexactes dans le cadre de la procédure administrative ».
La Commission évoque une volonté de rendre la somme dissuasive. « L’amende doit être suffisante pour dissuader Apple de répéter l'infraction actuelle ou une infraction similaire et pour dissuader d'autres entreprises ayant une taille et des ressources similaires de commettre une infraction identique ou similaire », explique le communiqué.
« Pendant dix ans, Apple a abusé de sa position dominante sur le marché de la distribution d’applications de diffusion de musique en continu par l’intermédiaire de son App Store. Pour ce faire, elle a empêché les développeurs d’informer les consommateurs de l’existence d’autres services musicaux moins chers disponibles en dehors de l’écosystème Apple. Cette pratique étant illégale en vertu des règles de l’UE en matière d’ententes et d’abus de position dominante, nous avons infligé aujourd’hui à Apple une amende de plus de 1,8 milliard d’euros », a déclaré Margrethe Vestager, vice-présidente chargée de la politique de concurrence.
Apple est donc invitée à régler la note et à mettre fin immédiatement à ses pratiques.
Spotify exulte
Sans surprise, l’heure est la fête chez Spotify : « La décision d'aujourd'hui marque un moment important dans la lutte pour un internet plus ouvert pour les consommateurs. La Commission européenne a tiré une conclusion claire : le comportement d'Apple, qui limite les communications avec les consommateurs, est illégal. Cette décision envoie un message fort : aucune entreprise, pas même un monopole comme Apple, ne peut abuser de son pouvoir pour contrôler la manière dont les autres entreprises interagissent avec leurs clients ».
La société dit attendre « avec impatience » les prochaines étapes. En outre, et bien qu’elle se dise « heureuse que cette affaire apporte un peu de justice », il reste à faire. En effet, cela « ne résout pas le mauvais comportement d’Apple envers les développeurs au-delà du streaming musical ».
Apple reste droite dans ses bottes
Côté Apple, la communication est plus froide. « Cette décision a été prise alors que la Commission n'a pas trouvé de preuves crédibles d'un préjudice pour les consommateurs et ignore les réalités d'un marché florissant, compétitif et en pleine croissance », affirme la société.
Elle redonne plusieurs éléments déjà évoqués la semaine dernière. « Spotify détient 56 % du marché européen de l'écoute de musique en continu, soit plus du double de son concurrent le plus proche, et ne paie rien à Apple pour les services qui ont contribué à faire d'elle l'une des marques les plus connues au monde. Une grande partie de son succès est due à l'App Store, ainsi qu'à tous les outils et technologies que Spotify utilise pour créer, mettre à jour et partager son application avec les utilisateurs d'Apple dans le monde entier », par exemple.
Après avoir longuement rappelé la part de marché dominante de Spotify, la quasi-gratuité des outils d’Apple pour développer ce succès (119 milliards de téléchargements de l’application sur les appareils Apple, sans coût pour Spotify) et la collaboration intensive de Spotify avec la Commission, Apple déclare qu’elle fera appel.
Le bras de fer ne fait que commencer. Il sera d'autant plus intense que la Commission n'a pas encore réagi aux changements introduits par Apple pour s'adapter au DMA. Comme nous le verrons demain, Apple n'a pas attendu cette réaction pour dire à nouveau tout le mal qu'elle pense du règlement.
Streaming musical : l’Europe inflige à Apple une amende de 1,8 milliard d’euros
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Seigneur et maître
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Violation du traité de fonctionnement de l’Union
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Une amende voulue « dissuasive »
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Spotify exulte
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Apple reste droite dans ses bottes
Commentaires (29)
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Abonnez-vousLe 04/03/2024 à 16h38
Le 04/03/2024 à 16h52
Le 04/03/2024 à 17h03
Le 04/03/2024 à 17h19
Du coup, c'est autorisé ou c'est interdit ?
Le 04/03/2024 à 18h30
Apple dans son communiqué joue plusieurs fois sur le fait qu'il y a eu des changements. Par exemple, Spotify a arrêté d'utiliser le paiement d'Apple en 2016. Avant, ils ont bien payé les 30 % de commission à Apple.
Le 04/03/2024 à 21h44
Le 04/03/2024 à 18h22
Le 04/03/2024 à 18h33
En tout cas, si elle est maintenue, ça va permettre de payer des obus pour l'Ukraine.
Modifié le 04/03/2024 à 22h29
Genre "pour dissuader de faire des appels de jugements évidents, nous avons décidé d'augmenter l'amende de 10%" ?
Ça me ferait beaucoup rire ! ^^
Le 05/03/2024 à 01h04
Le 05/03/2024 à 09h00
Le 05/03/2024 à 09h01
Mais cela nous éloigne quelque peu du sujet, la suite du débat sur psychiatrie magazine.
Le 05/03/2024 à 13h07
Le 04/03/2024 à 18h37
Le 04/03/2024 à 18h47
Le GSM (dont sont dérivés les 3G, 4G et l'actuelle 5G) a été défini par l'ETSI créé à l'instigation de la Commission européenne. C'est donc à l'UE qu'Apple devrait payer les 30 % dont tu parles. Cette amende est donc un juste retour des choses.
Le 04/03/2024 à 21h07
Le 05/03/2024 à 07h24
Bon, ça ne les empêche pas de faire les malins avec le DMA...
A force d'être de plus en olus ciblés ainsi, ils vont peut être vraiment se remettre droit !
Modifié le 05/03/2024 à 10h48
MAIS : Dans le cas présent, je me pose quand même la question suivante : s'il est vrai que Spotify ne doit s'affranchir, de base, que de 99 € par an, comment justifier cette décision ?
99 €, c'est extrêmement loin de couvrir les frais de traitement, stockage et distribution de 120 000 000 000 téléchargements que Apple a dû assurer. Et 15 % de commission finale pour tout cela, ça ne semble pas ultra extravaguant, dans le monde du SAAS.
Si ces chiffres avancés par Apple sont vrais, je trouve le jugement sévère. Bon, je ne suis pas légiste, donc mon avis n'a pas d'importance.
Spotify n'est pas une petite entreprise qui a eu du mal à exister à cause d'Apple : c'est une grande entreprise, profitable, qui s'est développée, et a même explosé grâce aux 2 stores : AppStore et PlayStore. Il me semble normal qu'ils se rémunère entre eux pour cela.
Le 05/03/2024 à 13h10
Le 05/03/2024 à 14h24
Pas grand chose. Et la réciproque est vraie aussi, je le sais.
Les 99 € ne servent pas à payer les téléchargements comme Apple veut le faire croire.
En fait, les téléchargements, ça ne coûte pas bien cher et ce sont les utilisateurs des produits Apple qui les payent quand ils achètent assez cher leur iPhone.
Je ne sais pas combien pèse l'appli Spotify, mais en stockage ça ne coûte rien et en bande passante, pas tant que ça je pense.
En plus, il faut multiplier les 99 $ par le nombre d'années où ont eu lieu les 119 milliards de téléchargements. En ne le faisant pas, Apple montre sa mauvaise foi.
Modifié le 05/03/2024 à 16h13
Pour vous donner une estimation, pour une app de 160 Mo, sur 10 ans, avec 119 milliards de téléchargements, ça ne nous coûterait "que" 25k par mois à faire chez moji, en prix coûtant.
Pour être fair, il faut aussi inclure les MAJ différentielles, mettons au total que ça décuple l'usage réel, que l'app est donc re-délivrée chaque année.
Ca nous amène à environ 3 millions de cost annuel pour la livraison de l'application.
Bon, on est très loin de ce qu'Apple facture à Spotify. Très loin.
Pour mémoire, Spotify c'est 10 Milliards de CA, et à 27% de commission Apple, c'est clairement du racket.
Spotify est une app utilisée majoritairement en mobilité, probablement plus par des users ios qu'android, mettons qu'un bon tiers soit sur un terminal Apple.
Si tous les users passaient par l'achat in app (et Apple fait tout pour cela), ça ferait une commission d'un milliard par an versus 3 millions de cost d'infra.
Arrêtons tout de suite l'argument please.
Edit : j'ai mis 27% car c'est le tarif pour tout le monde.
Que Spotify ait réussi à négocier mieux c'est cool pour eux, mais on parle ici de la position monopolistique d'Apple en général, autant prendre les chiffres qui s'appliquent au plus grand nombre.
Le 05/03/2024 à 16h55
De l'autre côté, je ne sais pas si tes 10 milliards de CA ne correspondent qu'aux clients Apple ou aussi à ceux d'Android, mais on est sur un facteur 2 au max, il me semble avoir lu que Spotify a plus d'utilisateurs sur Apple.
La commission de 27 % serait celle de la première année d'abonnement et moins les années suivantes (10 ou 17 %, je ne sais pas dans quelle catégorie ils seraient). Il ne me semble pas qu'Apple négocie ces %. Remarque : aujourd'hui, Spotify ne paie rien à Apple (sauf les 99 $ par an) parce qu'ils vendent leurs abonnement entièrement en dehors de l'iPhone, sur leur site WEB.
Mais bon, ton calcul montre les ordres de grandeur.
Le 05/03/2024 à 17h09
Mais clairement, si les 119 milliards, c'est tous les téléchargements en incluant les MAJ, alors là c'est encore plus ridicule, ça nous amène à 300k de cout réel de distribution par an pour Spotify, sur toute la planète.
L'argument du coût de la distribution est absolument malhonnête, c'est un écran de fumée jeté aux yeux d'un public non averti.
Le 05/03/2024 à 17h15
Le 06/03/2024 à 08h49
Le 05/03/2024 à 15h38
Par contre, je doute que la majorité des utilisateurs de Spotify sur iOS passe par l'abonnement côté Apple.
Donc le manque à gagner de Spotify doit être faible. En prime, pas d'infrastructure de leur côté pour la livraison des applications sur les iPhone.
A dehors de l'amende à payer côté Apple, cela ne changera rien pour tout les autres et surtout les utilisateurs.
Le 06/03/2024 à 14h57
Le 06/03/2024 à 15h19
Le 06/03/2024 à 16h00
On entend régulièrement parler de ces amendes plus ou moins élevées lorsqu'elles sont prononcées. Pour bien montrer qu'on est efficace ???
Mais étant donné la durée des procédures (appels, etc...), l'amende payée au final après tous les recours possibles (et encore si elle n'a pas été annulée entre-temps) est bien plus rarement annoncée.
Pourriez-vous faire un article résumant les amendes réellement payées sur les dix ou x dernières années par les plus grosses plateformes par exemple, et pour un périmètre à définir : Europe, France, ...
Sous la forme d'un tableau peut-être, avec les colonnes : "nom de l'entreprise", "motif", "date" et "montant" de la première amende, "amende finalement payée", "durée total de la procédure".
Ce serait plus parlant que la simple annonce de la première amende, qui semble souvent bien différentes.
C'est peut-être du boulot au départ, mais une fois le tableau rempli il est réutilisable pour ajouter les amendes suivantes.