Unity, le moteur de jeu qui valait (presque) trois milliards
À fonds la forme
Le 29 mai 2017 à 14h32
8 min
Économie
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Ce n'est pas souvent qu'Unity se lance dans un tour de table, mais quand c'est le cas, l'éditeur n'y va pas à moitié. L'entreprise a en effet levé 400 millions de dollars la semaine dernière, avec une valorisation de 2,6 milliards. Mais comment justifier pareil chiffre ?
Vendre des moteurs de jeu n'est pas activité aisée. Le secteur a connu de nombreuses évolutions ces dernières années, afin de s'adapter à l'explosion du nombre de plateformes et de studios de développement indépendants, ainsi qu'à leurs budgets taille XXS.
Un marché bien occupé
Aujourd'hui, les petits studios ont une foule de moteurs à leur disposition, plusieurs acteurs essayant de se faire une place au soleil sur ce marché, avec plus ou moins de succès, en imposant différentes conditions à leurs clients.
Crytek propose par exemple d'exploiter son Cryengine en échange de la souscription d'un abonnement à 9,90 euros par mois, tandis qu'une option « pay what you want » a fait son apparition l'an dernier.
Un tarif attractif qui ne semble toutefois pas permettre à l'entreprise d'envisager l'avenir sereinement. Depuis plusieurs années, Crytek fait les gros titres de la presse spécialisée en raison de sa situation financière. À plusieurs reprises, la société n'a pas versé les salaires de ses employés dans les temps, et a dû vendre, voire fermer certains de ses studios. Certains de ses gros clients, notamment Cloud Imperium Games (Star Citizen) ont décidé de changer de crèmerie en optant pour un fork signé Amazon du Cryengine.
Valve veut également sa part du gâteau avec son moteur Source 2, qui a la particularité d'être mis à disposition des développeurs gratuitement, à condition qu'ils s'engagent à lancer leur jeu sur Steam, où l'éditeur ponctionne 30 % du montant des ventes. Epic Games est aussi dans la course avec son Unreal Engine, mis à disposition gratuitement, mais facturant des royalties de 5 % en cas de ventes supérieures à 3 000 dollars par trimestre.
Unity, une offre à géométrie variable
Celui qui parvient à croquer la part du lion n'est pourtant pas un de ces acteurs établis depuis plus de vingt ans (Epic Games a été fondé en 1991), mais un entrant bien plus récent : Unity, une entreprise danoise fondée en 2004. Après avoir tenté de se faire une place sur le marché du jeu vidéo, ce qui fut un échec cuisant, la société a décidé de se focaliser sur la commercialisation de son moteur de jeu et de ses outils de développement dès la mi-2005.
L'offre d'Unity se décompose en quatre formules. Une dite « personnelle », entièrement gratuite, tant que le chiffre d'affaire de votre entreprise ne dépasse pas 100 000 dollars, accompagnée par une « Plus », à 32 euros par mois et par poste, pour ceux dont les revenus annuels n'excèdent pas 200 000 dollars. Au-delà, c'est Unity Pro (115 euros par mois et par poste) et Unity Entreprise (sur mesure) qui prennent le relais, en fonction des besoins du studio.
Kerbal Space Program et Cities Skyline, deux jeux PC conçus avec Unity
400 millions de dollars plus tard
Pour étoffer ses offres, Unity va pouvoir compter sur son dernier tour de table. Celui-ci fut plutôt conséquent puisqu'il est question de 400 millions de dollars, avec une valorisation estimée à 2,6 milliards de dollars, apportés par un seul investisseur : le fonds Silver Lake. Celui-ci a notamment participé à des investissements chez Alibaba, Foursquare, GoDaddy, Groupon ou encore Skype et a levé 15 milliards de dollars en avril dernier.
Ces 400 millions de dollars, une fois l'aval des autorités concernées obtenu, iront pour moitié directement dans la poche des employés et des fondateurs de l'entreprise, qui ont revendu leurs parts acquises au début de l'aventure. Malgré cette cession importante, ils restent majoritaires dans le capital de la société, qui dispose donc encore d'une certaine indépendance.
John Riccitello, le PDG d'Unity explique par ailleurs a Bloomberg que « dans l'absolu, nous n'avons pas besoin de tout ce capital », indiquant que les fonds récoltés ne seront pas utilisés dans un but précis dans l'immédiat. « Mais ça a du sens de laisser nos employés s'acheter des voitures » plaisante le responsable. Comment John Riccitello est-il parvenu à convaincre un fonds d'investissement que l'entreprise qu'il préside vaut plus de deux milliards de dollars ? La réponse n'est pas très compliquée à trouver, il suffit de regarder ce qu'il se passe depuis quelques années sur le marché du jeu vidéo.
« L'indiepocalypse » a du bon
Si l'on se penche par exemple sur le cas de Steam, on observe que le nombre de jeux parus connait une croissance quasi exponentielle année après année. En 2013 par exemple, 565 jeux ont été lancés sur la plateforme selon les chiffres de SteamSpy. En 2014, ils étaient déjà 1 772, puis 2 964 en 2015 et 4 207 en 2016. En clair, près de 40 % des titres disponibles au 31 décembre 2016 sur Steam avaient moins d'un an.
38% of all Steam games were released in 2016 pic.twitter.com/JiX2pt6JhB
— Steam Spy (@Steam_Spy) 30 novembre 2016
Cette explosion du nombre de jeux disponibles va de pair avec celle des studios de développement indépendants. La distribution des jeux s'étant facilité, de plus en plus de petites structures peuvent se permettre de se lancer dans ce genre de projets. L'ouverture des consoliers aux jeux indépendants à petit budget, via des programmes comme ID@Xbox ou PlayStation Partner n'y est pas étrangère non plus.
Sur mobile, la tendance est encore plus marquée. Il ne se passe pas une journée sans que les boutiques d'applications d'Android ou d'iOS ne soient submergées par plusieurs centaines de nouveaux titres, qui tenteront de se faire une place sur un marché déjà surchargé, où se côtoient déjà des millions d'applications.
L'une des forces d'Unity c'est justement d'être présent sur la quasi-totalité des plateformes possibles et imaginables. Consoles de salon (PS4, Switch, Wii U, Xbox One), machines portables (3DS, PS Vita), PC (Linux, macOS, Windows) et terminaux mobiles (Android, iOS, Windows Phone... et même Tizen), toutes sont prises en charge par Unity, qui permet en outre de porter facilement un jeu de l'une à l'autre.
2,4 milliards de joueurs et bien plus si affinités
John Riccitello est conscient de la force de son produit, revendiquant que plus de 2,4 milliards d'appareils autour du monde abritent au moins un jeu exploitant le moteur Unity. « Nous sommes présents sur plus de 50 % des jeux mobiles actuellement, et cette part est en augmentation », s'enorgueillit-il auprès de nos confrères de VentureBeat. Parmi eux, Pokémon Go, le phénomène mobile de l'été dernier.
L'emprise d'Unity ne s'arrête pas au jeu mobile. L'entreprise veut également prendre sa part du gâteau dans les domaines de la réalité virtuelle et de la réalité augmentée, où elle revendique déjà 70 % du marché à l'heure actuelle.
« D'ici 10 ou 15 ans, une version ou l'autre de la réalité augmentée, mixte, virtuelle... appelez-là comme vous voudrez... Concrètement, vous aurez devant vous un monde augmenté, et ça sera une révolution aussi importante qu'Internet », s'enthousiasme le dirigeant. « Votre électricien aura des lunettes qui lui diront quel câble connecter à telle pièce de votre maison. En mettant vos lunettes et en regardant un carton Ikea, on vous dira comment monter votre meuble », improvise-t-il. « Sans même parler des applications militaires. » Tout ceci, John Ricitello espère que cela se fera grâce à Unity.
Aller au-delà du jeu vidéo
Et l'entreprise est déjà en pointe sur ce domaine. Parmi ses clients, on retrouve par exemple le CERN qui se sert d'Unity pour visualiser les résultats des expériences réalisées dans le Grand collisionneur de hadrons (LHC). Une utilisation qui s'éloigne fortement du milieu du jeu vidéo, mais qui est symbolique des ambitions de l'entreprise danoise.
« Nos racines se trouvent dans le gaming. Nous nous focalisons beaucoup dessus. C'est une grande part de ce que nous faisons et nous ne l'oublierons pas. Mais il se trouve qu'un moteur de jeu, c'est exactement ce qu'il nous faut pour faire tout le reste » résume Riccitello. Son idée, c'est d'aussi se servir d'Unity comme d'un moteur de visualisation de données, afin d'aider les spécialistes du big data à mettre de l'ordre dans les milliards d'informations qu'ils collectent chaque jour.
Plus généralement encore, Unity aimerait suivre la même voie qu'Adobe avec Photoshop et devenir l'outil indispensable aux créateurs de contenu : « de la même manière que tout le monde utilise Photoshop pour travailler avec une image en 2D, vous allez avoir besoin d'un moteur de jeu pour voir le monde au travers de la réalité virtuelle ou augmentée ».
Pas de bon de sortie avant 2019
Les investisseurs d'Unity devront par contre faire preuve de patience avant de pouvoir profiter de leurs éventuelles plus-values. John Riccitello affirme en effet les avoir prévenus qu'aucun projet d'introduction en bourse n'était prévu avant 2019 « et je ne sais même pas si nous la ferons en 2019 d'ailleurs », ce qui repousse encore un peu l'échéance.
Pour l'instant, la politique de la direction consiste à expliquer que l'entreprise a besoin de son indépendance pour pouvoir s'attaquer à toutes les plateformes. « Nous sommes un peu comme la Suisse », s'amuse d'ailleurs le PDG de la société.
Unity, le moteur de jeu qui valait (presque) trois milliards
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Un marché bien occupé
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Unity, une offre à géométrie variable
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400 millions de dollars plus tard
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« L'indiepocalypse » a du bon
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2,4 milliards de joueurs et bien plus si affinités
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Aller au-delà du jeu vidéo
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Pas de bon de sortie avant 2019
Commentaires (30)
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Abonnez-vousLe 30/05/2017 à 12h38
Le 30/05/2017 à 13h58
Le 30/05/2017 à 14h15
Le 30/05/2017 à 14h43
Le 30/05/2017 à 15h22
Je ne le connais pas celui-là " />mais AAA je ne crois pas que ce soit très bien défini comme notion, ça évoque en gros les jeux avec de très gros budgets (des millions à la pelle) et des grosses équipes de développement et un très gros budget Marketing. En gros des JV que seuls les gros studios du secteur peuvent se permettre (EA, Activision, Ubisoft) encore qu’ils ne produisent pas que des AAA.
A titre d’exemple, Divinity Original Sin a beau être à mes yeux un “gros jeu” qui n’a pas à rougir niveau production, qualité et vente face à d’autres n’est pas un AAA (à part ça je crois que c’est un moteur maison pour celui-ci mais bon tu vois l’esprit).
Et pour les mastodontes du secteur capables de faire des AAA, le moteur c’est souvent du maison. L’Unreal Engine est aussi utilisé je crois, mais pas Unity. Et comme tu dis ca change peut-être, des gros succès sont faits avec ce moteur (Hearthstone par exemple).
Le 29/05/2017 à 15h06
J’espere juste qu’ils ne prendront pas le melon… C’est une belle réussite pour cette “petite” boite. :-)
Le 29/05/2017 à 15h16
Ce qui manque fortement à ce moteur (qui est vraiment cool) ça serait un système du type Playmaker mais intégré et mieux pensé (un équivalent aux blueprint d’UE)
Le 29/05/2017 à 15h36
Unity travaille avec des producteurs de série d’animation CGI pour le développement d’outils VR dans le cadre du pipe de fabrication. A ce sujet, une conférence va avoir lieu au festival d’Annecy.
L’utilisation du moteur en tant que tel pour les séries d’animation va constituer une petite révolution dans leur fabrication.
Le 29/05/2017 à 15h39
Succès mérité au vu de la qualité du moteur.
Par contre, j’espère qu’ils n’entreront pas en bourse, ce système est vraiment m#rdique, et ça pourrait être le début de la fin. Surtout que s’ils arrivent à lever 400 millions sans futur projet particulier, ils n’en ont clairement pas besoin.
Le 29/05/2017 à 15h44
Moi aussi je les vois bien rester sur un mode “familial”, à la Valve.
Le 29/05/2017 à 15h56
perso je préfère largement UnrealEngine.
mais la concurrence a du bon.
Le 29/05/2017 à 16h01
J’ai plusieurs jeux qui tournent sous Unity et à chaque fois ils présentent de gros problèmes de performances, il y a vraiment des progrès à faire de ce côté là.
Le 29/05/2017 à 16h27
Quels jeux si ce n’est pas indiscret ? Je n’ai rien remarqué de notable que ce soit sur KSP ou Cities Skyline par exemple.
Le 29/05/2017 à 16h41
les deux sont CPU heavy pour rien faire de transcendant, unity c’est bien pour les petit jeux, pour les gros mieux vaux voire ailleur
Le 29/05/2017 à 16h52
Dixit un expert en développement de jeu vidéo je suppose.
Ce qu’il faut pas entendre.
Le 29/05/2017 à 16h54
C’est vrai mais pourtant quelques “gros” jeux commencent pourtant à être développés avec Unity (mais pas dans la catégorie des AAA c’est sûr). Je suis pas un spécialiste de la question loin s’en faut mais j’avais lu un dossier assez documenté dans Canard PC.
Après clairement pour les AAA ils sont absents, mais faut considérer que les grosses boites de JV ont souvent leur propre moteur maison (même s’ils se basent souvent sur un autre moteur qu’ils adaptent à leurs besoins et utilisent plein de bouts de logiciels proprios).
Le 29/05/2017 à 20h28
" />
Le 29/05/2017 à 21h57
Moi je m’en sers pour apprendre à programmer à des ados dans le cadre d’un centre d’animation, et c’est parfait.
Le 30/05/2017 à 03h29
Le 30/05/2017 à 06h47
Tu as tout compris, enfin quelqu’un qui réfléchit sur la bonne méthode pour intéresser des ado " />
Le 30/05/2017 à 08h04
Le 30/05/2017 à 08h13
Le 30/05/2017 à 08h58
Le 30/05/2017 à 09h06
Cela vient peut être D’unity mais aussi et surement des Dev qui font n’importe quoi avec le Moteur .
Pour qu’un jeux consomme peu surtout dans une grosse simulation de la sorte il faut tout optimiser et donc ça demande du boulot qui n’a peut être pas été fait .
Ensuite KSP même s’il est moche c’est une grosse simulation qui prend PLEIIIINNNNSS de paramètres en compte en temps réel du coup ça me choque pas que ça coûte cher en ressource .
Le 30/05/2017 à 09h31
Le 30/05/2017 à 09h38
Le 30/05/2017 à 10h03
Le 30/05/2017 à 10h06
Dreamfall Chapters et Syberia 3 par exemple" />
Le 30/05/2017 à 11h26
Once you go UE4, you never go back.
Unity est très bien pour des petits et moyens jeux, concepts, visualisation,… Mais celui qui prend le temps d’apprendre UE4, ne peut plus revenir vers Unity aussi facilement, c’est le jour et la nuit niveau fonctionnalité.
Chacun à ses avantages et inconvénients, il est nécéssaire de choisir celui qui nous convient (selon le projet et d’autre variable biensûr). Personnellement, après des années d’Unity, j’ai investi du temps dans Unreal et maintenant, Unreal me permet une plus grande liberté.
Ce n’est que mon expérience.
Le 30/05/2017 à 12h13