Les associations Wikimédia France et La Quadrature du Net ont déposé une question prioritaire de constitutionnalité sur une des dispositions de la loi Création du 7 juillet 2016. Elle concerne tout particulièrement l’exploitation du droit à l’image des domaines nationaux et par contamination, les licences libres.
« Si cette loi est entérinée dans quelques jours, ce qui a de fortes chances d’arriver, les contributeurs seront obligés de retirer toutes les photos en question, notamment celles des fiches du Château de Versailles ou de Chambord. C’est tout de même incroyable pour des monuments aussi représentatifs de la culture française ! » Voilà ce que nous disait Nathalie Martin, alors directrice exécutive de Wikimédia France, le 21 juin 2016.
Depuis, cette disposition, introduite au Sénat, a finalement bien été votée. Elle est aujourd’hui attaquée devant le Conseil constitutionnel. Pour comprendre pourquoi et les raisons de cette irritation, il faut se plonger dans la jurisprudence Kronenbourg vs. Chambord et le Code du patrimoine.
L'amendement Kronenbourg, la mise en bière des photos des domaines
En 2010, une campagne de publicité pour la bière « 1664 » avait été illustrée avec une photographie du château de Chambord. Le domaine national avait vainement attaqué le brasseur devant la justice administrative, qui n’avait cependant pas levé toutes les incertitudes.
En effet, comme rappelé le 16 février 2016 en séance par Audrey Azoulay, alors ministre de la Culture, « une jurisprudence administrative toute récente (…) a reconnu l’existence d’un régime d’autorisation sans texte permettant au propriétaire public soit de s’opposer à l’exploitation à des fins commerciales de la reproduction d’un bien appartenant au domaine public, soit de se faire rémunérer pour cette exploitation en raison de l’image de marque qui est utilisée ».
Depuis la loi Création, tout a été remis à plat grâce à l'amendement Kronenbourg. L’article L. 621 - 42 du Code du patrimoine soumet depuis à autorisation « l’utilisation à des fins commerciales de l’image des immeubles qui constituent les domaines nationaux », quel que soit le support utilisé. Et donc Internet.
Autorisation et redevance sur les photos des domaines nationaux
En clair, l’utilisation des photos des « ensembles immobiliers présentant un lien exceptionnel avec l'histoire de la Nation et dont l'État est, au moins pour partie, propriétaire » exploitées à titre commercial doit être avalisée.
Le législateur a même précisé que cette autorisation peut être assortie de conditions financières, et donc du paiement d’une redevance. Seule exception : « lorsque l'image est utilisée dans le cadre de l'exercice de missions de service public ou à des fins culturelles, artistiques, pédagogiques, d'enseignement, de recherche, d'information et d'illustration de l'actualité ».
C’est un décret qui s’est vu chargé de définir précisément les modalités d’application de cette disposition.
L’ordonnance du 27 avril 2017 relative aux immeubles et objets mobiliers classés ou inscrits au titre des monuments historiques a cependant changé ce calendrier. Formellement, elle a déplacé cette disposition à l’article 621 - 38 du même code.
Mais surtout, elle a programmé son entrée en vigueur à une date fixée par le fameux décret et au plus tard le 1er janvier 2018. Le texte prévoit enfin que « les demandes déposées et les procédures engagées avant cette date demeurent régies par les dispositions antérieures ».
« Une menace mortelle » selon Lionel Maurel
C’est dans ce contexte que s’inscrit la QPC déposée victorieusement par la Quadrature du Net et Wikimédia France.
Les deux entités considèrent en effet que le régime initial porte atteinte à la liberté d'entreprendre et au droit de propriété. Il serait même, selon les requérants, frappé d’incompétence négative, le législateur n’ayant pas défini suffisamment précisément les détails, laissant à l'exécutif une trop vaste marge d'appréciation.
« Il y a une atteinte au domaine public au sens de la propriété intellectuelle, avec injection d’un droit à l’image » nous explique en ce sens Lionel Maurel (Calimaq). Pour le membre du Conseil d'orientation stratégique de la Quadrature du Net, en effet, ce dispositif porte une atteinte au droit d’accès à la culture. Celui-ci y voit même une « menace mortelle qui risque de neutraliser le domaine public, avec le danger de voir ce processus dangereux s’étendre ».
Et pour cause, en soumettant les photos du domaine public à un droit d’autorisation et au paiement d’une redevance, c’est l’ensemble des licences libres attachées à ces représentations qui est affecté, outre leurs partages sur les réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter, actes qui pourraient être considérés comme des utilisations commerciales.
Le Conseil constitutionnel a désormais trois mois pour rendre son importante décision.
Commentaires (52)
#1
Je suis sans doute bête mais je ne vois pas le problème. Si c’est pour faire de l’argent : redevance car on tire un profit de l’image d’un bien public si c’est pour une but pédagogique, artistique, informatif, … alors l’utilisation est libre.
ça me semble de bon sens. Un bien du domaine public c’est pas la fête du slip, ce n’est pas parce qu’il appartient à la nation (à sa population) qu’on peut en faire ce qu’on veut.
#2
Mon fond d’écran actuel est une photo que j’ai prise d’une barque (bien privé) posée sur une plage du littoral français (domaine public). A l’horizon, on aperçoit les côtes anglaises (domaine public étranger bientôt hors communauté européenne).
Est-ce que je risque la prison ? " />
#3
justement, le problème c’est le flou “faire de l’argent” : wikipedia fonctionne sur une base de dons, est-ce qu’ils “font de l’argent” ? en l’état actuel des textes on peut considérer que oui. Un site avec le moindre centime de revenu (même si ça ne couvre pas l’hébergement) va être considéré comme “faisant de l’argent”, tu trouves ça normal ?
la constitution est supposée nous garantir que les lois ne sont pas sujettes à interprétation et que les textes ne doivent pas laisser de flou ou de portes ouvertes et là c’est le cas : le texte ne précise pas dans quelles conditions il doit s’appliquer, il précise juste dans quelles absence de conditions il ne doit pas s’appliquer …
#4
Attention, si le bien n’est pas dans le domaine public, on ne paye aucunement des sous au propriétaire du domaine, mais à l’architecte/artiste et ses ayant-droits.
« ce n’est pas parce que ça appartient à la nation qu’on peut en faire ce qu’on veut »
mais c’est le cas, il est interdit d’aller déverser ses ordures dans le château de Versailles ou d’uriner sur les murs de l’Élysée. Propriété physique != droit d’auteur sur les reproductions.
#5
Cela se tient comme raisonnement, mais :
La France est un pays de tourisme et une grande partie du revenu des bâtiments publiques en question viennent de là. Dans la définition, une agence de voyage devrait payer une redevance pour faire de la publicité pour un voyage pendant lequel une visite serait prévue sur un site public.
Quid d’un photographe professionnel ? (Si les photos sont vendus, on sort de l’artistique au sens légal).
La problématique est claire, ils cherchent à monétiser la publicité gratuite qui est faite de leurs biens. La publicité Kronembourg dont on parle fait étal de la bière mais d’une vue magnifique du château sous le terme “Le goût à la Française”.
C’est une publicité gratuite pour le château.
#6
#7
#8
Le mémoire LQDN/Wikimédia dispo ici
#9
Perso, je vois un problème : les ouvrages d’art ancienns comme le Château de Versailles ou de Chambord sont dans le domaine public parce que leurs créateurs sont morts depuis plus de 70 ans. Je ne vois pas pourquoi on appliquerait une règle différente sur l’aspect propriété intellectuelle. Cela pourrait entraîner une dérive sur d’autres œuvres pour le plus grand plaisir de nos chers ayants-droit.
#10
« Il y a une atteinte au domaine public au sens de la propriété intellectuelle, avec injection d’un droit à l’image » nous explique en ce sens Lionel Morel (Calimaq)
Il faudrait peut-être présenter cette personne pour donner de la crédibilité à son propos. Au début on parle de Wikimédia France et La Quadrature, puis de lui alors qu’on ne sait pas qui c’est " /> (j’ai été voir mais il faudrait le mettre dans l’article).
#11
on le voit (si…cette loi passe) ce sera une véritable usine–à-gaz
y-aura de nombreux cas (particuliers) où ils auront-du-mal à l’appliquer !!!
(ils vont aux devants “d’ennuis”= QPC)
#12
Le législateur a même précisé que cette autorisation peut être assortie de conditions financières, et donc du paiement d’une redevance. Seule exception : « lorsque l’image est utilisée dans le cadre de l’exercice de missions de service public ou à des fins culturelles, artistiques, pédagogiques, d’enseignement, de recherche, d’information et d’illustration de l’actualité ».
La recherche du meilleur houblon, ce n’est pas une exception valable ? " />
#13
#14
#15
#16
Pour moi la réponse est extrêmement simple. Que ce soit un part un lac, un bâtiment, même une œuvre d’art. A partir du moment que c’est visible du domaine publique et bien on ne peut pas en empêcher l’usage ni commercial, ni non commercial. Point.
Sinon dans le sens du raisonnement débile, qu’est-ce qui empêcherait VINCI de demander des sous à ING ? Cette institut photographie bien des biens immobiliers (les autoroutes) pour en faire un usage commercial ?
#17
Et moi, j’ai mis 2 n à la fin d’anciens ! " />
#18
#19
#20
#21
Normalement, en droit français, ce sont les héritiers qui conservent les droits moraux, on dira ici que ce sont ceux des architectes.
#22
Pour wikimedia, le but pédagogique ou d’information me semble assez clair.
En revanche, les brochures d’agences de voyages avec des photos de château de Chambord, là c’est clair que c’est de l’exploitation commerciale ! Eux ils vont casquer ?
#23
#24
#25
Si j’ai utilisé le pluriel, c’est qu’il y en a eu plusieurs vu la durée de construction. Voir Wikipedia pour plus d’infos.
Édit : oui, le droit était différent, la notion de droit d’auteur étant relativement récente. Donc, on ne devrait même pas poser la notion de droits moraux ici.
#26
#27
#28
C’est le problème quand on réagit sans avoir tout lu " /> " />
#29
Euh, quand on écrit 2 fois Kronembourg, … " />
(J’ai signalé par le moyen approprié, mais là, je suis obligé de taquiner " />)
#30
#31
Je dis pas une petite fischer surtout la nouveauté de l’année la triple " /> ou une amstel mais la krö c’est bon pour faire des panachés " />
#32
ce serait (plus) logique comme orthographe :
“devant un B ..on met un M ” (concombre, tambour, timbale, etc…), mais bon !!! " />
#33
L’alsacien, ce n’est pas du français donc il a ses règles propres. En plus, le K vient du rattachement de l’Alsace-Lorraine à l’Empire allemand de 1871 à 1919, avant, c’était un C.
#34
Pour la NSA, c’est inutile. Ils sont déjà au courant, m’enfin ! " />
#35
ok !
#36
#37
à Straßburg il y a le quartier de Cronenbourg
https://fr.mappy.com/#/4/M2/TSearch/SCronenbourg+(Quartier)%2C+67200+Strasbourg/">N151.12061,6.11309,7.70916,48.59382/Z16/
avec même une brasserie à une époque
#38
Le nom vient justement de là.
#39
#40
#41
#42
#43
merci de la précision " />
C’est donc utile de différencier droit patrimonial et droit moral (non ?)
#44
Oui mais pas le droit moral. C’est de cela qu’on parlait.
#45
#46
J’ai vu : je lis toujours le commentaire 42 " />
#47
#48
Si tu es sûr de toi et que tu as des sources pour le K, va changer l’article de wikipedia.
#49
#50
#51
#52
Reprise - erreur de validation.
Toutefois, le nouveau code du patrimoine
qui sera applicable au 1er janvier 2018, dispose à l’article 621-37 : “La gestion des domaines nationaux est exercée dans le respect de l’ordre public et de la dignité humaine.” Aussi, il me
semble que cet article vise à transposer et à élargir la jurisprudence “l’Hôtel de Girancourt” , à ces domaines relevant du droit administratif.
En effet, la notion “d’ordre public” est assez large, selon les interprétations extensives du Conseil d’Etat et du Conseil constitutionnel, elle va bien au-delà des trois facettes traditionnelles : Tranquillité, Sécurité et Salubrité.
Cette notion correspond, pour le Conseil d’Etat « à un socle minimal d’exigences réciproques et de garanties essentielles de la vie en société, qui, comme par exemple le respect du pluralisme, sont à ce point fondamentales qu’elles conditionnent l’exercice des autres libertés, et qu’elles imposent d’écarter, si nécessaire, les effets de certains actes guidés par la volonté individuelle ». Il s’agirait « d’exigences fondamentales du contrat social, implicites et permanentes » .
Aussi, le Conseil constitutionnel, puis le Conseil d’Etat, pourraient interdire certaines (ré)utilisations de ces images sur le fondement de l’atteinte à l’ordre public. Par conséquent, la mobilisation de cette notion de droit public serait une façon pour l’Etat d’exercer les prérogatives “d’ordre intellectuel et moral” reconnues aux seules personnes physiques créatrices et leurs ayants-causes (héritiers) par l’article L.121-1 du code de la propriété intellectuelle.