Du Népal au Maroc ou au Pérou, la génération Z se mobilise en et hors ligne
« Vivre n’est pas un crime »
Après le Sri Lanka ou le Bangladesh, la jeunesse du Maroc, de Madagascar ou du Pérou s'empare des rues pour lutter contre les inégalités et des régimes jugés inefficaces. D'un bout à l'autre du globe, elle mobilise culture et pratiques numériques pour s'organiser et protester.
Le 06 octobre à 16h24
7 min
Société numérique
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Est-ce un écho des Printemps Arabes, au tournant des années 2010 ? Ou est-ce quelque chose de totalement nouveau qui agite la génération Z de multiples pays d’Asie du Sud-Est, d’Afrique et d’Amérique latine ?
En 2022, les jeunes sri-lankais descendaient dans les rues : au bout de cinq mois, le clan Rajakpasa, au pouvoir depuis 20 ans, était renversé. Au Bangladesh, en 2024, seulement six semaines auront permis à la jeune génération de chasser la Première ministre Sheikh Hasina. Début septembre, au Népal, deux jours de mobilisation ont suffi pour que le gouvernement démissionne.
Depuis quelques semaines, ces mouvements lancés par la génération Z, la jeunesse née entre 1997 et 2012, rebondit d’un pays à l’autre. Alors que l’Asie du Sud-Est a vu les premiers mouvements d’ampleur, voilà que la jeunesse de Madagascar et du Maroc s’attaquent, à leur tour, à leur classe dirigeante. Eux se nomment même explicitement « mouvement Génération Z » et « collectif Gen Z 212 », citant dans ce dernier cas l’indicatif téléphonique du Maroc.
Ils sont désormais imités jusqu’au Pérou et au Paraguay. Sans leader, ces mouvements résonnent par leur usage des outils numériques et leur appel à des références de pop culture qui prennent la forme de mèmes contestataires brandis en et hors ligne.
Explosion des inégalités et lutte contre la corruption
Sociologue, Cécile Van de Velde identifie dans ces manifestations un fil rouge fait de « défense proactive de principes fondamentaux jugés menacés », dont l’éducation est régulièrement brandie comme un étendard, et la démocratie elle-même, présentée comme « un idéal à revivifier ». Les inégalités, à commencer par celles entre les générations, sont quant à elles dénoncées partout.
Si ces revendications peuvent se rejoindre, cela dit, d’un pays à l’autre, l’étincelle et les revendications concrètes varient. À Madagascar, la génération Z demande le respect de ses libertés fondamentales, l’accès à l’eau et à l’électricité. Au Maroc, elle appelle à un meilleur accès à l’éducation et la santé.
Souvent, les manifestants s’opposent aussi à la corruption et à l’inefficacité perçue de leurs différents gouvernements. Au Népal, l’irritation a par exemple été alimentée par l’exposition sur les réseaux sociaux des enfants des élites dirigeantes, dont le train de vie fait de marques de luxe françaises et de congés dans des pays exotiques est inatteignable pour l’essentiel de la population locale (20 % des Népalais 15 - 25 ans sont au chômage). Le blocage de 26 réseaux sociaux avait mis le feu aux poudres.
Au Pérou, des « marches de la génération Z » ont été organisées dans les rues de Lima pour s’opposer à un gouvernement et à un Congrès décrits comme corrompus. Dans le pays andin, c’est un projet de réforme des retraites controversé qui a mis le feu aux poudres, dans un contexte de nette insécurité et d’impopularité record du gouvernement.
Pop culture et politisation en ligne
Née dans les années 2000, n’ayant jamais connu de monde sans internet, la génération Z s’appuie sur une culture populaire, des outils et des solidarités qui dépassent largement les frontières de leurs pays pour s’informer, s’entraider, et même se politiser, analyse le quotidien indonésien Kompas.
Groupes WhatsApp, serveurs Discord et autres forums sont les outils parfaits pour s’organiser, de même que l’humour corrosif propre aux espaces numériques, qui permet à certains messages de circuler à la vitesse de l’éclair. Au Népal, des étudiants témoignent ainsi avoir recouru à ChatGPT, DeepSeek ou Veed pour générer des vidéos sur les « nepo kids » et la corruption puis les publier sur TikTok. Auprès de France 24, une manifestante trace un lien direct entre les manifestations népalaises et l’émergence d’une « conscience collective » parmi la jeunesse malgache.
Parmi les repères qui circulent d’un pays à l’autre, d’un combat à l’autre, le hashtag #SEAblings joue sur les mots (SEA pour proche de la mer, pour Asie du Sud-Est, siblings pour dire fratrie) pour signifier les liens transfrontaliers entre manifestants.
Difficile, aussi, de ne pas repérer les références au manga One Piece, du japonais Eiichirō Oda. Le drapeau du pirate au chapeau de paille circule en ligne et dans les manifestations du Maroc au Pérou. Cette référence est mobilisée jusqu’en France, que ce soit dans les quartiers populaires ou dans les manifestations Bloquons Tout. Devant le succès du même devenu symbole, l’Indonésie a même interdit l’usage du « Jolly Roger » au chapeau de paille.
Des mobilisations qui se multiplient
Hors ligne, les contestations se heurtent par ailleurs à un maintien de l’ordre parfois virulent. Au Maroc, plus de 400 interpellations et près de 300 blessés étaient comptabilisés après la manifestation du 2 octobre. Au moins trois personnes ont été tuées. À Madagascar, au moins 22 manifestants ont été tués. Au Népal, aussi, la répression a fait plusieurs dizaines de morts.
Quant au projet de long terme de la génération Z, s’il n’est pas toujours explicitement structuré, il témoigne d’après Élodie Gentina, professeure à l’IESEG School of Management interrogée par RFI, « un besoin radical de cohérence. » L'enseignante décrit une révolte contre « un modèle de gouvernance qui ne [leur] correspond plus. (…) Cette jeunesse exige de la transparence et des résultats qui soient concrets. »
Seul l’avenir permettra de dire si, 15 ans après les Printemps Arabes, ces jeunesses parviendront à imposer leur volonté de changement dans le temps. Car, aussi efficaces les médias sociaux soient-ils pour créer des effets de masse, comme montrait à l'époque la sociologue Zeynep Tufekci, ces derniers ne remplaçaient pas les méthodes d’organisation tissées hors ligne dans le temps long.
Co-auteur de The Politics of Opposition in South Asia (Carnegie Endorment for International Peace, 2023), Paul Staniland souligne auprès du Monde que l’essentiel des mouvements visent à modifier le fonctionnement démocratique, à en réduire la corruption, sans nécessairement appeler à des régimes totalement neufs.
Si la répression bangladaise est la plus violente (plus de 1 400 morts et des milliers de blessés), les manifestations les plus anciennes de la génération Z n’ont pour le moment pas occasionné de guerre civile ou de contre-révolution similaires à celles qui s’étaient dressées face aux enflammements de Twitter, Facebook, puis de multiples places de Tunisie, d’Égypte ou de Libye.
La seule chose certaine concerne le nombre de pays dans lesquels une partie de la génération Z se mobilise. Avec des mobilisations en Serbie, aux Philippines ou au Kenya, celui-ci ne cesse de croître.
Du Népal au Maroc ou au Pérou, la génération Z se mobilise en et hors ligne
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Explosion des inégalités et lutte contre la corruption
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Pop culture et politisation en ligne
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Des mobilisations qui se multiplient
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Abonnez-vousLe 06/10/2025 à 17h03
Souhaitons leur davantage de succès que leurs ainés.
Le 07/10/2025 à 01h06
La situation de ces pays n'est pas vraiment une copie de OWS d'autant qu'il est impossible de les démolir de la même façon. Cela a dû aider à voir ces démissions... et on peut donc espérer que ça tienne sur la durée et que ça leur apporte quelques changements.
Le 06/10/2025 à 22h12
Le 07/10/2025 à 08h32
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