Jeux d’espions dans l’espace : et maintenant, la contre-attaque
B4, touché !
Il y a maintenant plus de quatre ans, nous vous expliquions comment l’espace était devenu un enjeu stratégique, sous « surveillance » de vaisseaux-espions. Depuis, la situation ne s’est pas franchement améliorée. La France (et l’Europe) prennent cette dimension en compte, et développent de nouveaux systèmes… aussi bien défensifs qu’offensifs.
Le 29 août à 17h42
7 min
Sécurité
Sécurité
Les communications officielles sur le sujet sont peu nombreuses, mais la question de l’espionnage dans l’espace revient régulièrement sur le tapis dans les différentes commissions de nos institutions. Comme c’était déjà le cas en 2020, les comptes rendus des auditions sont parfois des mines d’information.
Des satellites omniprésents…
On s’en doute, mais sans forcément en mesurer toute l’ampleur : notre monde numérique dépend de manière très importante des satellites. Le député Pieyre-Alexandre Anglade, président de la commission des affaires européennes, résumait la situation l’année dernière lors d’une audition de Josef Aschbacher, directeur général de l’Agence spatiale européenne (ESA) :
… et suivis à la trace par d’autres pays
Dans un compte rendu de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques d’avril 2024, le sénateur Ludovic Haye rappelle les enjeux qui se déroulent à plusieurs centaines de km au-dessus de nos têtes :
Deux informations importantes : les satellites espions ne sont pas un mythe (même si on le savait déjà), et surtout le phénomène de s’approcher d’un autre satellite pour surveiller/écouter ses communications « n’est pas rare ».
Bernard Émié, directeur général de la sécurité extérieure, expliquait en février 2023 que la géopolitique a bien changé si l’on regarde à l’est : « Depuis l’agression contre l’Ukraine, la Russie assume pleinement une stratégie de confrontation, guerre comprise, avec l’Occident ».
On reste dans la même zone, avec la Chine « qui considère que le moment chinois est venu ». Le pays assume sa rivalité avec les démocraties : « Au cours des dernières années, on l’a vue passer de "puissance contenue", présentant une face émergée séduisante, à une "puissance agressive", ainsi que l’a récemment illustré l’affaire des ballons espions. La diplomatie chinoise est désormais débridée, rien de tel n’était imaginable il y a dix ans ».
Hybridation des satellites et des attaques
Les tensions géopolitiques et la guerre en Ukraine ont montré que la maitrise de l’espace était importante : « Le premier jour de la guerre en Ukraine, le satellite KA-SAT a subi une cyberattaque après qu’il est apparu que l’armée ukrainienne en utilisait une partie pour obtenir des informations sur la mobilité des troupes. On l’attribue à la Russie qui, pour ce faire, a utilisé un serveur terrestre », expliquait le sénateur Ludovic Haye en avril dernier.
Lors de cette cyberattaque, au moins une activité civile a fait les frais de l’activité militaire visée : des éoliennes allemandes commandées par ce satellite. Ce mélange des genres – on parle de systèmes hybrides lorsqu’ils servent à la fois des usages civils et militaires – n’est pas nouveau. Les deux sont de plus en plus souvent liés, ce qui soulève plusieurs questions.
Ludovic Haye détaille cette problématique dans une note scientifique (.pdf) sur les débris spatiaux : « nous avons auditionné le général Adam, commandant de l’espace. Compte tenu du coût des lancements, on installe souvent des modules militaires sur des satellites civils et inversement. Dans un contexte de guerre, comme celui entre la Russie et l’Ukraine, un module militaire peut attirer l’attention sur un satellite civil, au risque de le mettre en péril ».
Connaitre l’espace est primordial
Du point de vue du renseignement, un point important revient régulièrement dans les rapports d’audition : connaitre l’inventaire des satellites « déjà envoyés pour mieux analyser certains phénomènes d’approche », ou les identifier, même si cela permet aussi de connaitre l’encombrement des orbites, et donc les risques de collisions.
« Pour être capable d’observer, il faut disposer non seulement de radars et de moyens d’observation, mais aussi d’un inventaire. Si vous ne savez pas identifier, par son numéro de code, le pays qui est derrière un satellite en approche, cela perd tout intérêt », explique Ludovic Haye.
Sur ce point, la France est plutôt bien lotie, ajoute le sénateur : « Les États-Unis sont le pays qui tient l’inventaire le plus à jour et ils ont de bons échanges avec la France et l’Europe. Si nous avons besoin d’information sur l’existence de tel ou tel satellite, nous l’obtenons bien plus facilement d’eux que d’autres pays ».
Pouvoir se passer de cet allié et arriver à une souveraineté totale serait évidemment mieux, c’est d’ailleurs un but que la France et l’Europe essayent d’atteindre.
Le général en mode Obi-Wan Kenobi : force, laser et Yoda
Pour le général Stéphane Mille, chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace, il faut se donner les moyens de nos ambitions : « La compétition et l’instabilité stratégique s’imposant comme la norme dans les relations internationales, il convient d’adapter et de renforcer notre capacité à agir vite et loin, y compris dans l’espace, avec une permanence accrue et en maîtrisant la force ».
Le général en profite pour revenir sur le futur ange gardien des satellites militaires français, ou Yoda, pour Yeux en Orbite pour un Démonstrateur Agile, un projet dont nous avons déjà parlé. Ce démonstrateur d’un patrouilleur-guetteur devrait être lancé en 2025, « et ses successeurs, prévus pour 2028 », ajoute le général.
« Ces capacités permettront à la France de surveiller l’espace depuis l’espace, pour détecter et attribuer un acte suspect ou agressif. Ce faisant, Yoda concourra directement à la protection des satellites militaires français CSO, CERES et Syracuse, susceptibles d’être approchés par des congénères étrangers aux attentions peu amicales », explique le ministère des Armés.
En 2025 aussi, la France devrait renforcer son arsenal avec des lasers : « des expérimentations doivent nous permettre d’envisager l’utilisation de lasers depuis le sol ou l’espace. Une première capacité est envisagée dès 2025 », toujours selon le général.
L’Europe investit pour sécuriser ses infrastructures spatiales
L’Europe est aussi bien consciente de cet enjeu. En février 2023, Josef Aschbacher (directeur général de l’ESA), affirmait que la cybersécurité (au sens large) est de la plus haute priorité : « On m’a proposé de doubler le budget de la cybersécurité et les États membres y ont consenti. La cybersécurité protège à la fois nos infrastructures spatiales et terrestres. Il faut doter nos infrastructures spatiales de systèmes de cybersécurité très robustes, car les risques sont élevés ».
Jeux d’espions dans l’espace : et maintenant, la contre-attaque
-
Des satellites omniprésents…
-
… et suivis à la trace par d’autres pays
-
Hybridation des satellites et des attaques
-
Connaitre l’espace est primordial
-
Le général en mode Obi-Wan Kenobi : force, laser et Yoda
-
L’Europe investit pour sécuriser ses infrastructures spatiales
Commentaires (34)
Vous devez être abonné pour pouvoir commenter.
Déjà abonné ? Se connecter
Abonnez-vousLe 29/08/2024 à 18h42
Le 29/08/2024 à 18h55
Le 29/08/2024 à 19h40
Et au sol, la puissance ce n'est pas un problème.
Le 29/08/2024 à 20h40
Le 29/08/2024 à 22h56
Par contre, il existe bien des émetteurs micro-ondes suffisamment puissant pour étudier les hautes couches de l'atmosphère et pour laquelle, lors d'une session de "tir", une zone d'exclusion aérienne est nécessaire avant opération.
Le 29/08/2024 à 23h24
La question c'est surtout de savoir si ça peut traverser l'atmosphère sans être trop diminuée.
Modifié le 30/08/2024 à 01h49
Et le soucis c'est la directivité des ondes radio.
Un exemple : les lasers qui sont testés sur les navires de l'us navy pour détruire des drones ou des petites embarcations à quelques centaines de mètres mesurent environ 50cm de diamètre. Pour obtenir la même directivité en bande Ku , typiquement utilisée en satcom, il faudrait antenne 340000 fois plus grande (le rapport des longueurs d'onde), soit 150 km..
Tout ça pour dire que faire griller un circuit RF à longue distance, c'est pas facile !
Le 30/08/2024 à 08h17
Merci pour les infos ! Je me disais bien que ça devait pas être aussi simple.
Le 30/08/2024 à 09h48
Et ça existait en proto pour passer de l'énergie à la Réunion y'a quelques années, mais le principe fonctionne pour griller en le chauffant l'électronique d'un objet (faire bouger les atomes en eux).
Le 30/08/2024 à 11h38
Par contre, je suis tombé sur le concept de "maser" qui est l'équivalent du laser dans les micro-ondes justement. 😊
Modifié le 29/08/2024 à 19h56
Donc où est le risque ici ? Si on ne peut rien comprendre de ce que raconte le satellite à la station terrestre ?
Les militaires n'auraient donc même pas confiance dans leurs systèmes de cryptographie ?
.
Le 29/08/2024 à 20h39
Le 29/08/2024 à 21h22
Si les signaux reçu par le sat sont toujours chiffré avec un algo devenu faible (car y a pas de puce hardware pour autre chose dans le sat), tu sais récupérer les infos en te mettant a coté
Modifié le 29/08/2024 à 21h37
D'ailleurs la NSA est l'entité dans le monde qui a le plus grand nombre d'employés titulaires d'un PhD en Mathématiques...
Modifié le 29/08/2024 à 22h52
Donc t'as le choix entre te dire "pas grave y a pas de solution pour venir ce mettre entre la station et le sat" ou envoyer un nouveau sat et donc payer > 50 millions.
Tu choisis l'option 2, avant découvrir les manœuvres que certains pays font depuis quelques années
Donc tu passe en mode "on le remplacera en 2032 quand il sera obsolète" à "il faut le changement maintenant, ah ça prend 4 ans"
Ils ont peut être justement des idées sur comment gagner du temps (voir casser le truc, avec du Shor dans un ordi quantique)
Le 29/08/2024 à 23h01
Imagine ton satellite espion s'approchant de sa cible pour écouter les émissions électromagnétiques de celle-ci. Si sa cible active ses instruments (e.g., caméras) il y a de fortes chances pour que le satellite espion puisse le détecter et savoir où tu observes. Il ne sait pas forcément ce que tu cherches ni comment tu observes (visible, IR...) mais il sait que tu observes cette région.
Idem, il peut aussi savoir où tu transmets les données par la suite, même si elles sont chiffrées. Si ton antenne de reception terrestre (et aussi d'envoie de commande) se situe en France, tu peux penser que la France est derrière ce satellite et s'interesse à tel et tel zone/objectifs.
Le 30/08/2024 à 09h33
Le 30/08/2024 à 11h50
Tu peux chiffrer comme il faut, si la station au sol est ouverte c'est perdu. Si sans être ouverte, elle peut être neutralisée, tes satellites ne servent plus à rien.
Les attaques peuvent aussi porter, sur les infrastructures de lancement, de construction. Il y a plein d'ordinateurs et de processus qui pourraient être neutralisés. Si l'attaquant accède au système d'autodestruction d'une fusée, en la faisant exploser au sol, il détruit potentiellement le pas de tir.
Le 30/08/2024 à 12h00
Le 29/08/2024 à 20h38
Le 29/08/2024 à 21h31
Le 29/08/2024 à 21h44
Le 29/08/2024 à 22h42
Le 29/08/2024 à 23h20
Modifié le 30/08/2024 à 02h29
Et en labo, en Novembre 2023, le record du monde a été pulvérisé à 22.9 petabits/s dans une seule fibre !! ... soit 22 milliards de mbps… [Source].
Pour un satellite, même pas en rêve.
Le 30/08/2024 à 13h52
* Pareil pour la télé, que des câbles, la télé par satellite c'est une infime fraction du total, et dont on peut se passer pour faire fonctionner un réseau télévisuel.
* Pareil pour les réseaux bancaires, j'ai du mal à voir en quoi des satellites serait utilisés en lieu et place des câbles, à part pour des îles isolées à la rigueur ...
* Niveau place boursières, je suis moins sûr. J'aurais dit que les traders ont besoin d'infos le + rapidement possible mais dans ce cas le réseau câblé est encore plus efficace, à moins d'être vraiment très loin peut-être.
* Niveau carto, toujours pareil : on a pas attendu les satellites pour en faire. Alors c'est sûr qu'aujourd'hui les images satellites sont très utilisées, mais on peut toujours faire sans, et on a aujourd'hui des avions voire des drones envoyés pour récupérer des infos plus précises que celles des satellites (mais à moindre échelle forcément). L'IGN développe par exemple plein de bases de données qui ne requiert pas de satellites. (P.S : c'est mon métier)
* Niveau militaire : oui, j'imagine qu'il y en a plein effectivement, et là c'est pertinent.
1/6, c'est très léger. Surtout qu'à la place, il aurait pu parler de secteurs qui ont vraiment besoin des satellites, genre la prévision météo ou l'étude du climat. Mais j'imagine qu'il ne s'adresse pas à n'importe qui, et qu'il essaie faire peur pour convaincre son auditoire.
Le 01/09/2024 à 08h59
Faisceaux Hertziens 6 Ghz de TWS International pour du High Frequency Trading entre les bourses de Londres et Zurich
THE WALL STREET PROJECT Bande Annonce VF
Le 11/09/2024 à 07h12
J'imagine que pour plein d'événements en direct, sportifs ou reporters du bout du monde, le satellite sera toujours très utilisé. Ensuite oui, pour la distribution finale aux abonnés, ça passe bien évidemment par des câbles.
Mais peu importe le domaine, télévision, cartographie ou autre, il faut se poser la question de savoir si, à un moment donné, dans la chaîne, il n'y a pas du satellite qui sera toujours obligatoire. Rien que le GPS, c'est désormais crucial dans un nombre incalculable de domaines…
Modifié le 29/08/2024 à 22h07
Blague à part, super article !
Le 30/08/2024 à 09h10
@Next : continuez vos jeux mots, je fais partie de ceux qui adorent 👍
Le 30/08/2024 à 10h11
Peu importe les propos, même les plus mesurés, quelqu'un trouvera toujours quelque chose à redire.
Le 30/08/2024 à 10h39
Mais oui, on aime bien les jeux de mots et on n'a pas prévu d’arrêter
Modifié le 30/08/2024 à 10h44
Edit : grillé... par l'auteur
Le 30/08/2024 à 10h14