Les occasions manquées du Parlement européen face à Mark Zuckerberg
Échec critique
Le 24 mai 2018 à 07h53
8 min
Droit
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Mardi soir, Mark Zuckerberg apparaissait devant des eurodéputés pour répondre à de nombreuses questions. Décevante sur le fond, cette conférence a surtout montré les dysfonctionnements du Parlement européen, dont Facebook a profité.
L'issue surprend peu, mais elle déçoit. Pendant plus d'une heure, Mark Zuckerberg a rencontré les présidents des groupes du Parlement européen. Alors qu'il était sorti sans égratignure de sa double journée au Congrès américain, ce passage devant les parlementaires européens était censé être un exercice plus difficile, la vie privée étant un sujet autrement plus sensible sur le Vieux Continent.
Le scandale Cambridge Analytica (voir notre analyse), qui a remis en cause les discours naïfs de Facebook ces dernières semaines, et l'entrée en application du Règlement général sur la protection des données (RGPD) le 25 mai, étaient un terreau idéal pour obtenir plus de réponses de la société. Si Mark Zuckerberg ne répondait pas dans ce contexte, jamais il ne l'aurait fait.
Las, cette conférence a été l'occasion pour le PDG du réseau social de répéter son discours rodé devant le Congrès américain. La société a commis des erreurs sur la vie privée, de nombreuses mesures ont été prises, un grand ménage de printemps serait en cours parmi les vieilles applications et la plateforme mesurerait (enfin) son rôle démocratique, luttant désormais contre la désinformation et la diffusion de contenus terroristes. Avec l'aide de l'intelligence artificielle.
Zuckerberg a donc réitéré ses excuses et annoncé une seule vraie nouveauté : une future fonction de nettoyage d'historique, calquée sur celle des navigateurs web. Elle permettra ainsi de voir les informations reçues par Facebook des sites et applications, de nettoyer ces informations du compte et de couper la collecte de ces informations par la suite, promet le PDG. Pour le reste, il a pu esquiver sans difficulté les questions les plus difficiles, aidé par les parlementaires eux-mêmes.
Front uni des eurodéputés, tirant tous azimuts
Les grandes promesses introductives de Facebook n'avaient pas suffi aux présidents de groupes, bien conscients qu'ils devaient marquer le coup. Dans un long tunnel de 45 minutes, ils ont assailli Mark Zuckerberg de dizaines de questions, selon un format décidé à l'avance. En principe, trois minutes chacun. Dans la pratique, une limite dépassée dans des réquisitoires qui n'amenaient pour certains pas de réponses.
Tous les sujets y sont passés. Manfred Weber, président du groupe EPP, qui représente la droite européenne propose de casser le monopole de Facebook. Udo Bullman, président des Socialistes et démocrates (groupe S&D), a pressé la société sur la réalité de la suppression des données personnelles et la hausse de la part des faux comptes, de 2 - 3 % l'an dernier à 3 - 4 % au premier trimestre (Facebook a déclaré avoir supprimé 580 millions de faux comptes en trois mois).
Le représentant des Conservateurs et réformistes européens, Syed Kamall, s'est lui inquiété de la collecte de données sur les internautes non inscrits, et de la possibilité pour eux de consulter ces informations. Si Facebook se dit en droit de collecter ces informations, par sécurité, l'eurodéputé l'a attaquée sur le plan moral... alors que le groupe a déjà été sanctionné par les CNIL espagnole et française pour son appétit en matière de cookies sur les sites tiers.
Guy Verhofstadt, président de l'Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe, a sûrement été le plus virulent. Il a questionné la capacité même de Zuckerberg à régler les causes des dysfonctionnements de son entreprise. Il a demandé si une régulation supplémentaire est nécessaire, à l'instar des banques en 2007 - 2008. Il a aussi pointé le transfert des données des Européens hors de l'UE, violant le RGPD et la directive de 1996 sur les données personnelles. Un problème d'autant plus grave pour les non-inscrits.
« Vous vous êtes excusés 15 ou 16 fois sur la dernière décennie. Chaque année, vous avez un nouveau problème, ou malfaçon sur Facebook et vous devez regarder la réalité, vous excuser et promettre de le réparer. L'an dernier, vous vous êtes excusé deux fois. Cette année, c'est trois fois, et nous ne sommes qu'en mai ! » a ironisé l'ancien premier ministre belge.
Nigel Farage a demandé, pour sa part, si Facebook était une plateforme neutre pour toutes les idées, alors que Facebook se défend régulièrement de modérer les publications en fonction de critères politiques. Le fondateur du parti pour l'indépendance du Royaume-Uni s'est plaint d'une baisse de trafic des messages de droite ou centristes.
Une intervention en miroir de celle de Ted Cruz au Sénat américain, suivie par celle de Nicolas Bay (vice-président du Front national), attaquant Zuckerberg sur la suppression de la page de Génération identitaire après son action anti-migrants dans les Alpes. Une mesure qualifiée de « totalitaire ».
De nombreux autres points ont été abordés, comme l'exclusion des données des non inscrits d'une exploitation marketing, ou encore ce que signifie le respect « dans l'esprit » du RGPD hors d'Europe.
Already waiting for Zuck to arrive. Follow the hearing in the European Parliaments’ Conference of Presidents live from 18:15 CEST here: https://t.co/ZJ2jQMfmcf #Facebook #Zuckerberg #zuckerberghearing #DataProtection #Privacy #GDPR #PrivacyShield #EUdataP #QuestionsPrepared pic.twitter.com/GxRnWEqiXz
— Jan Philipp Albrecht (@JanAlbrecht) 22 mai 2018
Jour de gloire pour les eurodéputés spécialistes de la vie privée
Certains des derniers coups ont été portés par la commission des Libertés civiles et de la justice (LIBE). Son président Claude Moraes a rappelé que l'UE était bien plus sensible à la vie privée que les États-Unis. Il a surtout questionné l'approche de Facebook, demandant si les applications sont le principal problème en matière de protection des données ou la partie émergée d'un plus gros iceberg. Il a aussi réclamé le détail des garanties d'une meilleure analyse des applications.
Pour sa part, l'eurodéputé vert Jan Philipp Albrecht, également membre de la commission LIBE, a cherché de Zuckerberg la garantie de la fin des échanges d'informations entre Facebook et WhatsApp à compter de vendredi. Malheureusement, aucune réponse n'est venue.
Des questions, peu de réponses
Le format même de la rencontre n'appelait pas aux réponses. La droite européenne a d'abord demandé une tenue à huis clos, avant de céder à la pression du public. Le tunnel de questions serait bien le choix d'Antonio Tajani, le président du Parlement européen, soutenu par la droite, comme il l'a déclaré dans une conférence de presse. Il n'a eu de cesse de déclarer sa joie de recevoir Mark Zuckerberg.
Il a même semblé avoir couvé son invité face aux parlementaires. Aucun contrôle du temps de parole des eurodéputés, voire de modération, n'a été appliquée par Tajani. Dans la réunion des présidents, où se retrouvent habituellement les acteurs de cette audition, c'est bien à lui de réguler la parole, comme l'indique le règlement intérieur (article 162). Cette liberté entière laissée aux députés serait donc un choix et non une contrainte.
L'audition censée finir à 19h30 s'est terminée vers 19h45, après une demi-heure de réponses de Zuckerberg. Toujours sur la défensive, il a pu sélectionner les questions qui l'intéressaient. Les dizaines d'interrogations lancées recoupant les mêmes thèmes, le patron de Facebook a pu se contenter de réponses générales.
À la fin de la conférence, après avoir répondu aux questions les plus larges, le PDG de Facebook a demandé à partir, s'inquiétant du quart d'heure de retard sur son planning. « Je pense avoir répondu aux principales questions » a-t-il justifié.
Plusieurs députés s'en sont insurgés, à l'image de Philippe Lamberts, mécontent qu'aucune de ses six questions n'ait reçu de réponse. Jan Philipp Albrecht a réclamé des précisions sur la séparation des services (Facebook, Instagram et WhatsApp), avant qu'Antonio Tajani ne reprenne la parole pour clore la conférence.
Comme d'habitude, Mark Zuckerberg a promis des réponses écrites, garantissant que celles-ci arriveront devant l'insistance des eurodéputés. Les députés verts le prendront au mot, assurent-ils.
« Zuckerberg n'a pas répondu à bien des questions, et les quelques réponses entendues étaient décevantes. Il est inconcevable que, de toutes les entreprises, Facebook ne soit apparemment pas prête à l'ouverture sur ce sujet » a regretté Udo Bullman (S&D) dans un communiqué. L'EPP compte désormais des actions concrètes après cette audition, que le groupe estime aussi décevante.
Les occasions manquées du Parlement européen face à Mark Zuckerberg
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Front uni des eurodéputés, tirant tous azimuts
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Des questions, peu de réponses
Commentaires (23)
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Abonnez-vousLe 24/05/2018 à 11h22
La seule bonne question à se poser :
Les différentes affaires concernant FB ont-elles eu un impact sur le nombre d’utilisateurs ?
Il semblerait que non…
A partir de là je ne vois pas pourquoi M.Z devrait se prendre la tête.
Comme disait Coluche : “Il suffirait que les gens n’en achètent plus pour que ça ne se vende pas”… " />
Le 24/05/2018 à 11h38
Le 24/05/2018 à 11h43
Le 24/05/2018 à 12h34
Nul doute que pour beaucoup de gens c’est bien comme une drogue et ne serait-ce qu’une journée sans FB c’est tout simplement impensable. " />
Le 24/05/2018 à 14h18
“La transparence c’est bon pour les autres, enfin ceux dont on exploite les données à caractère perso., pas pour nous.
Merci d’être venus, je file à l’Élysée, non pas pour annoncer des trucs et régler mes impôts, ni même confirmer qu’on installera bien un truc FB sur l’IA en France, mais juste pour glander sur la photo et boire un coup!”.
Le 25/05/2018 à 01h59
« Zuckerberg n’a pas répondu à bien des questions, et les quelques réponses entendues étaient décevantes. Il est inconcevable que, de toutes les entreprises, Facebook ne soit apparemment pas prête à l’ouverture sur ce sujet » a regretté Udo Bullman
Pauvre Udo qui pense que tout lui est du sans doute..
Il n’a pas compris que Marc Zuckerberg n’etait pas oblige de faire l’effort de venir discuter avec des clowns et qu’il avait peut-etre autre chose a faire que perdre tout son temps…
Le 25/05/2018 à 09h54
Il n’a pas compris que Marc Zuckerberg n’etait pas oblige de faire l’effort de venir discuter avec
des clowns…
c’est sur, que maintenant que la Justice US l’a déclarer “innocent”, il se “sent tout léger le M. Z.” !!! " />
Le 27/05/2018 à 22h11
Le 29/05/2018 à 09h28
[quote:6022474:kevinz]
Je ne savais pas qu’il était soupçonne de quoique ce soit " />
c’ est vrai que d ans la New ils utilisent d’autres mots, mais bon….!
Alors qu’il était sorti sans égratignure de sa double journée au Congrès américain,
Le 24/05/2018 à 08h01
J’ai regardé très rapidement un morceau de son passage… Il est aussi inquiétant que l’usage qui est fait de Facebook et les fuites de données.
Il a vraiment encore quelque chose d’humain ?
Déjà son passage au Congrès, qui a vu sortir tout un tas de GIF, donnait le droit de s’interroger. Mais là… j’ai vraiment du mal à y voir quoi que ce soit d’humain dans ses réactions et sa froideur.
Et du coup énormément de mal à faire confiance à ses dires (si cela est possible).
Le 24/05/2018 à 08h26
Le 24/05/2018 à 08h28
Il doit être dans le contrôle à fond aussi. Le mec est assis sur un tas d’or et les éventuelles erreurs risquent de tout faire péter.
Le 24/05/2018 à 08h38
C’est un buisness man. Il est d’abord là pour défendre et protéger sa boîte. Il sait bien que moins il prend d’engagement mieux il se porte. Surtout concernant tous ce qui pourrait entraver le flux d’or numérique (data mining) dans sa direction.
Le 24/05/2018 à 09h19
Une farce grotesque, qui démontre une nouvelle fois toute l’efficacité de la construction européenne.
Les GAFAM en rient encore.
Le 24/05/2018 à 09h32
Le 24/05/2018 à 09h40
Bon à savoir :
Passé 15min de retard au planning, vous pouvez partir (hors de question de rater la soirée domino avec tata Jeannine !)
Ne pas hésiter à employer cette méthode lors de vos diverses convocations au/à la :
- …
Le 24/05/2018 à 09h43
J’ai particulièrement aimé les réponses de Zuckerberg en Grande Bretagne. Preuve de l’inutilité de l’UE.
On notera d’ailleurs que Farage s’est plaint à Facebook grâce à l’UE.
Par contre y’a bien des leçons a en tiré. Les GAFAM se sentent au dessus des pays. Seules les Unions tels que les USA et l’UE leurs font peur.
Toutefois l’UE n’était pas assez préparé, ni ordonné. Au USA c’est un peu mieux mais pas non plus beaucoup mieux.
Et derrière aucune mesure concrète…
Le 24/05/2018 à 09h56
La fameuse règle des cinq minutes quand le prof n’est pas là. " />
Le 24/05/2018 à 09h57
Les politiques parlent des conséquences (“Chaque année, vous avez un nouveau problème, ou malfaçon sur Facebook”), mais surtout jamais des causes (le modèle économique de Facebook est de violer la vie privée qui fait parti des Droits de l’Homme), c’est la meilleur chance de ne jamais régler les problèmes " />
Le 24/05/2018 à 10h00
L’européen qui fait le plus mal à Facebook n’était pas là, Zuckerberg ne risquait rien. L’autrichien Max Schrems a été plus efficace que les CNIL européennes (chargé de nous protéger), mettant le doigt là où cela fait mal et obligeant les politiques à agir sur le sujet.
Il aurait été là, les questions auraient beaucoup plus intéressante.
Le 24/05/2018 à 10h56
Un coup d’épée dans l’eau comme on s’y attendait, surtout après comment ça c’est passé face au congrès US.
Quelqu’un aura-t-il le bollocks pour sanctionner vraiment cette entreprise et toutes celles qui comme elles se moquent ouvertement des états, de leurs citoyens et de leurs utilisateurs ? On connait tous la réponse
Le 24/05/2018 à 11h03
Le 24/05/2018 à 11h14
Je viens de lire l’article et la première chose qui me vient à l’esprit, vis-a-vis de l’audition, c’est : Tout ça, pour ça !?