Les députés Philippe Gosselin (LR) et Philippe Latombe (Modem) viennent de remettre un épais rapport sur la vidéo-surveillance et les images vidéos. 156 pages, 41 recommandations, Next INpact publie l’important travail des députés. S’il fait le point sur de nombreux sujets (vidéo-surveillance, vidéo-surveillance algorithmique, deepfakes), une part importante du rapport évoque un enjeu majeur des années à venir : la reconnaissance faciale.
90 000 caméras sur la voie publique
Après beaucoup de débats, la vidéo-surveillance sur la voie publique est dorénavant bien installée en France : il y a environ 90 000 caméras installées (38 000 en zone gendarmerie, 52 000 en zone police). De plus, policiers et gendarmes disposaient fin 2022 d’un stock de 52 000 caméras piétons (soit une caméra piéton pour cinq agents). Par ailleurs, « la gendarmerie détient une flotte d’un peu moins de 500 drones, contre 300 environ pour la police ».
L’équipement des communes a été vivement encouragé par des financements venus de l’État et d’autres collectivités. Le rapport donne l’exemple de Nointel (798 habitants dans le Val d’Oise). Pour financer ses sept caméras d’un montant de 105 156 euros, la commune a fait appel à la région Ile-de-France (35 %), au département (6 %) et à l’État (25 %). Elle n’a eu à financer qu’un tiers de la somme. Problème : rien n’autorise les régions à financer de tels systèmes. Comme l’a rappelé le ministère de l’Intérieur, les régions n’ont aucune compétence qui justifierait l’octroi d’une telle subvention. Une association ou un citoyen pourrait attaquer la délibération prévoyant ces subventions.
Le rapport revient également sur un vieux débat : l’efficacité de la vidéo-surveillance. Reprenant les travaux de Guillaume Gormand, les députés s’interrogent sur l’efficacité opérationnelle de la vidéoprotection. Ils préconisent qu’une étude soit menée.
En outre, la législation date des années 90 et mériterait d’être mise à jour et simplifiée, comme sur l’accès aux images et les durées de conservation. Les commissions départementales de vidéoprotection rendent trop peu de comptes. Le rapport annuel que doit remettre le ministère de l’Intérieur ne l’a plus été depuis près de dix ans. Il y a aussi une forte inégalité entre les commissions départementales : celle de Dordogne diligente plus d’investigations que le Val d’Oise et la Seine-Saint-Denis réunis. Pour les députés, ces « zones d’ombre traduisent un défaut de pilotage que le ministère de l’Intérieur admet lui-même ». Les députés veulent qu’une cartographie nationale de l’emplacement de toutes les caméras soit faite.
Les députés évoquent aussi une crainte : que la justice européenne restreigne l’accès des forces de l’ordre aux images captées sur la voie publique. Les décisions de la CJUE sur les données de connexion pourraient faire tache d’huile : si la justice européenne ne permet pas aux parquets d’autoriser les forces de l’ordre à accéder aux données de connexion, ne pourrait-elle pas faire de même sur les enregistrements vidéos ?
Par ailleurs, si certains décrets mériteraient d’être mis à jour, d’autres ne sont toujours pas pris. Si Gérald Darmanin s’est récemment plaint que les forces de l’ordre n’ont pas pu utiliser de drones à Sainte-Soline, c’est parce que son propre ministère n’arrive pas à se mettre d’accord avec la Justice pour prendre les décrets d’application relatifs aux caméras embarquées et aéroportées. Ils sont attendus depuis janvier 2022.
Avancer sur la reconnaissance faciale
Pour la vidéo-surveillance augmentée, ce rapport arrive trop tard : la loi Jeux olympiques, qui prévoit une expérimentation sur le sujet, vient tout juste d’être adoptée. Le rapport livre pourtant des éléments intéressants, notamment un retex de l’entreprise Thales sur l’expérimentation de caméras augmentées à Reims (« cette expérimentation n’a semble-t-il fait l’objet d’aucune information de la part de la municipalité vis-à-vis des citoyens ni même du conseil municipal »), à Roland-Garros ou gare du Nord. Leurs résultats sont « contrastés ».
Les parties sur la reconnaissance faciale sont, elles, plus d’actualité. Après des tergiversations, le gouvernement a renoncé à une expérimentation demandée par les industriels pour les Jeux olympiques. Mais les sénateurs veulent avancer sur le sujet et une nouvelle proposition de loi vient d’ailleurs d’être déposée.
Pour Philippe Latombe et Philippe Gosselin, « le recours à la reconnaissance faciale en France est aujourd’hui marginal ». Ils reviennent sur deux systèmes : Parafe, qui permet le passage rapide aux frontières, et le TAJ. Comme l’avait souligné une précédente enquête de Next INpact, la police et la gendarmerie peuvent rapprocher une photographie obtenue par les forces de l’ordre avec celles contenues dans le TAJ (16 millions de fiches, dont 8 millions avec photos). Plus de 600 000 utilisations par an en 2021, mais il n’est pas possible d’utiliser le fichier pour analyser en temps réel un flux vidéo.
Saisi par la Quadrature du net, le Conseil d’État a validé ce système. Problème pour les députés : le TAJ est très mal mis à jour. Une personne est fichée dès qu’elle est suspectée dans une procédure judiciaire. Mais si elle est innocentée, la fiche est rarement retirée. Selon le ministère de la Justice, il y a chaque année un million de fiches qui auraient dû être mises à jour et qui ne l’ont pas été ! C’est d’ailleurs pour cette absence d’actualisation du TAJ, que les rapporteurs « sont réticents, à ce stade, à proposer d’intégrer un logiciel de reconnaissance faciale dans le fichier des personnes recherchées », qui est une demande forte d’une partie des forces de l’ordre.
Mais pour les députés, il faut aller plus loin sur la reconnaissance faciale : « il est urgent de légiférer en France » : « la France, qui ne dispose pas aujourd’hui d’un cadre juridique approprié pour expérimenter des solutions de reconnaissance biométrique, doit rapidement légiférer pour anticiper les besoins des années à venir ». Il ne faut donc pas forcément attendre l’aboutissement du règlement européen sur l’intelligence artificielle, en cours de négociation à Bruxelles.
Pour les députés, la reconnaissance faciale serait justifiée dans certains cas : pour l’arrestation de terroristes ou d’individus dangereux relevant de la criminalité organisée ou lors d’une « alerte-enlèvement ». Ces recherches s’effectueraient sous le contrôle de l’autorité judiciaire. Toutefois, ces quelques cas d’usage nécessiteraient l’installation de solutions assez lourdes.
Déjà, les députés appellent à aider les entreprises françaises pour qu’elles aient accès à des données d’entraînement, comme le fait le NIST américain. Auditionnée, « l’entreprise Idemia a souligné l’étroitesse des marges de manœuvre dont elle dispose afin d’entraîner ses algorithmes ». Pour les députés, la « constitution d’une base de données représentatives, sous le contrôle d’une autorité nationale ou européenne, est l’un des moyens les plus efficaces afin de lutter contre l’apparition de biais dans le fonctionnement des algorithmes ».
Cloud souverain et deepfake
Les députés relèvent également d’autres points : le développement de solutions européennes et françaises doit être encouragé pour préserver la souveraineté nationale. Pour le stockage des images, certaines entreprises ont indiqué avoir recours à des solutions américaines. Les députés insistent sur la nécessité d’un cloud souverain.
Le rapport s’attaque aussi à la question des deepfakes : que se passerait-il si une telle image était utilisée dans une procédure judiciaire ? La commission des lois de l’Assemblée pourrait poursuivre le travail sur ce sujet avec une autre mission d’information.
Commentaires (15)
#1
C’est dommage d’utiliser la novlangue « vidéoprotection » alors que le début de l’article utilise le « bon » terme : « vidéo-surveillance »
#1.1
#2
Ah ce cher Philippe Gosselin qui était un des grands défenseurs de la loi HADOPI, je vois qu’il est toujours à la pointe des combats perdus d’avance.
#3
D’ailleurs on a pu voir aujourd’hui même l’efficacité de la reconnaissance faciale…
#4
Il reste important de dénoncer la novlangue (ou, plus exactement, la double-pensée qu’elle sous-entends) partout là où elle apparait, car c’est une tendance lourde de ces 10 dernières années, et encore davantage depuis les mouvements sociaux de 2019.
C’est très dangereux sur le long terme.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Doublepens%C3%A9e
#4.1
Tout à fait d’accord avec l’idée d’esprit critique, même si j’ai l’impression qu’on met “1984” à toutes les sauces, sans definir précisément la “novlangue” (mot inventé dans un roman dystopique).
L’article utilise les termes appropriés : une commission qui contient le mot “vidéo-protection” ne va pas s’appeler autrement et il est important de comprendre les idées qu’on ne partage pas. Tout n’est pas dans le lexique, il est important de contextualiser. L’article utilise le mot “vidéo-surveillance” pour désigner ce que c’est. Peut-être serait-il utile de placer des guillemets autour du mot « vidéo-protection » ?
#5
“mouvements sociaux” étant lui même de la novlangue pour adoucir le terme “révolte” jugé trop anxiogène par le gouvernement, les syndicats, etc.
Le problème de remplacer un mot connoté (protection) par un autre mot connoté (surveillance), c’est aussi que dans les deux cas on joue sur l’aspect politique; “regardez comme c’est bien” vs “regardez comme c’est mal”.
Au moins le terme anglais CCTV (closed-circuit television) est neutre: ca dit ce que ca fait et pas à quoi ca va servir.
#5.1
Il y a aussi l’exemple gardiens de la paix ou forces de l’ordre.
#6
Je trouve quant à moi qu’une révolte a un sens bien particulier, notamment historique.
Il ne me semble pas que ce que l’on vit actuellement (pas plus qu’en 2019) soit une révolte (entre autre car ce n’est pas partagé par tous les citoyens et notamment par les plus vieux, et par le fait qu’il n’y a pas remise en question des institutions existantes).
Je suis d’accord sur le fond. Sur la forme, ce circuit est de moins en moins fermé, notamment lorsqu’il sert à identifier des personnes, ou encore centraliser la conservation des images & des tags comme il semble que ce soit la direction souhaité.
Il faudrait alors trouver une nouvelle désignation.
Elle est définie précisément , l’auteur en a même fait une annexe de son livre à l’époque.
Et l’utilisation de ce mot est justement une critique du fait que la situation actuelle tends vers la dystopie du roman (avec des différences bien entendu, Orwell ayant écrit ses 2 romans les plus connus en 1944 et 1945).
Comme le dis 127.0.0.1, je pense que ça dépends du point de vue.
Il existe peut-être des gens qui se sentent rassuré que des contractuels de la municipalité les regardent marcher dans la rue et que tout soit enregistré “au cas où” sous prétexte que si vous n’avez rien à cacher, vous n’avez rien à craindre.
Pour eux , cette surveillance est rassurante, comme des parents bienveillants , juste et discrets.
A titre personnel je trouve ce pouvoir extrêmement dangereux et arbitraire surtout lorsque les personnes en charge d’exploiter ces images ont mainte fois démontré les usages abusifs (ou au contraire la non-exploitation des images si cela les arrange), et leur volonté d’aller toujours plus loin dans l’identification des gens.
Un exemple de risque d’ici quelques années pourrait être le simple fait que le logiciel ne parvienne pas à vous identifier dans la rue et serait une raison suffisante à une interception policière pour justification d’identité et photographie (c’est déjà quasiment le cas aujourd’hui car, cf le site “service public” : “Il doit y avoir un risque effectif d’atteinte à la sécurité des personnes ou des biens à l’endroit et au moment où le contrôle est fait.” , les policiers étant seuls juge de ce risque.
Or actuellement leur seule présence est effectivement un risque d’atteinte à la sécurité des personnes. CQFD :-)
#7
Pas réveillé !
#8
De même “le terme anglais CCTV (closed-circuit television)” ne dit pa ce qu’on fait de ces images par la suite.
#9
C’est ce que je dis, ce terme est utilisé pour adoucir le mot révolte. Alors qu’a l’origine ,le terme “mouvement social” a été inventé pour décrire la révolution française.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Mouvement_social#Sociohistoire
C’est tout l’intérêt. Ca permet de dissocier la technologie de son utilisation.
La technologie de capture vidéo en circuit fermé ne me pose pas de problème particulier. Je l’utilise pour ma porte d’entrée, et mon voisin aussi.
Son utilisation pour surveiller ce que font les habitants du quartier par contre, ca pose un problème.
#10
#11
Les syndicats se sont novlangués en “partenaires sociaux”.
Les révoltes syndicales sont logiquement devenues des “mouvements sociaux”.
Les révoltes non encadrées par des syndicats sont devenues des ovnis que les commentateurs ont bien du mal à définir: “débordement par la base”, “spontané”, etc.
#11.1
Tu généralises à outrance, ce qui avait motivé mon premier message. Et je n’abonderai pas en ton sens. À force de tordre les mots, on en perd le sens.