« Collecte de masse » : la CNIL critique le mégafichier de Bercy
#BigBrotherBercy
Le 30 septembre 2019 à 14h55
6 min
Droit
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Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020, le gouvernement entend armer les douanes et les services fiscaux d’un nouvel outil aux implications considérables. Une collecte de masse, pour lutter contre les infractions douanières et fiscales. La CNIL a rendu un avis au vitriol contre ce dispositif d’une ampleur inédite.
La mesure avait été annoncée l’an passé par Gérald Darmanin. La CNIL, contactée en novembre 2018, nous avait rappelé la nécessité de prévoir une solide base légale qui faisait jusqu’ici défaut.
Cet oubli a été corrigé dans le projet de loi de finances pour 2020, comme révélé par Next Inpact (notre actualité de jeudi, celle révélant le texte, vendredi).
Le gouvernement annonce une « collecte de masse »
Ces deux entités pourront en effet effectuer une « collecte de masse » sur les réseaux sociaux et les plateformes de vente. L’expression anxiogène a été utilisée par l’exécutif dans le texte explicatif du projet de loi de finances pour 2020.
L’enjeu ? Détecter, à l’aide de ces sources ouvertes, d’éventuelles contrariétés avec les déclarations fiscales, et s’agissant des douanes, traquer des opérations frauduleuses peu en phase avec la législation du secteur.
Ce système de traitement automatisé n’a pas laissé insensible la CNIL. Comme annoncé, celle-ci vient de rendre publique sa délibération, rendue en septembre dernier.
Une CNIL saisie en urgence, un changement d’échelle
Premièrement, la commission a été saisie en urgence par le gouvernement le 28 août, ce qu’elle regrette « vivement » au regard « des enjeux associés à la collecte massive de données » et aux « impacts s’agissant de la vie privée des personnes concernées ».
Même si ces mesures avaient été annoncées fin 2018, avec les détails fournis par le gouvernement, la CNIL constate qu’il s’agit d’un « changement d’échelle significatif dans le cadre des prérogatives confiées à ces administrations pour l’exercice de leur mission ». Ce projet traduit également « une forme de renversement des méthodes de travail ».
En effet, cette collecte massive et préalable vise « l’ensemble des personnes rendant accessibles des contenus sur les plateformes en ligne ». Avec ce stock, les administrations cibleront ensuite les actions. Autrefois, les traitements étaient ciblés dès lors qu’un doute ou des suspicions préexistaient.
L’information préalable des personnes physiques
La CNIL fait plusieurs rappels de rigueur. Déjà, ce n’est pas parce que les données sont publiées sur Internet que les administrations peuvent tout en faire. Celles qui souhaitent les exploiter ont l’obligation de les collecter « de manière loyale et licite ». Les internautes devront donc disposer d’une information préalable. Merci le RGPD.
Autre principe issu du règlement : la proportionnalité. Où se niche-t-elle face à une telle collecte de masse ? En outre, le texte vise les contenus librement publiés en ligne. Pour la CNIL, il faudra impérativement exclure les données publiées sous pseudonymes, sauf à aller au-delà de ce critère.
L’autorité craint de multiples violations à la vie privée. Et de fait, elle demande à ce qu’une analyse d’impact soit réalisée, comme le veut le même texte européen.
Quand Macron fustigeait « l’anonymat » sur les plateformes
On se souvient d’ailleurs qu’Emmanuel Macron et le gouvernement ont plusieurs fois critiqué « l’anonymat » en ligne, le président souhaitant savoir qui écrit quoi… « Moi je ne veux plus de l’anonymat sur les plateformes Internet » exposait Emmanuel Macron en février dernier, soit trois mois après l’avis de la CNIL, tout juste rendu public.
Ce n’est pas tout. Cette collecte doit se faire sur trois ans, dans le cadre d’une expérimentation. Problème, la CNIL n’a reçu aucun élément lui permettant de comprendre un tel délai, ni surtout le périmètre des infractions justifiant cette collecte, extrêmement large.
En face, le gouvernement a voulu rassurer la CNIL : il n’y aura aucun contrôle automatique à partir des données collectées par ce dispositif. L’an passé, la DGFIP nous avait d’ailleurs indiqué que ces éléments serviraient d’indices, non de preuves. Par exemple, en exploitant les métadonnées des photos, les services fiscaux pourraient déterminer la résidence fiscale d’une personne.
Le Bon Coin, Facebook, eBay au crible d’algorithmes auto-apprenants
Mais les inquiétudes de la commission ne s’arrêtent pas là. Elles frappent aussi l’étendue des plateformes visées. Au regard des critères choisis par le projet de loi de finances, tomberont dans la marmite Facebook, Twitter, Instagram, Le Bon Coin, eBay, etc. Bref, des pans entiers du Web dont les contenus sont librement accessibles.
Le texte évoque aussi la mise en œuvre de « traitements automatisés ». L’expression est suffisamment vaste pour y inclure les algorithmes et autres solutions auto-apprenantes, estime la commission. Le champ du possible est également infini s’agissant des données chalutées. Cela peut concerner les posts des individus, mais également les partages ou les commentaires de tiers.
Au travers l’avis, on découvre que le texte initial n’excluait pas juridiquement la reconnaissance faciale. La CNIL a obtenu cette interdiction dans le projet de loi de finances.
Rappelons que les données collectées seront conservées durant un an si elles sont utiles. Celles jugées inutiles seront supprimées au bout de 30 jours. La CNIL aurait souhaité une suppression immédiate, qui n’a donc pas été retenue.
En août 2019, le gouvernement n’avait pas prévu d’adresser à la CNIL le bilan intermédiaire de cette collecte de masse. La commission a, en dernière ligne droite, obtenu d’être mise dans la boucle.
Enfin, la commission, très pédagogique dans son avis, souligne les effets sur la liberté d’expression et de communication d’une telle collecte. Se sentant surveillés par Bercy ou les Douanes, les internautes pourraient modifier « de manière significative » leur comportement en ligne. Un appel du pied au Conseil constitutionnel, lorsque viendra le temps du contrôle.
La délibération de la CNIL n'est pas contraignante. Le gouvernement peut donc l'ignorer et passer outre.
« Collecte de masse » : la CNIL critique le mégafichier de Bercy
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Le gouvernement annonce une « collecte de masse »
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Une CNIL saisie en urgence, un changement d’échelle
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L’information préalable des personnes physiques
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Quand Macron fustigeait « l’anonymat » sur les plateformes
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Le Bon Coin, Facebook, eBay au crible d’algorithmes auto-apprenants
Commentaires (35)
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Abonnez-vousLe 30/09/2019 à 15h22
“La délibération de la CNIL n’est pas contraignante. Le gouvernement peut donc l’ignorer et passer outre.”
Je crois que tout est dit…. ah! non, j’oubliai…. #BigBrotherBercy
Le 30/09/2019 à 15h30
C’est beau le nouveau monde (d’Orwell…)
Le 30/09/2019 à 15h45
“Se sentant surveillés par Bercy ou les Douanes, les internautes pourraient modifier « de manière significative » leur comportement en ligne.” ils deviendront peu être intelligent dans ce qu’ils publient " />
Si ça peu aider
Le 30/09/2019 à 16h03
Le 30/09/2019 à 16h11
Lle gouvernement dit:
“En face, le gouvernement a voulu rassurer la CNIL : il n’y aura aucun contrôle automatique à partir des données collectées par ce dispositif.”
Mais la CNIL relève juste après:
“ Le texte évoque aussi la mise en œuvre de « traitements automatisés ».
L’expression est suffisamment vaste pour y inclure les algorithmes et
autres solutions auto-apprenantes, estime la commission.”
Le gouvernement ment donc clairement sur ses volontés.
Sans oublier:
Au travers l’avis, on découvre que le texte initial n’excluait pas
juridiquement la reconnaissance faciale. La CNIL a obtenu cette
interdiction dans le projet de loi de finances.
Je donne pas deux ans avant que la reconnaissance faciale soit mise en œuvre “officiellement” (officieusement, elle sera appliquée dès le vote du texte).
Puis elle sera mise en place “officiellement” pour traquer les pédophiles, puis sera étendu aux criminels, puis délinquants, puis aux incivilités pour finir par être généralisée…
Ce sera comme en Chine, mais pas comme en Chine, parce que nous, on est une démocratie, dixit un certain M. FERRANDqui nous a montré vendredi à quel point il tenait compte des votes de l’opposition.
Petit à petit, tous les éléments se mettent en place pour donner lieu , non pas à un régime autoritaire mais au régime autoritaire le plus “parfait” qu’il soit, avec tous les outils pour anéantir les oppositions: un contrôle de masse de tous les échanges, communications, déplacements, idées qu’une personne pourrait avoir; avec une capacité inégalable et immense de propagande, de manipulation des images et de fanatisation du discours public; et avec une capacité de répression maximum que la propagande permet de minimiser voire de nier.
Et surtout un contrôle contre lequel il n’y aurait plus de possibilité
d’agir, le gouvernement sachant immédiatement quand tu deviens dissident
et pouvant ainsi t’empêcher d’agir, ni même de parler.
Un contrôle immense, total, imparable et individualisé que tous les régimes totalitaires avaient échoué à mettre en place, et qui en ferait rêver plus d’un.
2022 va être joyeux…" />
Le 30/09/2019 à 16h12
“La délibération de la CNIL n’est pas contraignante. Le gouvernement peut donc l’ignorer et passer outre.”
Beaux joueurs, ils vont dire qu’il y aura une information préalable sur bercy.gouv.fr car “notre collecte est loyale et licite, on respecte à la lettre le RGPD (qui protégè de rien s’agissant des autorités publiques pour peu qu’un texte existe)” et hop on peut lancer l’opération flicage de masse des réseaux sociaux.
Demander la publication de l’algo (son principe de fonctionnement et éventuellement son code source) va être très drole …
Le 30/09/2019 à 16h42
Das Geld der anderen, Frankreich, 2019.
Le 30/09/2019 à 17h04
Le 30/09/2019 à 17h05
Donc Facebook, google et n’importe quelle entreprise ou n’importe qui ici peut le faire mais le fisc non ? Je ne comprends pas bien le problème.
Le 30/09/2019 à 17h08
Ouvre un livre d’histoire.
Le 30/09/2019 à 19h07
Le 30/09/2019 à 19h15
Le 30/09/2019 à 20h03
Le 30/09/2019 à 22h12
Le 30/09/2019 à 23h09
Le 01/10/2019 à 03h19
Le 01/10/2019 à 05h21
https://www.la-croix.com/Archives/2001-02-14/Le-role-d-IBM-dans-l-Holocauste-est-controverse-_NP_-2001-02-14-127079
Wikipedia
Le 01/10/2019 à 05h28
Le 01/10/2019 à 06h39
Le 01/10/2019 à 07h28
On est bien d’accord
D’ailleurs le scandale Cambridge Analytics est arrivé non pas parce que Facebook utilisait des données perso, mais surtout parce qu’ils avaient laissé Cambridge Analytics les utiliser.
Que le fisc utilise une moulinette qui fait tut tut quand elle voit un proprio de Porsche payer sa note d’hotel au George V alors qu’il touche des allocs ne me perturbe pas outre mesure pour chopper les fraudeurs.
En plus faire une vérif sur un mec assez con pour s’afficher sur le net .. euh..
Darwin at work
Mais bon je suis un méchant " />
Le 01/10/2019 à 07h29
Le 01/10/2019 à 07h33
Le 01/10/2019 à 08h19
C’est pourtant ce qui se passe à chaque fois qu’ils reçoivent une publicité ciblée…
Le 01/10/2019 à 08h32
Merci de cette explication qui ne semble hélas pas évidente, même ici, et pour ton rappel de SAFARI que j’allais faire.
Le 01/10/2019 à 08h56
Le 01/10/2019 à 09h04
un parti fasciste au pouvoir ne serait hélas que la conséquence d’un souhait de la majorité de votants
Ils auraient de facto ce que cette majorité voulait
A quel moment doit on stopper la démocratie actuelle ?
vous avez 3 heures " />
Le 01/10/2019 à 09h34
Il me semble que c’est FB qui te propose la meilleure publicité en fonction de tes données.
Tu as donné le droit a FB d’utiliser tes données, mais tu ne l’as pas donné aux autres entreprises.
Le 01/10/2019 à 09h58
Où est le “scandale” ??
Normal que Bercy cherche à traquer les fraudeurs pour les faire cracher au bassinet. Et Bercy ne fera pas pire que Facebook, que vous acceptez sans sourciller …
Et pour les belles âmes très soucieuses de leur “liberté”, peut-être devraient-elles se rappeler que les impôts sont utiles à tous les citoyens (éducation , santé, police, chômage, etc ..)
Le 01/10/2019 à 10h01
Le 01/10/2019 à 10h15
Le problème principal est un problème de proportionnalité entre les buts recherchés (lutte contre la fraude à l’impôt en particulier, mais pas que) et la violation massive de la vie privée et une entrave possible à la liberté d’expression.
Comme l’impôt (et donc son recouvrement), la protection de la vie privée et la liberté d’expression sont tous de valeur constitutionnelle, c’est important de vérifier l’équilibre entre eux.
Et c’est quelqu’un qui n’est pas vraiment concerné par ces traitements (je n’ai pas de compte sur les réseaux sociaux, donc, non, je n’accepte rien de Facebook) mais qui paie des impôts qui relève ce point, mentionné dans l’article et le document de la CNIL.
Pour fini, non, la fin ne justifie pas les moyens.
Le 01/10/2019 à 10h25
Louis Joinet doit se retourner dans sa tombe. " />
Le 01/10/2019 à 10h32
Le 01/10/2019 à 11h36
c’est exact mais pas aussi limpide pour moi " />
Comme toi je ne suis sur aucun réseau social , et je ne laisse pas trainer mon adresse (IP ou pas) ou mes email ou mon numéro de tel n’importe oû.
ça ne marche pas si mal puisque je ne reçois pas de spam, je ne suis pas harcelé ni sur le téléphone fixe ni sur mon mobile , je n’ai aucune pub ou popup quand je surf sur le net.
En faisant court j’essaie de protéger ma vie privée ( ce qui me prive de certains sites à l’évidence)
Ce que je veux dire c’est que parler de protection de vie privée quand on laisse tout et n’importe quoi n’importe ou et n’importe quand … est pour le moins surprenant.
Ce qui va être utilisé par le fisc pour rechercher les fraudeurs n’est pour moi pas de la vie privée mais de la vie étalée à tout le monde
Mais bon … pas simple
Le 01/10/2019 à 11h41
Comme l’a rappelé la CNIL, les gens ont accepté (plus ou moins consciemment, mais sûrement plus que moins depuis le RGPD) que les réseaux sociaux traitent leurs données personnelles, mais pas pour autant que l’état fasse de même.
Le 01/10/2019 à 12h58
disons qu’il y a une légère différence entre laisser ces infos entre les mains d’une entreprise privée (si elle veut te nuire, elle doit a priori passer par un tiers, qui est en général l’État) et un État, qui a le monopole de la “violence légitime”.
Personne ne veut voir revenir les lettres de cachet…