Fichier des empreintes génétiques : la France condamnée par la CEDH pour défaut d’encadrement
Grégoire Lecomte rulez
Le 22 juin 2017 à 10h16
6 min
Droit
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Le régime actuel du fichier national des empreintes génétiques (FNAEG) vient d’être jugé attentatoire à la vie privée par la Cour européenne des droits de l’Homme. Condamné pour avoir refusé un tel fichage durant 40 ans, un syndicaliste ayant donné des coups de parapluie à des agents, obtient gain de cause.
Le 13 mars 2008, un manifestant est condamné à deux mois d’emprisonnement avec sursis pour avoir donné des coups de parapluie à des gendarmes (non identifiés) sans incapacité de travail pour ces derniers.
Le 24 décembre 2008, il est convoqué par la police pour que soit effectué un prélèvement biologique sur le fondement des articles 706 - 55 et 706 - 56 du code de procédure pénale (CPP) afin de nourrir le fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG). Il refuse ce prélèvement qui allait être enregistré durant 40 ans.
Le 27 octobre 2009, le tribunal de grande instance de Bayonne le condamne de ce fait à une peine d’amende de cinq cents euros. Le 3 février 2011, la cour d’appel de Pau confirme ce jugement contestant toute atteinte à sa vie privée. Le 28 septembre 2011, la Cour de cassation rejette son pourvoi estimant que la Cour d’appel avait « caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu’intentionnels, le délit de refus de se soumettre à un prélèvement biologique dont elle a déclaré le prévenu coupable ».
Un an plus tard, la même Cour de cassation refusait de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité : « dès lors que s’il s’analyse en une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée, l’enregistrement des empreintes génétiques constitue une mesure, non manifestement disproportionnée, qui, dans une société démocratique, est nécessaire notamment, à la sûreté publique et à la prévention des infractions pénales et qui s’applique, sans discrimination, à toutes les personnes condamnées pour les infractions mentionnées à l’article 706 - 55 du code de procédure pénale (...). »
Refus d'être fiché 40 ans pour des coups de parapluie
Seulement, ce requérant n’a pas baissé les bras, portant l’affaire cette fois devant la Cour européenne des droits de l’Homme. Il rappelle que le FNAEG avait été introduit dans notre droit uniquement afin de « regrouper les empreintes génétiques des délinquants sexuels ». Au fil des couches législatives, le fichage des traces biométriques a été étendu à un nombre important d’infractions énumérées à l’article 706 - 55 du CPP.
« Le fichage litigieux ne peut pas être considéré comme légitime pour toutes les infractions énumérées à l’article 706 - 55 du CPP, allant des crimes contre l’humanité aux actes commis dans le cadre de violences syndicales » estime-t-il avant de dénoncer une atteinte injustifiée à la vie privée du fait du caractère généralisé et indifférencié de ce fichage : « il n’existe aucun pouvoir d’appréciation et aucune modulation en fonction de l’infraction commise ». De plus rien ne justifie un fichage durant 40 ans, alors que le Conseil constitutionnel a déjà émis des réserves sur ce point restées sans effet (point 18 de sa décision de 2010).
En face, le gouvernement soutient que ce fameux FNAEG est « destiné à faciliter l’identification et la recherche, à l’aide de leur profil génétique, des auteurs des infractions ». Mieux : les infractions de l’article du CPP sont limitativement énumérées. En outre, toutes « présentent un certain degré de gravité et sont, sauf une, passibles d’une peine de prison ». Si le fichier est placé sous le contrôle du Parquet et de la CNIL, ajoute Paris, « d’importantes garanties procédurales entourent les conditions d’utilisation, de consultation et de conservation des données » au FNAEG. L’accès est en outre réservé « aux personnels de la sous-direction de la police scientifique et technique, ainsi qu’à ceux de la gendarmerie dûment habilités ».
Toujours selon la France, « l’absence de procédure d’effacement pour les personnes condamnées n’apparaît pas excessive, la durée de conservation maximale étant limitée à quarante ans, l’inscription du profil génétique au FNAEG n’impliquant aucune obligation positive pour la personne concernée et les données n’étant utilisées qu’en cas de commission de nouveaux faits ». Et le pays des droits de l’Homme de promettre la publication d’un décret pour tenir compte des réserves du Conseil constitutionnel, qui avait demandé « de proportionner la durée de conservation de ces données personnelles, compte tenu de l’objet du fichier, à la nature ou à la gravité des infractions concernées ».
Une atteinte disproportionnée à la vie privée
Dans son arrêt, la CEDH va dynamiter le fichier FNAEG en vigueur en France : « aucune différenciation n’est actuellement prévue en fonction de la nature et de la gravité de l’infraction commise, et ce nonobstant l’importante disparité des situations susceptibles de se présenter dans le champ d’application de l’article 706 - 55 du CPP ». Toutes les personnes tombant sous les griffes du FNAEG sont fichées durant 40 ans, soit à vie pour celles d’un certain âge.
L’emballement français est tel que les dispositions permettent de ficher un individu pour de simples coups de parapluie sur des agents non identifiés (ou condamner son refus de fichage). On est donc loin des infractions terroristes, sexuelles, ou des crimes contre l’humanité. De plus, il n’existe pas de procédure d’effacement, si ce n'est pour les personnes simplement soupçonnées.
Bref, elle considère que « le régime actuel de conservation des profils ADN dans le FNAEG, auquel le requérant s’est opposé en refusant le prélèvement, n’offre pas, en raison tant de sa durée que de l’absence de possibilité d’effacement, une protection suffisante à l’intéressé. Elle ne traduit donc pas un juste équilibre entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu ».
Par contamination, la condamnation pénale de ce manifestant est considérée comme une « atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et ne peut passer pour nécessaire dans une société démocratique ». La France devra verser 3 000 euros pour indemniser le dommage moral et 3 000 autres euros pour les frais et dépens.
Fichier des empreintes génétiques : la France condamnée par la CEDH pour défaut d’encadrement
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Refus d'être fiché 40 ans pour des coups de parapluie
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Une atteinte disproportionnée à la vie privée
Commentaires (31)
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Abonnez-vousLe 22/06/2017 à 12h16
+1, il en faut du courage pour aller au bout de toutes ces procédures… En plus en étant condamné par tous les tribunaux français !
Le 22/06/2017 à 12h40
Je suis partagé, d’un côté il y a le respect de la vie privée, de l’autre on a eu des exemples de personnes s’étant soumise à ces prélèvements (pour des faits de violences “mineures” comme celle-ci) et pour lesquelles il s’est avéré qu’elles étaient impliquées dans des affaires de meurtre parfois 10⁄20 ans plus tôt. Certes, cette obligation de prélèvement semble disproportionnée et la durée de rétention de 40 ans est très longue. Mais d’un autre côté au risque de me faire l’avocat du diable, une personne condamnée pour des faits de violence a à priori une certaine propension à la violence => elle pourrait se rendre coupable de faits plus grave à l’avenir (ou l’avoir déjà été) et avoir son ADN sous la main peu permettre de l’identifier plus rapidement.
Je n’aimerais pas devoir m’y soumettre, mais ceux qui le doivent ne sont pas des innocents non plus. Reste à voir pour quels types de faits on doit se soumettre, tout le débat est là pour moi.
Le 22/06/2017 à 12h52
Visiblement, tout le débat est également là pour la CEDH, et c’est une bonne chose.
C’est ce qui différencie un système de prévention et de réponse à des situations à risque et un fichage plus ou moins généralisé de chaque tête qui dépasse.
Malheureusement, entre Amnesty, RSF, la CEDH, il semble que le pays des droits de l’homme est en pleine régression, généralisée elle aussi.
Le 22/06/2017 à 13h03
Le 22/06/2017 à 13h04
Un exemple de ces “exemples” ?
Le 22/06/2017 à 13h14
Le 22/06/2017 à 13h15
comme les libérés de la Sécu" />
Le 22/06/2017 à 13h20
Faux exemple. L’ADN du bagarreur aurait été conservé dix jours que ça n’aurait rien changé à son identification, vu que ce délai de conservation n’a rien à voir avec le délai de conservation de l’ADN prélevé sur les lieux d’un crime.
Le 22/06/2017 à 13h27
Le 22/06/2017 à 13h31
Le 22/06/2017 à 13h34
Le 22/06/2017 à 13h37
" />Non.
La CEDH dit que la Loi est une violation trop grande de la vie privée.
La cour de justice dit que le gus a enfreint la loi, elle ne la qualifie pas.
La cour d’appel dit que le gus a enfreint la loi, elle ne la qualifie pas.
La cour de cassation dit que la condamnation se fait en respectant la loi, elle ne la qualifie pas.
Ce n’est pas le rôle de la justice de dire si une loi est bonne ou mauvaise. La France n’a pas de cour suprême qui dit le droit.
Le seul point est le refus par la cour de cassation de faire questionner de la loi par la constitution (la QPC) en arguant d’une vision différente que la CEDH a rendu. Vu que la CEDH apparaît dans le modèle Français comme une sorte de cour d’appel de la cour de cassation (pour la partie consitutionnel, la CEDH ne peut intervenir sur un point de procédure), il n’y a eu aucune bêtise.
Edit : C’est toujours “grilled” quand c’est 10min avant ?
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Le 22/06/2017 à 13h40
Le 22/06/2017 à 13h52
On rappelle déjà que la France est le pays le plus souvent condamné par la CEDH, ce qui en dit long sur comment les lois sont faites et appliquées en France.
Un grand bravo à ce syndicaliste et surtout un grand merci pour avoir enfin mis un point d’arrêt à cette mise en fichier pour un oui ou pour un non des empreintes ADN des personnes.
Cette loi me révoltait et je vois que ma révolte était justifiée. Ça fait très longtemps que cette affaire traine, enfin on va se réjouir de cet heureux dénouement
Le 22/06/2017 à 14h02
Le 22/06/2017 à 15h52
Les Nazi rêvaient aussi de ce fichier d’empreintes génétiques extensible au bon vouloir de l’exécutif… Lepen a finalement été élue? " />
Le 22/06/2017 à 10h38
et dans une année la CNIL aura le potentiel de mettre en faillite des entreprises qui n’ont pas pris les mesures nécessaires afin de protéger les données des citoyens…
Triste situation dans laquelle on constate régulièrement que l’Etat n’est même pas capable de montrer l’exemple en la matière malgré le déluge d’exceptions qui nient souvent tout simplement le droit à la vie privée des citoyens.
Le 22/06/2017 à 10h39
Et quand l’exception sera devenue la règle ? (dans l’indifférence générale, mais c’est un autre problème)
La “France des droits de l’Homme” ne s’est-elle pas dédouanée du respect de ces mêmes Droits de l’Homme pour prolonger l’état (policier) d’urgence ?
Le 22/06/2017 à 10h44
Le parapluie va bien ?" />
Le 22/06/2017 à 10h44
« l’absence de procédure d’effacement pour les personnes condamnées n’apparaît pas excessive, la durée de conservation maximale étant limitée à quarante ans, l’inscription du profil génétique au FNAEG n’impliquant aucune obligation positive pour la personne concernée et les données n’étant utilisées qu’en cas de commission de nouveaux faits » [
Oui rien d’excessif, c’est juste quasiment 2⁄3 de l’espérance de vie…
Le 22/06/2017 à 10h56
Le 22/06/2017 à 11h40
Merci au gus en question d’aller défendre ça à la cours européenne, ça a dû être bien galère.
Le 22/06/2017 à 11h59
Le 22/06/2017 à 12h05
Surtout que je doute que 3000 suffisent à couvrir les frais engendrer.
Je suis étonné, il n’y a pas de contraintes imposées pour changer la situation?
La France juste payer l’amende et laisser le système en place comme il est?
Le 22/06/2017 à 12h07
ce qui est sympa, c’est que quand la France est condamnée pour ces bêtises faites par ses politiciens, c’est tout le monde qui trinque…
Le 22/06/2017 à 12h11
Le 22/06/2017 à 12h11
Uhm, vu que ça fait jurisprudence, ça veut dire que le prochain qui refuse sera automatiquement dans son droit. Le tout c’est d’être informé qu’on peut refuser le prélèvement…
Le 22/06/2017 à 15h55
Lorsque la Cour de cassation avait rendu sa décision, beaucoup trouvait la motivation totalement à coté de la plaque.
L’absence de modulation en fonction de gravité de l’infraction et le dessin (pas voilé du tout) de finir par ficher tout le monde par le FNAEG (la même avec le STIC) devaient nécessairement conduire à sanctionner le caractère disproportionné des articles 706-55 et suivants du CPP.
Pourtant, elle devait estimer que c’était “non manifestement disproportionnée”, une aberration !
Heureusement la CEDH a rappelé sa jurisprudence (pourtant connue…).
Néanmoins je ne doute pas que cela ne serve à rien: à l’image du FNAEG initialement limité à certaines situations puis petit à petit élargi à tout et n’importe quoi, je suis certain que dans quelques années les mesures sur le terrorisme permettant l’absence de contrôle effectif du Juge judiciaire (en tête les perquisitions) seront élargies, d’abord à la pédophilie et infractions sexuelles, puis au grand banditisme et au final à tous.
Le 22/06/2017 à 16h05
Les très dangereux coupeurs de maïs transgénique français vont enfin pouvoir faire condamner “l’ex-pays des droits de l’Homme” " />
Le 24/06/2017 à 20h17
Il est grand temps que nos gouvernants arrêtent de faire valider par nos députés des lois qui seront systématiquement attaquées, de manière convaincante et justifiée , devant la CEDH par les citoyens français lambda …
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Et en plus ils font ça avec l’argent du con-tribuable, c’est du propre.
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Le 25/06/2017 à 08h12