Loi Renseignement : le mémoire d’un collectif d’avocats franco-américains
De la surveillance des échanges des avocats
Le 17 juillet 2015 à 13h00
7 min
Droit
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Nous diffusons ci-dessous le mémoire adressé au Conseil constitutionnel par la FABA, la French-American Bar Association. Ce groupement d’avocats franco-américain montre de nouvelles zones troubles dans le projet de loi Renseignement. La décision du Conseil constitutionnel est attendue pour le 23 juillet prochain.
La French-American Bar Association (FABA) a adressé le 14 juillet dernier un mémoire au Conseil constitutionnel. L’objectif de cet amicus curiae ? Éclairer le juge des points litigieux qui auraient été mal pointés, si ce n’est oubliés, dans les trois saisines officielles, celle du président de la République, du président du Sénat et de plus de 60 députés.
Thomas Vandenabeele, Pierre Ciric et Pascale Longuet, respectivement président, vice-président et membre de la FABA concentrent une grande partie de leurs critiques sur les nouveaux outils de surveillance face au statut de l’avocat. Nous avions déjà esquissé la problématique : le futur article L. 821 - 7 prévu par le projet interdit en effet qu’un « un parlementaire, un magistrat, un avocat ou un journaliste » puisse être « l’objet d’une demande de mise en œuvre, sur le territoire national, d’une technique de recueil de renseignement (...) à raison de l’exercice de son mandat ou de sa profession. »
Une lecture soigneuse montre que finalement ces personnes protégées pourront être surveillées dans deux cas de figure. D’une part, dans les activités non liées à l’exercice de leur mandat ou de leur profession. Mécaniquement, un outil de surveillance préventif ne peut anticiper la qualité d’une conversation contre les murs de laquelle il tend l’oreille. Il y a donc un risque d’atteinte au secret. D’autre part, l’interdiction de cette surveillance ne concerne que le territoire national. En clair, à l’étranger, tout sera permis, même la surveillance des échanges noués dans « l’exercice du mandat ou de la profession ». C’est évidemment ce dernier point qui inquiète la FABA.
Des contentieux de plus en plus internationalisés
Au fil d’une quinzaine de pages, ce groupe de juristes franco-américains rappelle sans mal que « l’accroissement de la mondialisation a donné lieu à l’internationalisation du droit et des contentieux. C’est ainsi que la représentation de clients localisés en France par des avocats résidents hors de France devient de plus en plus répandue. Il est ainsi de plus en plus courant pour ces avocats de communiquer habituellement par téléphone et par courriel avec leurs clients basés en France et parfois avec les conseils français basés en France de ces clients dans le cadre de dossiers multi-juridictionnels. »
Selon les statistiques du ministère de la justice de 2012, il y a ainsi « 2.506 avocats sont inscrits à la fois à un barreau français et à un barreau étranger, soit 4,5% des avocats ». Et 734 d’entre-eux sont inscrits dans un barreau des États-Unis. Le caractère international est en outre accentué puisque bon nombre d’avocats inscrits en France opèrent également dans des affaires internationales.
Trop d’incertitudes, trop d’inégalités
Bref, pour la FABA, « l’incertitude quant au caractère confidentiel des communications entre l’avocat localisé hors du territoire national et son client basé en France menacerait donc la défense des intérêts des clients de nos membres devant les juridictions américaines, et affecterait nos confrères admis aux Etats-Unis, ce que nous ne pouvons accepter. »
Incertitude ? Dans leur mémoire, ils rappellent que la loi sur le Renseignement oublie de définir le terme « avocat » en s’appuyant sur telle ou telle référence. « On ignore donc si ce terme signifie un avocat admis, soit à un barreau français, soit à un barreau étranger, soit admis à la fois à un barreau français et à un barreau étranger ». Le texte défendu par Bernard Cazeneuve porterait ainsi atteinte au principe d’égalité devant la loi, faute pour de justifier d’une différence objective nécessitant un traitement différencié.
Plusieurs scénarios sont esquissés dans le mémoire : un avocat inscrit au barreau de New York et Paris. Un autre inscrit en France mais conseillant des clients américains sous la qualité de « legal consultant ». Enfin, un troisième installé à Manhattan, mais habilité à conseiller des clients français devant les juridictions américaines.
Si le terme « avocat » signifierait « un avocat enregistré dans un barreau français ou étranger, l’application strictement géographique de l’article L. 821 - 7 représente alors une rupture du principe d’égalité devant les restrictions des libertés publiques basée sur la simple localisation géographique de l’avocat » juge la FABA.
Et s’il désigne un avocat membre d’un barreau français seulement, la situation s’aggrave : la restriction aux libertés dépendra et de la situation géographique et du lieu du barreau devant lequel il est enregistré. La situation est donc dans tous les cas inacceptable selon ces juristes, puisque rien ne permet d’affirmer par exemple qu’un avocat étranger présenterait une « menace distincte sur l’ordre public par rapport aux avocats admis à un barreau français et présents sur le territoire national ». Et la FABA de dézinguer la faiblesse de l’étude d’impact ou des travaux parlementaires dont aucune analyse ne permet de justifier un tel traitement différencié.
On soulignera qu'à l'international, le projet de loi facilite grandement les mesures de surveillances administratives. L'avis préalable de la Commission nationale de contrôle des techniques du renseignement n'est pas exigé. Le Premier ministre décide donc seul qui, quand, où et comment peuvent être surveillées plusieurs personne. Il suffit simplement que la communication soit reçue ou émise depuis l'étranger, même si elle concerne deux Français, utilisant depuis Paris, un service en ligne étrangers (Skype, Gmail, Twitter, Facebook, etc.).
Colère noire et saisine blanche
Au passage, ces juristes demandent également au Conseil constitutionnel d’analyser avec une grande prudence la saisine du président du Sénat ou celle de François Hollande. Ni l’une ni l’autre n’ont exprimés de griefs particuliers. La saisine de Gérard Larcher est dite blanche. Celle du président de la République se contente d’égrainer une série d’articles, dont le fameux L.821 - 7, sans émettre de reproches.
Si les neuf sages acceptent ces saisines, cela pourrait potentiellement contrecarrer de futures questions prioritaires de constitutionnalité. « Cette situation aboutira donc alors à une violation claire et directe du principe du droit à un recours juridictionnel effectif et des droits de la défense, définis par l’article 16 de la Déclaration de 1789, ainsi que l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, puisque tout avocat localisé hors du territoire national ne pourra plus tenter de faire respecter la confidentialité des échanges entre lui et son client par l’intermédiaire d’une procédure de Question Prioritaire de Constitutionalité. »
Alternative suggérée à Jean-Louis Debré : que le Conseil constitutionnel refuse finalement la saisine du Président de la République et celle du président du Sénat. Avantage ? Cela « permettra alors au Conseil de se prononcer de façon limitée sur la constitutionalité de l’article L. 821 - 7, et ce concernant uniquement les griefs soulevés par les 60 députés. Dans ce cas, en effet, les membres de FABA pourront alors poursuivre a posteriori, telle ce que cela avait été prévu aux termes de l’article 61 - 1 de la Constitution, une Question Prioritaire de Constitutionalité concernant la rupture du principe d’égalité devant les restrictions des libertés publiques entre les avocats localisés sur le territoire national et les avocats localisés hors du territoire national. »
Loi Renseignement : le mémoire d’un collectif d’avocats franco-américains
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Des contentieux de plus en plus internationalisés
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Trop d’incertitudes, trop d’inégalités
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Colère noire et saisine blanche
Commentaires (39)
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Abonnez-vousLe 17/07/2015 à 13h25
Alternative suggérée à Jean-Louis Debré : que le Conseil constitutionnel refuse finalement la saisine du Président de la République et celle du président du Sénat. Avantage ? Cela « permettra alors au Conseil de se prononcer de façon limitée sur la constitutionalité de l’article L. 821-7, et ce concernant uniquement les griefs soulevés par les 60 députés. Dans ce cas, en effet, les membres de FABA pourront alors poursuivre a posteriori, telle ce que cela avait été prévu aux termes de l’article 61-1 de la Constitution, une Question Prioritaire de Constitutionalité concernant la rupture du principe d’égalité devant les restrictions des libertés publiques entre les avocats localisés sur le territoire national et les avocats localisés hors du territoire national. »
Petite question suite à ce paragraphe, une fois une QPC examinée, est-il possible de soumettre ensuite une autre QPC concernant d’autres éléments du projet de loi ?
Le 17/07/2015 à 13h38
Le 17/07/2015 à 13h39
C’est gruyère cette loi en somme.
Le 17/07/2015 à 13h44
C’est bien beau toute cette pluie d’amicus curiae sur ce texte, m’enfin rien ne force le Conseil constitutionnel à les lire ou même à les prendre en compte… Bref, on verra bien ce qu’il en sortira finalement le 23…
Le 17/07/2015 à 13h45
Le 17/07/2015 à 13h46
Oui bien sûr.
Simplement, tu ne peux pas par deux fois QPC-er la même disposition.
Pour les reste, c’est open bar, pour autant que les reproches soient jugés “sérieux” par la Cour de cassation ou le Conseil d’Etat, lesquels interviennent comme filtres préalables au Conseil constitutionnel;.
Le 17/07/2015 à 13h47
Le 17/07/2015 à 14h57
Le 17/07/2015 à 14h58
Le 17/07/2015 à 15h01
Le 17/07/2015 à 15h04
La Commission européenne a la possibilité d’intervenir en saisissant une juridiction européenne si elle estime qu’il y a une violation manifeste des conventions.
Mais en tant que citoyen français c’est impossible. si tu es mis en cause sur la base « légale » créée par le PJLRenseignement, les documents sur les éléments à charge seront caviardés « secret défense », donc pour monter un dossier crédible ça sera très dur…
Le 17/07/2015 à 15h07
Pour être honnête avec toi, le retournement de veste et autres coups en douce étant des pratiques des plus courantes chez notre personnel politique, ce cas de figure ne me surprendrait même pas. Et puis tu sais, une polémique chasse l’autre, suffirait d’un rien pour que toute cette histoire passe à l’as.
Le 17/07/2015 à 17h52
On voit bien que le secret professionnel et la confidentialité des communication des avocats n’est pas la priorité du gouvernement, notamment avec l’affaire des écoutes de M S.
Il faudrait donc que l’ensemble des confrères utilisent des solutions de chiffrement pour leurs conversation écrites et vocales (alors qu’un bon tiers utilise GMAIL comme adresse professionnelle), ce qui peut s’avérer possible entre avocats, mais que l’on arrivera jamais à faire passer auprès des clients : qui va faire comprendre à Madame MICHU qui a 60 ans le principe du chiffrement asymétrique par GPG ?
Et comme la solution de chiffrement des courriels envoyés par les clients à l’avocat que voulait proposer le Conseil National des Barreaux ne se fera pas, ça ne va pas s’arranger.
Un fois que le Conseil Constitutionnel se sera prononcé, on saura déjà si c’est sur tout le texte, ou seulement certains de ses articles.
Les QPC ne pourront alors être faites que dans le cadre d’un procès, au cour duquel un citoyen viendrait à dire qu’un article de loi ne respecte pas la constitution, et que le Conseil Constitutionnel n’ a jamais donné son avis sur cette disposition légale.
Après, toujours dans le cadre d’un procès, la saisine de la Cour Européenne des Droits de l’Hommes est envisageable, afin d’obtenir la condamnation de la France pour non respect de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.
On constatera que dans les deux derniers cas, il faut qu’un procès soit en cours, et que les dispositions créées par cette loi aient été utilisées, ce qui risque de ne pas être facile à démontrer.
Pour une QPC, ça peut se faire dès la première instance, par contre comme cela a été dit plus haut, ça prendra des années puisqu’il faut épuiser les voies de recours internes (1ere instance, appel, cassation)
Le 17/07/2015 à 20h37
Le 18/07/2015 à 05h13
Le 18/07/2015 à 05h50
Le 18/07/2015 à 08h00
Et ensuite, on se pose la question du contexte de la déclaration de 1793 et de la force obligatoire de celle-ci …
Le 18/07/2015 à 10h13
Oui, mon hypothèse est très Bisounours " />
Le 18/07/2015 à 14h03
Le 18/07/2015 à 14h53
vu la facilité comme la LR est passée à l’AN (pratiquement à la Majorité, les abstentions* comprises)
le Gouv. NE lâchera pas sa LR !
le CC., va nous “sortir” une raison “bof, bof”, pour que “cela ne fasse PAS TROP MAL” !
s’agissant d’une Loi, IMPORTANTE, “on est : POUR ou CONTRE ?
- qu’est-ce-que c’est ces demie-mesures !!!
aïe !!!
Le 18/07/2015 à 15h00
c’est dingue : y-a 300 ans ils avaient “prévu” le coup !
ils se “doutaient” : que ça arriverait ………………………………………………………………………………………..un jour !
Le 20/07/2015 à 09h26
Le 20/07/2015 à 10h14
Le 17/07/2015 à 13h50
Les amicus curiae ont juste une valeur d’avis consultatif.
Le CC n’est pas tenir de les lire et encore moins de les suivre
Le 17/07/2015 à 13h53
Le 17/07/2015 à 13h56
n’est pas tenu* (fatigue, chaleur toussa " />)
Le 17/07/2015 à 14h11
Le 17/07/2015 à 14h14
Rien qu’avec les méta-données (donc sans les lire) il y a plus de contenu que les saisines officielles " />
Le 17/07/2015 à 14h15
Le 17/07/2015 à 14h22
Le 17/07/2015 à 14h23
Le 17/07/2015 à 14h25
CEDH voire CJUE mais cela implique d’avoir épuisé toutes les voies de recours nationales préalablement. Le CC est le dernier rempart en France, pas d’appel, pas de cassation possible.
Le 17/07/2015 à 14h28
Le 17/07/2015 à 14h32
Mais non, ton explication est beaucoup plus précise " />
Le 17/07/2015 à 14h38
Le 17/07/2015 à 14h45
Le 17/07/2015 à 14h45
Le 17/07/2015 à 14h46
Le 17/07/2015 à 14h48
Après on passe au niveau européen mais cela implique d’avoir été mis en cause (donc être partie à un procès) et de faire toutes les étapes nationales avant. Donc impossible d’attaquer une loi, en tant que telle, au niveau européen après la décision du CC.