Un rapport sénatorial défavorable au vote par Internet en France
« Persistant » à nouveau
Le 16 avril 2014 à 16h00
10 min
Droit
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Alors que le Sénat a refusé il y a quelques mois d’étendre le vote par Internet aux élections européennes de mai prochain, deux sénateurs viennent de rendre publiques les conclusions de travaux et d’auditions menés depuis plusieurs mois sur cette modalité de vote. Les élus concluent à un maintien du statu quo sur la question, tout en relevant que des risques existent bel et bien pour la sincérité et le secret du scrutin. Explications.
Les sénateurs Alain Anziani (PS) et Antoine Lefèvre (UMP) ont présenté hier les conclusions de la mission d’information que leur avait confiée l’année dernière la Commission des lois du Sénat à propos du vote électronique (voir leur rapport). Et le moins que l’on puisse dire est que les deux parlementaires sont finalement restés prudents. Ils se prononcent en effet pour le maintien de la situation actuelle, c’est-à-dire en réservant le vote par internet aux seuls Français situés à l’étranger. Cette modalité de vote permet à leurs yeux « l’expression d’un vote dans des conditions nécessairement dérogatoires et imparfaites, mais qui reposent sur un choix de l’électeur à qui sont maintenues d’autres options de vote ».
Mais commençons par le début. En France, le vote par Internet est proposé uniquement aux citoyens établis hors du territoire national, et seulement pour quelques élections en particulier. En effet, cette modalité de vote est offerte aux Français de l’étranger à l’occasion des législatives (depuis 2012) et des élections consulaires (depuis 2014). « Sous réserve de s’authentifier avec un identifiant et un mot de passe personnel, adressés par l’administration consulaire entre le sixième et le troisième mercredi précédant la date du scrutin, l’électeur peut à partir d’un ordinateur, voter pour un candidat ou voter blanc. Ce dispositif de vote exclut a priori un vote nul » expliquent ainsi les sénateurs Anziani et Lefèvre dans leur rapport.
Le vote par Internet n’est cependant qu’une des modalités de vote, puisque les électeurs concernés se voient malgré tout offrir la possibilité de voter à l’urne ou par procuration. Il s’agit quoi qu’il en soit d’un vote un peu particulier, puisqu’il est anticipé. « La période de vote par correspondance électronique s’ouvre le deuxième mercredi précédant la date du scrutin, à partir de 12 heures (heure de Paris) et se clôt le mardi précédant la date du scrutin à la même heure. Durant ces sept jours, les votes sont collectés sur un serveur qui fait office d’urne électronique » relèvent à cet égard les rapporteurs. Cela permet notamment d’empêcher un électeur de voter deux fois dans la même journée, par Internet et puis à l’urne. Le jour du scrutin, l’administration consulaire dispose ainsi de la liste des personnes ayant déjà voté par Internet.
Une modalité supplémentaire qui n’a pas eu d’effet notable sur la participation
Alors que le vote par Internet était présenté par ses partisans comme un moyen d’inciter les Français de l’étranger à revenir aux urnes, le taux d’abstention étant bien plus important dans ces circonscriptions qu’en France, les rapporteurs font aujourd’hui un bilan pour le moins « mitigé »- selon leurs propres termes. Pourtant, au regard de l’éloignement des Français de l’étranger vis-à-vis de leur bureau de vote, parfois situé à des centaines de kilomètres de leur lieu de résidence (avec les coûts de temps et de transports que cela implique pour participer au scrutin), certains pouvaient légitimement anticiper une hausse de la participation.
Mais pour les rapporteurs, « force est de constater que l’introduction du « vote par internet » n’a pas permis d’élever notablement le taux de participation aux élections organisées hors de France ». Les parlementaires relèvent ainsi que tandis que « les électeurs établis hors de France ne peuvent voter qu’à l’urne pour l’élection présidentielle, le taux de participation y est globalement le double par rapport aux élections autorisant le vote par correspondance ». Alors qu’on pouvait s’attendre à ce que la participation soit plus élevée lors des élections pour lesquelles il est possible de voter par Internet, ce ne fut pas le cas, concluent en somme Anziani et Lefèvre.
Le vote par Internet demeure cependant séduisant pour les électeurs
Néanmoins, les deux parlementaires expliquent que le vote par Internet demeure attrayant pour les électeurs, et qu’il l’est d’ailleurs de plus en plus. « Lorsque le « vote par internet » est possible, sa part parmi les votes émis n’a cessé de croître par rapport aux autres modalités de vote » affirment-ils en ce sens, précisant que lors des élections législatives de 2012 et 2013, « il a même été choisi par plus de la moitié des votants ».
Un coût moindre
Le vote par Internet est-il moins cher que le vote traditionnel ? Si l’on se base uniquement sur les élections législatives de 2012, le coût par électeur s’avère en effet moindre pour le vote électronique que toutes modalités confondues : 2,93 euros pour le vote par Internet contre 12,77 euros en moyenne. Sauf que les sénateurs restent très prudents : ces coûts peuvent varier, notamment d’une élection à l’autre. Anziani et Lefèvre notent au passage que l’extension du vote par Internet à l’ensemble des opérations électorales (élections présidentielles, européennes,...) ayant lieu à l’étranger « n’entraînerait pas d’économies d’échelle substantielles ». Autrement dit, aucun gain financier important ne serait à attendre d’un tel pas en avant.
Un risque « persistant » pour la sécurité et la sincérité du scrutin
Pour bien montrer qu’ils ont compris le message, Anziani et Lefèvre indiquent noir sur blanc que les critiques à l’encontre du vote par Internet, « abondantes et nourries », demeurent « persistantes ». Quelles sont ces critiques ?
Un, qu’il y ait des atteintes à la sincérité du scrutin et au secret du vote. S’agissant de la sincérité du scrutin tout d’abord, les sénateurs retiennent qu’il n’y a « aucune garantie que la personne votant « par internet » soit l’électeur concerné ». Et pour cause : « L’authentification de l’électeur à l’aide uniquement d’un identifiant et d’un authentifiant adressés par voie postale ne constitue pas une garantie absolue. Ces éléments d’authentification peuvent avoir été détournés par un tiers, mal dirigés par les services postaux, voire monnayés par un électeur indélicat ».
Il est également impossible de s’assurer du secret du vote. « L’absence d’un cadre formel comme le passage dans l’isoloir n’assure pas les conditions garantissant le caractère non-public du vote. L’électeur peut donc voter devant son ordinateur sous le regard et donc sous la pression plus ou moins forte d’un tiers ».
Deux, certains critiquent le vote par Internet dans la mesure où il est impossible pour un électeur de contrôler par lui-même le bon déroulement des opérations électorales. « Il est impossible à l’électeur de savoir si l’information enregistrant son vote a correctement retranscrit le choix qu’il a effectué et si cette information, à la supposer correcte, n’a pas été modifiée en cours d’acheminement jusqu’au serveur collectant les "bulletins électroniques" » reconnaissent à cet égard les sénateurs Anziani et Lefèvre.
Avec le problème corolaire suivant : comment prouver un dysfonctionnement auprès de la justice, sans qu’aucun participant n’ait matériellement eu le moyen de le constater ? « Il n’y pas de contestation parce que les électeurs sont obligés de faire une confiance absolue aux machines » a ainsi fait valoir Antoine Lefèvre lors de l’examen de son rapport par la Commission des lois. L’intéressé a au passage bien expliqué que « des informaticiens lui [avaient] démontré le risque de fraude par introduction d’un logiciel permettant le détournement du vote ». À ses yeux, il existe donc « un risque persistant, non seulement pour la sincérité du suffrage, mais aussi pour son secret ».
Les parlementaires concluent à un maintien du statu quo
Pourtant, malgré ces risques « persistants » pour la sincérité et la sécurité du scrutin, les sénateurs en arrivent à la conclusion qu’il convient de maintenir le vote par Internet pour les Français de l’étranger, « à titre dérogatoire ». Et ce sous deux conditions. Premièrement, que le vote par Internet reste « une modalité supplémentaire de vote, en complément du vote à l’urne ». Autrement dit, pas question de passer au « tout électronique ». Deuxièmement, les rapporteurs estiment que cette modalité de vote « doit être réservée aux circonscriptions comptant uniquement des électeurs expatriés puisque seul l’éloignement du bureau de vote justifie le maintien de cette modalité de vote ».
Par conséquent, Anziani et Lefèvre « excluent donc la généralisation du « vote par internet » sur le territoire national », c’est-à-dire aux électeurs situés en France.
Différentes améliorations néanmoins préconisées
Les parlementaires formulent toutefois différentes recommandations, estimant notamment qu’il conviendrait de renforcer les pouvoirs des membres du bureau de vote électronique. Les rapporteurs considèrent ainsi qu’il est « déterminant que le bureau de vote électronique ou une partie de ses membres siègent auprès du serveur faisant office « d’urne électronique », pour renforcer leur contrôle direct sur le bon déroulement des opérations ». Ils estiment également qu’il est « inconcevable, comme il est pourtant fait état dans les observations de 2006 des trois experts, que le secret industriel du prestataire puisse être opposé aux membres du bureau de vote électronique ».
Autre chose. Anziani et Lefèvre préconisent d’informer et d’assister davantage les électeurs optant pour le vote électronique. Ils plaident par exemple pour la mise à disposition de présentations de l’interface de vote ou de tutoriels avant et au cours de la période de vote. Les sénateurs expliquent à cet égard qu’en 2012, suite à un problème lié à au logiciel Java, « 12 893 électeurs ont tenté de se connecter au site de vote sans toutefois déposer de bulletin dans l'urne électronique », soit près de 5 % des internautes qui n’ont finalement pas voté.
Le vote électronique, « une modernité obsolète »
La conclusion des élus se veut donc très prudente : « La technique permettra peut-être un jour de dépasser les obstacles qui interdisent aujourd’hui, selon eux, de généraliser le recours à l’électronique dans les procédures de vote. Il conviendra alors de procéder le moment venu à une nouvelle évaluation de ces dispositifs. »
Discutant en Commission des lois des exemples étrangers, les rapporteurs ont expliqué qu’à l’étranger, le vote par Internet n’avait plus tellement la cote. « Le vote électronique relève aujourd’hui d’une modernité obsolète » a même déclaré le sénateur Anziani, en ce que « la plupart des pays qui l’avaient choisi l’abandonnent maintenant, car ce mode de suffrage n’est pas assez fiable ». L’élu a ainsi expliqué qu’un incident avait eu lieu en Belgique, « où un candidat a obtenu 4 096 voix de plus que le nombre de suffrages exprimés », sans que l’on n’ait réussi à savoir si cela provenait d’un bug informatique ou d’une « explosion solaire ».
Un rapport sénatorial défavorable au vote par Internet en France
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Le vote par Internet demeure cependant séduisant pour les électeurs
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Différentes améliorations néanmoins préconisées
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Le vote électronique, « une modernité obsolète »
Commentaires (29)
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Abonnez-vousLe 18/04/2014 à 21h00
Le 18/04/2014 à 23h29
Le 21/04/2014 à 13h50
Le 16/04/2014 à 16h10
On peut avoir un lien qui résume l’histoire pour le problème de vote en Belgique ? ^^
Le 16/04/2014 à 16h16
Le 16/04/2014 à 16h18
Le 16/04/2014 à 16h30
” Les membres du bureau de vote électronique devraient sièger auprès du serveur faisant office « d’urne électronique », pour renforcer leur contrôle direct sur le bon déroulement des opérations “
Et il ne doivent pas quitter les câbles réseaux des yeux au cas où des paquets suspects passent ?
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Le 16/04/2014 à 16h32
Le sénat pas encore complètement sénile " />
Le 16/04/2014 à 16h33
J’ai beau être technophile, je suis plutôt contre le vote par internet.
Le 16/04/2014 à 16h34
Le 16/04/2014 à 17h06
Et quid de la “machine à voter” ? Vu le tableau au milieu de l’article il doit en être question également dans le rapport non ?
(j’avoue totalement ne pas avoir le courage ni le temps de le lire " /> " /> )
Le 16/04/2014 à 17h31
Le vote électronique est une aberration démocratique. Il oblige le citoyen à croire sur parole les résultats, sans avoir aucun moyen de contrôler son bon déroulement. En effet, même avec de l’open-source matériel et logiciel, qui garantit que c’est bien le logiciel agréé qui tourne sous sa machine ?
Le vote électronique remet la légitimité du vote dans les mains d’un condensé de technologies qu’il ne maîtrise absolument pas, pour un gain nul.
Avec un bureau de vote, des assesseurs, un isoloir, une urne en verre, des listes électorales et des bulletins en papier qu’on voit tomber dans l’urne et qui sont comptés par les mêmes citoyens, le résultat est simple, rapide et infaillible.
Le “vote papier” est le fondement de notre démocratie. Le remettre en cause, c’est remettre en cause la démocratie elle-même.
Le 16/04/2014 à 17h42
Perso je suis pour car étant souvent en déplacement ça me permettrais enfin de voter. Rien que pour le dernier vote je n’ai pas pu car j’étais loin du bureau vote physiquement parlant (quelques milliers de km). Il y a la procuration mais du coup c’est pareil faut faire confiance à la personne à laquelle tu donnes procuration.
Même le vote papier n’empêche pas les fraudes donc bon.
Le 16/04/2014 à 17h55
« Le vote électronique relève aujourd’hui d’une modernité obsolète » a même déclaré le sénateur Anziani, en ce que « la plupart des pays qui l’avaient choisi l’abandonnent maintenant, car ce mode de suffrage n’est pas assez fiable ».
Bah ouais… si le résultat n’est pas celui prédit par les sondages commandés par les partis politiques, cette modernité ne leur sert à rien.
Le 16/04/2014 à 18h11
Le 16/04/2014 à 18h41
Le 16/04/2014 à 18h44
Bon, ils ont compris que ce n’était pas sûr, c’est bien.
La tarte à la crème actuelle et un peu d’anticipation :
“En 2022 la France décide de passer au vote électronique et en 2050 on apprend que c’est la NSA qui truquait le résultat des élections depuis des années”
“En 2070, on apprend que grâce au successeur de la technologie eagle les policiers et services spéciaux savaient exactement qui votait pour quel candidat et avaient constitué des fichiers sur le choix politique de chaque français”.
Jusque là tout va bien….
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Le 16/04/2014 à 18h51
Le 16/04/2014 à 18h59
Les sénateurs sont séniles et stupides.
Ancien responsable de service informatique,maintenant en retraite, je peux organiser ces élections, de façon à ce qu’elles soient plus sures que les votes papiers, avec une réduction sensible de l’abstention .
Si je peux le faire, il y a au moins un millier de chefs de projets informatiques, encore actifs, qui en sont capables….
Il suffit de s’adresser aux bonnes personnes…
Mais pas aux sénateurs !
Le 16/04/2014 à 19h40
Le 16/04/2014 à 20h48
Le 16/04/2014 à 20h55
Le 16/04/2014 à 21h17
La seule façon dont je vois un vote électronique fonctionner à peu près correctement, c’est avec des votes publics (mais anonymisés). Genre tu votes sur une machine, elle te sort un petit ticket avec un QR code et ton vote. L’ensemble des votes est rendu public le soir et chacun peut vérifier que le vote correspondant au QR code est bien celui de sont ticket.
Pas sûr que ça soit beaucoup moins cher et faut prendre en compte le fait qu’on sait très bien que tout le monde ne va pas vérifier (et qu’on connait les gens qui vont vérifier ainsi que leur bureaux de vote). Donc là encore il y a possibilité de fraude à moyenne échelle. Le risque serait moins important que l’actuel vote électronique, mais sans aucun doute plus important que pour le vote papier. Et puis le geste de se déplacer pour aller voter donne un sens solennel à ce geste citoyen, autant le garder.
Le 17/04/2014 à 04h46
Le 17/04/2014 à 04h48
Comme beaucoup. Technophiles mais pas fou.
Première chose les programmes permettant l’exécution des votes et leur comptabilisation ne sont pas open source et rien ne permet que le code promis est le code de la machine.
Deuxième chose. Le vote doit pouvoir être contrôler par tout à chacun. C’est vrai pour le vote papier. Pour le vote électronique ou à distance, j’émet de sérieux doute. Je ne suis pas en capacité de juger de la bonne exécution d’un code informatique.
Je trouve la conclusion du rapport tout à fait censée. A titre dérogatoire, c’est mieux que rien mais c’est loin d’être satisfaisant.
Par contre, rien n’empêche qu’on puisse voter à distance dans un autre bureau que le sien (vacances, mariage, déplacement pro, …) pour les élections nationales. Dans le cadre d’une procédure stricte je devrais pouvoir voter ou je me trouve surtout avec les moyens dont on dispose actuellement.
Le 17/04/2014 à 06h23
Vote par internet ? Pas convaincu… Comment vérifier l’identité de celui qui est au clavier ? Comment garantir que le vote se fait dans de bonne conditions hors d’un isoloir ? Comment permettre aux citoyens de valider les conditions de comptages (contrairement au votes papier où il est possible de participer ou d’assister aux comptages) ?
Trop d’incertitudes, trop de failles de sécurité récurrentes….
Le 17/04/2014 à 09h30
Bon, heureux de constater qu’il y a encore quelques sénateurs éparses à savoir lire, et même comprendre ce qu’ils lisent. " />
On gardera peut-être le Sénat dans la prochaine République tout compte fait (en réduisant simplement le nombre de membres par 90% " />).
Je reprendrai l’expression de Wanou que j’aime beaucoup : “technophile mais pas fou”.
La vraie question que je me pose personnellement n’est pas “pour ou contre le vote électronique” mais “quelle conception permettrait au vote électronique de faire profiter de ses avantages (facile, rapide, flexible) tout en préservant les valeurs fondamentales de notre vote papier (fiable, anonyme, ‘indépendant’) ?”
Vous avez 3h… " />
Sérieusement, le seul truc dont je sois sûr, c’est que le code devrait être open source. Mais pour le reste… L’état technique actuel permettrait-il d’assurer une transmission complètement anonyme et sécurisée du vote ?
Comment assurer l’authentification ? La “permission” de voter ?
Tant que ces questions n’ont pas trouvé de réponse satisfaisante, clairement il vaut mieux éviter le vote électronique…
Le 17/04/2014 à 16h02
Le 18/04/2014 à 20h10