Des centaines d’accidents du travail à SpaceX depuis 2014
Paranoid, really ?
Le 13 novembre 2023 à 15h42
7 min
Droit
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Reuters a longuement enquêté sur les conditions de travail dans l'entreprise de lancements spatiaux SpaceX et a pu compter, depuis 2014, au moins 600 accidents du travail qui n'avaient pas été rendus publics jusque-là, dont un décès.
SpaceX montre toujours une cadence de lancement de satellites impressionnante avec, par exemple, le lancer de 100 satellites via son programme « Rideshare » (prévu pour proposer à ses clients un service de partage de lancer permettant de réduire les coûts) encore samedi 11 novembre.
Ce même jour, SpaceX a annoncé sur X, anciennement Twitter, être prête dès le vendredi 17 novembre prochain pour le deuxième essai de décollage de son lanceur spatial super-lourd Starship (prévu pour être réutilisable et capable de se poser sur Mars) « sous réserve d'approbation réglementaire ».
Cette efficacité de l'entreprise dans l'élaboration de projets spatiaux ambitieux a un prix élevé. Du côté de la faune et de la flore de la péninsule de Boca Chica (Texas, États-Unis) où sont lancées les fusées Starship, des associations environnementales ont déjà pointé du doigt les conséquences catastrophiques du premier essai.
Mais à l'intérieur de SpaceX, le coût social est aussi très élevé, selon une longue enquête de Reuters. L'agence de presse a relevé, depuis 2014, au sein de l'entreprise, des centaines d'accidents du travail non déclarés.
Selon d'anciens employés interrogés par Reuters (la plupart anonymement), la course aux objectifs imposée par Elon Musk à l'entreprise et notamment celui de créer une base habitable sur Mars entraine une culture dédaignant la sécurité des salariés.
Un mort et des accidents graves
L'agence de presse révèle dans cette enquête qu'un employé de SpaceX, Lonnie LeBlanc, est décédé en juin 2014 sur le site de SpaceX situé à McGregor, au Texas. Alors que son équipe devait transporter de la mousse isolante vers le hangar principal de l'entreprise sans avoir de sangles disponibles pour les amarrer au camion et sécuriser la cargaison, Lonnie LeBlanc a proposé de s'assoir dessus et utiliser son corps pour retenir la charge.
Mais une rafale a emporté les couches d'isolant et projeté LeBlanc la tête la première sur le sol. Il est décédé d'un traumatisme crânien sur les lieux de l'accident.
Reuters explique que les inspecteurs du travail de l'Occupational Safety and Health Administration (OSHA) ont imputé l'accident et la mort du salarié à SpaceX qui ne l'avait pas protégé d'un danger évident. Dans son enquête, l'inspection du travail américaine a obtenu des témoignages de ses collègues indiquant que l'entreprise n'avait pas mis en place de système d'arrimage accessible facilement, ne donnait pas de consigne et ne surveillait pas la manipulation de ces charges. L'entreprise a reconnu ces manques et, après son enquête, l'OSHA a fait une liste de sept améliorations à apporter en matière de sécurité, notamment une formation accrue des salariés de SpaceX dans ce sens.
Le décès de Lonnie LeBlanc n'est malheureusement pas le seul accident grave que Reuters a découvert chez SpaceX. Et l'entreprise ne montre pas de volonté de transparence de ce côté-là. Depuis 2016, l'OSHA exige que toutes les entreprises américaines déclarent le nombre de blessures et maladies survenues chaque année. Mais SpaceX n'a commencé à transmettre des données (au départ, très partielles) que depuis 2021.
En se procurant de nombreux documents administratifs venant de dossiers médicaux de salariés de SpaceX, de demandes d'indemnisation, ou de procédures judiciaires, les journalistes de Reuters ont pu recenser plus de 600 accidents. Ils sont survenus, pour la plupart, lors de périodes non déclarées par SpaceX. L'agence a aussi interrogé près d'une quarantaine de salariés, anciens salariés et d'autres personnes « ayant connaissance des pratiques de sécurité de SpaceX ». L'entreprise n'a pas répondu aux sollicitations des journalistes.
Dans les 600 accidents du travail relevés par les journalistes de Reuters, 9 impliquent des blessures à la tête dont une fracture du crâne, 4 commotions cérébrales et un traumatisme crânien, 29 fractures ou luxations osseuses, 100 coupures ou lacérations. Les dossiers évoquent aussi 5 brûlures, 5 électrisations, 8 accidents ayant entraîné une amputation et 7 accidents de lésions oculaires.
Une négligence systémique pointée du doigt
Selon Reuters, les données sur les accidents de travail transmises par SpaceX à l'OSHA sont plus complètes depuis 2022. Celles-ci révèlent des taux d'accidents beaucoup plus élevés que la moyenne de l'industrie spatiale.
« En 2022, le taux d'accidents dans les installations de fabrication et de lancement de la société près de Brownsville, au Texas, était de 4,8 accidents ou maladies pour 100 travailleurs, soit six fois plus que la moyenne de l'industrie spatiale, qui est de 0,8 », explique, par exemple, l'agence. Les sites de McGregor (Texas) et de Hawthorne (Californie) sont aussi bien au-dessus de la moyenne (respectivement trois et deux fois supérieur).
Pour plusieurs employés ou anciens employés de SpaceX interrogés par Reuters, cela s'explique par la conviction interne de l'urgence de bâtir une station martienne et la perception d'Elon Musk des mesures de sécurité comme d'une bureaucratie freinant cette quête urgente.
« Le concept d'Elon selon lequel SpaceX a pour mission d'aller sur Mars aussi vite que possible et de sauver l'humanité est omniprésent dans l'entreprise », explique par exemple Tom Moline, ancien ingénieur chez SpaceX.
L'urgence d'atteindre ce but ultime fixé par le PDG de l'entreprise entraînerait des précipitations. Selon l'enquête de Reuters, la fracture du crâne d'un employé en janvier 2022 serait un exemple typique. Alors que l'entreprise faisait des essais de pression sur un moteur de fusée V2, une pièce s'est envolée, fracturant le crâne et plongeant l'employé dans le coma. Selon les sources de Reuters, les défauts de la pièce en question avaient été découverts, mais non corrigés.
Rejet de la faute sur les ingénieurs
Dans une réponse à l'enquête de l'OSHA suite à cet accident, SpaceX a rejeté la faute sur ses ingénieurs : « La responsabilité de ces défaillances de pièces et des blessures qui en résultent incombe plutôt à un groupe d'employés connus sous le nom d'"ingénieurs responsables », explique-t-elle. Ils sont « responsables ultimes de leurs composants et systèmes, y compris au niveau de la sécurité ».
Interrogée par l'agence de presse sur le bilan de SpaceX, l'OSHA n'a pas commenté, mais a expliqué que ce sont les employeurs, et non des employés désignés, qui sont responsables de la garantie d'un lieu de travail sans danger.
Reuters évoque bien d'autres cas où la sécurité des employés de SpaceX a été négligée, comme la fermeture de tentes où des soudeurs travaillaient à cause de vents violents, alors que la ventilation est essentielle pour la sécurité lors du soudage, ou la chaleur de plus de 37 °C sous ces tentes. « Lorsqu'ils étaient accablés par la chaleur, on leur donnait des fluides par intraveineuse et on les renvoyait au travail », explique l'agence de presse.
Dans la vidéo de SpaceX pour l'annonce de l'imminence du deuxième essai de lancement de Starship, le mojo de l'ancien PDG d'Intel Andrew Stephen Grove, « only the paranoid survive », apparait brièvement.
La paranoïa d'Elon Musk et de SpaceX ne semblent pas concerner la sécurité de leurs employés.
Crédits : SpaceX
Des centaines d’accidents du travail à SpaceX depuis 2014
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Un mort et des accidents graves
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Une négligence systémique pointée du doigt
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Rejet de la faute sur les ingénieurs
Commentaires (20)
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Abonnez-vousLe 13/11/2023 à 15h51
Ah oui quand même.
Le 13/11/2023 à 16h01
Je chipote, désolé :
5 électrisations. Electrocution implique un décès.
Le 13/11/2023 à 16h13
On a corrigé. Et j’apprends quelque chose ! Merci !
Le 13/11/2023 à 16h12
meilleur excuse au monde, je vais dire ça à tous les pasagers des avions que je construits
deja que Musk doit négocier avec les grèves en europe parce que y’a pas de syndic, maintenant avec la sécurité au travail. Tout va bien
Le 13/11/2023 à 16h26
Ça ressemble plus à une secte qu’à une entreprise spatiale !
Le 13/11/2023 à 17h44
“Go fast, break things, and make the boss happy”. Pathétique.
Traduction : “ils sont responsables des pièces de A à Z, y compris la sécurité. Certes, on leur a demandé de faire une pièce en 12 mois alors qu’il aurait fallu 5 ans pour la faire normalement, mais c’est eux les responsables du produit fini.”
Le 13/11/2023 à 18h50
Le 13/11/2023 à 19h10
Le décès mérite un Darwin awards.
Le 13/11/2023 à 20h51
Fusée V2 ?!
Le 13/11/2023 à 22h03
D’autant que c’est absurde cette urgence. Si on était capable de terraformer Mars on saurait très facilement réguler le climat sur Terre…
Je pense qu’il veux juste que ça se produise de son vivant pour en tirer le mérite et de la gloire.
Oubli d’un mot dans la traduction : “Raptor V2 rocket engine” (signalé)
Le 14/11/2023 à 07h21
Cela est cohérent avec la news sur les syndicats.
Musk est un patron qui a une vision du travail directement héritée du XIXe siècle.
L’article présente des faits tous plus hallucinants les uns que les autres.
Le 14/11/2023 à 11h27
Le 14/11/2023 à 11h44
Je comprends mieux
Le 14/11/2023 à 13h36
Carrément. J’hallucine aussi…
Le 14/11/2023 à 13h37
Oui et non : c’est le boss le responsable, de mettre l’employé dans un stress tel qu’il est prêt à mettre en jeu son corps, littéralement, pour faire avancer le projet.
Le mec a fait du mieux qu’il pouvait dans les conditions qu’il avait.
Mais carrément. Qu’il colonise le Sahara, ou le désert de Gobi. Une fois qu’il aura réussi, on pourra voir pour Mars.
Exactement. (ou plus précisément, pendant l’apartheid ;) ).
Le 14/11/2023 à 20h29
Les normes de sécurité sérieuses ne sont là que grâce aux syndicats, aux procès et au “socialisme”.
Qu’un géant de l’ère néolibérale débridé traite ainsi la sécurité des travailleurs ne m’étonne pas du tout. D’autant que là on est au niveau de la secte si ils croient vraiment pouvoir colonisé mars et que cela aurait en plus le moindre intérêt pour sauver l’humanité.
Le 14/11/2023 à 22h38
Dans sa vision, d’après ce que je lis, il n’est pas vraiment question de science pure et dure, mais d’une véritable colonisation. Cela revient à essayer de bâtir une nouvelle société, ailleurs, avec donc les mêmes problèmes qu’ici, et les mêmes conséquences - désastreuses pour la planète - à long terme.
L’idée d’aller vivre ailleurs me plaît énormément, je l’accepterai sans hésiter une seconde - si on me permettait d’emporter ma gratte et mon laptop, afin de continuer à écrire, à chanter et à composer jusqu’à la fin de mes jours.
Mais ce qui me plaît beaucoup, beaucoup moins, c’est l’idée d’être à la merci d’un milliardaire déjanté qui sur cette colonie privée deviendrait comme un dieu, avec un pouvoir de vie et de mort - si les crédits et le ravitaillement sont soudainement coupés, en cas de faillite de SpaceX, ou si quelque chose ou quelqu’un, sur la planète rouge, a l’horreur de Lui déplaire…
Parce que les conditions de “vie” - si on peut appeler ça vivre - sur Mars sont absolument épouvantables - ces températures qui passent d’un extrême à l’autre, cette poussière très fine qui envahit tout et détraque le matos, ces tempêtes régulières à tout faire péter…
Si en plus vous ajoutez à ça un fou furieux à sa tête, hem, comment dire…
Le 15/11/2023 à 15h55
Ça reviendrait effectivement à vivre dans une colonie dirigée par un esclavagiste. Je préfère encore mourir sur Terre…
Le 15/11/2023 à 19h57
Cf. Total Recall !
Le 18/11/2023 à 12h32
Les “sauveurs” & autres esclavagistes ont cela en commun de rejeter tout ce qui dysfonctionne/les freine sur autrui, et de s’accaparer la paternité de ce qui fonctionne.
Les cultures de l’urgence & du blâme. Ça donne envie.
Heureusement que notre société & nos entreprises sont bien différentes ! Oh, attendez…