Sabotage de câbles en Baltique : sur les traces de la « flotte fantôme » russe
Ancres vagabondes

Les autorités finlandaises poursuivent leurs investigations suite à l'arrachage, le 25 décembre, de plusieurs câbles sous-marins en mer Baltique. La piste du sabotage se confirme, avec la découverte de traces signalant une ancre de bateau traînée sur des dizaines de kilomètres. La police a saisi le pétrolier Eagle S, qui transitait de la Russie vers l’Égypte. Son appartenance supposée à la flotte fantôme russe ravive les tensions entre l'Europe, l'OTAN et Moscou.
Le 30 décembre 2024 à 17h40
6 min
Sécurité
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La police finlandaise a annoncé samedi avoir fait escorter, avec l'assistance des garde-côtes, le pétrolier Eagle S des eaux de la mer Baltique vers le golfe de Sköldik, pour y procéder à des investigations techniques, ainsi qu'à l'interrogatoire de l'équipage.
Dimanche, elle a par ailleurs révélé avoir découvert, par l'intermédiaire de ses opérations de recherche sous-marines, des « traces de traînée » continues, sur plusieurs dizaines de kilomètres, qui pourraient correspondre au trajet d'un bâtiment ayant laissé son ancre racler les fonds marins.
« Grâce aux mesures d'enquête menées à bord du pétrolier Eagle S et à l'enquête sous-marine sur place, la police souhaite pouvoir se faire une idée précise des incidents survenus dans le golfe de Finlande », indique le bureau d'enquête finlandais qui, à ce stade, se garde bien d'incriminer qui que ce soit.

Plusieurs câbles rompus en mer Baltique
Comme Next le rapportait déjà jeudi dernier, les faits sont survenus le jour de Noël, mais on dispose maintenant d'un cadre nettement plus précis. Le premier incident a été constaté peu après midi, par Fingrid, le gestionnaire du réseau électrique finlandais. Il a signalé une probable rupture du câble sous-marin Estlink 2, chargé d'une interconnexion à hauteur de 650 MW entre l'Estonie et la Finlande. Les échanges ont immédiatement été compensés par l'autre câble assurant cette liaison, Estlink 1, et bien que ce dernier soit dimensionné de façon plus modeste, avec une capacité de transmission de l'ordre de 350 MW, aucune interruption de service n'a été constatée. Les travaux de remise en état s'annoncent toutefois délicat : Fingrid évoque une remise en état aux alentours d'août 2025.
Une deuxième salve d'incidents est intervenue quelques heures plus tard, dans la soirée du 25 décembre, avec l'arrachage, total ou partiel, de quatre câbles dédiés cette fois aux communications électroniques. Dans le lot figure le câble C-Lion 1, qui relie la capitale finlandaise à l'Allemagne, deux câbles opérés par Elisa reliant la Finlande à l'Estonie, ainsi qu'une ligne de 92 km, propriété de l'opérateur chinois CITIC Telecom.
Les conséquences sur le fonctionnement des réseaux ou des services associés sont restées limitées. « En raison de la conception redondante du réseau, le problème n'affecte pas les services d'Elisa en Finlande ni en Estonie. Les perturbations peuvent avoir affecté certaines entreprises et opérateurs qui ont acheté des connexions de transmission directes à partir de ces câbles. Les préparatifs pour la réparation sont en cours », indiquait par exemple l'opérateur Elisa dès le 26 décembre.
S'il peut arriver que deux incidents surviennent simultanément sur des câbles de liaison grande distance, l'observation des mouvements maritimes a rapidement permis de mettre en lumière le comportement suspect d'un pétrolier, le Eagle S, battant pavillon des îles Cork. Son trajet, retracé par des amateurs avertis, montre que le pétrolier a non seulement circulé, mais aussi ralenti dans la zone concernée, au moment des incidents recensés.
Suspect tout désigné, le bateau a immédiatement été placé sous surveillance par les autorités locales, qui l'ont dérouté vers les eaux territoriales finlandaises – officiellement pour prévenir tout autre dommage éventuel, avant d'en prononcer la saisie samedi. Parti du port de Saint-Pétersbourg, l'Eagle S naviguait en direction du canal de Suez. À bord, les autorités ont constaté l'absence de l'une des deux ancres du bâtiment, déclarée perdue.
La Commission européenne incrimine la Russie
Ce nouvel incident intervient moins de six semaines après les mésaventures du cargo battant pavillon chinois, le Yi Peng 3, accusé d'avoir, lui aussi, provoqué l'arrachage de deux câbles sous-marins en mer Baltique, le 18 novembre dernier, laissant planer l'ombre d'un sabotage orchestré par la Russie.
L'hypothèse a été reprise sans ambages par la Commission européenne suite aux arrachages de Noël. « L'incident impliquant des câbles sous-marins dans la mer Baltique le 25 décembre est le dernier d'une série d'attaques présumées contre des infrastructures critiques, attaque l'institution dans un communiqué, avant de préciser ses insinuations. Le navire suspect fait partie de la flotte fantôme russe, qui menace la sécurité et l’environnement, tout en finançant le budget militaire de la Russie. Nous proposerons d’autres mesures, y compris des sanctions, pour cibler cette flotte ».
Mark Rutte, ancien premier ministre des Pays-Bas, secrétaire général de l'OTAN depuis le 1er octobre dernier, a quant à lui affirmé que la coalition renforcerait sa présence militaire en mer Baltique.
Spoke w/ @alexstubb about the ongoing Finnish-led investigation into possible sabotage of undersea cables. I expressed my full solidarity and support. #NATO will enhance its military presence in the Baltic Sea.
— Mark Rutte (@SecGenNATO) December 27, 2024
Du transport de pétrole au sabotage ?
Quelle est donc cette fameuse « flotte fantôme » russe, que dénonçait aussi le président de Finlande, Alexander Stubb, dès jeudi dernier ?
L'expression désigne la flotte de navires, pétroliers et cargos, que la Russie utiliserait pour contourner les sanctions commerciales mises en place par l'Occident depuis son invasion de l'Ukraine. Elle a été formalisée en décembre 2023 par l'Organisation maritime internationale, rattachée à l'ONU, dans une résolution dédiée (PDF). Elle y décrit la « shadow fleet », ou « dark fleet », comme un ensemble de navires « qui se livrent à des opérations illégales dans le but de contourner les sanctions, d’échapper au respect des réglementations en matière de sécurité ou d’environnement, d’éviter les frais d’assurance ou de se livrer à d’autres activités illégales ».
D'après un rapport de la Commission européenne de novembre dernier (PDF), lui-même basé sur les travaux de la Kyiv School of Economics (KSE), cette flotte fantôme serait constituée d'environ 400 navires, battant sous des pavillons divers. Et si la finalité première de cette flotte consiste, selon les observateurs, à assurer le transport de marchandises soumises à sanction, d'aucuns s'inquiètent de missions plus discrètes, mais tout aussi stratégiques. En avril dernier, l'amiral norvégien Skoog Haslum soulevait par exemple, auprès de la télévision nationale, la question d'activités hybrides, après la découverte d'équipements de communication ou de surveillance dépassant de loin la dotation habituelle d'un navire commercial.
Sabotage de câbles en Baltique : sur les traces de la « flotte fantôme » russe
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Modifié le 31/12/2024 à 11h16
Tu trouveras un thèse sur le sujet datant de 2020 là-dessus https://theses.fr/2020LYSE3046
Plus simple et rapide à lire un article qui résume le tout https://www.editionmultimedia.fr/2022/05/16/le-statut-juridique-et-le-regime-applicable-aux-cables-sous-marins-gagnent-a-etre-assouplis/
Le 02/01/2025 à 11h24
C'est traité par les traités internationaux sur la haute mer, qui sont remis à jour régulièrement. Les infrastructures sous-marines sont protégées par le droit international.
*Article113
Breaking or injury of a submarine cable or pipeline
Every State shall adopt the laws and regulations necessary to provide that the breaking or injury by a ship flying its flag or by a person subject to its jurisdiction of a submarine cable beneath the high seas done wilfully or through culpable negligence, in such a manner as to be liable to interrupt or obstruct telegraphic or telephonic communications, and similarly the breaking or injury of a submarine pipeline or high-voltage power cable, shall be a punishable offence. This provision shall apply also to conduct calculated or likely to result in such breaking or injury. However, it shall not apply to any break or injury caused by persons who acted merely with the legitimate object of saving their lives or their ships, after having taken all necessary precautions to avoid such break or injury.*