La loi du 29 décembre 2011 sur la sécurité du médicament et des produits de santé a imposé des règles fondamentales pour assurer la transparence et la lutte contre les conflits d’intérêts. Problème, un projet de décret vient brouiller les pistes en réclamant notamment la cécité des moteurs de recherches sur ces données de première importance.
La loi de décembre 2011 avait été votée à la suite du drame du Médiador, comme le rappelle son étude d’impact : « Les divers travaux d’évaluation menés à la suite de l’affaire du Médiator, ont mis en évidence la nécessité de restaurer la confiance dans le système de sécurité sanitaire des produits de santé et, en particulier, dans le domaine du médicament ». Les principaux enjeux avaient été clairement exposés : outre renforcer la surveillance du médicament, il s’agissait de « garantir une meilleure transparence des liens d’intérêt ».
Comment ? L’étude programmait un train de mesures. Des déclarations publiques d’intérêts, « une responsabilisation des institutions dans la gestion et le contrôle des conflits d’intérêts » mais encore « la publication des conventions passées entre les entreprises pharmaceutiques et les parties prenantes (professionnels de santé, associations de patients, fondations, organes de presse spécialisée, sociétés savantes, sociétés ou organismes de conseil) », etc. Une loi n’est cependant pas suffisante. Il faut le plus souvent une ribambelle de décrets d’application, histoire de rendre applicables ces affirmations générales.
Nouveau projet de décret Sunshine
Nous nous sommes justement procuré un projet de décret dans la lignée de ce texte. Il vise à révéler au grand jour les jolis cadeaux offerts par les labos aux professionnels de la santé. Dans les couloirs du ministère, ce futur décret est baptisé Sunshine, par référence à un texte américain similaire.
Une première version avait été préparée par le précédent gouvernement, mais elle n’a pas plu à Marisol Touraine. « Le texte préparé par le gouvernement précédent ne constitue qu’un faux semblant visant à se donner bonne conscience qui, en l’état, n’est pas approprié au problème posé ». Dans son communiqué, la ministre des Affaires sociales et de la Santé juge en effet les obligations de publication du précédent projet de décret comme « imprécises dans leur objet et irréalistes dans leur définition ». Elle a donc annoncé une nouvelle version dotée d’une obligation « réaliste et adaptée pour être effective et utile ».
Des seuils contre les petits cadeaux
La version remaniée en notre possession devrait être finalisée dans peu de temps. Le texte est vaste puisqu’il frappe aussi bien les producteurs de produits à finalité sanitaire que ceux à finalité cosmétique (lentilles oculaires non correctrices, produits cosmétiques, produits de tatouage). Les labos peuvent donc adresser des petits cadeaux à tous les acteurs de la santé (médecin, sage-femme, pharmacien infirmier, kiné, dentiste, technicien de laboratoire, manipulateur d’image médicale, aide soignant, opticien, étudiant, presses ou sites spécialisés, éditeurs de logiciels, etc.) à condition de les rendre publics.
Cependant, le dispositif contient tout un système de verrous et de seuils destinés à éviter que le lien d’intérêt ne soit dévoilé dès le premier euro versé. L’ordre des médecins s’en tord le caducée : ces divers mécanismes de cumuls, de tranches et de seuils, prévus sous couvert de simplification, « ne permettront pas au public de connaître les sommes effectivement versées par les industriels aux professionnels de santé. »
Des données diffusées, mais non indexables
Mais il y a mieux. Quand les gentilles attentions des laboratoires passeront les grilles de ces filtres, ces informations seront rendues publiques gratuitement sur leur site, sur un site tiers ou à défaut, dans des archives papier. Cependant, le citoyen en mal d’informations ne sera pas au bout de ses peines. Le dispositif s’inspire en effet à plein nez du verrouillage déjà utilisé pour les déclarations publiques d’intérêt.
Les généreux laboratoires devront impérativement prendre « les mesures techniques nécessaires pour assurer l’intégrité du site sur lequel elles rendent publiques [ces] informations (…), leur sécurité et leur protection contre l’indexation par des moteurs de recherche » dit le projet de texte. Google et autres Bing ou Yahoo! seront donc priés de fermer les yeux sur ces données brutes, via le fichier robots.txt qui permet de dire aux outils d'indexation d'aller voir ailleurs.
Le principe laisse en outre la porte ouverte à la criminalisation des réutilisateurs qui aurait eu la chance de tomber sur ces données nominatives : pour pouvoir travailler dessus ils devront en effet demander le consentement de tous les médecins ayant reçu des cadeaux, ce qu'ils n'auront que difficilement voire jamais.
« Le prétexte de la non-indexation est fallacieux »
« Les cadeaux reçus des entreprises altèrent la qualité des soins. Taire cette question de santé publique fondamentale sur un prétexte sans lien est honteux. Si les firmes font ces cadeaux c’est que cela marche et entretient l’amitié avec les médecins ». Le président de l'association Formindep, le Dr Philippe Foucras nous a ainsi fait part de sa colère et de sa déception : « le prétexte de cette non-indexation est fallacieux. C’est soi-disant pour protéger la vie privée, mais on ne va pas raconter la vie sexuelle ou donner l’adresse personnelle de ces gens, uniquement l’état de leur situation professionnelle ! Ces informations concernent la santé publique et la qualité des soins. Empêcher l’indexation, c’est rendre inexploitable l’accès à ces données. Ce qui compte pour les citoyens, c’est bien d’avoir des informations sur la façon dont ces professionnels se forment ou reçoivent des cadeaux. »
Ce médecin sait que des militants pourront toujours fouiner et recouper ces données via les sites des laboratoires, mais au prix d’une énergie digne de la révolution industrielle : « il faudra consulter et exploiter 250 à 300 sites en France, tout cela pour trouver une information sur votre médecin. L’objectif de cette loi est d’assurer la transparence. On en arrive exactement à la situation inverse. Déjà, le fait que des citoyens doivent se substituer aux obligations de l’État n’est pas normal. Mais si en plus la loi complique à dessein, c’est qu’il y a vraiment un problème. »
Les rémunérations invisibles sur les sites
Autre chose. Le Conseil de l’Ordre des médecins l’avait dénoncé en ces termes : « les rémunérations versées aux professionnels de santé en contrepartie des travaux effectués pour le compte des entreprises ne seront pas rendues publiques. La nature même de ces travaux ne sera pas connue, au nom du respect du secret des affaires qui l’emporte ici sur la protection de la santé publique ».
Le projet de décret donne en effet une définition très restrictive des avantages qui doivent être diffusés. « Tous les liens qui passent par des contrats officiels, des rémunérations en échanges d’activités, ne sont pas intégrés, poursuit le Dr Foucras. Des leaders d’opinion payés des centaines de milliers d’euros ne seront pas déclarés, car ce versement aura lieu en échange d’une intervention. Quand ces personnes s’expriment sur un produit de santé, il est pourtant essentiel de savoir pour qui il s’exprime ».
Dans le même sens, le collectif Europe et Médicament précise que « les sommes en jeu sont pourtant importantes, supérieures à leur salaire pour certains leaders d’opinion qui courent les congrès et les plateaux de télévision : jusqu’à 600 000 euros pour un seul contrat de consultant relevé par l’IGAS (inspection générale des affaires sociales), qui a pointé la « forte opacité » de ces contrats ».
En somme, des effets de seuils ou l’existence de contrat empêcheront la révélation de ces informations. Mais même publiées, ces données seront éparpillées entre 2 à 300 sites et cachées dans une sous-page d’un site à l’abri des robots d’indexation des moteurs de recherche. C’est ce que la ministre nomme en 2012 une obligation « réaliste et adaptée pour être effective et utile ».
Nous sommes entrés en relation avec le ministère, sans retour à ce jour.
Commentaires (109)
“Le respect des affaires qui l’emporte sur la santé publique”, voilà qui resume bien la chose… venant de l’ordre des médecins, ça inspire la confiance.
Un peu bizarre cette histoire de non indexation …
Si par exemple, je fais une application, avec mes petites mains, qui parsent ses informations (boulot titanesque, en particulier si ils se permettent tous de faire des “publications papier”), je suis dans l’illégalité ?
Si je met ces informations sur un blog, et que google les indexes, je suis dans l’illégalité? est ce que je suis obligé de rendre ces informations non indexable?
Robots.txt n’est pas du tout une sécurité, car il peut être ignoré par les crawlers. Il faudra un site d’authentification.
En tout cas, si cela intéresse les gens, il ne faudra pas trop de temps avant de voir tourner des dumps.
Difficile de ne pas faire un parallèle avec la Lex Google dans le contexte actuel. Particulièrement édifiant de voir des girouettes incapables de mettre en œuvre des principes généraux et de satisfaire sans limite des intérêts particuliers.
Sans déconner; on va arriver au Stalinisme bientôt
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Un bon web à la chinoise se prépare
au départ j’étais un peu
" /> d’incrédulité mais force nous est une fois de plus de constater… pays de merde
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Par décret en plus… Fait du Prince INside.
Bon, solution simple : si on interdisait purement et simplement les cadeaux de l’industrie pharmaceutique aux médecins ?
Parce que 60 % des dépenses de cette industrie qui sont faites dans le marketing et des clopinettes pour la recherche, c’est qu’il y a un gros problème !
sympa la nouvelle interface
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Les cadeaux reçus des entreprises alternent (sic) la qualité des soins.
Propos consternants.
Ces vilaines entreprises vivant sur le dos de la société n’ont évidemment pour seul but que d’attenter à la vie de leurs clients finaux, les patients des médecins qu’ils soudoient du cadeau qui “entretient l’amitié”.
Pour bien connaitre le milieu, les lois anti-cadeaux pour les professionnels de santé existent déjà depuis longtemps et sont contournées depuis au moins aussi longtemps. Cela ne les empêche pas de faire leur boulot correctement s’ils veulent que leur clients reviennent.
Empêcher les gens de faire leurs affaires à leur manière sera toujours considéré comme une atteinte à la liberté non négociable de commercer (la santé n’est pas un secteur économique plus particulier qu’un autre).
secret des affaires qui l’emporte ici sur la protection de la santé publique
Tout est dit
Crevez, on s’en fout, on a notre Ferrari
Je vais vomir, je reviens.
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Sur BFM radio, la semaine derniere, deux experts disaient au presentateur medusé, que la moyenne de depense des labos en cadeaux et autres gentilles attentions est de 30.000€ par an et par medecin!
Ca commence a faire des cadeaux sympa!
C’est assez consternant de voir le poids des lobbys et comment l’État finit par se mettre à leur service plutôt qu’à celui des citoyens en quête eux de transparence.
Le lobby des laboratoires pharmaceutiques n’a pas l’exclusivité… Dans le même genre, la pression pour empêcher que des liens induisant éventuellement des conflits d’intérêts soient trop transparents dans le domaine du nucléaire est pas mal non plus.
quelqu’un pour me pincer ? merci.
(pas trop fort si possible)
Non, pas 1984
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" /> (celui-ci, me plait énormément)
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Mais 2012, la fin du monde. (faut-il encore, un emoticone )
edit: et en plus, je tombe sur #42 (ça me fait penser à Lost)
N’empêche que Montebourg aurait se rajouter un suppo Sanofi dans le cul dans sa une du parisien magazine. A force de défendre l’industrie pharmaceutique (française), on en vient à condamner la sécu. Jusqu’où pourra aller l’augmentation de la CSG ?
Fumisterie !
Franchement la solution à ce problème est très simple et ils en ont fait une usine à gaz inexploitable !
Pour supprimer le conflit d’intérêt il n ‘y a qu’a supprimer les intérêts ! Fini les magouilles petits cadeaux et compagnie ! Mais bon, tant que les législateurs seront amis avec les magouilleurs ça ne changera pas !
Obscuranti poltergeist obnubilis
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A cloud into brainstorm
je me souviens d’un excellent site fait par un hopital il y a une dizaine d’année, qui etait la bible du medicament et en particulier permettait de trouver les effets indésirables de ceux ci en un clic de souris.
Il a été fermé sous la pression de Vidal et de l’ordre des medecins, au motif des droits d’auteurs, de la securité sanitaire..
et du fait que le grand public a pas le droit de savoir, non mais !!!
c’est juste apres avoir acheté le medoc que tu peux lire la notice et le papier ne se met pas à jour, lui ..
Mais la France a le meilleur système de santé au monde…. ou pas ?
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secret des affaires qui l’emporte ici sur la protection de la santé publique
faut être compétitif partout : désolé nous ne voulons pas vous soigné, après avoir étudié votre dossier il parait plus simple de vous laisser crever et qu’un petit chinois reprenne votre boulot
j’aime le capitalisme !
En même temps quand on voit le niveau de nombreux médecins:
Et après on se plaint du trou de la sécu
Bonjour,
je suis actuellement en charge de la génération et mise en place du fichier pour un gros labo.
Et je puis vous assurer, que c’est loin d’être simple, car au jour d’aujourd’hui,
on ne sais toujours pas ce qu’on doit mettre dans ce “foutu” fichier.
On ne sait ni les infos a faire apparaitre..ni les montants..dans les pré-version de décret, il y avait un tas d’information qui ne sont pas en notre possession, on nous demandait des infos sur les étudiants, des codes sur les médecins qu’on a pas dans nos system, et de plu,s tout cela revient a faire un lien entre notre CRM et la facturation, alors que chez nous, il n’existe aucun lien entre ses deux systems.
Le fichier sera quand a lui effectivement juste lisible et non exploitable, car ce ne sera pas du texte mais une image vectorisé.
image vectorisé, print screen, ocr, fichier exploitable
" /> (encore une pseudo sécurisation)
J’ai quand même des doutes, tu dois bien avoir les données dans une base et légalement les conserver xxx années pour la compta.
Donc c’est parfaitement exploitable par des petits malins (en plus de ma solution), certes faut accéder au système, mais bon quand on voit toutes les données qui s’égarent dans la nature…
Oui toute la facturation est en base, mais c’est de l’intranet, je ne dis pas que c’est im-priatable, loin de la mais c’est pas facile….
:facepalm:
et jamais tu sors de tes théories fumeuses pour penser aux hommes et femmes qui sont derriere tes chiffres ?
L’ignorance obtuse recouvre généralement des motivations bassement politiques. Votre système d’État providence est en train de s’écrouler comme n’importe quelle chaîne de Ponzi. Les premiers à payer à la débâcle ne sont pas ceux qu’on croie.
L’“anarchiste écolo autogestionnaire keynésien”, c’est un oxymore révélateur d’une pensée assez incohérente (un euphémisme de ma part). Merci quand même pour la tranche de rire.
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PS : sans État ou autorité (anarchie), le keynésianisme (moderne) est impossible. La seule possibilité reste alors celle où les individus sont libres non seulement d’émettre leur propre monnaie mais aussi de commercer à leur guise sans intervention coercitive (libre-échange).
En somme le libéralisme à l’état pur, celui qu’on nomme anarcho-capitalisme.
Dans ton exposé, tu parles de non-agression, ce qui rejoint l’idée “la liberté de chacun s’arrête là où commence celle des autres”: la prémisse qui fleure bon la masturbation intellectuelle, vu la nature belliciste du genre sapiens, et qui du coup rend caduque tout le reste de ton exposé. Tu ne reconnais l’autorité que si elle a une culotte rouge et une barbe blanche, c’est ça ? T’es la schtroumpfette ?
Oup, doublon.