Dans un arrêt rendu hier, la Cour de cassation a estimé que la publication d’un lien hypertexte vers un ancien article, faisait à nouveau courir le délai de prescription de trois mois en matière d’infraction sur la liberté d’expression. Il suffit que l'auteur des propos soit identique et le contexte éditorial, nouveau.
Alors que la question de la réforme de la loi de 1881 sur la liberté de la presse est dans les tuyaux du Parlement, la Cour de cassation vient d'apporter sa pierre à l’édifice. L’affaire concernait une diffamation publique envers un fonctionnaire des impôts dans un texte posté en ligne en 2010.
Un lien vaut reproduction
Le 29 juin 2011, l’auteur du contenu avait publié un nouvel article en postant un hyperlien vers le document litigieux. Et c’est seulement après cette seconde publication que l’inspecteur avait attaqué cette personne. En appel, les juges ont néanmoins estimé que l’action était prescrite. Selon eux, la simple référence (« Voir à ce sujet (...) avec le lien suivant ») dans le second texte n’apportait qu’un simple complément au premier texte que les lecteurs pouvaient, ou non, lire. Les trois mois étaient donc consommés de longue date.
La Cour de cassation n’a pas été de cet avis. Dans son arrêt du 2 novembre, elle a rappelé que « le point de départ de la prescription est le jour de la publication de l’écrit incriminé ». De là, « toute reproduction, dans un écrit rendu public, d’un texte déjà publié, est constitutive d’une publication nouvelle dudit texte, qui fait courir un nouveau délai de prescription ». Partant, elle a surtout considéré qu’un simple lien hypertexte vers la première publication litigieuse valait reproduction et donc nouveau point de départ des trois mois. Il suffit que ce lien soit posté par le même auteur, pour réenclencher la possibilité d’une action en diffamation, même dans un contexte éditorial nouveau.
La réforme en cours de la loi de 1881
Cette jurisprudence est très importante à la lumière des travaux au Sénat. Dans le projet de loi sur l'égalité et la citoyenneté, les parlementaires ont modifié par amendement la loi de 1881. La réforme est maintenant dans les mains des députés, mais en l’état, un délit de presse commis sur un site web pourra être poursuivi aussi bien au civil qu’au pénal durant une année à compter de la mise en ligne. On restera aux trois mois si les mêmes propos ont été reproduits à l’identique sur support papier.
Si on couple cet arrêt et la réforme en gestation, un internaute qui publie un texte diffamatoire le 1er janvier 2017 pourra être attaqué jusqu’au 31 décembre 2028 s’il publie dix ans plus tard un nouveau billet sur son blog, intégrant un lien vers sa première prose.
Commentaires (32)
#1
Je sais pas vers quoi on se dirige mais on y va tout droit…
Finalement il faut peut-être attendre que tous ces gens meurent pour avoir des responsables qui comprennent ces enjeux.
#2
À la lecture du titre, j’ai eu assez peur, puis j’ai lu l’article et la Cour de cassation est finalement assez sage. Il faut que l’auteur du lien soit celui de la publication initiale.
Il reste certes le problème du statut du lien qui n’est pas vraiment une publication et cela est problématique, surtout dans d’autres domaines, mais limité à la diffamation, cela reste raisonnable.
#3
En quoi la mort est une solution ? L’éducation et la formation en sont une.
De plus, de quels responsables parles-tu ? Ce n’est pas un terme que j’emploierais pour la Cour de Cassation.
#4
Décidément, d’année en année ça se confirme, la Cour de cassation a été noyautée par les lobbys et les politicards. Marais a ouvert le bal, et maintenant c’est festival… :/
#5
Peut être que comme cela, les gens (y compris les “geeks”) comprendront l’adage: les paroles s’envolent, les écrits restent.
Si un lien hypertexte est utilisé par le même auteur ce n’est certainement pas pour faire joli.
#6
#7
#8
Bon imaginons que l’auteur de l’article incriminé soit un salarié de google et que dans le cadre de son travail il soit amené à éditer des liens dont en particulier celui pointant vers son propre article.
Il est donc “l’auteur” du lien pointant vers l’article : les faits sont qualifiés.
Comme les liens sont remis à jour quotidiennement, la prescription ne commencera à prendre effet que le jour de son départ à la retraite, soit une bonne quarantaine d’années après son dérapage épistolaire.
#9
Pour être plus précis (et trop tard pour éditer)
Si un mec du Point écrit dans ses colonnes cette semaine ceci : “à propos de Jospin, voir l’article suivant : le Point du 23 mars 2003 page 34”. Article dans lequel il diffame Jospin, ça relance la prescription ?
#10
J’aime ton lien hyperpapier ©.
Ils ont considéré que l’ancien article était du coup réinclus dans le nouveau, mais c’est faux si l’adresse du lien d’origine n’a jamais changé… Ça reviendrait à mettre un encart avec l’ancien article dans le nouveau avec rappel des éléments diffamants dans le nouvel article.
J’ai peur que personne n’arrive à leur expliquer la subtilité.
#11
Moralité, si on envoie une tribune violente à quelqu’un et que des mois/ années plus tard on regrette et on poste une tribune d’excuse, penser a ne pas mettre le lien vers la première tribune….
Tellement logique…
#12
#13
Je pense au contraire qu’ils ont très bien compris la subtilité, mais que la facilité d’accès à l’ancien article grâce au lien (il suffit de cliquer) leur a fait décider que c’est une nouvelle publication quand l’auteur est le même.
Il est quand même plus compliqué de lire l’article papier cité dans un numéro du Point et qui avait été publié des mois auparavant dans un autre numéro.
Croire que ce sont des gens qui ne comprennent rien est contre-productif.
#14
#15
#16
Pour moi, ca reste dans le cadre d’une logique. Ils précisent bien que c’est uniquement si c’est le même auteur donc avec volonté de nuire (on parle de diffamation quand même) de l’auteur. Si la condition de l’auteur n’été pas la, alors oui c’est totalement disproportionné et les juges l’ont compris (comme quoi il y a quand même des gens pas trop à la rue niveau IT) .
le titre est un peu puteaclike par contre ><
#17
#18
#19
On a la facilité d’accès et l’extrême facilité de republication.
C’est une combinaison détonante qui pèse sur les auteurs en ligne. Comme c’est très facile, les gens peuvent s’exposer plus facilement à des poursuites, je trouve ça dommage d’avoir un risque légal plus élevé quand c’est plus facile.
Les juges n’ont surement pas fait ce choix par hasard et ont surement analysé l’intention en plus des faits, l’intention change souvent beaucoup de choses.
#20
C’est pour ca que le tribunal existe et que ce n’est pas automatique…
#21
En fait on est déjà dedans.
" />
#22
ça parait relativement logique…
sinon il suffirait de publier un article “confidentiel”, d’attendre la fin du délais de prescription, et de le linker pour en faire l’apologie en toute tranquillité.
#23
#24
tu trouves un ami, toi tu écris un article avec un user agent disallow * à la racine.
Tu attends trois mois ou an, c’est selon, et ton ami link le truc.
Il suffit d’être deux dans l’histoire, ou bien…
#25
dans le principe oui tu as tout compris.
à la chose près qu’il est plus difficile de dire que tu partages le point de vue de quelqu’un sans mettre de mot. (et que mettre un mot te rendrait complice des propos tenus).
#26
Il suffit de dire :
À propos de X, vous pouvez aller voir ici ce qui a été écrit sur lui il y a quelques temps.
Je ne sais pas si cela est vrai ou non. À vous de vous faire votre opinion.
————
Et le tour est joué.
#27
oui mais dans ce cas tu te détaches des propos de l’auteur en faisant appel au libre arbitre du lecteur,
c’est pas la même chose de s’auto citer avec le sens implicite que tu es toujours d’accord avec toi même..
#28
Perdu :)
Dans la loi :
La publication (…) par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative
À moins de ne la contester directement, la reproduction de diffamation est considérée elle aussi comme une diffamation, puisque tu aides activement à propager les propos diffamant. Si tu ne sais pas, informes toi. Si tu sais, affirme (et assume). Tout le reste tient de l’intox.
Faut croire que les législateur ne sont pas totalement stupides " />
#29
#30
eh oui, on y est, maintenant c’est “sois belle et tais-toi”
#31
#32
Qu’en est-il des liens automatiques ? Prenez le blog du diffamateur. Il a sagement décidé de ne pas faire de lien vers l’article incriminable dans aucun des messages ou articles de son blog. Mais il a un gadget de nuages de tag, qui va pouvoir générer une page qui pourrait contenir un lien vers cet article à partir d’un mot clé relativement anodin.
Le juge pourrait faire preuve de sagesse. Mais il pourrait aussi être aux ordres. Et le jugement étendu à d’autres critères. Pourquoi pas le trouble à l’ordre public, qui a eu du succès dernièrement, et qui pourrait motiver ma suggestion d’un scénario alternatif quant à l’impartialité et à la clairvoyance du juge.