Sanctuary : 24 disques pour sauvegarder l’humanité sur la Lune
J'ai demandé à la lune si tu voulais encore de moi
Au fil des années, l’humanité a envoyé plusieurs bouteilles dans l’océan cosmique, sans réponse pour le moment (bonne ou mauvaise chose, la question est ouverte). Une nouvelle sera lancée sur la Lune en 2027 : Sanctuary. Une partie du message est prête, l’autre reste à écrire.
Le 05 juin à 15h47
9 min
Sciences et espace
Sciences
Il s’agit à la fois d’envoyer un message vers d’autres potentielles civilisations, de faire une rétrospective sur l’humanité et, de manière plus terre à terre, d’empocher l’empathie du public sur la conquête spatiale.
24 disques de saphir à poser sur la Lune… pourquoi faire ?
Ce projet Sanctuary n’est pas nouveau, loin de là. Il a en effet déjà une dizaine d’années. Il n’est pas non plus prévu pour tout de suite, car il ne devrait décoller qu’en 2027 à bord d’une mission lunaire de la NASA. Dans les colonnes du CNRS, Benoît Faiveley (coordinateur du projet) revient sur cette mission, dont le « lancement officiel » a été acté le 21 mars 2024.
Son but est de déposer sur la surface de la Lune « 24 disques de saphir entreposés dans un conteneur en aluminium à la fois léger et résistant ». À l’intérieur, « un corpus de connaissances et de témoignages matériels de notre civilisation ». Les enjeux sont multiples : identifier les points à mettre en avant, comment les enregistrer et surtout leur donner une espérance de vie de plusieurs millions d’années.
C’est une suite du « Golden Record » sur les sondes Voyager 1 et 2 qui sont actuellement aux confins de notre Système solaire. Avant elle, il y a eu la plaque posée sur les sondes Pioneer 10 et 11. Mais il ne s’agit pas seulement de jeter une bouteille à la mer, mais de l’accrocher à notre rivage pour les millions d’années à venir.
Survivre « à un éventuel délitement de nos sociétés modernes »
Dès son introduction, l’article du Journal du CNRS adopte un ton pessimiste sur notre avenir : « Face à l’accélération du réchauffement climatique et aux autres menaces que ne cesse de se créer l’humanité, l'effondrement de notre civilisation constitue une hypothèse de plus en plus crédible ». Le projet Sanctuary est donc là pour « faire en sorte qu’une partie du patrimoine culturel et scientifique de l'humanité survive à un éventuel délitement de nos sociétés modernes ».
Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce projet a su fédérer nos grandes institutions scientifiques : CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique), CEA (Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives), CNES (Centre national d'études spatiales), INRIA (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique) et UNESCO (ONU pour l'éducation, la science et la culture) ont répondu présents. La NASA s’est jointe à l’aventure en septembre 2023. C’est d’ailleurs la mission lunaire Artemis CLPS de l’agence spatiale américaine qui emportera la capsule de 1,4 kg sur la Lune.
Résister pendant plusieurs millions d’années
Des scientifiques de tous bords (astrophysique, paléontologie, physique des particules, informaticien…) ont collaboré pour choisir le support et le message. Il s’agit donc de 24 disques en saphir artificiel de 100 mm de diamètre et de 1 mm d’épaisseur : « Ce matériau presque aussi dur que le diamant sera en mesure de résister aux fortes températures qui règnent à la surface de notre satellite naturel sans subir la moindre altération pendant plusieurs millions d’années », explique Benoît Faiveley.
La dureté des disques est de 9,0 sur l'échelle de Mohs (qui comporte 10 niveaux). Les concepteurs du projet expliquent que les données sont écrites avec des « minuscules pixels de 1 à 1,4 micron par pixel », de quoi stocker jusqu’à 7 milliards de pixels par disque ou l’équivalent de 2 500 pages A4 avec du texte.
Des yeux et une (grosse) loupe, rien de plus
Pour l’écriture, les chercheurs ont opté pour un « encodage analogique à partir de micropixels gravés directement dans le matériau à l’aide d’un laser ». Jean-Philippe Uzan, cosmologiste à l'Institut d'astrophysique de Paris, explique que le postulat est que les « descendants, humains ou non » auront toujours des facultés visuelles afin de lire le message.
Les données sont ainsi stockées « sous forme d’images et d’infographies élaborées par microgravures de sorte qu'elles puissent être observables à l'œil nu ou avec une simple loupe », voire un microscope. C’est une différence majeure avec les Golden Record qui nécessitent un dispositif technique pour les lire.
Des sciences et des génomes humains
Sur les 24 disques, neuf sont déjà pleins à 95 %. Sur cinq d’entre eux, on retrouve des « notions universelles sur les mathématiques et la matière, la position de notre espèce dans l’espace et le temps, son rapport à l’Univers et au reste du vivant, etc ». Des planches anatomiques sont aussi présentes.
Changement majeur par rapport aux disques des sondes Voyageurs, « quatre disques de la future capsule temporelle contiennent ainsi l’intégralité du code génétique d’un homme et d’une femme ». La révolution génomique est, en effet, arrivée après le départ des sondes.
L’équipe en charge du projet précise que le séquençage a été effectué au Canada's Michael Smith Genome Sciences Centre (BC Cancer) de Vancouver et que « les ‘génomenautes’ ont été choisis à l'issue d'un processus de sélection en double aveugle ».
Un grand arbre de la vie et de la pop culture
On y retrouve aussi un « grand arbre de la vie » avec l’évolution des différentes espèces qui ont peuplé la Terre, avec un « procédé situé entre la bande dessinée et la carte mentale », explique le paléontologue Jean-Sébastien Steyer, chargé de cette partie. Le CNRS a publié une vidéo sur cet arbre.
Il y a également des rappels de la pop culture avec des « créatures pixelisées du célèbre jeu vidéo Space Invaders » dans l’arbre de la vie. Espérons qu’une civilisation trouvant ce message comprenne cette subtilité…
Au-delà d’un travail de sauvegarde, ce projet Sanctuary veut « redonner le goût des sciences naturelles à nos contemporains en diffusant le contenu des disques lors d'expositions donnant à voir, de manière vulgarisée et sur un ton parfois décalé, la richesse de leur contenu », explique Jean-Sébastien Steyer.
Des disques pour le patrimoine mondial de l’humanité
Jean-Philippe Uzan décrit ce projet comme « une œuvre artistique plutôt qu’une encyclopédie » qui « parle de l’humanité, mais pas au nom de l’humanité », comme le rapporte Libération. La Déclaration universelle des droits de l'homme (en plusieurs langues) a tout de même été ajoutée dans le disque Matière et Atomes.
Enfin, au moins quatre disques devraient être dédiés au patrimoine mondial de l’humanité, en partenariat avec l’Unesco. Le CNRS ajoute, à juste titre, que « la sélection définitive devrait donner lieu à d'âpres débats parmi les membres du consortium ». Benoît Faiveley, coordinateur du projet, a sa petite préférence : le vignoble de Bourgogne.
De multiples destinataires, un enjeu de « sympathie » ?
Avec les missions Voyager, l’idée des disques d’or avait une double fonction. Laisser un message pour d’autres civilisations, mais surtout s'assurer d'un certain intérêt de la part du public… et donc d'une aura suffisante pour (re)négocier des crédits avec le gouvernement américain.
« Certains pensent peut-être qu'il est chimérique d'envoyer ce message dans l'espace interstellaire en espérant qu'il sera trouvé. Mais le message gravé sur les disques s'adresse à deux destinataires : un public extraterrestre et le public de la Terre », expliquait alors Carl Sagan. Là encore, avec Sanctuary, on retrouve ce double discours… et peut-être aussi essayer de s’attirer la sympathie du public sur les questions d’exploration spatiale.
La petite pochette de Buzz Aldrin sur la Lune
Golden Record et Sanctuary ne sont pas les seules « bouteilles cosmiques » lancées par l’humanité : « d’autres projets ont œuvré à déposer, à la surface de la Lune ou en orbite autour de celle-ci, des témoignages de l’Humanité ».
Le premier sur notre satellite naturel remonte à juillet 1969, lorsque des humains ont posé le pied pour la première fois sur la Lune. Sanctuary y consacre un article, cinq autres sur d’autres « bouteilles interstellaires » sont à venir.
« Aldrin glisse la main dans un recoin de sa combinaison, sur le haut de la manche gauche. Il en sort une petite pochette en tissu blanc et la jette », explique Sanctuary. Dans cette pochette, plusieurs choses : un écusson de la mission Apollo 1, deux médailles commémoratives des cosmonautes russes, un rameau d’olivier en or et « un intrigant disque noir, à peine plus grand qu’une pièce de monnaie avec ses 38 mm de diamètre » avec l’inscription « From Planet Earth » et « July 1969 ».
Au microscope, on peut y lire 73 « messages de bonne volonté » des dirigeants d’autant de pays : « d’Indira Gandhi au Shah d’Iran, en passant par le roi Baudouin de Belgique, Hassan II, Léopold Sédar Senghor, Elisabeth II… ».
Sanctuary : 24 disques pour sauvegarder l’humanité sur la Lune
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24 disques de saphir à poser sur la Lune… pourquoi faire ?
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Survivre « à un éventuel délitement de nos sociétés modernes »
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Résister pendant plusieurs millions d’années
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Des yeux et une (grosse) loupe, rien de plus
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Des sciences et des génomes humains
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Un grand arbre de la vie et de la pop culture
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Des disques pour le patrimoine mondial de l’humanité
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De multiples destinataires, un enjeu de « sympathie » ?
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La petite pochette de Buzz Aldrin sur la Lune
Commentaires (34)
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Abonnez-vousModifié le 05/06/2024 à 16h00
Le 05/06/2024 à 16h01
Le 05/06/2024 à 15h59
Le 05/06/2024 à 16h00
Le 05/06/2024 à 16h23
Sinon effectivement ça fait un peu de buzz, mais je doute que ça serve un jour. Ce sera vite obsolète et faudra en renvoyer...
J'espère juste qu'on a pas mis de quoi recréer ces saletés de moustiques !
Modifié le 05/06/2024 à 16h49
Là en l'occurrence c'est une sauvegarde en cas d'effondrement de la civilisation, destinée aux suivants s'il en reste ou à d'autres civilisations qui viendraient à passer par là. Si ça n'arrive pas il y en aura sûrement d'autres plus tard en effet, si ça arrive il n'y en aura plus.
Le 05/06/2024 à 23h42
L'idée n'est pas nouvelle, relisez Fondation.
Le 06/06/2024 à 07h02
Le 06/06/2024 à 08h29
Et même sans effondrement, ça permettra de mettre un repère pour les historiens dans x milliers/millions d'année
Le 07/06/2024 à 14h13
:o
En plus sérieux, on à le meme genre de backup sur terre. C'est sur ces Carreau de céramique et destiner aux humains. Mis dans des mines.
Arte de mémoire avait diffusé un truc la dessus, ça parlais de chat radioactif qui s'illumine quand ils passent à cote des mines xD
Le 05/06/2024 à 16h43
Le 05/06/2024 à 16h56
Le 05/06/2024 à 17h44
Le 05/06/2024 à 17h15
--> article d'hier
Le 05/06/2024 à 18h04
Le 05/06/2024 à 17h50
Le 06/06/2024 à 10h24
Le 06/06/2024 à 14h01
Le 05/06/2024 à 18h22
Le 05/06/2024 à 19h04
Stop sending nudes !
Le 05/06/2024 à 23h51
Le 06/06/2024 à 10h00
Pose de la boite, effusion de joie, accolades, félicitations... Et la minute d'après, une micrométéorite lancée pleine vitesse vient frapper de plein fouet la boite et en pulvérise le contenu.
Le 06/06/2024 à 17h54
Je m'explique.
Combien d'autres nous sauraient, si on leur fournissait une K7 audio, arriveraient à fabirquer un lecteur et la lire en partant de zéro ?
J'ai connu les K7, j'ai connait le fonctionnement et le principe de base mais même comme cela.
Voir encore plus simple un disque vinyl.
Exemple comcret qui comprend le message :
Wikipedia
J'aime l'idée. Mais comme dit l'adage rien n'est eternel.
Le 06/06/2024 à 20h06
Ça s'adresse à des spécialistes qui verraient d'abord que la K7 a un mécanisme avec une bande qui tourne un côté à l'autre, puis ils passeraient ta K7 dans tout un tas de capteurs pour comprendre que c'est magnétique puis comprendre que ça stocke de l'audio, puis trouver comment l'écouter.
J'imagine que les disques sont pas balancés au hasard, ils doivent avoir un emballage qui déjà de base fait comprendre qu'il s'agit d'un objet et non d'un élément naturel classique.
Le 07/06/2024 à 09h12
Le 07/06/2024 à 01h22
La question fondamentale de ce genre de projet est "à qui ça s'adresse", quel niveau de civilisation attend t-on, et ici la barre est placée assez haut puisqu'on met ces disques hors de portée des civilisations incapables de voyager dans l'espace. Cela a du sens si on veut éviter que les disques soient endommagés par une civilisation trop peu avancée qui les manipulerait sans comprendre leur nature.
Une question clef serait de savoir si nous serons en mesure de communiquer par ce biais les raisons de notre effondrement à une civilisation future pour peut-être leur permettre d'éviter de reproduire nos erreurs...
Le 07/06/2024 à 10h32
En revanche, dans le PRA de l'humanité, on a désormais notre sauvegarde "1" hors site, ce qui améliore vachement la perte de données maximale admissible. Après, on sait toujours pas le protocole pour déclencher le PRA en cas de besoin, ni quelle durée maximale d'interruption on peut espérer
Le 07/06/2024 à 11h48
Le 07/06/2024 à 13h49
Le 07/06/2024 à 14h52
Le 07/06/2024 à 18h44
Le 07/06/2024 à 19h44
Le 11/06/2024 à 01h44
Le 03/07/2024 à 18h02
Bref, ça va être une nouvelle Pierre de Rosette pour les futurs archéologues...