La Cour de cassation précise les conditions de géolocalisation des salariés
S(c)ud
Le 07 janvier 2019 à 09h57
5 min
Droit
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La Cour de cassation a défini les modalités selon lesquelles un employeur peut géolocaliser ses salariés. Dans l’arrêt, rendu le 19 décembre, la problématique a opposé la Fédération Sud PTT à la société Mediapost, qui plaidait pour un boîtier enregistrant leur localisation toutes les dix secondes.
« Parce qu’ils coûtent peu cher et peuvent s’avérer très utiles, les dispositifs de géolocalisation sont fréquents dans le monde du travail » souligne la CNIL sur une page dédiée, avant de rappeller néanmoins que « de nombreuses règles encadrent l’utilisation de ces outils afin que la vie privée des employés soit respectée ».
Ces quelques lignes résument à elles seules l’arrêt rendu par le Cour de cassation le 19 décembre dernier. Pour comprendre les faits, il faut remonter à 2012.
Cette année, le Conseil d’État avait annulé un décret du 8 juillet 2010 qui instituait illégalement une préquantification du temps de travail des distributeurs de prospectus publicitaires, à la place d’un décompte du travail effectif (1 heure travaillée = 1 heure payée).
Deux ans plus tard, Mediapost, société du groupe La Poste, travaillait à la mise en place de boîtiers mobiles ayant notamment pour « objectif de calculer plus précisément le temps de travail réel accompli et d’analyser les écarts entre le temps de travail préquantifié et le temps de travail enregistré par le boîtier mobile », résume ce rapport d’expertise.
Des salariés géolocalisés toutes les dix secondes
En 2014, l’accord dit « Distrio », nom de ce boitier, fut signé par l’entreprise et plusieurs organisations (CFDT, CFTC et la CGC), sans néanmoins voir le jour, puisque dénoncé par la CGT, FO et SUD. Ce dernier syndicat critiquait vigoureusement ce dispositif d’enregistrement de la localisation des distributeurs toutes les dix secondes.
La Poste lui opposait toutefois une déclaration effectuée dans les clous auprès de la CNIL. SUD poursuivait du coup ce bras de fer devant les tribunaux. Mal lui en a pris, du moins durant les deux premiers rounds judiciaires.
Le 13 janvier 2017, la cour d’appel de Lyon confirmait un précédent jugement du 7 juin 2016 : quoi qu’en dise SUD, Distrio est « un dispositif de géolocalisation parfaitement légal et adapté à l’activité des distributeurs sans aucun risque pour la santé physique et psychologique », applaudissait Mediapost.
Ce boitier permet « au salarié de réaliser sa distribution dans les conditions qui lui paraissent les plus optimales en fonction de ses contraintes et qu’il a la garantie d’obtenir le paiement de toutes ses heures de travail, de prendre ses temps de pause et de repos et de ne pas dépasser ses durées maximales de travail ».
À la fédération, qui plaidait pour des solutions alternatives (comme un système autodéclaratif ou un contrôle par un responsable d’enquêtes), la cour d’appel répondait en définitive que ces solutions n’étaient tout simplement pas adaptées au but recherché.
La fédération n’a toutefois pas lâché prise : contre ce mécanisme qu’elle jugeait non compatible avec l’autonomie d’organisation du salarié, aux impacts néfastes sur la santé des distributeurs, elle s'est pourvue en cassation.
La géolocalisation, unique recours
Dans son arrêt du 19 décembre 2018, signalé par Legalis.net, la haute juridiction va finalement lui donner raison en s’appuyant sur l’article L. 1121 - 1 du Code du travail.
Selon cette disposition, « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ». En clair, des restrictions aux droits et libertés peuvent certes être envisagées dans l’entreprise, mais à la condition d’être justifiées et proportionnées.
La Cour de cassation en déduit que l’utilisation d’un tel boitier n’est licite « que lorsque ce contrôle ne peut pas être fait par un autre moyen, fût-il moins efficace que la géolocalisation ». Dit autrement là encore, la géolocalisation doit s’analyser comme un recours sans autre choix. Mieux : « l’utilisation d’un système de géolocalisation pour assurer le contrôle de la durée du travail (…) n’est pas justifiée lorsque le salarié dispose d’une liberté dans l’organisation de son travail ».
À défaut de vérifier « que le système de géolocalisation mis en œuvre par l’employeur était le seul moyen permettant d’assurer le contrôle de la durée du travail de ses salariés », la cour d’appel n’a donc pas donné de base légale à sa décision. L’arrêt a sans surprise été salué par SUD. L'affaire va maintenant être rejugée en tenant compte de ces considérations.
La Cour de cassation précise les conditions de géolocalisation des salariés
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Des salariés géolocalisés toutes les dix secondes
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La géolocalisation, unique recours
Commentaires (45)
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Abonnez-vousLe 07/01/2019 à 14h08
Faudrait déjà imposer un système de comptage des heures sup pour les entreprises privées.
Faire 45h/semaine et être payé 35, ça fout les boules, surtout quand la direction trouve ça normal de faire des heures sup non payées.
Le 07/01/2019 à 14h33
Le 07/01/2019 à 15h23
Le 07/01/2019 à 16h34
En clair, des restrictions aux droits et libertés peuvent certes être envisagées dans l’entreprise…
tiens, tiens……..
Le 07/01/2019 à 17h57
Arrêt intéressant car il reprend la position antérieure de la CNIL, mais qui n’était plus évidente du fait du RGPD.
Paradoxalement le RGPD laisse beaucoup d’interrogations sur le recours au traçage de l’activité du salarié par GPS:
La CNIL avait précédemment retenu le principe de proportionnalité pour écarter le recours à ces outils lorsque la finalité pouvait être atteinte par un autre moyen que le traçage “GPS”.
Néanmoins, certains et surtout certaines (grosses boites) prétendent que depuis le RGPD et la disparition du régime d’autorisation préalable pour ces outils de flicage GPS du salarié (à moins de relever des cas strictement définis par la CNIL permettant de faire une simple déclaration) la possibilité de recourir à ces derniers n’est plus conditionnée au fait qu’aucun autre outil moins intrusif permet d’arriver à la même finalité (pour résumé à gros traits la position pré-RGPD de la CNIL).
Et de fait, de plus en plus souvent des salariés (et syndicats) se plaignent de la mise en place de ces dispositifs en lieu et place du badge/pointeuse classique (ou encore la déclaration du parcours ou des déplacements), certaines boites (et pas des moindres) recourant parfois à des applications américaines notamment (chose qui au passage peut poser une difficulté en terme d’espionnage industriel).
Et de fait, à lire la littérature récente de la CNIL, sauf l’information du salarié et le respect du temps de pause sans traçage, elle semble avoir largement renoncé à limiter l’usage de ces traqueurs GPS, ne faisant plus référence au fait que ces dispositifs ne peuvent être mis en place que si aucun autre dispositif moins intrusif ne permet d’atteindre la finalité voulue :
ex.: https://www.cnil.fr/sites/default/files/atoms/files/_travail-vie_privee_geolocalisation_vehicules.pdf (document qui se veut post RGPD…).
On revient, mais sans la CNIL, le RGPD &co, au principe antérieur de proportionnalité bien défini par cette décision (dont la position existait déjà au travers de décisions de Juridictions de fond).
Pour le coup merci la Cour de cass. d’avoir remis de l’ordre là où le RGPD nous a désarmé.
Le 07/01/2019 à 19h29
Les faits remontent à 2014, donc rien à voir avec le RGPD, directement, la Cour de cassation a jugé par rapport à la loi du 6 janvier 78 mais surtout de l’article L. 1121-1 du code du travail qui lui existe toujours.
Le 07/01/2019 à 19h30
Le 07/01/2019 à 20h13
Oui je pensais à la même chose, mesurer la “productivité des postiers” au chronomètre est une connerie: quand les bouchons, la météo, ou le temps que les gens répondent pour un colis, sont les principales variables " />
Et puis le postier qui va griller tous les feus rouges et les stop aura une prime? …jusqu’à ce qu’il tue quelqu’un " />
Le 07/01/2019 à 20h31
Juste un point, il ne s’agit pas de postiers mais de “distributeurs de prospectus publicitaires” comme précisé dans l’article.
Le 07/01/2019 à 20h44
Oui mais il s’agit surtout du même employeur, Mediapost étant une filiale de La poste. Ayant travailler pour eux pendant 9 ans et étant le fils d’un facteur de carrière, je peux te dire que les méthodes de mesure d’efficacité sont les mêmes chez les uns et chez les autres.
Le 07/01/2019 à 21h27
Le 08/01/2019 à 07h35
C’est déjà la base de tout contrats de travail …. Vous restreignez vos libertés de droits de circulations (etc) et libertés de choix (etc) en acceptant une servitude contre rémunération (version très courte de la chose).
Le 08/01/2019 à 07h41
juste une question de candide …
Chez médiapost, il n’y a pas de CHSCT ?
Si on parle de sécurité et de bien être au travail on est clairement dans leur mission ?
Quid de l’établissement du temps de référence par cette commission ? Naïf je suis ?
Le 08/01/2019 à 10h01
Le 08/01/2019 à 10h06
Je ne diabolise pas le groupe La poste, mais ayant travaillé 9 ans en son sein je peux t’assurer que leur méthode de management est d’une caducité à la mode de la cour du roi Louis XIV.
Maintenant, les délégués syndicats ont des avantages certes qui parfois peuvent être jugés abusifs mais il faut se rappeler que pour faire correctement son boulot il en a besoin et ce, même s’il y a de l’abus.
Merci de ne pas oublier la valeur des syndicat dans l’histoire de la France. Aujourd’hui, ils n’ont plus forcément cette même valeur car nos conditions ont évolué mais ils restent néanmoins nécessaires.
Le 08/01/2019 à 10h21
Le 07/01/2019 à 10h15
de prendre ses temps de pose et de repos
Temps de pose ? Erreur de la part de nxi ou c’est bien le document cité qui a orthographié ça ?
Le 07/01/2019 à 10h39
Le 07/01/2019 à 10h48
On revient au temps de la photo argentique? " />
Le 07/01/2019 à 12h03
Ah la Poste… Cash Investigation avait fait un super reportage sur les coulisses des collecteurs/revendeurs de données privées en France. La Poste demandait à ses facteurs de collecter des données auprès de leur clients, souvent à leur insu, pour améliorer la “qualité du service”. Il se trouve que par le biais d’une de ses filiales (je me souviens plus si cest Mediaposte ou une autre), ils revendaient ces données au plus offrant. La CNIL les connait bien je suppose…
Le 07/01/2019 à 12h22
Le 07/01/2019 à 12h36
Donc la géolocalisation sera toujours interdite: il existe toujours un autre moyen, faire suivre l’agent par un garde-chiourme. Pas sûr que ce soit moins intrusif, et légèrement moins efficace, mais la cour de cassation se fichant de l’efficacité… drôle de notion de ce qu’est une mesure proportionnée.
Ca va doit faire plaisir à SUD et cie, ça va ‘créer de l’emploi’.
Le 07/01/2019 à 12h53
Le 07/01/2019 à 12h54
Le 07/01/2019 à 13h10
Ma critique porte sur la justification de la CC qui est de dire qu’à partir du moment où une autre solution existe, c’est non, ce qui me semble être une interprétation frileuse de la notion de proportionnalité.
Sur le fond de l’affaire, tel que je le comprend, la justification de l’outil est de laisser l’agent travailler quand ça l’arrange, mais comme il est payé à l’heure, on a besoin de savoir quand il travaille.
Si la géolocalisation de quelque chose permet de calculer le temps travaillé, c’est pas idiot de l’étudier. Ce qui me semble important par contre, c’est d’obtenir des garanties sur le fait que ce système ne pourra pas être utilisé pour autre chose (par exemple, le supérieur doit avoir accès au temps travaillé exclusivement, pas à la trace complète).
Après, l’autre point qui m’agace, c’est la position de certaines organisations syndicales, qui s’opposent à tout ce qui pourrait griller les fumistes. Je considère personnellement que les organisations syndicales ont vocation à protéger les employés, ce qui passe aussi par évacuer les parasites (parce que parasite = entreprise moins efficace = plus de travail ou moins de salaire pour les employés sérieux).
Je ne connais pas assez cette affaire pour affirmer avec certitude que c’est le cas, mais vu de loin ça y ressemble fort, et comme c’est les organisations syndicales coutumières du fait qui sont sur le coup, j’ai des a priori " />
La tournée fixe n’aide pas vraiment pour cela (elle aiderait si l’agent était payé à la tâche, mais mon petit doigt me dis que les mêmes syndicats seraient contre).
Pour le transport de fond, le doublonnage vise la sécurité de l’argent, pas le contrôle des horaires des agents. Pas le même objectif, pas les mêmes outils, je ne pense pas qu’on puisse extrapoler.
Le 07/01/2019 à 13h24
Le 09/01/2019 à 19h48
Le 11/01/2019 à 08h21
Le 11/01/2019 à 08h45
Le 08/01/2019 à 10h22
Le 08/01/2019 à 13h18
Je suis pour séparer les sujets, autant que raisonnablement possible.
L’outil dont il est question vise à mesurer le temps passé à faire les actions pour les rémunérer en fonction de ce temps (ce qui me semble aller à l’encontre de ce que tu indiques que ce système pénaliserait les personnes moins en forme physiquement).
Le sujet de savoir si les temps de référence sont bons est peut-être important, mais ce n’est pas le même sujet. (j’ai pas bien compris en quoi des temps de référence trop faibles pénalisaient les agents avec ce système)
Le sujet de savoir comment on fait pour ne pas pénaliser les gens physiquement moins en forme est un sujet qui pourrait être lié, mais qu’on gagnerait à mon sens à traiter séparément : le problème est bien plus profond que la simple mesure du temps des tâches dont il est question ici. Aujourd’hui, les entreprises qui ont besoin de force physique sont incitées financièrement à se débarrasser de ces personnes moins efficaces, je pense qu’on sera d’accord pour dire que c’est pas très sain.
Il me semble illusoire d’exiger d’exiger qu’un outil de mesure des temps de travail résolve les problèmes de pression excessive mise sur les employés, ou les difficultés que peu avoir une femme enceinte pour faire un travail de force. Je ne vois pas en quoi cet outil renforcerait ces problèmes (au contraire, il me semble partiellement les résoudre via le feed-back du temps réel nécessaire, qui évite d’avoir une vision trop théorique dans les objectifs).
Quand une organisation syndicale s’oppose à ce que l’entreprise associe la mise en œuvre de ce système à l’acceptation d’un grille de temps de référence qu’elle juge absurde, j’approuve (et c’est le cas ici).
Quand elle s’oppose à ce système parce qu’il forcera les gens à rendre compte s’ils ne travaillent pas efficacement (ce qui est l’essentiel de l’argumentaire SUD présenté dans leur note), je ne suis plus d’accord.
Quand elle s’oppose à une évolution parce que celle-ci ne résout pas tous les problèmes imaginables (dont la faim dans le monde) d’un coup, et qu’il faut donc faire mieux pour que ce soit acceptable, je trouve ça peu pragmatique (que je sois d’accord ou non l’objectif visé).
Sur ta conclusion, si j’ai un collègue qui en fout pas une et qui me force à bosser double, je vais en parler à mon chef. C’est pas une question d’avancement, c’est juste que j’aime le travail bien fait, et que je n’aime pas bosser double. Traite-moi de balance si tu veux, personnellement je ne vois pas de valeur morale positive dans le fait de couvrir le parasitisme.
Le 08/01/2019 à 19h28
Le 08/01/2019 à 19h32
Le 08/01/2019 à 19h50
Le 08/01/2019 à 20h10
Le 08/01/2019 à 20h33
Le 08/01/2019 à 21h29
C’est marrant quand tu as parlé des délégués FO je me suis dit : tien on dirait nos hommes politiques (passé et présent).
Le 08/01/2019 à 21h41
Le 09/01/2019 à 08h24
Je ne suis plus que d’accord. Représentant syndical ou bien Homme politique, pour moi, ne DOIVENT PAS ETRE des métiers.
Le 09/01/2019 à 10h02
Le 09/01/2019 à 12h33
Le 09/01/2019 à 12h54
+1
se servir avant de servir le peuple
Le 09/01/2019 à 13h55
Le 09/01/2019 à 14h26
Le 09/01/2019 à 15h45