Pour le Conseil d’État, #BigBrotherBercy est un cavalier budgétaire
Une collecte cavalière
Le 06 novembre 2019 à 17h11
4 min
Droit
Droit
À l’aide du projet de loi de finances, Bercy et les Douanes souhaitent pouvoir chaluter les réseaux sociaux et les sites de ventes en ligne tel le Bon Coin pour dénicher des indices de fraudes ou commerce illicite. Le Conseil d’État a dénoncé toutefois un cavalier législatif, dans son avis révélé par Next INpact.
La presse ne s’est pas beaucoup penchée sur l’article 57 du « PLF » pour 2020. Le texte va pourtant autoriser ces deux administrations à collecter en masse les informations publiques sur Facebook, Twitter, Le Bon Coin, les marketplaces, et autres sites analogues.
L’enjeu ? Aspirer un maximum de données qui viendront nourrir ensuite des algorithmes auto-apprenants pour détecter des traces de fraudes puis d’ouvrir au besoin une enquête ciblée sur les personnes en cause. La CNIL a déjà tiré la sonnette d’alarme. Elle dénonce un dispositif disproportionné puisqu’en pratique, les photos, textes, vidéos de dizaines de millions de personnes vont pouvoir être aspirés par le fisc et les Douanes avant passage au « data mining ».
Elle considère que des données sensibles pourront tomber dans les filets à cette occasion, comme les opinions politiques ou les orientations sexuelles. Autre crainte, celle d’une atteinte à la liberté d’information et d’expression. Se sachant surveillés, les internautes pourraient en effet modifier leurs comportements en ligne, à l’instar de ce que la commission a signalé à la ville de Saint-Étienne.
Un texte pouvant relever du pouvoir règlementaire
En commission des lois, quelques amendements portés par le rapporteur Philippe Latombe (MoDem) ont été adoptés pour encadrer ces aspirations. Saisie pour avis, elle suggère d’interdire la sous-traitance pour éviter que ces données soient collectées puis traitées par une société privée, par exemple américaine.
Un document avait toutefois été jalousement conservé par le gouvernement : l’avis du Conseil d’État que nous reproduisons ci-dessous. Ce 20 septembre dernier, soit quelques jours après l'avis de la CNIL, la section des finances ne montre pas vraiment la même sensibilité que l’autorité indépendante sur la question des données personnelles.
Elle indique ne pas avoir relevé « à ce stade, de risque sérieux d’atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution au regard des finalités poursuivies et des principes généraux du dispositif envisagé ». Toujours selon cette branche spécialisée dans le domaine budgétaire, la collecte de masse, pourtant épinglée par la CNIL, engendre si peu de risque que le gouvernement pourrait se satisfaire d’un décret en Conseil d’État.
De fait, la prévalence du règlement général sur la protection des données (RGPD), conjugué à la loi de 1978 Informatique et Libertés, serait suffisante pour encadrer le mécanisme.
Un cavalier législatif
Un point plus sensible est cependant soulevé par la haute juridiction. Selon son constat, ces dispositions du projet de loi de finances (inscrites à l’article 57, numéroté F9 dans l’avant-projet) « se bornent à autoriser la collecte et l’exploitation de données au moyen d’un traitement automatisé par les administrations fiscale et douanière, sans doter celle-ci de prérogatives spécifiques, ni créer de procédures nouvelles de contrôle ou de recouvrement ».
Conclusion de cette instance spécialisée : « ces dispositions, qui ne concernent ni les ressources ni les charges de l’État et ne sont pas davantage relatives à l’assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toute nature qui n’affectent pas l’équilibre budgétaire, ne relèvent pas du domaine de la loi de finances ».
Cette prose ne doit rien au hasard. Selon la loi organique de 2001, « les lois de finances déterminent, pour un exercice, la nature, le montant et l'affectation des ressources et des charges de l'État, ainsi que l'équilibre budgétaire et financier qui en résulte. Elles tiennent compte d'un équilibre économique défini, ainsi que des objectifs et des résultats des programmes qu'elles déterminent ».
En d’autres termes, la section spécialisée y voit un véritable cavalier législatif qui n’a rien à faire dans le projet de loi de finances. Comme le texte passera inévitablement devant le Conseil constitutionnel, celui-ci devrait trancher cette question lorsque viendra le temps du contrôle.
Pour le Conseil d’État, #BigBrotherBercy est un cavalier budgétaire
-
Un texte pouvant relever du pouvoir règlementaire
-
Un cavalier législatif
Commentaires (18)
Vous devez être abonné pour pouvoir commenter.
Déjà abonné ? Se connecter
Abonnez-vousLe 06/11/2019 à 18h00
Etouffer l’avis du Conseil d’Etat du 20 septembre 2019 qui clairement remet en cause le véhicule pour faire passer ce texte, mais continuer à faire de la mousse dans les médias dessus tout en sachant qu’il ne passera pas le state du Conseil Constitutionnel s’il est adopté.
C’est un concept … " />
Le 06/11/2019 à 18h13
Le 06/11/2019 à 18h17
Le 06/11/2019 à 18h19
Le 06/11/2019 à 18h29
Le 06/11/2019 à 19h10
Quel est l’enjeu, puisque le cavalier risque d’être rejeté ? Lancer une réforme constitutionnelle ? Tenter le coup, et, le cas échéant, préparer une nouvelle loi distincte, expliquant que celle-ci avait déjà été votée précédemment, rejetée par le Conseil constitutionnel par pure forme, et que son adoption ne devrait être qu’une formalité ? Bref, faire de la politique politicienne afin d’empêcher les citoyens de prendre conscience qu’ils sont de plus en plus fliqués, et que leurs libertés, ici, la vie privée, sont grignotées en douce ?
Le 06/11/2019 à 19h41
Elle indique ne pas avoir relevé « à ce stade, de risque sérieux
d’atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution au regard
des finalités poursuivies et des principes généraux du dispositif
envisagé ».
Le 06/11/2019 à 20h01
Le premier cavalier de l’apocalypse moderne est en marche !
Le 06/11/2019 à 22h33
L’enjeu est sûrement qu’après, ils se serviront des médias à leur botte pour faire de la pédagog… euh pardon, pour informer les citoyens que le corps législatif ne peut pas disposer des moyens pour fliquer les riches fraudeurs.
Ainsi, il sera possible de réformer ce qui gène car l’opinion publique gobera ce mensonge éhonté. Ça passera d’autant mieux que les journalistes éviteront les questions de fond.
Comment ça, j’exagère ? " />
Le 07/11/2019 à 07h40
“Dans le système législatif français, on appelle cavalier législatif un article de loi qui porte sur des mesures qui n’ont rien à voir avec le sujet dont traite le projet ou la proposition de loi en cours de discussion.
Cette pratique répond à la tentation d’introduire des dispositions législatives sans susciter l’attention des éventuels opposants ou en l’absence des spécialistes du sujet.”
http://www.toupie.org/Dictionnaire/Cavalier_legislatif.htm
Le 07/11/2019 à 07h40
Le 07/11/2019 à 11h19
Pour le coup, comme les données personnelles seront collectés sur des réseaux sociaux publics, on peut s’accorder avec le conseil d’États pour considérer que le risque de fuite de données n’est pas nécessairement le plus patent.
Le 07/11/2019 à 11h44
Le 07/11/2019 à 14h10
quelle époque de merde
Le 07/11/2019 à 19h00
C’est la lecture du conseil d’état, le conseil constitutionnel peut avoir une lecture plus permissive en estimant par exemple que la lute contre la fraude fiscale permet à l’état d’assurer au mieux la collecte de l’impôt.
Le 07/11/2019 à 21h09
Le 08/11/2019 à 07h42
Le 08/11/2019 à 10h05