Saisi par Optical Center, le Conseil d’État rabaisse la sanction de la CNIL
Rien que pour vos yeux
Le 23 avril 2019 à 07h49
5 min
Droit
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Le Conseil d’État a revu à la baisse la sanction infligée par la CNIL à l’encontre d’Optical Center. La juridiction administrative reproche à l’autorité de ne pas avoir tenu compte de la célérité avec laquelle l’entreprise avait corrigé la faille à l’origine de cette décision.
Cette faille permettait très simplement de prendre connaissance des factures d’autres clients sur Internet. Comment ? En modifiant la variable de l’URL correspondant à sa facture (« id= »), comme l’expliquaient en août 2017 nos confrères de Zataz. Nom, prénom, coordonnées postales, correction ophtalmologique et parfois le numéro de Sécurité sociale faisaient alors partie des données personnelles éventées.
La CNIL avait été alertée le 28 juillet 2017. Le 31, elle effectuait des vérifications en ligne et contactait le même jour le cybervendeur. Le colmatage fut effectué le 2 août, soit deux jours plus tard. « Une fonctionnalité a été ajoutée afin de s’assurer qu’un client est effectivement connecté à son espace personnel avant de lui fournir les seuls documents le concernant » détaillait la délibération.
Le 7 mai, la CNIL infligeait finalement une sanction de 250 000 euros à l’encontre d’Optical Center, avec diffusion publique de la délibération. La société a toutefois attaqué la décision devant le Conseil d’État, juridiction compétente pour jauger du parfait respect de la loi Informatique et Libertés.
Une mise en demeure préalable non obligatoire
À Optical Center, qui contestait le déroulé de cette procédure, les juges ont réexpliqué dans leur arrêt du 17 avril 2019 que la CNIL pouvait directement s’engager sur la voie de la sanction, sans prendre soin d'adresser une mise en demeure préalable :
« Il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 7 octobre 2016, que la formation restreinte de la CNIL peut, sans mise en demeure préalable, sanctionner un responsable de traitement dont les manquements aux obligations qui lui incombent ne sont pas susceptibles d'être régularisés soit qu'ils soient insusceptibles de l'être soit qu'il y ait déjà été remédié ».
Puisque la faille a été dénoncée le 31 juillet pour être colmatée le 2 août, « la formation restreinte de la CNIL a pu légalement (...) engager, sans procéder à une mise en demeure préalable, une procédure de sanction à l'encontre de la société Optical Center ».
Le Conseil d’État a ainsi estimé que c’est à bon droit que la CNIL a caractérisé le manquement aux obligations de sécurité des données personnelles. « L'ensemble des données concernées, dans une base d'au moins 334 769 documents, était donc accessible sans contrôle préalable et sans qu'il soit besoin d'une maîtrise technique particulière ».
Une faille que la société aurait dû prévenir
La haute juridiction relève d’ailleurs que le programme de protection qui promettait de « bannir les activités anormales sur le site » n'a pas anticipé cette faille « en amont de la mise en production de son site internet en décembre 2016 ou en établissant un programme d'audits de sécurité ultérieurs ».
Toutefois, l’action d’Optical Center n’a pas été vaine. L'article 47 de la loi du 6 janvier 1978, en vigueur au moment des faits, soulignait que « le montant de la sanction pécuniaire (…) est proportionné à la gravité du manquement commis et aux avantages tirés de ce manquement ».
Une sanction allégée de 50 000 euros
Préalablement au 25 mai 2018, date d’entrée en application du RGPD, ce montant ne pouvait excéder 3 millions d'euros. Comme dans le nouveau texte, la CNIL devait toutefois tenir compte de plusieurs facteurs pour établir ce montant, comme le caractère intentionnel ou la négligence à l’origine du manquement, les mesures prises par le responsable pour atténuer les dommages subis, son degré de coopération avec la commission…
Bref de la nature, de la gravité, de la durée du problème outre du comportement du responsable.
Sur ce point, le Conseil d’État a considéré que la CNIL n’avait pas pris en compte la forte réactivité de la société, qui, comme expliqué, a corrigé le problème en deux jours : « en retenant une sanction pécuniaire d'un montant de 250 000 euros sans prendre en compte la célérité avec laquelle la société Optical Center a apporté les mesures correctrices de nature à remédier aux manquements constatés, la formation restreinte de la CNIL a infligé à cette société une sanction disproportionnée ».
La délibération mentionne que « si la société a fait preuve de réactivité et a effectué les diligences nécessaires auprès de son prestataire, la formation restreinte souligne néanmoins que les services de la CNIL ont pu accéder aux données des clients de la société, cet accès ayant confirmé l’existence du défaut de sécurisation signalé par un tiers ». Mais elle aurait dû plus explicitement souligner que les 250 000 euros infligés avaient été déterminés en tenant compte aussi du critère temporel.
En l'absence de cette précision, le Conseil d’État a finalement ramené la sanction à 200 000 euros, avec obligation pour la CNIL de publier l’arrêt du Conseil d’État.
Saisi par Optical Center, le Conseil d’État rabaisse la sanction de la CNIL
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Une mise en demeure préalable non obligatoire
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Une faille que la société aurait dû prévenir
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Une sanction allégée de 50 000 euros
Commentaires (51)
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Abonnez-vousLe 24/04/2019 à 12h25
Je suis bien content qu’il reste une part importante de l’amande d’origine. Il faut que les sociétés soient plus regardantes envers leurs fournisseurs.
La faille était gigantesque, je ne crois pas une seconde que personne n’était en mesure de la détecter chez optical center. Ce qui a pu arriver par contre est une décision d’achat imposée aux techniques par les financiers contre vents et marrées et en dépit du bon sens (juste pas cher à court terme).
Je trouve que la cnil ne sévit pas assez souvent: il y a quelques mois j’ai opté pour le prélèvement avec la régie des eaux de Grenoble et ils m’ont envoyé un courriel récapitulatif avec toutes les informations bancaires sensibles du rib, mon numéro de tel , mon nom et mon prénom. Il y a deux jours, je change le rib et rebelotte.
avoir contacté la CNIL n’a rien fait avancer dans mon cas
Le 24/04/2019 à 13h19
Le 24/04/2019 à 16h20
Ok. Si tu ne t’intéresse qu’aux effets juridiques directs, il est vrai que le RGPD n’a pas d’effet sur les éditeurs. Mes réponses ne s’intéressaient pas à ces effets directs, et étaient donc hors-sujet.
Le 24/04/2019 à 16h22
Je préfère les amandes sucrées aux amendes salées, c’est meilleur au goût. " />
Et concernant l’article, tu as des contributions à faire ? Tu n’as pas rebondi sur les choix imposés. Ne me dit pas que cela ne t’arrive jamais.
Le 24/04/2019 à 17h45
Le 24/04/2019 à 18h01
Ma question concernait les choix que tu subit en tant que technique sans être consulté et sans pouvoir argumenter contre.
Le 23/04/2019 à 08h09
la CNIL pouvait directement s’engager sur la voie de la sanction
sans prendre soin d’adresser une mise en demeure préalable :
les ‘fraudeurs’ n’ont qu’à bien-se-tenir !
“et…vlan–>sans avertir” " />
Le 23/04/2019 à 08h10
Le conseil d’état est bien «gentil» avec les sociétés. Au lieu d’amplifier le montant de l’amende il la réduit. " />
250000 c’était déjà pas beaucoup, au vu de l’erreur et du nombre de données personnelles accessibles.
Le 23/04/2019 à 08h28
Le 23/04/2019 à 08h42
50.000€ d’économisés, mais combien dans les poches des avocats?
Le 23/04/2019 à 08h47
Heu… le Conseil d’Etat aurait été “gentil” s’il avait purement et simplement annulé la décision de la CNIL, ou réduit à peau de chagrin le montant.
Là il rappelle juste le fait que la société a réagit rapidement (ce qui reste encore rare) et que donc la peine doit-être amoindrie en conséquence. Ce en rappelant les manquements de la société qui plus est. En quoi cela est “gentil” au juste ?
Chacune des parties est dans son rôle : la CNIL pour l’application de la peine, la société qui se défend et le Conseil d’Etat qui applique un juste milieu équitable pour les deux précédentes parties.
Le 23/04/2019 à 09h04
C’est purement à l’appréciation des différents juges. Il n’y a aucun barême qui dit que “1 semaine de correction c’est 250k€, 2 jours c’est 200k€”. La CE a juste amoindri la sanction parce que la CNIL l’a mal détaillé. Si elle avait explicitement indiqué que 250k€ c’était l’amende correspondant à une correction en 2 jours, le CE l’aurait laissé.
Le 23/04/2019 à 09h16
Tout à fait. Toute décision de justice doit être motivée.
Le 23/04/2019 à 09h28
ça me fait penser à ma demande de formation que le centre de formation vient de me refuser par l’intermédiaire du site web de Pôle Emploi sous l’unique phrase “Votre candidature n’a pas été retenue” (d’ailleurs, j’attends des précisions, c’est un peu abusif). Heureusement que, contrairement aux autres administrations publiques ou privées, l’administration judiciaire ne punit pas les gens de cette façon laconique.
Le 23/04/2019 à 10h00
Le 23/04/2019 à 10h24
En effet l’actualité tend à prouver (malheureusement) qu’il y a une Justice à deux vitesses… " />
Le 23/04/2019 à 10h26
Le 23/04/2019 à 10h54
Le Conseil d’Etat a rappelé les principes de base, même en matière de sanction administrative on doit tenir compte du principe de proportionnalité et de personnalisation.
A mon avis la CNIL devrait faire un effort de motivation dans ses décisions, notamment en abandonnant sa formule perpétuelle où elle indique que sanctionner est nécessaire pour informer la population sur la réglementation en matière de protection des données, dans le genre critère totalement extérieur à la personne condamnée on fait pas mieux…
Finalement, l’aspect le plus intéressant de la décision du Conseil d’Etat est sur le fait qu’il est confirmé que le passage préalable par la mise en demeure n’est pas obligatoire (chose qui me semblait plus faire de doute, mais qui est souvent soulevée).
En revanche, on peut faire un premier bilan s’agissant de la série de condamnations de responsables du traitement par la CNIL pour la même “faille” (on est plus sur un problème de conception à mon sens).
En effet, et j’ignore si c’est le cas s’agissant d’optical, mais je sais en revanche que pour d’autres sanctions c’est un même outil qui serait systématiquement en cause, l’éditeur facturerait même la mise à jour consistant à vérifier que les infos affichées correspondent au compte client (probablement la gestion des sessions et token qui va bien).
Aussi, cet outil serait identifié comme mal conçu au départ et vendu à des grandes entreprises. Néanmoins, depuis les sanctions de la CNIL, l’éditeur n’aurait jamais eu de compte à rendre et ferait payer sa mise à jour sous prétexte de conformité RGPD ?!?
Est-ce que les notions de responsable du traitement et de sous-traitant ne montreraient pas leurs limites, là où en réalité il s’agit d’une problématique d’éditeur, et avec elles la jurisprudence de la CNIL qui consiste à ne pas faire de distinguo entre le responsable du traitement et sous-traitant ayant ou devant avoir des compétences informatiques et ceux qui n’ont d’autre solution que de se fier à un professionnel vendant un logiciel sur l’étagère ?
Prétendre qu’il faut faire de la “security by design” (j’ai envie de fumer ceux qui utilisent cette formule, mais c’est pas le sujet…) et passer totalement à coté de l’éditeur de logiciel s’agissant du RGPD et de la protection des données à caractère personnel, n’est-il pas la démonstration d’une erreur de conception originelle de la règlementation ?
Peut-on rattraper cette énorme erreur en passant par le défaut d’information et de conseil de l’éditeur et donc en sortant totalement de la règlementation sur la protection des données, qui à nouveau démontre son inefficacité ?
Vous avez 2 heures ! " />
Le 23/04/2019 à 11h04
il faudrait le revoir* leur “art 1er des D.Homme” :
Article 1er. Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits
* à la baisse " />
Le 23/04/2019 à 20h59
Le 23/04/2019 à 21h13
Avoir une fuite de données par le biais d’un sous-traitant c’est bien un risque portant sur un bien sensible de l’entreprise (les données personnelles des clients) .
La preuve ça va lui coûter au minimum l’amende dont il est question dans l’article.
Après je suis pas calé en RGPD mais dans les cas extrêmes ça peut aller jusqu’à 4% du chiffre d’affaire de l’entreprise.
Le 23/04/2019 à 21h14
Le 23/04/2019 à 21h17
Le 24/04/2019 à 05h22
« Une fonctionnalité a été ajoutée afin de s’assurer qu’un client est effectivement connecté à son espace personnel avant de lui fournir les seuls documents le concernant »Ils sont sérieux les mecs ? Genre la sécurité c’est une fonctionnalité ?
Le 24/04/2019 à 06h25
mais c’est bien la faute de l’éditeur les trous dans le logiciel pas du sous traitant / prestataire info .
Si j’installe la suite logicielle de X qui est trouée comme une passoire .. pourquoi est ce ma faute ? comment je pouvais le savoir que leur logiciel soit une faille sans nom ?
ps : pas mis à jour les coms ; j’ai pas lu la suite , je dois confondre vos termes de sous traitants
Le 24/04/2019 à 06h46
Je ne comprends pas.
Si tu te fais condamner par la CNIL tu peux te retourner contre l’éditeur qui t’a fournit un logiciel troué qui a fait défaut alors que tu suivais leurs recommandations de configuration, non?
Le 24/04/2019 à 07h29
Le 24/04/2019 à 08h22
Le 24/04/2019 à 08h35
Le 24/04/2019 à 08h42
Le 24/04/2019 à 08h43
même si c’est un professionel, il peut être que technicien sans manipuler de données autres que celle des employés ( hors clients ) et n’installer que le soft juste avec la doc éditeur
Le 24/04/2019 à 08h46
Le 24/04/2019 à 08h57
Le 24/04/2019 à 09h16
Le 24/04/2019 à 10h53
Le 23/04/2019 à 11h07
Le 23/04/2019 à 12h14
Le 23/04/2019 à 12h15
Je pense surtout que le sous-traitant doit démontrer que l’intrusion n’est pas réalisale. Charge au donneur de s’en assurer et de se retourner contre prestataire.
Il faut éviter les donneurs d’ordre qui joue au ykafoq et se décharge sur les sous-traitants, leur demandant l’impossible.
Le 23/04/2019 à 12h29
Le 23/04/2019 à 12h54
Le 23/04/2019 à 13h26
Le 23/04/2019 à 13h38
Après le soucis est de définir dans la loi ce qui est du “grand n’importe quoi” et ce qui ne l’est pas…
Le 23/04/2019 à 14h28
un affichage de données sensibles sans connexion " />, la on est dans le grand n’importe quoi
Le 23/04/2019 à 14h58
Au doigt mouillé et en cinq minutes, je dirais:
Le principe de personnalisation de la peine est justement ce qui permettra à la CNIL de sanctionner plus sévèrement un groupe qui aurait du avoir les moyens d’auditer l’outil que le plombier du quartier.
Par contre pour moi c’est bien au responsable de traitement d’être coupable par défaut. L’implication des sous-traitants / éditeurs, doit être gérée au niveau contractuel.
Pour prendre un exemple caricatural, si je fournis un stockage en ligne sans aucune protetion et qu’un client y fout des données perso, je ne suis coupable que si je lui ai promis que mon système protégeait par défaut les données qu’il y mettait.
Le cas de la faille est moins tranché, mais répond selon moi de la même logique. En l’absence d’engagement formel de l’éditeur sur la qualité du logiciel, il n’a pas à répondre des utilisations qui sont faites de son logiciel.
D’ailleurs la CNIL sait très bien qu’aucun logiciel n’est infaillible. Ce qui est sanctionné ici n’est à mon avis pas tant l’existence d’une faille dans l’absolu, mais le fait que ce type de faille, dans ce contexte, ne peut relever que d’une négligence (le moindre pentest l’aurait révélée). Et cette négligence, c’est bien le responsable de traitement qui l’a fait.
Je serais intéressé de connaitre la position de la CNIL sur une faille non triviale, dans un composant faisant l’objet d’un contrat bien ficelé, avec des engagement de sécurité. Je trouverais logique que la sanction dans ce contexte soit faible, parce que le travail aurait été bien fait, mais imparfait. Si quelqu’un connait un exemple !
Le 23/04/2019 à 15h00
En pratique, il est impossible de démontrer qu’une intrusion est impossible (sinon, la SSI serait facile!)
Le mieux qu’on puisse démontrer, c’est qu’on a mis en place tous les processus de contrôle et de vérification de la sécurité définis par l’état de l’art.
Le 23/04/2019 à 16h37
Le 23/04/2019 à 19h43
L’éditeur ne manipule pas de données personnelles, il ne peut donc pas être tenu comme responsable d’une mauvaise manipulation de données personnelles…
Le 23/04/2019 à 20h30
Le 23/04/2019 à 20h41
Pour ce qui est de la sous-traitance, il faut savoir qu’on ne transfère pas le risque en sous-traitant. C’est à la société d’origine de prendre les mesures adaptées pour couvrir le risque. Et donc de s’assurer que ses sous-traitants font bien leur travail.
Le 23/04/2019 à 20h46
Et c’est pour cela qu’il n’est pas concerné par le RGPD, mais uniquement par le contrat qui le lie avec le responsable du traitement qui doit spécifier et vérifier le niveau de sécurité attendu.
Le 23/04/2019 à 20h55