État d’urgence : comment le gouvernement justifie la sixième prorogation
Au forceps ?
Le 23 juin 2017 à 08h21
6 min
Droit
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Le projet de loi sur l’état d’urgence a été déposé sur le site du Sénat. Il prévoit donc une prorogation de cet état exceptionnel jusqu’au 1er novembre, sachant qu’un simple décret en conseil des ministres pourra y mettre fin à n’importe quel moment.
Un tel scénario n’est pas fantasmagorique puisque dans le même temps, un autre projet de loi, celui sur la lutte contre le terrorisme et la sécurité publique, a lui aussi été déposé dans la même chambre. Son objet est cette fois d’inscrire plusieurs armes de la loi de 1955 dans le droit commun, indéfiniment. Une sorte d’état d’urgence permanent orienté spécifiquement dans la lutte contre le terrorisme, avec une dose de novlangue : la perquisition administrative y est renommée « visite et saisie », les assignations à résidence, baptisée « mesures individuelles de surveillance », etc.
Pour cette sixième prorogation, le gouvernement entend maintenir une option ouverte par la loi sur l’état d’urgence de 1955, à savoir la possibilité de perquisitionner tout lieu « lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics ».
La justification de cette sixième prorogation
Mais comment le gouvernement justifie cette loi ? Pour le savoir, il faut se plonger dans l’exposé des motifs qui précède le texte. « Si les projets expansionnistes de Daech semblent aujourd'hui avoir été bloqués, écrit Gérard Collomb, cela ne signifie pas la disparition définitive d'une organisation dont l'influence clandestine reste grande et qui cherche à entretenir, et développer ses réseaux en Europe de l'Ouest et sur le pourtour méditerranéen ».
Et l'exécutif d’égrainer un historique des attaques récentes, aussi bien en France (au carrousel du Louvre à Paris, à l'aéroport d'Orly, sur les Champs Élysées par deux fois, aux abords de la cathédrale Notre-Dame), que dans le reste de l'Europe (Allemagne, Royaume-Uni, Suède ou encore la Russie).
Contraint de fournir quelques chiffres, il ajoute que du 22 juillet au 21 décembre, 628 perquisitions administratives ont été décidées sur le territoire. Depuis la cinquième prorogation, au 26 mai, le même chiffre atteint 137. En tout, il y aura eu 4 300 perquisitions depuis le début de l'état d'urgence.
Et toujours depuis les attentats du Bataclan, « 30 procédures judiciaires ont été ouvertes par la section antiterroriste du parquet de Paris des chefs d'association de malfaiteurs avec une entreprise terroriste ou d'entreprise individuelle terroriste à la suite d'une perquisition administrative, que cette mesure ait ou non permis à elle seule de justifier l'ouverture de la procédure ».
Ne pas apprécier l’efficacité sur le terrain des chiffres
Comme son prédécesseur, Bernard Cazeneuve, Gérard Collomb estime à l’oreille de ceux qui constatent une chute des relevés qu'« il serait réducteur d'apprécier l'utilité de cette mesure par le seul prisme de leur nombre ».
Si les perquisitions ont été massives les premiers temps, aujourd'hui, elles sont « utilisées avec parcimonie, mais de manière très ciblée, compte tenu de la possibilité de saisir les données, voire les terminaux informatiques, dès lors que la perquisition a révélé l'existence d'éléments, notamment informatiques, relatifs à la menace que constitue pour la sécurité et l'ordre publics le comportement de la personne concernée ».
Ces mesures permettent un traitement urgent à l’égard de « profils révélant une menace crédible » ou « de confirmer ou de lever un doute sur une menace, ce qui serait impossible, ou du moins beaucoup plus complexe, par l'utilisation d'une technique de renseignement ».
Le gouvernement oublie dans son exposé le récent bilan du Conseil d’État. Encore et toujours depuis le Bataclan, la juridiction a rendu 112 ordonnances, mais dans 40 % des cas la décision administrative a été remise en cause, soit par anticipation du ministère de l’Intérieur pour éviter une déconvenue juridictionnelle, soit après suspension ordonnée par le juge. Mieux, à leur niveau, les tribunaux administratifs ont été saisis de 863 affaires et cette fois « dans 32,8% des cas, les tribunaux administratifs ont annulé ou suspendu partiellement ou totalement les décisions contestées ».
Le relai du projet de loi sur l’état d’urgence permanent
Pour légitimer cette dernière prorogation de trois mois et demi un texte relai, le gouvernement insiste sur les charmes du projet renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Si « au risque de banaliser l'exception, les phases de renouvellement de l'état d'urgence ne sauraient en effet se succéder indéfiniment », la période sera mise à profit « pour parachever l'édifice construit ces dernières années et doter l'État de nouveaux instruments permettant de renforcer la sécurité des personnes et des biens hors du cadre particulier de l'état d'urgence ».
Une sortie de l’état d’urgence qui n’en aura que la façade, puisque derrière, nous retrouvons la plupart des mesures de la loi de 1955. Une vraie poudre de perlimpinpin, efficace même dans les yeux du Conseil d’État qui n’a pas pipé mot sur l’artifice.
En décembre 2016, voilà ce qu’on peut lire dans son précédent avis, témoignage d’un certain agacement : « comme il l’avait déjà souligné dans ses avis du 2 février, du 28 avril, et du 18 juillet 2016 sur les projets de loi autorisant une deuxième, une troisième et une quatrième fois la prorogation de l'état d’urgence [le Conseil d’État] rappelle que les renouvellements de l'état d'urgence ne sauraient se succéder indéfiniment et que l’état d’urgence doit demeurer temporaire. »
Dans son sixième avis tout juste en ligne, tout va pour le mieux : « les menaces durables ou permanentes pourront être traitées dans le cadre du droit commun (…) par les instruments juridiques de la lutte contre le terrorisme, significativement renforcés par les lois adoptées ces dernières années dans le domaine du renseignement, de la police administrative et de la procédure pénale, complétés par les mesures mentionnées ci-dessus », le fameux projet de loi sur l’état d’urgence permanent.
Un avis non partagé par Jacques Toubon. Dans les colonnes du Monde, le Défenseur des Droits a les mots durs à l’encontre de cette France qui « est en train de sortir des principes stricts du droit pénal et en particulier la légalité, la précision et la prédictibilité des délits et des peines. Non seulement ce [nouveau] texte n’améliore pas la situation, mais il étend la zone de flou. Il permet de prendre des mesures restrictives de libertés sur la base d’un soupçon, d’un comportement, d’attitudes, de relations ou de propos ».
État d’urgence : comment le gouvernement justifie la sixième prorogation
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La justification de cette sixième prorogation
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Ne pas apprécier l’efficacité sur le terrain des chiffres
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Le relai du projet de loi sur l’état d’urgence permanent
Commentaires (45)
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Abonnez-vousLe 23/06/2017 à 13h19
team premier degré au taquet ce dredi " />
pis tout le monde sait que la citation est de Napoléon d’abord " />
Le 23/06/2017 à 13h25
Le 23/06/2017 à 13h27
Le 23/06/2017 à 13h34
Je vois pas ce qui t’empêches de faire du NAT en IPv6.
Le 23/06/2017 à 13h45
Oui, ou “vous voulez un peu de beurre ?”
Le 23/06/2017 à 13h52
Le 23/06/2017 à 13h53
Le 23/06/2017 à 14h17
Le 23/06/2017 à 15h04
Et une fois qu’on a la source qui est un article de presse datant de l’époque de la citation, comment on le vérifie lui ?
Et si c’est un livre d’un auteur, comment on est sûrs qu’il n’a pas utilisé un nègre pour écrire son bookin ?
Je crois que les citations, c’est problématique partout. " />
Le 23/06/2017 à 15h24
owi, voir d’ailleurs ce pavay de recommandations : Wikipedia:Citez_vos_sources et cette distinction sur les sources : Wikipedia:Sources_primaires,_secondaires_et_tertiaires
ce n’est pas facile, pour sûr
edit : et pour benjamin jefferson et thomas franklin : https://www.lawfareblog.com/what-ben-franklin-really-said#.UvvR12RDtZs
Le 23/06/2017 à 15h29
Une citation est importante, pour l’idée qu’elle véhicule ou pour la personne qui la dit !?
C’est malheureux, si l’idée est bonne, mais attribuée à une personne méchante… l’idée devient mauvaise ?
Et inversement, une idée pourrie, attribué à un prix Nobel… et l’idée est brillante ?
Il est dommage de raison sur les sentiments (= j’aime, j’aime pas la personne)… plutôt que sur l’idée !
Le 23/06/2017 à 17h12
Cela sera réglé quand la blockchain sur les droits d’auteurs sera fonctionnelle " />
Le 24/06/2017 à 06h48
Disons que la sincérité de l’idée que véhicule une citation est quand même liée à la personnalité de son auteur.
Et là c’est loin d’être évident, par exemple Jefferson était pour les “droits de l’homme” mais il avait plein d’esclaves dans ses plantations… " />
De la même façon le fameux Voltaire a longtemps été pour l’esclavage et jugeait les “nègres” comme étant des êtres bien inférieurs aux blancs tout en étant quand même supérieurs aux singes… " />
Bref, c’est tout le problème de ces “grands hommes” que l’on cite en permanence en oubliant juste qu’ils raisonnaient avec les connaissances et croyances de leur époque et que donc ils ont dit aussi beaucoup de grosses conneries.
Ils n’étaient que des hommes avec leurs qualités et leurs défauts, simplement au fil du temps on finit par oublier les défauts, car l’humain a absolument besoin d’avoir des gens à admirer ou pire encore des “maîtres à penser”. " />
Le 25/06/2017 à 08h19
Le 25/06/2017 à 08h58
”….raisonnaient avec les connaissances et croyances de leur époque”
pour moi, il est là…le problème !
(par exemp.) si tu prends la citation du Baron Pierre-de-Coubertin (J.O. de 1898)
“l’important n’est pas de gagner, mais de participer”
c’est PLUS valable de nos jours (2017)
avec cette façon de penser, des Pays peuvent se dire :
“pourquoi…se fatiguer à essayer de gagner, puisque le plus IMPORTANT c’est participer”
“j’ai participé ….c’est bon, ça me suffit”
non …l’important c’est de gagner !!!
si on part perdant, dès le départ (et qu’on Y croit pas, soi-même ………………..pff) !
Le 26/06/2017 à 06h58
Le 23/06/2017 à 08h32
Tout cela ne me dit rien qui vaille…
" />
Le 23/06/2017 à 08h33
“Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux.”
Benjamin Franklin
Le 23/06/2017 à 08h33
La République En Cage
Le 23/06/2017 à 08h35
Le 23/06/2017 à 08h37
avec une dose de novlangue : la perquisition administrative y est renommée « visite et saisie », les assignations à résidence, baptisée « mesures individuelles de surveillance », etc.
C’est du lavage de mémoire à ce point " />
Le 23/06/2017 à 08h38
Le 23/06/2017 à 08h41
Le 23/06/2017 à 08h46
Rappelez-vous que « nous sommes en guerre » d’après le député d’Evry.
Que dira-t-on quand on se prendra des bombres quotidiennement sur la gueule nous aussi…
Le 23/06/2017 à 08h46
Plus on avance, plus on recule… A ce niveau, je commence vraiment à me demander ce que sera la France dans 5 ans.
Le 23/06/2017 à 08h47
Le 23/06/2017 à 08h48
Est-ce que le “trouble à l’ordre public” est défini quelque part juridiquement ?
Parce que sinon, la cinquantaine d’étudiants en école dentaire qui ont bloqué un carrefour majeur à Rennes pendant 20 minutes pour protester contre [je ne m’en souviens pas] rentre dans le giron de cette loi, et peut se faire assigner à résidence/perquisitionné/espionné. Sans passage devant un juge.
Le 26/06/2017 à 13h00
Le 26/06/2017 à 18h36
Alors revenons à nos moutons !
https://insolentiae.com/hallucinant-letat-durgence-declare-inconstitutionnel-sil…
Bonne lecture " />
Le 23/06/2017 à 08h49
Le 23/06/2017 à 08h56
Le 23/06/2017 à 09h26
certes c’est vrai ce que tu dis, mais…où …fixer les limites de l’une SANS empiéter sur l’autre ?
“dur, dur” … !
Le 23/06/2017 à 09h56
C’est bizarre, soit ça a été repompé, soit c’est mal attribué quand on cherche les citations deux deux hommes.
Le phrasé est assez différent, mais ça peut être un problème de traduction…
Pas facile aujourd’hui d’avoir des citations authentiques et vérifiées… On trouve n’importe quoi sur le net.
Le 23/06/2017 à 09h56
Jefferson airplane non ? " />
Le 23/06/2017 à 10h15
Le 23/06/2017 à 10h19
Le 23/06/2017 à 10h45
dixit celui qui n’est même pas passé à l’IPv6 " />
Le 23/06/2017 à 11h09
Juste quand je reçois mon T-shirt NextINpact “tous fichés mais bien INformés” " />
Le 23/06/2017 à 11h18
“Le problème avec les citations trouvées sur internet c’est qu’elles sont souvent fausses.”
Abraham Lincoln
Le 23/06/2017 à 11h53
C’est pour ça qu’on laisse faire les agriculteurs pollueurs d’ailleurs.
Le 23/06/2017 à 11h56
“Pour cette sixième prorogation”, j’avais lu, de prime abord : “pour cette sixième provocation”… ce qui en est une de toute façon.
En tous cas, on voit, une fois de plus, qu’on a changé pour qu’on nous serve le même plat en pire ce qui finit par devenir extrêmement inquiétant.
Le 23/06/2017 à 11h59
J’aime bien le NAT " />
Le 23/06/2017 à 12h01
“Abraham Lincoln” (1860) …ET …Internet (20ème Siècle)
heu …y-a pas un “blème” ? " />
Le 23/06/2017 à 12h17
CEUX là + les Routiers !
à eux 2, ça suffit pour paralyser tt. le Pays (blocage des raffineries + des Hypermarchés) !
(peut plus aller bosser, NI se nourrir)
“c’est bon” …le Gouv. (quel-qu’il-soit) cède !
Le 23/06/2017 à 12h31