Une sociologue pointe l’inefficacité des avertissements de la Hadopi
Une étude du M@rsouin
Le 08 janvier 2013 à 14h04
7 min
Droit
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Dans sa note « La consommation et le partage illégal de biens culturels : L’exemple du téléchargement, une pratique sanctionnée par le droit, une activité courante normale », la sociologue Karine Roudaut tente de cerner l’activité même du téléchargement illégal. Suite à une enquête qualitative menée entre mars et octobre 2012 auprès de 8 individus (5 hommes et 3 femmes, âgés de 27 à 55 ans, de catégories socioprofessionnelles et de formations variées), cette chercheuse du M@rsouin* trace plusieurs pistes sociologiques afin d’expliquer ces comportements jugés illicites par le droit, mais dont la perception par les justiciables peut être différente.
Les raisons du téléchargement illégal
« Le téléchargement n’est pas seulement et simplement envisagé comme un moyen de ne pas payer pour un bien », explique d’entrée Karine Roudaut. Selon les conclusions de la sociologue, les interviews ont permis de mettre en exergue l’existence de plusieurs justifications au téléchargement illégal, qui peuvent d’ailleurs se combiner entres elles :
- La volonté d’accéder à des biens culturels
- L’incitation industrielle et technologique : facilité, rapidité de l’accès...
- Un « habitus de consommation culturelle, ou lié au mode de vie » (contraintes de temps, lieux, rythmes, périodes de la vie, maîtrise et autonomie et liberté du visionnage...)
- Le coût de la consommation culturelle légale, et par conséquent la gratuité de la consommation illégale
Ces éléments permettent à Karine Roudaut de répondre à une autre question, qui est celle de savoir si l’acte de téléchargement illégal remplace l’acte d’achat. Non, répond la sociologue : « Le téléchargement semble ne pas se substituer à la consommation plus "classique" de biens culturels ». Elle reconnaît cependant qu’il « peut compléter les pratiques de consommation culturelles déjà existantes (ceux qui téléchargent peuvent écouter, essayer, acheter ensuite les biens qui leur plaisent) ou se cumuler avec une pratique culturelle "classique" (augmentation de la consommation culturelle et de l’accès à des biens) ». Autrement dit, téléchargement illégal et consommations de films, musiques, etc. cohabitent. Plus que ça, Karine Roudaut relève que le téléchargement illégal « s’ajoute le plus souvent à des pratiques de consommation culturelles légales gratuites ou payantes (abonnements payants TV ou jeux vidéo, Deezer gratuit, sites d’autoproduction de musique »...
L’avertissement freine le téléchargement illégal, mais ne l'arrête pas
Parmi les huit personnes interrogées, trois avaient reçu un avertissement de la part de la Hadopi. S’intéressant tout particulièrement aux réponses de ces individus, la sociologue retient que « l’avertissement peut freiner l’activité de téléchargement, mais il ne l’arrête pas ». Karine Roudaut explique ainsi que malgré les messages adressés par la Rue du Texel, les internautes affirment qu’ils ne se laissent pas impressionner par la « peur du gendarme ». L’effet des avertissements est ainsi décrit comme « jugé inefficace », et ce pour plusieurs raisons : contournement de la loi, activité poursuivie sur les réseaux P2P à cause du temps pris par le mécanisme de réponse graduée...
Pourtant, et la sociologue pointe là un paradoxe, les internautes ont conscience de l’illicéité du téléchargement illégal. Autrement dit, ils savent que c’est interdit par la loi, mais continuent d’adhérer à cette pratique, considérant en quelque sorte qu’il s’agit de quelque chose de légitime. « Si le téléchargement est bel et bien perçu comme illégal, il n’y a pourtant pas d’identification de l’acte comme infraction (activité criminelle, vol, hors la loi) », note ainsi Karine Roudaut. Pourquoi ? « Car il n’est pas étiqueté comme déviant par l’entourage ou les proches ou dans un contexte social plus vaste. Il peut même y avoir transmission ou apprentissage à autrui ; c’est l’exemple d’un interviewé, ouvrier de 35 ans, qui a appris à son père retraité comment faire ».
Surtout, la sociologue explique cette perception des interviewés en faisant valoir que le téléchargement illégal « fait presque figure de norme sociale de consommation culturelle », en ce que cette pratique « courante » est « partagée socialement ». Autrement dit, ses conclusions remettent profondément en question l’efficacité du dispositif de riposte graduée, tandis que la Rue de Texel, elle, assure des vertus de son action à l’appui de ses propres chiffres (qui indiquaient par exemple en septembre dernier que 95 % des abonnés avertis une première fois ne se voyaient plus reprocher de nouveaux comportements illicites).
Les contours du piratage
Aussi, la sociologue a observé que ces personnes s’adonnant au téléchargement illégal ne se considéraient pas forcément comme des « pirates ». « Dans la plupart des discours, la pratique doit rester raisonnable : une quantité modérée de téléchargements illégaux, une consommation culturelle propre ou limitée à un entourage de proches (amis, famille restreinte) ». L’élément intentionnel est également pris en compte par les internautes afin de définir la moralité de leurs actes (téléchargement intensif, effectué à des fins pécuniaires...). « Certains interviewés soulignent que leur consommation illégale, par exemple de films, sous forme de fichiers numériques, n’empêche aucunement quelqu’un d’autre d’y accéder : leur "consommation n’enlève rien à personne" », indique également Karine Roudaut.
La « neutralisation » d’un acte pourtant illégal
En conclusion, la sociologue distingue cinq types de justifications dans les discours des personnes interviewées, et ce d’après les travaux de Sykes et Matzaes, pour qui ses processus de neutralisation permettent « à l’individu de maintenir sa croyance dans la validité d’un ordre légitime tout en violant les règles » :
- Le déni de responsabilité : il s'agit ici de l’invocation de facteurs exogènes à l’activité de téléchargement illégal : indisponibilité des biens sur le marché français, fichiers téléchargés pour enfants en bas-âge, programmes de tv,… « Quand on n’a pas d’argent, c’est normal de pirater », « Mais c’est de la fatalité technologique ! », ont par exemple expliqué certains sondés.
- Le déni du mal causé : c'est le sentiment de ne pas causer de tort à autrui, en ce qu'il n’y aurait par exemple pas de conséquences importantes pour ces grosses industries...
- Le déni de la victime : on retrouve ici l’idée selon laquelle les majors l’industrie du disque mériteraient par exemple leur sort, car elles n’ont pas réussi à adapter leur modèle économique.
- L’accusation des accusateurs : l’individu s’en prend aux mobiles de ceux qui le « condamnent » : les intérêts purement financiers des sociétés commerciales et de l’industrie dominante ; le coût d’une répression vaine, la Hadopi (« une institution parasite payée avec nos impôts », « faire payer le citoyen, l’État, pour des majors privées »…).
- La soumission à des loyautés supérieures : la question du libre accès à la culture et de la gratuité est ici invoquée, de même que la liberté, l’autonomie ou le politique (« quelque chose d’idéologique à la limite du communisme » ; « Un réseau pair à pair c’est le peuple en direct »…).
*M@rsouin : Môle armoricain de recherche sur la société de l’information et les usages d’Internet.
Une sociologue pointe l’inefficacité des avertissements de la Hadopi
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Les raisons du téléchargement illégal
Commentaires (63)
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Abonnez-vousLe 08/01/2013 à 15h00
Pauvres INpactiens.
Leurs cerveaux fondent à la lecture de recherche QUALITATIVE.
Vous me rappelez mes premières expériences avec celle ci : Mal de coeur, incompréhension et gout de vomir.
Pour faire simple: EN recherche qualitative le but n’est pas de faire des inférence (donc ce n’est pas de généraliser à la population), la taille de l’échantillon n’est pas important, seulement les informations qu’on en retire. L’objectif est de chercher des idées, hypothèses ressentie, perception, etc, dans un groupe donné (ce cas ci 8 personnes).
Bien à vous de dire que ce n’est pas de la science, mais des milliers de débats philosophique (épystémologie) ont déjà eu lieu sur le sujet, et le résultat de la bataille leur a donné raison. Ce type de recherche trouve maintenant sa place partout, même en médecine et récemment en physique.
Le 08/01/2013 à 15h05
Le 08/01/2013 à 15h08
C’est marrant les gens qui se moquent du travaille d’étude de cette personne alors qu’ils n’ont aucune connaissance en sociologie/psychologie.
‘fin bref … " />
Je trouve l’article très intéressant et je me serai bien douté de certaine conclusion.
Le 08/01/2013 à 15h19
Le 08/01/2013 à 15h23
Le 08/01/2013 à 15h26
Le 08/01/2013 à 15h28
Le 08/01/2013 à 15h28
Le 08/01/2013 à 15h32
Le 08/01/2013 à 15h32
Le 08/01/2013 à 15h34
Le 08/01/2013 à 15h38
Le 08/01/2013 à 15h41
Le 08/01/2013 à 15h47
Les raisons du téléchargement illégal
La volonté d’accéder à des biens culturels
Ou la vache. Elle a du plancher fort pour cette première conclusion non ?
Le 08/01/2013 à 15h50
Le 08/01/2013 à 15h51
Le 08/01/2013 à 14h10
c’est vrai, je n’avais jamais pensé à ça: on partage ses films téléchargés avec ses collègues de travail, mais pas sa weed :)
Le 08/01/2013 à 14h10
“Suite à une enquête menée entre mars et octobre 2012 auprès de 8 individus”
si elle les a trouvé dans un garage, suis pas sûr de la pertinence du tout :p
1 individu par mois, ça chome pas en tout cas –’
Le 08/01/2013 à 14h12
12 millions d’euros pour se rendre compte qu’Hadopi ne sert a rien, c’est beau quand meme.
Le 08/01/2013 à 14h12
c’est clair que 8 individus c’est ce qu’on appelle un échantillon représentatif en stats " />
n’importe quoi
Le 08/01/2013 à 14h14
Le 08/01/2013 à 14h16
Le 08/01/2013 à 14h17
Le 08/01/2013 à 14h17
Le 08/01/2013 à 14h17
Le 08/01/2013 à 14h19
Le 08/01/2013 à 14h20
Toujours là cette abomination?
Vivement l’abrogation qu’on tourne la page.
Et au fait, toujours rien sur les ingénieurs/techniciens qui osent travailler sur cette immondice? Histoire qu’ils assument un peu plus leurs actes devant leurs paires.
Le 08/01/2013 à 14h21
Le 08/01/2013 à 14h22
Le 08/01/2013 à 14h26
Le 08/01/2013 à 14h27
Alors moi j’ai fais une très grande étude avec un échantillon énorme de 1 avis (moi) et j’ai des conclusions très intéressantes sur pourquoi les gens dans le monde entier téléchargent … est-ce que je peux avoir un article sur PCI aussi ?
Le 08/01/2013 à 14h30
Le 08/01/2013 à 14h32
Le 08/01/2013 à 14h32
Le 08/01/2013 à 14h35
Le 08/01/2013 à 14h36
Le 08/01/2013 à 14h37
Le 08/01/2013 à 14h37
Le 08/01/2013 à 14h38
c’est moi ou le site du M@rsouin a pas trop l’habitude, là?" />
Le 08/01/2013 à 14h38
Le 08/01/2013 à 14h47
Mais bon, de toutes façons “8, ça suffit” comme dirait un maître nain dénommé Zarakaï !
Le 08/01/2013 à 14h48
Coucou
C’est de la sociologie.
Une étude qualitative.
Qui dresse plusieurs hypothèses qui expliquent ou peuvent expliquer l’inefficacité des avertissements
Cette étude en dresse un panorama
Que nous présentons ici.
Le 08/01/2013 à 14h54
Le 08/01/2013 à 14h55
En dehors de la qualité de l’étude, que je n’ai pas lu, il faudrait expliquer à certains que faire une étude sociologique ce n’est pas téléphoner à 25000 personnes, en espérant trouver les 1000 représentatifs qui voudront bien répondre à 10 questions en 3 minutes.
Le 08/01/2013 à 14h57
Le 08/01/2013 à 14h57
Le 08/01/2013 à 14h57
doublon, à supprimer
Le 08/01/2013 à 14h59
Le 08/01/2013 à 15h54
J´ai lu le pdf et je ne comprends pas les critiques de certains dans les commentaires. Il ne s´agit pas de statistiques mais d´une étude quantitative faite par une sociologue. D´ailleurs, je suis assez d´accord avec les conclusions faites, et j´ai trouvé l´étude intéressante. C´est sûr que quand on ne lit pas c´est plus facile de critiquer
Le 08/01/2013 à 15h55
Le 08/01/2013 à 15h58
Le 08/01/2013 à 16h01
Le 08/01/2013 à 16h22
Suite à une enquête qualitative menée entre mars et octobre 2012 auprès de 8 individus (5 hommes et 3 femmes, âgés de 27 à 55 ans, de catégories socioprofessionnelles et de formations variées)
nom mais la blague quoi… " />
Parmi les huit personnes interrogées, trois avaient reçu un avertissement de la part de la Hadopi. S’intéressant tout particulièrement aux réponses de ces individus {…}
mouarf de mieux en mieux !!! " /> " />
Le 08/01/2013 à 16h43
Le 08/01/2013 à 16h51
Le 08/01/2013 à 17h03
Le 08/01/2013 à 17h07
Le 08/01/2013 à 17h15
Le 08/01/2013 à 17h16
Le 08/01/2013 à 17h19
Le 08/01/2013 à 17h39
je trouve l’étude pas mal, mais bon 8 personnes c’est un peu léger.
Après au niveau des conclusions de la news je voudrais ajouter ma petite phrase, venant d’un ami, bien sûr :
“Si je télécharge des séries c’est parce qu’elles arrive 3 ans après en france !
si je télécharge des films au lieu d’aller au ciné, c’est parce que mettre 10€ dans une place de ciné pour voir un film que tu n’es pas sur d’aimer et en plus sortir de la salle à moitié sourd, non merci; par contre je peux acheter le Blu-ray si le film est bien;
Au passage sur les films c’est pas parce que tu l’a téléchargé que tu l’aurais acheter !
si je télécharge des jeux c’est pour essayer car sinon je n’aurais jamais acheter les 200 jeux que j’ai dans mon ordi, par contre j’ai acheter 3 jeux d’xbox.
Les logiciels c’est pareils.”
Voila pour moi un BON raisonnement : télécharge et essai les choses si c’est vraiment bien achète.
" />
Le 08/01/2013 à 22h01
Le 09/01/2013 à 10h04