La grogne monte chez les agents de la Direction interministérielle du numérique
DINUMation de la DINSIC
Le 07 novembre 2019 à 15h41
8 min
Droit
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La réorganisation de la Direction interministérielle du numérique (DINSIC), transformée la semaine dernière en « DINUM », continue de provoquer de vifs remous en interne. Les organisations syndicales n’ont pas hésité à monter au créneau pour dénoncer le manque de concertation et l'abandon de certaines missions historiques.
DISIC, DINSIC et maintenant DINUM, pour Direction interministérielle du numérique. Tout simplement.
Près d’un an jour pour jour après le départ – pour le moins difficile – d’Henri Verdier, alors numéro un de la « DSI de l'État », l’institution installée au 20 Avenue de Ségur a vu son nom et ses compétences redéfinies par un décret, paru le 27 octobre dernier au Journal officiel.
La DINUM reste chargée d’examiner les grands projets informatiques de l’État (ceux dépassant les neuf millions d’euros), pour lesquels son feu vert continue donc d’être impératif. L’institution, toujours placée sous l’autorité du ministre de l’Action et des comptes publics, « oriente, anime, soutient et coordonne les actions des administrations de l'État », afin d’améliorer « la qualité, l'efficacité, l'efficience et la fiabilité des services rendus par le système d'information et de communication de l'État », précise le décret.
Des « directions du numérique » dans chaque ministère
De fait, sur le plan des missions, il n’y a pas de changement majeur. La DINUM est notamment chargée d’élaborer puis de mettre en œuvre « la stratégie numérique de l'État ». Elle doit également promouvoir « la dématérialisation des formalités administratives tout en veillant à la prise en compte des besoins de l'ensemble des usagers et des agents publics ». Ce qui passe par une « mesure » de la qualité des services publics numériques, indique le texte.
L’ensemble fleure surtout bon le dépoussiérage. L’institution est par exemple chargée de pousser « l'innovation, l'expérimentation, les méthodes de travail ouvertes, agiles et itératives, ainsi que les synergies avec la société civile pour décloisonner l'administration ». Des termes qui ne sont pas sans rappeler les travaux menés depuis plusieurs années par l’incubateur de « start-ups d’État » de la DINSIC (voir notre article).
En termes d’organisation, en revanche, la DINUM se voit désormais articulée autour de trois « départements » (Etalab, Infrastructures et services opérés, Performance des services numériques) mais aussi – et surtout – du programme « Tech.gouv », qui se décline en une trentaine de chantiers jugés prioritaires (généralisation de FranceConnect, développement de la carte d'identité électronique, etc.).
Comme nous l’évoquions durant l’été, le décret instituant la fonction d’Administrateur général des données a été abrogé. La DINUM « hérite » néanmoins de ses missions principales, puisque l’institution est chargée de coordonner « l'action de l'État et des organismes placés sous sa tutelle en matière d'inventaire, de gouvernance, de production, de circulation, d'exploitation et d'ouverture des données, et notamment des codes sources ».
En dépit de cette disparition, il est malgré tout prévu que le Directeur interministériel du numérique « exerce, à ce titre, la fonction d'administrateur général des données ». Il n’aura toutefois plus certaines prérogatives que lui accordait le décret de 2014 (notamment celle de « réquisitionner » des informations auprès des administrations), ni l’obligation de publier un rapport chaque année, entre autres.
Autre abrogation : celle de l’arrêté octroyant au Réseau interministériel de l’État (RIE) le statut de « service à compétence nationale ».
On retiendra enfin que le décret impose à chaque ministère de mettre en place sa propre « direction du numérique », afin d’organiser et piloter ses actions en matière de numérique : création de services en ligne, « transformation numérique des politiques publiques », « exploitation du potentiel offert par les données », etc.
La DINUM devra recevoir les plans d'investissement et autres documents de programmation budgétaire couvrant, dans le domaine du numérique, les projets et activités de chaque ministère (ainsi que des organismes placés sous sa tutelle).
Des syndicats qui dénoncent le manque de « dialogue social »
En interne, la pilule a toutefois été difficile à avaler. Selon un document consulté par Next INpact, les organisations syndicales des services du Premier ministre (CFDT, CGT, SAPPM et UNSA) ont en effet écrit à Nadi Bou Hanna, le mois dernier, pour dénoncer « la perte du statut SCN [service à compétence nationale, ndlr] du RIE et le déplacement de l’Incubateur dans la mission « Fabrique » de Tech.gouv, car ils étaient le gage d’une efficacité et d’une garantie de saine administration ».
Opposés (à l’unanimité) à ce qui n’était alors qu’un projet de décret, les syndicats estimaient surtout que cette réorganisation engendrait un risque psycho-social « important » pour « une majorité du personnel ».
L’occasion pour les auteurs de cette missive d’étriller la « vision » du dialogue social de Nadi Bou Hanna :
« Monsieur le Directeur, vous n'avez eu de cesse de nous dire que cette nouvelle organisation avait été forgée avec vos équipes et qu'il n'y avait pas de difficulté d'adhésion. Or, la majorité des agents que nous avons rencontrés à l'occasion des visites programmées dans le cadre du CHSCT ministériel, nous ont, au contraire, indiqué que celle-ci avait été menée sans réelle concertation.
Un certain nombre nous ont précisé ne pas adhérer à la démarche et ont exprimé à son égard un sentiment de défiance. Les mêmes, ou d'autres encore, nous ont fait part du malaise qu'ils ressentaient face à la manière dont cette réorganisation était menée. En tout état de cause, tous ceux qui se sont manifestés s'inquiétaient de leur positionnement dans la nouvelle organisation, notamment au sein du programme Tech.gouv, de l'abandon de certaines missions historiques, du « flou » qui entourait cette réorganisation ou du départ de certains de leurs collègues. »
« Tous les mois, on perd des gens »
Ce n’est d’ailleurs pas une surprise. Suite au départ d’Henri Verdier et de la définition de la feuille de route « Tech.gouv » (qui n’a formellement été dévoilée qu’en octobre), différents agents et prestataires de la DINSIC ont claqué la porte de l’institution.
Christian Quest, qui travaillait au sein de la mission Etalab (en charge de l’ouverture des données publiques), avait ainsi démissionné, fin février, s'inquiétant d'un changement de cap. Contributeur notoire à OpenStreetMap, promoteur du logiciel libre, l’intéressé avait alors dénoncé la « feuille de route utilitariste et court-termiste » de Nadi Bou Hanna.
Plus récemment, ce sont Hela Ghariani, responsable de l'incubateur de services publics numériques de la DINSIC, Pierre Pezziardi, animateur historique de la filière des starts-ups d’État, et Ivan Collombet, coach de nombreux projets, qui ont abandonné leurs fonctions.
En mars dernier, lors d’une interview organisée peu après le départ de Christian Quest, Nadi Bou Hanna nous avait pourtant expliqué ne « pas avoir de raisons » de s’attendre à de nouvelles défections.
« Il y a eu énormément de départs », nous confie aujourd’hui une source proche du dossier. « Tous les mois, on perd des gens. Et dans tous les services. Pas forcément des démissions, mais plutôt des personnes qui n’ont pas souhaité renouveler leur CDD ou leurs prestations en freelance. »
Un autre agent confirme, mais nuance : « Il ne faut pas non plus perdre de vue qu'il y a toujours eu pas mal de turn-over au sein de la DINSIC, et qu'on avait des gens qui étaient d'une certaine manière dans une fin de cycle, puisqu’ici depuis cinq ou six ans. »
Contacté, Nadi Bou Hanna n’a pour sa part pas souhaité réagir. En juillet dernier, le numéro un de la DINSIC se disait rassuré par les « faits » : « Nous avons eu de nombreuses candidatures internes pour participer aux différents chantiers du programme Tech.gouv, les agents souhaitent pour la très grande majorité poursuivre leur activité au sein de la DINSIC, et nous n’avons aucun problème à recruter. »
Des équipes craignent d’être découpées
« La brutalité avec laquelle le changement a été mené, c'est ça qui a été catastrophique », embraye l’une de nos sources. « Et c’est surtout ça qui a fait partir les gens pendant un an. Il y a certes de nouvelles priorités, mais on s’y attend à chaque fois qu’il y a un changement d'organisation. »
Parmi ceux qui sont restés, certains craignent que leurs missions se retrouvent morcelées, entre leurs tâches « historiques » et celles découlant du programme Tech.gouv. Au risque de devoir abandonner, de fait, certains projets sur lesquels ils travaillaient parfois depuis des années.
Différentes fiches de postes ont d’ailleurs été republiées ces dernières semaines pour actualiser le rôle des agents concernés.
La grogne monte chez les agents de la Direction interministérielle du numérique
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Des « directions du numérique » dans chaque ministère
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Des syndicats qui dénoncent le manque de « dialogue social »
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« Tous les mois, on perd des gens »
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Des équipes craignent d’être découpées
Commentaires (21)
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Abonnez-vousLe 07/11/2019 à 15h51
« Tous les mois, on perd des gens »
Heu…C’est pas le but du gouvernement, de virer le maximum de monde , et de balancer la charge de travail sur les pauvres mecs assez carriéristes pour rester , et faire appel a des intérim /presta / cdd pour les coups de bourre ?Quand on a une vision comptable de la société c’est pas si étonnant. Le fait qu’ensuite, plus rien ne marche n’est pas leur problème : Les gens qui font ça seront plus là depuis longtemps quand il faudra gérer les conséquences.
Le 07/11/2019 à 16h27
C’est meme le but afficher de la dernière réforme de la fonction publique ….
Le 07/11/2019 à 17h27
L’ambiance est bonne " />
Le 07/11/2019 à 18h35
Une administration est réformée réorganisée renommée et tout de suite c’est le (psycho-)drame humain : les passe-droits, privilèges et petits arrangements vont passer à la trappe (du moins pour un temps), les horaires de travail d’activité de présence jusqu’ici théorique vont devoir être respectés (du moins pour un temps), peut-être même que des “agents” vont devoir être déplacés. Voire liquidés, oh l’horreur.
C’est décidément inhumain toutes ces tracasseries, à la limite du harcèlement moral. C’est que les “agents” de la fonction publique employés à vie avec un salaire confortable et une retraite (par capitalisation) payée par le contribuable sont des entités fragiles. Le gouvernement a certainement prévu une cellule d’urgence pour traiter tous les cas de troubles de stress posttraumatique qui ne vont pas manquer de survenir suite à cette “brutalité” éhontée.
Le 07/11/2019 à 19h10
Le 07/11/2019 à 19h13
Le 07/11/2019 à 20h03
Cela a déjà commencé dans pas mal d’autres secteurs de la FP et ce bien avant la prise de position récente.
Le plus choquant est qu’à force de sabrer les postes assimilés aux profession libérales, on risque un retour assez brutal à l’état de servitude volontaire vu qu’il faudra bien embauche les moins dégourdis (j’en connais) afin de boucher les trous des effectifs d’un côté, et de continuer à fliquer de l’autre en jouant de l’argument d’autorité pour des sujets qui ne s’y prêtent pas…
Le 07/11/2019 à 20h49
Pas de doute, c’est bien lui !
Il est incroyable 😲
Le 08/11/2019 à 08h14
Le 08/11/2019 à 08h56
Le 08/11/2019 à 09h10
L’intérêt de l’article relatif à la DINUM est que cette dernière conditionne fortement le fonctionnement et l’architecture du SI de l’Etat et par voie de conséquences dans une large mesure celui des collectivités territoriales (communes, groupements, départements, régions…).
Ceci vaut bien, à mon sens un article de temps en temps sur cette entité dont le rôle est peu visible certes mais essentiel.
Le 08/11/2019 à 09h21
Le 08/11/2019 à 09h38
Laisse c’est un troll qui imagine que la FP glande chaque jour, il a pas conscience que l’état est le pire employeur de France et que les privilège qu’il croit que les employés de la FP ont n’existent pas…
Don’t Feed The Troll
Le 08/11/2019 à 11h48
Clairement oui.
Enfin c’était le passage à la vitesse supérieur pour une tendance lancée depuis pas mal d’années.
J’ai hâte de voir le résultat quand on sera en vitesse de croisière " />
(si il reste un service public d’ici là)
Le 08/11/2019 à 14h08
Le 09/11/2019 à 10h19
Petite correction @NXi > C’est “DNUM” depuis que le MI s’en mêle et “interdit” aux autres ministères d’avoir voix au chapitre " />.
Le 09/11/2019 à 10h31
Le 09/11/2019 à 17h48
Ils font tout pour libéraliser les marchés, C’est un coq qui tourne la tête coupée.
Si on split par directions c’est du vent.
Le 09/11/2019 à 18h20
C’est pas faux…
Le 09/11/2019 à 23h32
Un petit détail de vocabulaire, l’utilisation du mot GROGNE n’est pas tout à fait neutre
https://www.acrimed.org/+-Grogne-+
https://www.acrimed.org/La-grogne-dans-le-bestiaire-des-mobilisations
Le 10/11/2019 à 14h24
Je trouve que ça représente pourtant bien la situation : le chien qui grogne au passage d’un piéton (l’action du gouvernement) et le piéton qui continue sa route imperturbable, bien protégé par une barrière…