Avec DROP, l’association Ouvre-boîte invite les fonctionnaires à « exfiltrer » des données publiques
Jean-Claude Snowdaine
Le 19 octobre 2018 à 14h00
7 min
Droit
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L’association Ouvre-boîte propose depuis la semaine dernière un « outil sécurisé » qui permet aux fonctionnaires de faire fuiter « anonymement » des documents publics, « sans l'aval de leur hiérarchie ». Cette initiative pose toutefois beaucoup de questions, notamment sur le plan juridique. Nous avons pu nous entretenir avec ses responsables.
Bien que restée jusqu’ici assez discrète, l’association Ouvre-boîte commence à faire parler d’elle. Le mois dernier, ses membres ont ainsi obtenu la publication, par la Direction générale du Trésor, des modèles économétriques Mésange, Opale et Saphir – particulièrement précieux pour simuler des réformes, notamment fiscales.
Son arme de guerre ? Le droit « CADA » d’accès aux documents administratifs. Ouvre-boîte a en effet été créée début 2017 afin de faciliter « la publication effective des documents administratifs, et plus particulièrement des données, bases de données et codes sources ». Elle n’hésite pas à saisir très régulièrement la Commission d’accès aux documents administratifs, voire la justice.
La semaine dernière, l’association a toutefois ajouté une nouvelle corde à son arc : l’ouverture d’une plateforme visant à « exfiltrer les documents administratifs dont la publication est empêchée sans raison légitime », DROP.
Une plateforme censée garantir l'anonymat de ses utilisateurs
Grâce à DROP, un outil particulièrement simple et présenté comme « sécurisé », Ouvre-boîte espère inciter les fonctionnaires à lui transmettre des documents publics injustement conservés loin des regards de la société civile.
« Les données budgétaires de l'État actuellement ouvertes sont très agrégées et ne permettent pas l'exercice effectif du contrôle citoyen sur les deniers publics. Un fonctionnaire en possession de données budgétaires plus complètes pourrait utiliser DROP comme moyen de diffusion », nous explique-t-on au sein de l’association.
L’opération est simple à souhait : il suffit de déposer le ou les fichier(s) à révéler via une page web. Bien évidemment, il ne faut ni s’enregistrer, ni renseigner le moindre élément.
Sur le plan technique, DROP repose sur Enough, « une plateforme de partage de documents à destination des lanceurs d'alerte et inspirée de SecureDrop », détaille l’association. « Les logs de connexion à DROP sont désactivés, ce qui signifie que nous ne pouvons pas retrouver l'identité d'un utilisateur. » Par sécurité, Ouvre-boîte recommande d’utiliser DROP depuis son domicile, si possible avec le navigateur Tor Browser.
Des documents diffusés ensuite sur « data.gouv.fr »
Les documents ainsi « exfiltrés » ont vocation à être publiés par la suite sur « data.gouv.fr », le portail national d’Open Data. Et ce à la condition qu’Ouvre-boîte ait « la certitude que leur publication est légale ».
« En cas de doute, nous pourrons éventuellement solliciter l'avis de la Commission d'accès aux documents administratifs », précise l’organisation. Cette dernière demande en revanche aux agents publics de ne pas recourir à DROP s’ils savent que les données en question sont couvertes par l’un des – nombreux – secrets protégés par la loi : secret défense, secret des affaires, données personnelles, etc.
« Si vous avez un doute sur la communicabilité du document, merci de prendre contact avec nous, peut-on lire sur DROP. Si vous souhaitez publier un document tout en sachant qu'il n'est pas communicable, nous pouvons vous mettre en contact avec des journalistes spécialisés. »
La tâche pourrait toutefois ne pas être simple pour Ouvre-boîte... L’association se veut toutefois optimiste : « Il s'agit de savoir si l'information n'est couverte par aucun des secrets énumérés par la loi. Nous commençons à bien les connaître ! En cas de doute, il nous sera toujours possible de saisir la CADA (après une demande infructueuse auprès de l'administration) pour obtenir son avis. »
Mais est-ce vraiment légal ? « Les article 26 et 27 de la loi Le Pors autorisent explicitement les fonctionnaires à satisfaire les demandes d'accès aux documents administratifs sans l'aval de leur hiérarchie », nous répond Ouvre-boîte. Ce fameux texte impose plus exactement aux fonctionnaires de « satisfaire aux demandes d'information du public », dans le respect des règles relatives au secret professionnel.
« L'anonymat ne remet pas en cause cette protection juridique pour le fonctionnaire », poursuit l’association. « Si vous publiez un document qui n'est couvert par aucun secret, vous n'enfreignez aucune loi. En revanche, vous pouvez mécontenter votre hiérarchie. C'est pourquoi DROP vous propose l'anonymat. »
« Quant à nous, nous ne sommes qu'un rediffuseur, au même titre que datagouv », poursuit-on au sein de l’association.
Une impression de fichiers « tombés du camion »
Cette plateforme n’est cependant pas du goût de tout le monde. « Nous ne pensons pas que l’initiative soit favorable à l’Open Data », a ainsi fait savoir Laure Lucchesi, directrice de la mission Etalab (l’institution chargée d’accompagner les administrations dans leur démarche d’ouverture de données publiques).
« Obtenir par l’intermédiaire de DROP des « documents administratifs » dont on ne peut attester ni du caractère officiel, ni de la source, ni de la date de mise à jour n’est pas à même d’apporter la sécurité nécessaire à la réutilisation des données publiques », écrit l’intéressée dans un billet de discussion ouvert sur le site « TeamOpenData ».
À ses yeux, il paraît ainsi difficile de pouvoir faire confiance à des données « tombées » en quelque sorte du camion. D'autant que rien ne garantira que certains éléments n'aient pas été modifiés, potentiellement à des fins de nuire à quelqu'un ou à une institution.
« Rien ne nous empêchera de demander à l'administration productrice une confirmation de l'authenticité, rétorque-t-on néanmoins du côté d’Ouvre-boîte. À elle de choisir alors entre une publication sauvage et une publication en son nom. »
Benjamin Ooghe-Tabanou, de l’association Regards Citoyens, voit un autre avantage à ces exfiltrations de documents administratifs. « Si l’administration se refuse à publier les données correspondantes, cela aura au moins le mérite dans un premier temps de permettre déjà de confirmer leur existence ainsi que de les voir et les utiliser. Mais surtout, cela pourra probablement permettre ensuite de les libérer réellement : une fois leur existence démontrée et leur contenu dévoilé, l’administration se montre généralement rapidement soit plus encline, soit contrainte, à céder à la publication » explique-t-il sur « TeamOpenData ».
L’intéressé touche là à un problème vieux comme la loi CADA : si le public n’a pas connaissance de l’existence d’un document administratif, il s’avère bien difficile d’en demander sa communication...
Une logique de « confrontation » assumée avec les administrations
L'association Ouvre-boîte ne cache pas qu'avec cette nouvelle initiative, elle espère « installer un sentiment d'insécurité au sein des administrations qui rejettent le mouvement de l'Open Data » :
« Au début, nous avions imaginé davantage d'actions reposant sur la collaboration avec des fonctionnaires : tenue conjointe d'un registre de documents à ouvrir prioritairement, apport de compétences de la société civile pour faciliter l'ouverture de codes sources ou de bases de données, mise en relation de collectivités pour partager des codes sources ou des bases de données et ainsi éviter les duplications... Mais nous nous sommes vite rendus compte que cette approche était naïve et ne fonctionnait pas. »
« Notre approche actuelle, basée sur la confrontation directe, marche très bien » assure l’organisation, qui a en tête la récente ouverture des modèles du Trésor. « Pour autant, nous n'avons pas renoncé à susciter la participation de ceux qui sont au plus près des données. Peut-être avons-nous de meilleures chances avec DROP ? »
Avec DROP, l’association Ouvre-boîte invite les fonctionnaires à « exfiltrer » des données publiques
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Une plateforme censée garantir l'anonymat de ses utilisateurs
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Des documents diffusés ensuite sur « data.gouv.fr »
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Une impression de fichiers « tombés du camion »
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Une logique de « confrontation » assumée avec les administrations
Commentaires (28)
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Abonnez-vousLe 24/10/2018 à 14h44
Oui mais ca ne veut pa dire pour autant que tu accèdes aux infos.
En égénral le proxy fait du déchiffrage https pour passe l’antivirus et appliquer les règles de filtrage et personne n’a accès au tunnel en clair.
Le 19/10/2018 à 14h16
Très bonne initiative ! Bravo !
Le 19/10/2018 à 14h37
Sous titre 2 :
Laissez tomber, voulez vous ? " />
Jean Claude est génial " />
Le 19/10/2018 à 15h40
Le 19/10/2018 à 16h15
J’avoue que j’ai un avis très mitigé également.
Le 19/10/2018 à 16h15
Bravo les gars. GG. " />
Le 19/10/2018 à 16h46
« Les article 26 et 27 de la loi Le Pors autorisent explicitement
les fonctionnaires à satisfaire les demandes d’accès aux documents
administratifs sans l’aval de leur hiérarchie »
Vous ne sentez pas venir la suppression des articles 26 et 27 de la loi Le Pors à la première occasion, demandée par notre Gouvernement de la Vérité, et ses bons petits soldats de l’AN ? " />
Le 19/10/2018 à 18h00
Franchement je pense également que c’est une idée de merde.
Si l’idée est de faire dans du lanceur d’alerte je ne suis pas su que ce soit le bon canal (les journaux ont largement ce qu’il faut pour permettre d’accompagner les lanceurs d’alertes).
Si c’est pour balancer de l’information sans importance je ne vois pas un agent publique faire ça.
Le 19/10/2018 à 18h03
L’idée me parait bancal et risqué pour les fonctionnaires au niveaux emplois.
Le 19/10/2018 à 18h10
Je suis globalement d’accord. SI c’est pour promouvoir l’open data, ça ne se fera jamais sans l’accord des hiérarchies (quitte à se rappeler à leur bon souvenir à coup de CADA). Si c’est pour dénoncer des actes légalement ou moralement répréhensibles, il vaut mieux contacter des journalistes.
Le seul cas où ça peut être pertinent, c’est pour informer de l’existence d’un document inconnu qui sera ensuite demandé via la CADA.
Le 19/10/2018 à 18h14
Le 19/10/2018 à 18h20
Le 19/10/2018 à 18h23
Ben oui, pour les documents inconnus, il faut bien…
Le 19/10/2018 à 21h05
Le 19/10/2018 à 23h16
Les accès aux documents sont sûrement consignés (log), donc il est fort probable qu’une publication d’un document peu accédé permettrait l’identification du coupable. Sans recourir aux points jaunes sur l’impression ou la copie numérique.
Le 20/10/2018 à 04h42
Pas convaincu par la démarche. Qui serait assez con pour risquer son poste en fournissant des fichiers sans importance ?
Pour les scandales, il y’a déjà les journaux avec l’assurance de bénéficier du secret sur la source.
Le 20/10/2018 à 07h48
Cela peut-être une raison de licenciements.
Le 20/10/2018 à 08h54
Licenciement, fonctionnaire ?
(edit : je dis pas que c’est pas possible de licencier un fonctionnaire, mais ça ne se fait pas comme ça sur un coup de tête… et donc impossible pour des broutilles comme celles-ci.)
Le 20/10/2018 à 09h41
Pour un fonctionnaire, le licenciement n’est pas une sanction, mais le résultat d’une inadéquation entre le fonctionnaire et la fonction (le poste n’existe plus, l’agent ne remplit pas efficacement sa mission, devient inapte, etc).
La radiation pour cause disciplinaire fait suite à une révocation, qui ne se fait effectivement pas à la légère. Une sanction suppose une faute (une action portant atteinte au service ou à la considération de celui-ci), est soumise à avis du conseil de discipline, et peut être contestée.
Il y a certainement plein de données dont la publication ne porte pas atteinte au fonctionnement du service concerné ou à son image auprès du public. Leur publication n’est donc pas une faute, même si elle se fait contre la volonté d’un supérieur hiérarchique, et n’est donc pas passible de sanction.
L’imagination des petits chefs, quand il s’agit de casser les noix de leurs subordonnés, étant sans limite, il peut être sage de les contourner discrètement quand c’est possible.
Le 20/10/2018 à 10h01
Le 21/10/2018 à 16h07
Le 21/10/2018 à 16h42
Le 21/10/2018 à 19h23
Le 22/10/2018 à 05h48
Juste un point technique, sur le site ca indique:
“ Si vous utilisez DROP depuis votre bureau, votre administrateur système est en mesure de savoir que vous utilisez DROP, mais pas d’accéder aux documents transmis.”
Etant donné la pratique courante du man-in-the middle en entreprise par les services IT, ce n’est donc pas du tout garantie.
Le 22/10/2018 à 07h06
Mouhahahahahahaha tu es vraiment un drôle de comique…
Si tu penses que ce genre de protection sont en places dans les ministères (autres que l’armée). Déjà que dans certaines grandes boites c’est même pas le cas. De plus, quand le data access control est activé cela n’est fait que sur les documents RH ou financiers généralement.
T’imagines pas les ressources qu’il faut pour activer ça sur les fichiers excel des secrétaires.
Le 22/10/2018 à 08h50
J’ai un peu de mal à saisir l’intérêt de ce machin; il existe une procédure efficace via la CADA pour obtenir des documents souhaités, chose reconnue par l’association elle-même.
Pourquoi prendre le risque de se mettre dans l’illégalité et éviter qu’une administration réfractaire soit publiquement contredite par la CADA ?
Du coup si on a une procédure efficace et contraignante pour l’administration, la plateforme d’upload “anonyme” n’a pas de sens telle que présentée. A l’inverse, elle pourrait être utilisée en mode boule puante pour régler des comptes entre services ou politiques.
Bref, ça risque de devenir un [balance ton service/ton maire/etc…] avec comme effet indirect une levée de boucliers contre l’opendata.
Le 22/10/2018 à 12h13
je vois cela comme un système pour inciter au lancement d’alerte depuis l’intérieur de l’administration et mettre son auteur à l’abri de mesures de rétorsion officieuses.
Une demande CADA n’est valide que si son ouverture mentionne précisément les documents pour lesquels on demande divulgation et le demandeur doit s’identifier (nom, prénom, coordonnées). Deux conséquences directes
Par contre, oui, comme tout outil de ce type ça peut dégénérer assez facilement " />
Le 24/10/2018 à 09h16
C’est ce que j’allais dire.
J’étais dans une banque est il faisait de l’usurpation de certificat SSL avec la navigateur fournis avec la session en mettant directement leur certificat racine comme autorité.
Je m’en suis rendu compte quand j’ai fais rentrer un Firefox portable et que j’avais une erreur de certificat sur Google.com " />