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Semi-conducteurs : la course folle de l’Europe pour réduire ses dépendances

Tempus fugit

Semi-conducteurs : la course folle de l’Europe pour réduire ses dépendances

Un nouveau rapport fait le point sur la dépendance de l’Union européenne et de la France aux semi-conducteurs produits hors des frontières. En l’état, l’immense majorité des composants provient d’Asie de l’Est. Malgré les ambitions de l’Europe et le développement de la filière en France, le manque d’investissements reste patent.

Le 20 janvier à 14h00

Dans un rapport de la Direction générale des entreprises (pdf), relayé hier par Vie-publique.fr, on peut lire diverses informations mises à jour avec les chiffres de 2022 et 2023 sur le marché des semi-conducteurs. À l’instar du récent rapport Arcep-Ademe sur l’empreinte carbone du numérique (et la part conséquente qu’occupent les terminaux), il permet de faire le point sur l’état de ce marché et met en évidence une forte dépendance de l’Europe face à certains pays.

Le secteur lui-même est en pleine forme, continuant d’afficher une croissance moyenne de 7 % par an, suivant l’évolution des habitudes et la numérisation toujours plus poussées des économies. En valeur, le marché mondial des semi-conducteurs est ainsi passé de 50 milliards de dollars en 1990 à 500 milliards en 2023. Une dynamique portée par la demande toujours plus importante d’appareils électroniques, l’intégration croissante de composants électroniques dans les produits finis (voitures, objets connectés…) et, bien sûr, par le développement de l’intelligence artificielle.

Cette valeur devrait continuer à grimper, Mc Kinsey prévoyant une hausse de 80 % en 2030 par rapport à 2021. Le rapport du cabinet prévoyait, en octobre 2021, des hausses majeures dans le domaine en composants électroniques pour le secteur automobile (+ 180 %) et l’électronique grand public (+ 100 %).

Si rien ne semble surprendre en apparence, la production elle-même a toutefois subi une forte évolution depuis la fin des années 2000.

L’omniprésence de l’Asie de l’Est et des États-Unis

Sans surprise, l’Asie de l’Est domine très largement le marché des semi-conducteurs, dont elle assure 80 % de la production mondiale. Précisons à ce sujet que le rapport entend par « semi-conducteurs » les composants électroniques miniaturisés et non les matériaux eux-mêmes, comme le silicium ou le germanium. Les approvisionnements en matériaux font tout autant l’objet de grands travaux au niveau européen, l’Union cherchant activement à diversifier ses sources d’approvisionnement. Dans ce domaine, l’Asie de l’Est occupe aussi une place prépondérante, particulièrement la Chine, comme nous l’avions vu sur le silicium.

Si l’Asie de l’Est est loin devant dans la production des composants, avec de gigantesques entreprises comme TSMC, les États-Unis occupent la première place pour tout ce qui touche à la conception et à la vente de produits finis, avec 48 %.

Fragmentation des chaines de valeur

Le rapport note cependant une forte évolution dans les pratiques de production. Pendant longtemps, les grandes entreprises – surtout américaines – ont ouvert des succursales dans les pays disposant d’une main-d’œuvre bon marché. Depuis un plus de dix ans, la tendance a changé. Petit à petit, les mêmes entreprises s’orientent vers du fabless, c’est-à-dire un mode de fonctionnement avec peu ou pas d’usines. En parallèle, elles ont un recours croissant à la sous-traitance, permettant notamment l’explosion de TSMC et d’autres sociétés produisant pour d’autres, à l'image du géant Foxconn.

« Cette structure n’a pu se développer que grâce à l’amélioration considérable sur la période récente des moyens de communication, qui ont permis de fractionner encore davantage la chaîne de production et conduire ainsi à une externalisation des activités de production au niveau mondial », ajoute le rapport. La demande mondiale, toujours croissante, reste le principal moteur de cette intensification, qui a beaucoup profité aux fonderies. En outre, l’évolution technologique très rapide suppose une forte capacité d’adaptation, dont les fonderies se sont fait une spécialité.

Le rapport relève une complexification de l’analyse des dépendances dans cette nouvelle organisation, notant que « les étapes front-end et back-end sont généralement séparées géographiquement ».

Par exemple, « l’Allemagne est un exportateur important de silicium (matière première utilisée pour la fabrication des wafers), mais les wafers eux-mêmes sont majoritairement exportés du Japon vers Taïwan, qui exporte par la suite des puces et circuits intégrés vers la Chine, qui les utilise in fine pour la production d’appareils électroniques destinés en particulier aux marchés européen et américain », pointe le document.

L’Europe à la traine

Le rapport de la DGE mentionne que la production européenne de semi-conducteurs a doublé depuis 2013. Cependant, sur la dernière décennie, les importations se sont envolées, atteignant 50 milliards d’euros en 2023. L’écart est devenu manifeste début 2017, mais la DGE note une amplification de ce « découplage » par la suite. Au point que les importations ont presque triplé en 2023 par rapport à 2017. Japon, Chine, Taïwan et Corée du Sud sont les principaux importateurs, Taïwan représentant à lui seul 21 % des importations européennes.

La Direction relativise cependant l’impact économique de cette dépendance : « Les indicateurs de « foreign inputreliance » (FIR) élaborés par l’OCDE permettent de mesurer la valeur de la production étrangère utilisée comme intrant pour une économie donnée. Celui-ci atteint environ 0,2 % sur la période 1995 - 2018 pour les semi-conducteurs : cela indique que pour produire une unité de PIB, l’Union européenne doit s’approvisionner à hauteur de 0,2 % en semi-conducteurs produits à l’étranger ». En comparaison, sur la même période, le FIR des importations d’énergie était 8 à 15 fois supérieur.

Bien que la donnée soit importante, elle reflète plusieurs réalités. Elle traduit notamment « la place limitée qu’occupe l’industrie manufacturière en Europe comparativement à d’autres zones géographiques ». Le FIR est par exemple de 5 % en Chine et au Mexique, et grimpe même jusqu’à 10 % en Malaisie.

En outre, ce chiffre ne tient pas compte de l’impact économique en cas de pénurie. Durant les neuf premiers mois de 2021, la pénurie de semi-conducteurs aurait ainsi provoqué une baisse significative du PIB dans plusieurs pays d’Europe, jusqu’à 0,5 % en Allemagne selon l’OCDE.

La place de la France

Selon le rapport de la Direction générale des entreprises, la France représente 11 % de la production de semi-conducteurs en Europe (chiffre de 2022). Une proportion stable entre 2017 et 2020, même si elle a connu une légère baisse en 2019 et 2020 à cause de la crise sanitaire. En revanche, depuis, 2020, c’est le bond : une augmentation de presque 50 % dans la production, la valeur de l’ensemble passant de 3,4 milliards d’euros à 5 milliards.

Comme pour l’Europe cependant, les importations ont grandi plus vite. Elles représentaient ainsi 7 milliards d’euros en 2022, soit une augmentation de 65 % depuis 2019. 3,6 milliards d’euros concernent des importations de produits finis ou intermédiaires à destination des industriels du secteur. Le reste est à destination des industriels hors du secteur des semi-conducteurs.

La dépendance qui se manifeste à travers les importations dépend du type de produit. Pour les semi-conducteurs en tant que produits finis, elle vient d’Asie de l’Est, Taïwan représentant 26 % des importations en 2023. Pour les wafers, les importations atteignent 553 millions d’euros, dont 57 % viennent du Japon. Enfin, les équipements et machines de production proviennent à 28 % des États-Unis, même si le rapport note la place importante des Pays-Bas, siège d'ASML, comme exportateur.

La DGE recense 115 entreprises spécialisées en France, pour environ 35 000 emplois, répartis pour deux tiers dans des PME. 85 % de la production sont cependant réalisés par deux acteurs.

Quelles évolutions à venir en Europe ?

Comme le note le rapport, les États-Unis se sont dotés d’un CHIPS and Science Act qui prévoit la bagatelle de 280 milliards de dollars de nouveaux financements sur dix ans pour soutenir la recherche et la production de semi-conducteurs. Cette loi, qui doit permettre de lutter contre l’omniprésence de la Chine, veut également ramener en partie la production sur le sol américain.

Et en Europe ? La DGE cite les trois axes du soutien aux semi-conducteurs : les PIIEC (Projets Importants d’Intérêt Européen Commun), le programme « Horizon Europe » et bien sûr le fameux Chips Act. Les premiers permettent aux États membres de financer des projets d’entreprises sélectionnées. Pour les semi-conducteurs, on en compte deux : « Microélectronique » en 2018 et « Microélectronique et Connectivité » en 2023.

Horizon Europe est un programme-cadre de l’Union sur la recherche et l’innovation pour la période 2021 - 2027. Au sein de ce programme, le Cluster « Numérique, Industrie et Espace » concerne tout particulièrement les semi-conducteurs. Il inclut un partenariat public-privé nommé Key Digital Technologies, qui listait en 2023 trois appels à projets, pour une dépense estimée à 317 millions d’euros.

Quant au Chips Act, il grave dans le marbre les ambitions de l’Europe, qui veut passer à 20 % de parts de marché sur les semi-conducteurs sous dix ans, soit d’ici 2023, contre 10 % aujourd’hui. Le budget de 43 milliards d’euros (investissements publics et privés) doit doper la recherche et l’innovation dans les semi-conducteurs, tout en simplifiant de nombreux processus, dont les procédures de certification pour les puces économes en énergie.

En France, le soutien aux semi-conducteurs est longtemps passé par les plans Nano. Le dernier, Nano 2022 (pdf), a mobilisé 1,1 milliard d’euros. Depuis, le Chips Act européen a pris le relai. Le 28 avril 2023 par exemple, la Commission européenne a validé le projet de méga-usine de GlobalFoundries et STMicroelectronics en Isère (à Crolles). Coût de l’opération : 7,5 milliards d’euros, dont 2,9 milliards proviennent de l’État français, dans le cadre du programme France 2030. L’usine devrait produire 620 000 wafers par an, soit une augmentation de 6 % des capacités européennes toutes finesses confondues, et de 40 % sur les finesses de gravure allant de 20 à 65 nm.

Commentaires (8)

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Il me semble que le projet d'usine entre GF et ST a été arrêté ou au moins mis en pause depuis.
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pas vraiment, y'a eu une tentative de recours (au prétexte du risque sur l'eau mais l'usine rejette de l'eau plus propre que celle qu'elle a en entrée) qui a fait pshit

par contre, la capacité FR à foutre des couches administratives est toujours là... enquête publique du lundi 14 octobre au lundi 25 novembre 2024 et depuis je ne sais pas ce que sera la prochaine étape...
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Après s'il y a enquête publique, c'est surtout :
* parce que les entreprises ont dans le passé fait n'importe quoi et les gens n'ont plus confiance
* parce que ça permet d'éviter les recours citoyens à cause d'un photoshopage un peu trop exagéré de l'éolienne qui est au large / au sommet de la montagne ...

De toute façon, tout le monde veut des solutions, mais pas chez soi.
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De toute façon, tout le monde veut des solutions, mais pas chez soi.
Et aussi, tout le monde veut des jobs bien payés, ne pas dépendre des autres pays pour les approvisionnements critiques. Mais toujours pas chez soi, et si possible que ce soit propre et pas fatigant :-P
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Question HS (on se refait pas 😅)
comment sont "choisis" les articles paywall des autres ?
content de voir cet article en libre accès pour le partager aux collègues, mais étonné avec le boulot d'analyse necessaire (à un moment il n'y avait que les brèves en libre accès ?)

edit : j'ai oublié de remercier Vincent pour l'article 👍
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Celui-ci atteint environ 0,2 % sur la période 1995 - 2018 pour les semi-conducteurs : cela indique que pour produire une unité de PIB, l’Union européenne doit s’approvisionner à hauteur de 0,2 % en semi-conducteurs produits à l’étranger ». En comparaison, sur la même période, le FIR des importations d’énergie était 8 à 15 fois supérieur.
Je propose aux génies qui ont pondu cet indicateur de tester 1 an sans énergie pour voir si le PIB ne va pas être un tout petit peu plus impacté que 3%...
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Sur le premier graphique, sait-on ce qui explique la baisse de 2023 ? Guerre en Ukraine ?
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L'effet pénurie post covid sur la production semi-conducteurs a en effet plutôt été la plus forte sur 2021/2022. 2023 cela se normalisait.
Maintenant, il ne s'agit que de notre production et de nos imports et les deux vont dans le même sens: C'est donc plutôt dans les industries utilisant des semi-conducteurs qu'il faut voir les raisons probables de cette baisse.
Bref, pb côté demande AMHA: La désindustrialisation du pays suit son cours...

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