Un couple et leur petite fille à la plage face à la merPhoto de Natalya Zaritskaya sur Unsplash

Sharenting : le Sénat et la CNIL veulent renforcer le respect du droit à l’image des enfants

Enfantin(g)

Avatar de l'auteur
Jean-Marc Manach

Publié dans

DroitSécurité

20/12/2023 8 minutes
12

Un couple et leur petite fille à la plage face à la merPhoto de Natalya Zaritskaya sur Unsplash

Coup sur coup, la CNIL a publié une mise en garde au sujet des risques associés au « partage de photos et vidéos de votre enfant sur les réseaux sociaux », et le Sénat adopté en seconde lecture une proposition de loi afférente.

Le Sénat a adopté, en seconde lecture ce mardi 19 décembre, une proposition de loi de l'Assemblée nationale visant à garantir le respect du droit à l'image des enfants.

Leur texte, qui « se veut avant tout pédagogique vis-à-vis des parents », entend modifier les règles du Code civil relatives à l’autorité parentale, « pour y intégrer le respect de la vie privée et le droit à l’image », et « mieux sensibiliser les parents à leurs obligations ».

En nouvelle lecture, le Sénat a « accepté de faire figurer expressément dans le Code civil l’obligation des parents de protéger en commun le droit à l’image de leur enfant ».

Les sénateurs veulent également « consacrer la possibilité pour le juge aux affaires familiales d’interdire à un parent la diffusion d’un contenu relatif à l’enfant sans l’accord de l’autre parent ».

Il a par contre « refusé de créer un cas de délégation de l’exercice du droit à l’image de l’enfant » lorsque la diffusion de l’image de celui-ci par ses parents porte gravement atteinte à sa dignité ou à son intégrité morale, considérant que cette procédure « n’apportait pas de solution plus efficiente » que les mesures d'assistance éducative que peut déjà prendre le juge des enfants.

L'échec de la commission mixte paritaire

Ce texte revenait au Sénat après l'échec de la commission mixte paritaire en raison de divergences sur deux points principaux : l'exigence d'un accord des deux parents pour toute diffusion d'une image de leur enfant sur internet, que le Sénat avait ajoutée, et la création d'une « délégation forcée de l'exercice du droit à l'image de l'enfant à un tiers » en cas d'atteinte grave à sa dignité ou à son intégrité morale, que souhaitaient maintenir les députés.

Lors de son examen en nouvelle lecture, la commission des lois a finalement renoncé à la nécessité d'un accord des deux parents pour la diffusion d'une image de l'enfant sur internet, en cohérence avec la position exprimée par le Sénat en matière d'inscription des mineurs sur les réseaux sociaux lors du vote de la loi du 7 juillet 2023 « visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne ».

La rapporteure précise que son article 4 ne requiert en effet l'accord que d'un seul titulaire de l'autorité parentale pour permettre à un enfant de s'inscrire à un réseau social avant ses quinze ans. Il ne lui a donc pas semblé logique de créer une différence de traitement entre ces deux situations, sachant que l'inscription à un réseau social n'est souvent que le préalable à la diffusion de photos.

La question du rôle des parents, du juge et de la CNIL

Elle a par contre consacré dans le Code civil l'obligation pour les parents de « protéger en commun le droit à l'image de leur enfant », afin de les sensibiliser aux dangers d'exposer leurs enfants sur les réseaux sociaux, mais également de « donner une référence légale aux professionnels qui interviennent auprès des parents et des enfants en la matière ».

À l'initiative de la rapporteure, la commission a en outre accepté de préciser les pouvoirs du juge aux affaires familiales (JAF) pour interdire à un parent la diffusion d'un contenu relatif à l'enfant sans l'accord de l'autre parent, tout en précisant que ces pouvoirs s'exerçaient dans le but d'assurer la protection du droit à l'image de l'enfant. Et ce, au motif que « le rôle des parents n'est en effet pas tant d'exercer le droit à l'image de leur enfant que de le protéger ».

Introduit en première lecture au Sénat, l'article 5 qui vise à permettre à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) de saisir le tribunal judiciaire en référé dès lors que des données à caractère personnel d'un mineur sont concernées, a été précisé par l'Assemblée nationale « afin de circonscrire l'intervention de la CNIL en référé aux cas de non-exécution ou d'absence de réponse à une demande d'effacement de ces données ».

Sharenting : l'avis de la CNIL

« Vos enfants ont le droit au respect de leur vie privée et disposent d’un droit à l’image », rappelait la CNIL dans une fiche consacrée à ces questions et mise en ligne la veille.

Elle y relève que l'Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (OPEN)-POTLOC avait estimé que 53 % des parents français ont déjà partagé sur les réseaux sociaux du contenu sur leurs enfants. Une pratique surnommée « sharenting » (mot-valise anglais composé de share, partager, et parenting, parentalité).

La CNIL note également qu'une étude britannique, publiée en 2018, estimait qu'en moyenne, les parents d'un enfant de 13 ans avaient partagé 1 300 photos de lui sur les réseaux sociaux.

« Le partage de vidéos ou de photos de vos enfants sur les réseaux sociaux n’est pas un acte anodin et comporte de nombreux risques », relève la CNIL.

Des parents refusent de dépublier des photos de leur enfant

Elle déconseille notamment de partager des photos d'enfants dans le bain ou à la plage, ces images pouvant être détournées à des fins malveillantes, voire les diffuser sur des réseaux pédocriminels.

À plus long terme, ces images peuvent aussi « priver les enfants de leur capacité à définir leur propre image et leur identité », et porter atteinte à leur réputation en ligne (avec un risque de cyberharcèlement) dans un cadre scolaire ou dans leur avenir personnel et professionnel.

Elle raconte avoir ainsi été contactée par un mineur qui voulait voir retirer des photographies, vidéos et enregistrements vocaux diffusés par ses parents par l’intermédiaire du groupe sur un réseau social. La CNIL ne précise pas ce pourquoi ses parents auraient refusé de répondre favorablement à leur enfant.

La CNIL évoque aussi les difficultés rencontrées par certains parents à faire cesser la diffusion de photographies du baptême de leurs enfants mineurs.

La CNIL recommande les messageries sécurisées et éphémères

La CNIL rappelle qu' « avant de publier une photo ou une vidéo de votre enfant sur les réseaux sociaux, il est nécessaire d’en parler avec lui et d’obtenir son accord ». Il convient également de demander (et d'obtenir) l’accord de l’autre parent.

Plusieurs décisions de justice « établissent clairement » que le fait de diffuser des photographies de ses enfants, notamment sur les réseaux sociaux, « est un acte non habituel qui nécessite l’accord des deux parents ». Un juge pourrait donc interdire à l’un des parents de diffuser des photographies des enfants « sans l’accord de l’autre parent ».

La CNIL relève en outre que les enfants peuvent aussi agir eux-mêmes contre leurs parents en cas de non-respect de leurs droits par ces derniers. En 2018, un adolescent de seize ans avait ainsi porté plainte contre sa mère pour violation de sa vie privée. Le tribunal de Rome avait alors ordonné à la mère d’arrêter de poster des photos de son fils sur les réseaux sociaux, sous peine d’amende.

« De manière générale », la CNIL « déconseille fortement de partager des photos ou des vidéos de vos enfants sur les réseaux sociaux, surtout lorsque votre profil est public ».

À défaut, elle conseille de cacher le visage de son enfant, de le photographier de dos, ou d'ajouter une émoticône sur son visage avant de partager les photos.

Mais également de privilégier le partage par messagerie privée instantanée sécurisée, « dont certaines proposent même des fonctionnalités qui vous permettent d’envoyer des messages éphémères ».

Écrit par Jean-Marc Manach

Tiens, en parlant de ça :

Sommaire de l'article

Introduction

L'échec de la commission mixte paritaire

La question du rôle des parents, du juge et de la CNIL

Sharenting : l’avis de la CNIL

Des parents refusent de dépublier des photos de leur enfant

La CNIL recommande les messageries sécurisées et éphémères

next n'a pas de brief le week-end

Le Brief ne travaille pas le week-end.
C'est dur, mais c'est comme ça.
Allez donc dans une forêt lointaine,
Éloignez-vous de ce clavier pour une fois !

Fermer

Commentaires (12)


La CNIL rappelle qu' « avant de publier une photo ou une vidéo de votre enfant sur les réseaux sociaux, il est nécessaire d’en parler avec lui et d’obtenir son accord ».


Mais les enfants sont-ils assez matures pour comprendre de quoi il s'agit ?
Si on leur dit "je te prends en photos et tes copains verront la photo", quel enfant va dire "non, je refuse, il faut respecter mon droit à l'image" ?
Ça dépend bien sûr de leur âge : voir l'exemple du jeune de 16 ans en Italie dans l'article.
Ca dépend de la maturité de l'enfant, mais ils sont très vite sensible à leur image...
A moins de 5 ans mon fils voulait qu'on supprime des photos/vidéos de lui (relatif à du pipi/caca) qu'on avait sur du stockage physique chez nous.

Et plus ils grandissent, plus le cercle des photos/vidéo "acceptable" pour eux diminue ...
(j'imagine qu'il doit se réagrandir progressibment à partir de l'adolescence, enfin en fonction de leur acceptation de soit)
Je suis bien content de ne plus avoir aucun réseaux "social" 1300 photo de soit en ligne à 13 ans c'est énorme.
Du reste il y a clairement un manque de connaissance / "éducation" des parents sur ce sujet. Je ne peux que constaté comment le sujet peux être clivant (mon ex refusant de voir le problème que cela peux provoquer) Du coup je refuse toutes les captations des enfants ce pendant que mon ex ferai passer le Truman show pour une vaste blague si elle le pouvais... Et malheureusement il n'existe pas de solution simple de tranché (genre faute d'accord des deux parents c'est non)
Modifié le 20/12/2023 à 14h16
Publier des photos de ses enfants sur les réseaux (a-)sociaux ?
Je suis toujours aussi effaré de constater que la plupart des parents ne se rendent pas compte de ce que cela implique...
À ce propos, il y a eu un reportage de Arte sur le sharenting et les parents influenceurs.

https://www.arte.tv/fr/videos/107193-004-A/arte-regards/

Par contre, ça va, le célèbre bébé de l'album "Nevermind" de Nirvana n'avait pas son nom sur la pochette. :-)

Je pense que pour encore beaucoup de monde, l'internet c'est un peu "magique", on peut tout y publier sans que ces gens n'aient conscience des risques.

Une autre solution est de revenir au bon vieil album-photos/DVD ou de partager par courriel.
Modifié le 20/12/2023 à 18h43
Problème : tu peux pas envoyer 10go de photo par mail !

Car oui, les parents prennent des photos de tout et n’importe quoi depuis la démocratisation des smartphones :/ (et avec des capteurs de 50MP de nos jours, y a de quoi monter un datacenter d’ici leurs 18ans xD)

Aldayo

Problème : tu peux pas envoyer 10go de photo par mail !

Car oui, les parents prennent des photos de tout et n’importe quoi depuis la démocratisation des smartphones :/ (et avec des capteurs de 50MP de nos jours, y a de quoi monter un datacenter d’ici leurs 18ans xD)
J'avoue.

Effectivement, j'ai pu voir des gens photographier chaque moment de la vie de leurs enfants... mais alors vraiment tout... Ça en devenait vraiment flippant.

Sinon, un blu-ray c'est 150 Go. Mais j'ai bien compris l'idée. :-)
Perso, je me rappelle très bien étant gamin que je détestais qu'on me prenne en photo ou vidéo (c'est toujours le cas), même si ça restait "en local". Genre aux photos de classe auquel on ne pouvait pas échapper, je faisais toujours en sorte d'être caché (au moins en partie) derrière les autres.

Alors les mettre sur le net... même en pas en rêve.
Déjà, tout petit, tu avais quelque chose à te reprocher ? :fumer:
D'autres l'ont sûrement déjà fait sur copains d'avant.
Nos représentants n'ont que ça à faire ?
Que l'on pour ou que l'on soit contre un parent est le représentant légal de ses enfants et est le délégataire de son autorité sur lui.

Donc ou ils y a des parents abrutits mais ce sont leur parents. Si le comportement d'un parent nui à un enfant, la loi permet déjà de le retirer...