Les députés refusent d’inscrire le droit à la vie privée dans la Constitution
Privée de droit
Le 16 juillet 2018 à 15h08
5 min
Droit
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Dans le cadre de la réforme constitutionnelle, l’Assemblée nationale a rejeté, jeudi 12 juillet, un amendement visant à inscrire le « droit à la vie privée » dans la Loi fondamentale. Le gouvernement et la majorité y étaient fermement opposés, au motif que ce droit est déjà reconnu par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Face à la « toute-puissance de l’industrie du numérique » et aux multiples incidents de ces derniers mois, affaire Cambridge Analytica en tête, Jean-Félix Acquaviva proposait d’inscrire à l’article 1er de la Constitution que la France « respecte le droit à la vie privée de chacun ».
Dans l’hémicycle du Palais Bourbon, l’élu (non-inscrit) corse a fait valoir qu’il était « important de réaffirmer clairement ce principe essentiel aux droits fondamentaux de l’individu ». À ses yeux, le droit à la vie privée « ne figure pas assez clairement dans notre norme suprême », quand bien même « le Conseil constitutionnel le considère comme un principe à valeur constitutionnelle depuis 1977 ».
Un principe qui a déjà valeur constitutionnelle
Jean-Félix Acquaviva s’est toutefois confronté à l’opposition de la rapporteure, Yaël Braun-Pivet (LREM). « Nous ne souhaitons pas codifier dans la Constitution toute la jurisprudence du Conseil constitutionnel, a ainsi objecté l’élue LREM. Nous considérons qu’à partir du moment où un droit est reconnu comme principe fondamental par le Conseil constitutionnel, sa protection est suffisamment assurée. »
La présidente de la commission des lois a ajouté que le droit au respect de la vie privée se déduisait du droit à la liberté, tel que protégé par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. « Dès lors, il n’est pas nécessaire de le constitutionnaliser », a-t-elle insisté.
Sur le banc du gouvernement, la ministre de la Justice a également émis un avis défavorable. « Le principe auquel vous faites référence est un principe à valeur constitutionnelle : il a donc la même valeur constitutionnelle qu’un texte écrit. En effet, le Conseil constitutionnel a la capacité de créer des normes d’un niveau de référence équivalent à celles qui figurent dans les textes écrits de rang constitutionnel », s’est justifiée Nicole Belloubet.
La Garde des Sceaux a poursuivi son plaidoyer en rappelant que le droit à la vie privée figurait en outre dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (article 8). « Il s’impose donc, de ce fait, à la Cour de cassation aussi bien qu’au Conseil d’État. Dans toutes les décisions relatives au droit à la vie privée, il est fait référence à cette convention, en lien avec l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui reconnaît la liberté comme principe général : de ce principe-cadre découle la protection de la vie privée. »
L’analyse de l’actuelle ministre est plus nuancée de celle entendue lors débats autour de la loi Renseignement. En avril 2015, Bernard Cazeneuve avait décorrélé vie privée et libertés. « Il n’y a, dans ce texte de loi, aucune – je dis bien : aucune – disposition attentatoire aux libertés, qu’il s’agisse de la liberté d’aller et venir ou d’autres libertés individuelles ou collectives » affirmait le ministre de l’Intérieur, avant de préciser qu’« en revanche, il est des dispositions qui peuvent être considérées comme remettant en cause la vie privée et le droit à cette dernière ».
Une certitude : refuser d’inscrire la vie privée dans le marbre de la Constitution laisse le sujet entre les seules mains des neuf Sages de la Rue de Montpensier.
La majorité préfère faire entrer les données personnelles à l’article 34
Ces arguments ont d'ailleurs agacé Bastien Lachaud (LFI) : « Mais que vous ont donc fait les GAFA – Google, Amazon, Facebook, Apple – pour que vous refusiez à ce point de protéger les citoyens et la souveraineté de notre pays ? » L’élu a une nouvelle fois regretté que l’exécutif et les députés LREM s’opposent à l’ancrage constitutionnel du droit à la vie privée, qu’il souhaitait introduire au travers d’une charte des droits et libertés numériques (voir notre article).
Si l’amendement de Jean-Félix Acquaviva a sans surprise été rejeté, la majorité a annoncé la semaine dernière qu’elle entendait faire entrer la protection des données personnelles à l’article 34 de la Constitution, lequel définit les sujets relevant de la compétence du législateur.
Une telle reconnaissance risque toutefois d’être purement symbolique. Introduire explicitement la protection des données personnelles au sein de la liste des domaines relevant de la loi serait en effet « parfaitement redondant » d'après Roseline Letteron, professeure de droit public. Contactée par nos soins, la juriste expliquait la semaine dernière qu'en « termes de droit positif, on restera au même niveau de protection ».
Même Paula Forteza (LREM) a jugé que cet ajout à l'article 34 ne serait « pas suffisant ».
Les députés refusent d’inscrire le droit à la vie privée dans la Constitution
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Un principe qui a déjà valeur constitutionnelle
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La majorité préfère faire entrer les données personnelles à l’article 34
Commentaires (29)
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Abonnez-vousLe 16/07/2018 à 17h22
“Une certitude : refuser d’inscrire la vie privée dans le marbre de la Constitution laisse le sujet entre les seules mains des neuf Sages de la Rue de Montpensier.”
Vous avez oublié “dont l’impartialité ne laisse aucun doute”.
… Quoique.
Le 16/07/2018 à 19h29
“Data mon amour” (hommage à Marguerite Duras et à Alain Resnais)
Le 16/07/2018 à 20h35
Dans un pays où certains politiques et pouvoirs considèrent que “la sécurité est la première des libertés”, il aurait été utile de défendre la “vie privée” comme un principe inébranlable. Certes, il fait partie de la Convention européenne des droits de l’homme dont la France est signataire, et en tant que Traité, doit s’y conformer.
Ceci étant, refuser d’inscrire un principe dans la Constitution, du fait que la jurisprudence du Conseil Constitutionnel l’a établi de fait est étonnant, vu que ce Conseil s’appuie justement sur la Constitution dans ses délibérations.
Si l’argument est que tout doublon doit être évité, autant retirer tout ce qui fait doublon avec les jurisprudences, traités et conventions dont la France est signataire.
Le 16/07/2018 à 20h41
Les memes bras casses qui ont approuve les boites noires chez les FAI, nous joue les chevaliers blancs contre les GAFA (qui eux pourtant, ont recu l’accord des utilisateurs..) Quelle hypocrisie!
Sinon effectivement, l’article 2 de la DDHC d1789 reconnait deja le droit a la vie privee (“Ces droits sont la liberté, la propriété[…]”) … mais a peu pres tout le monde en France, a commencer par l’Assemblee nationale, s’en fiche.
Le 16/07/2018 à 21h49
Le 17/07/2018 à 05h18
Comme quoi la représentativité est bien là : les citoyens passant leur temps à exhiber leur vie privée dans les moindres détails sur les machins sociaux, ça confirme bien que c’est un sujet dont tout le monde se fout " />
Le 17/07/2018 à 06h48
Tu vises juste, mais oublies de préciser que justement, le fait que ce soit “juste” une convention et que ce droit ne soit pas inscrit dans la Constitution française permet d’y déroger " />
Prorogation après prorogation, le scénario se répète inlassablement. La France a activé à nouveau la procédure de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) qui l’autorise à déroger à plusieurs dispositions protégées à ce niveau, dont la vie privée ou la liberté de circulation. Par ce biais, elle éteint les éventuelles procédures susceptibles d’être engagées à son encontre sur l’autel du texte fondamental.
Next INpactRemarque, on déroge aussi aux droits accordés par la Constitution (interdictions de manifester, assignations à résidence arbitraires,…), avec visiblement l’accord tacite de la majorité de la population… Et cela n’émeut pas grand-monde, à part quelques “socio-bobo-terroro-islamo-gauchistes” qui veulent que ces droits soient respectés " />
“Ainsi s’éteint la liberté. Sous une pluie d’applaudissements.”
Le 17/07/2018 à 07h04
“Nous ne souhaitons pas codifier dans la Constitution toute la jurisprudence du Conseil constitutionnel.”
Voici comment on entretient la soumission des citoyens aux professionnels du droit, car eux seuls savent où chercher l’information éparpillée partout.
Ainsi, plutôt que de simplifier la loi, (et d’obliger l’Éducation Nationale à dispenser une formation en droit à tous les citoyens), on empêche le citoyen lambda de pouvoir s’approprier les institutions. Un instrument efficace pour contrôler les peuples …
Le 17/07/2018 à 07h18
Merci pour ces rappels. En effet, l’état de droit n’est pas qu’un texte écrit, c’est surtout la résultante de procédures et de contre-pouvoirs qui s’exercent au sein de l’État et dans la Société toute entière.
On peut constitutionnaliser tous les principes qu’on veut, voire même des règles qui ne font ou ne feront pas consensus maintenant ou dans l’avenir. Toujours est-il que si personne n’a le pouvoir (ou la volonté) de s’opposer à une dérogation de fait (par qui que ce soit ayant, ne serait-ce qu’une once de pouvoir) à ces principes érigés (théoriquement) en fondement de notre Société, il y aura toujours la possibilité de s’y soustraire. Au risque de faire un “point Godwin”, la Constitution de la République de Weimar (qui ressemble par certains aspects à la Ve République) n’a pas empêché en1934, le cumul des pouvoirs au sein d’un seul et même homme qui n’était alors que chancelier (1er ministre).
Comme disaient, en 2015, des personnalités politiques ou morales, suite aux attentats à Paris, “l’État de droit n’est pas l’État de faiblesse.”
Le 17/07/2018 à 07h20
Toujours adoré la schizophrénie de ce genre de news
D’un côté, on accuse
“Une certitude : refuser d’inscrire la vie privée dans le marbre de la Constitution laisse le sujet entre les seules mains des neuf Sages de la Rue de Montpensier.”
De l’autre, on moque
“Une telle reconnaissance risque toutefois d’être purement symbolique.”
Choisissez votre préférence messieurs dame, elle est bonne ma chronique, elle est bonne…
Le 17/07/2018 à 16h03
Le 17/07/2018 à 17h36
Le web est source d’informations: www.conseil-constitutionnel.fr –> champs de recherche, mots-clés: “vie privée” –>résultat de recherche :
« La consécration de droits impliqués par les textes de valeur constitutionnelle ou déduits de ceux-ci y participe également. La liberté d’entreprendre, l’inviolabilité du domicile et des correspondances, la liberté d’aller et de venir, la liberté personnelle (dont celle du mariage), le droit au respect de la vie privée, la liberté contractuelle, le droit d’agir en responsabilité, la sauvegarde de la dignité humaine contre toute forme d’asservissement ou de dégradation ont ainsi été constitutionnalisés par le Conseil constitutionnel sur le fondement – implicite ou explicite – des articles généraux de la Déclaration de 1789 (articles 2 et/ou 4) ou de ceux du Préambule de 1946 (alinéa 1). »
Sinon, il y a aussi les bibliothèques ou médiathèques municipales (avec souvent un accès au web) qui sont source d’informations depuis des décennies.
Le 17/07/2018 à 18h25
Pour ma part, je dirais que la jurisprudence correspond à l’ensemble des décisions juridiques et évolue plus ou moins selon les évolutions de la Société (et pas uniquement avec un changement de législation). Même lorsqu’une loi ou une constitution change du tout au tout, la Société reste la même (mêmes habitudes, mêmes coutumes, mêmes usages, même doctrine du droit, etc). Alors, évidemment, dans une hypothèse d’un changement législatif, la jurisprudence future prendrait acte, au fur et à mesure des décisions judiciaires, de la nouvelle prérogative constitutionnelle, mais il y aurait une relative constance du droit qui persisterait.
Par exemple, l’entrée en application du RGPD le 25 mai 2018, n’a pas effacé complètement les décisions antérieures de la CNIL et du Conseil d’État, mais il détermine dorénavant les décisions juridiques actuelles et à venir. Et si la France quittait brusquement l’Union européenne du jour au lendemain, le RGPD continuerait à s’appliquer en France jusqu’à ce que le législateur décide éventuellement de changer l’application de ces règles que la Société aura apprises, plus ou moins, à mettre en oeuvre en France (l’absence de texte de loi ne fait pas tout le droit).
Le 17/07/2018 à 07h37
Le 17/07/2018 à 07h58
L’hypocrisie, elle commence quand on utilise GAFA au lieu de GAFAM.
Un peu comme ceux qui balancent du Linux au lieu de GNU/Linux en parlant de l’OS, parce que Stallman les dérange.
Le 17/07/2018 à 08h09
Pas faux " />
Ou alors une façon pour l’article de ne pas trop se prononcer.
J’ai vu passer dans ma TL (Tweeter) pas mal de boutades sur ce que certains voudraient voir dans la constitution, dont bien sûr “Il faut inscrire 2 buts dans la Constitution” (tant qu’à y mettre n’importe quoi) en passant par la chocolatine ;-) .
Mon avis : laissez la constitution tranquille, elle est déjà très bien comme ça.
Le 17/07/2018 à 08h46
Mon avis : laissez la constitution tranquille…..
en effet, on voudrait Y mettre bcp. de choses, qui ni , Y , ont rien-à-faire ! " />
Le 17/07/2018 à 08h56
question un peu bête : si on change la Constitution, la jurisprudence du CC ne s’en trouve pas invalidée, d’une certaine manière ? (après tout cette jurisprudence a été formée sur la base d’un autre texte)
Le 17/07/2018 à 09h05
tout à fait " />
Le 17/07/2018 à 09h45
Les deux phrases ne sont pas antinomiques. Dans l’une on parle de l’article 1er (amendement Acquaviva), dans l’autre on parle de l’article 34 (projet du groupe LREM).
Le 17/07/2018 à 09h52
Ben si
« Nous ne souhaitons pas codifier dans la Constitution toute la jurisprudence du Conseil constitutionnel, a ainsi objecté l’élue LREM. Nous considérons qu’à partir du moment où un droit est reconnu comme principe fondamental par le Conseil constitutionnel, sa protection est suffisamment assurée. »
Cette citation est déboutée par le rédacteur or elle correspond peu ou prou à la conclusion, même s’il ne s’agit ici que de l’article 34.
Le 17/07/2018 à 09h53
Je ne suis pas juriste, mais je dirais a priori : seulement si le nouveau texte ne permettrait pas d’aboutir aux mêmes conclusions.
Le 17/07/2018 à 10h06
Ce qui est débouté c’est d’établir comme principe un droit à la vie privée, ce qui est proposé c’est d’inscrire que la loi s’occupera de dire ce qu’on fait de la vie privée.
Forcément, pour quelqu’un qui a envie de le voir établit comme principe, le second fait moins rêver (d’autant qu’il ne change rien à la situation actuelle).
Le 17/07/2018 à 10h06
la co-rapporteuse du projet de loi rejette la modification de l’article 1er et préfère ajouter une soit-disant compétence particulière de l’Assemblée nationale à l’article 34 (qui définit les domaines de la loi), ce que traduit une spécialiste du droit constitutionnelle comme une redite de principes qui existent déjà dans la Constitution. C’est ça que dit grosso modo l’article de Next inpact.
Dire : “la France « respecte le droit à la vie privée de chacun ».” à l’article 1er
ce n’est pas franchement la même chose que dire : “« la loi fixe les règles concernant : » … - la protection des données personnelles” à l’article 34
Le 17/07/2018 à 10h15
Le 17/07/2018 à 10h23
Oui, d’un côté il s’agit d’ériger en principe constitutionnel le fait que l’État respecte la vie privée des individus, de l’autre il s’agit de formaliser concrètement que la protection des données personnelles est du domaine de la loi (du législatif) et pas de l’exécutif.
Le 17/07/2018 à 10h51
Je souligne la qualité de l’article.
La France sombre et on l’encourage.
Que faire en tant que citoyen ?
Le 17/07/2018 à 11h10
Le 17/07/2018 à 11h26
bun tu vois quand tu veux!
On va finir par faire de toi un ZADiste si tu continus sur cette pente savonneuse de l’ultra gauche " />