#BigBrotherBercy validé par le Conseil constitutionnel, après censure partielle
Prochaine étape, la CEDH ?
Le 27 décembre 2019 à 20h57
6 min
Droit
Droit
C’était le dernier recours interne avant déploiement effectif. Le Conseil constitutionnel a finalement validé la collecte de masse voulue par Bercy et les douanes. Seule une disposition accessoire a été censurée, mais le cœur de cette nouveauté est bel et bien sauvegardé.
Les saisines de 60 députés (LR, PS/FI), celle de 60 sénateurs (LR), les courriers adressés par la Quadrature du Net ou les autres contributions extérieures n’y auront rien fait. Les neuf Sages n’ont pas partagé les craintes des adversaires de ce système d’une ampleur inédite : #BigBrotherBercy est conforme à la Constitution.
Programmé par la loi de finances pour 2020 dans le cadre d’une expérimentation de trois ans, cet aspirateur a pour mission de collecter en son ventre les données ouvertes sur les réseaux sociaux, les plateformes de vente ou tous les sites de mises en relation. L’étape suivante ? Un traitement automatisé pour détecter des traces ou indices de fraudes, comme les ventes illicites de produits (drogue, tabac) ou encore les fausses domiciliations à l’étranger.
Contrairement au Conseil d’État, le Conseil constitutionnel n’a pas vu de cavalier budgétaire dans ce processus en gestation législative. La juridiction administrative, dans son avis révélé dans nos colonnes, estimait pourtant que « ces dispositions, qui ne concernent ni les ressources ni les charges de l’État et ne sont pas davantage relatives à l’assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toute nature qui n’affectent pas l’équilibre budgétaire, ne relèvent pas du domaine de la loi de finances ».
Pour les Sages, au contraire, cet article a « sa place dans une loi de finances » puisque selon l’article 34 de la Constitution, la loi de finances de l'année peut comporter "des dispositions relatives à l'assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toute nature qui n'affectent pas l'équilibre budgétaire" ». Or ici, il s’agit de « doter les administrations fiscale et douanière d'un nouveau dispositif de contrôle pour le recouvrement de l'impôt ».
Atteintes proportionnées à la vie privée, à la liberté de communication et d'expression
Dans sa décision, le Conseil constitutionnel relève que Big Brother Bercy permettra « d'une part, de collecter de façon indifférenciée d'importants volumes de données, relatives à un grand nombre de personnes, publiées sur de tels sites et, d'autre part, d'exploiter ces données, en les agrégeant et en opérant des recoupements et des corrélations entre elles ».
Même si les données sont rendues publiques par les personnes concernées, il y a atteinte à la vie privée. Et « dans la mesure où elles sont susceptibles de dissuader d'utiliser de tels services ou de conduire à en limiter l'utilisation, [les dispositions contestées] portent également atteinte à l'exercice de la liberté d'expression et de communication ».
Cependant, ceci posé, le conseil considère que l'atteinte n’est pas déséquilibrée, ou insupportable face à l’objectif de lutte contre les infractions fiscales et douanières. Et celui-ci de dresser la liste des garanties prévues par le législateur après d'intenses débats :
- Le mécanisme est ciblé sur certaines infractions.
- Le cas des domiciliations frauduleuses à l’étranger est « particulièrement difficile à déceler ».
- Les seules données exploitées sont celles « librement accessibles » sur les plateformes, « à l'exclusion donc des contenus accessibles seulement après saisie d'un mot de passe ou après inscription sur le site en cause ».
- Les contenus « doivent être manifestement rendus publics par les utilisateurs de ces sites » et donc délibérément divulgués par eux.
- Il n’y a pas de système de reconnaissance faciale.
- Seuls des agents disposant au moins du grade de contrôleur et spécialement habilités peuvent mettre en œuvre cette collecte.
- La collecte, le traitement et la conservation ne peuvent être confiés à un sous-traitant de l'administration, contrairement à la conception des outils de traitement.
- Les données manifestement sans lien avec les infractions recherchées et les données sensibles (comme les opinions politiques ou religieuses) devront être supprimées dans les 5 jours.
- Les autres données inutiles seront supprimées dans les 30 jours.
- Aucune procédure pénale, fiscale ou douanière ne sera engagée sur la seule base des fruits de cette collecte. Il faudra impérativement « appréciation individuelle de la situation de la personne par l'administration ».
- Les internautes bénéficieront « des garanties relatives à l'accès aux données, à la rectification et à l'effacement de ces données ainsi qu'à la limitation de leur traitement ». Seul le droit d’opposition leur sera refusé.
- Enfin, le pouvoir réglementaire, sous le contrôle du juge, devra « veiller à ce que les algorithmes utilisés par ces traitements ne permettent de collecter, d'exploiter et de conserver que les données strictement nécessaires à ces finalités ».
Au final, le Conseil constitutionnel valide donc cette collecte de masse qui va pouvoir débuter en France durant les trois prochaines années.
Une disposition censurée, des vannes ouvertes
Seule une disposition périmétrique a été censurée. Celle permettant de déployer ces algorithmes pour la recherche d’un manquement particulier : le défaut ou le retard de production d'une déclaration fiscale dans les trente jours suivant la réception d'une mise en demeure. Une indélicatesse sanctionnée par une majoration de 40 % des droits dûs.
« Dans une telle situation, l'administration, qui a mis en demeure le contribuable de produire sa déclaration, a déjà connaissance d'une infraction à la loi fiscale, sans avoir besoin de recourir au dispositif automatisé de collecte de données personnelles » souligne le Conseil constitutionnel. Cette fois donc, l’atteinte au respect de la vie privée et à la liberté d'expression et de communication n’est plus proportionnée au but poursuivi.
Exceptée cette petite gifle constitutionnelle, les vannes sont désormais bien ouvertes. Aujourd'hui taillés pour traquer des infractions spécifiques en matière fiscale ou douanières, demain les algorithmes pourront être déclinés à toutes les sauces, notamment pour détecter d'éventuelles contrariétés aux prestations sociales.
#BigBrotherBercy validé par le Conseil constitutionnel, après censure partielle
-
Atteintes proportionnées à la vie privée, à la liberté de communication et d'expression
-
Une disposition censurée, des vannes ouvertes
Commentaires (39)
Vous devez être abonné pour pouvoir commenter.
Déjà abonné ? Se connecter
Abonnez-vousLe 31/12/2019 à 09h07
HS
ça parait bizarre….mais on croirait que les vitres des 3 premières fenêtres sont cassées
(par effet d’optique) on ne voit pas ‘le reflet du ciel’ comme sur les 2 dernières ! " />
HS
Le 31/12/2019 à 10h49
Il ce passe quoi si demain je prend des thunes en photo dans la rue et que j’incruste dedans avec photoshop et que je publique sur fb ?
Le 31/12/2019 à 13h49
Simple ! Tu vas avoir un contrôle fiscal ! J’en est eu un suite à un mec qui abusé dans mon ancienne boite et du coup ils ont contrôlés tout le monde de la boite…
Si ils ont un doute sur un éléments c’est simple : Ils annulent tout ce que tu as déclaré sur les 5 dernières années, t’envoie un courrier en te demandant de payer la différence qui est une belle sommes bien rondelette généralement quand tu est imposable. De là c’est à toi de monter le dossier pour prouver que ce que tu as déclaré pendant les 5 dernières années sont juste avec les preuves évidement.
Surtout n’espère pas avoir d’échanges par mail/téléphone/RDV avec ton contrôleur pour discuter avec lui c’est pas possible " />
Un conseil : Évite, c’est chiant et usant :P
Le 31/12/2019 à 14h21
Il faut voir le bon côté des choses: il y aura peut-être moins de vantars en soif de reconnaisance qui épancheront leur vie privée virtuelle en public sur Internet. Mécaniquement, la qualité des contenus pourrait progresser (soyons positifs pour 2020). " />
Le 31/12/2019 à 15h51
Le 01/01/2020 à 10h29
Le 27/12/2019 à 21h52
Euh, non c’est pas un procès, on en est à la validation de la création du dispositif dans la loi. Par contre je sais pas comment ça peut être attaqué devant le CEDH avant que ça soit mis en application, c’est quoi la procédure ?
Le 27/12/2019 à 22h14
Sinon, sur le fond, il reste surtout la non conformité au RGPD puisqu’il y a détournement des données traitées par Bercy alors que ce traitement (la collecte et ensuite l’analyse) n’a pas été prévu par les différentes plateformes sur lesquelles ces données vont être collectées. Ce devrait en faire un traitement illégal vis-à-vis du RGPD puisque la collecte de ces données personnelles par les plateformes n’a pas pour finalité la détection de fraude fiscale. Traiter ces données dans un cas non prévu dans les finalités rend le traitement illicite. Voir ici : Pour tous les autres traitements, le non-respect de la finalité rend de facto le traitement illicite.
Donc, la juridiction compétente (tribunal administratif puis conseil d’état ?) peut invalider ces traitements en s’appuyant sur le RGPD et sinon, il faudra bien aller jusqu’à la CEDH.
Par contre, il va peut-être être difficile de savoir qu’un redressement fiscal aura démarré à cause de ce traitement #BigBrotherBercy .
Remarque : la saisine des députés LR ne portait pas sur l’article 57 contrairement aux 2 autres.
Le 27/12/2019 à 22h20
Bah si, il faut qu’il y ait épuisement des recours internes avant la saisine de la CEDH.
Il faut donc d’abord avoir contesté ce traitement devant une juridiction nationale.
Le 28/12/2019 à 09h04
Aujourd’hui taillés pour traquer des infractions spécifiques en matière fiscale ou douanières, demain les algorithmes pourront être déclinés à toutes les sauces, notamment pour détecter d’éventuelles contrariétés aux prestations sociales.
J’ai du mal à comprendre la conclusion. Le Conseil Constitutionnel a validé e critère parce que la liste des infractions est bien délimitée et spécifique, mais vous parlez d’une extension annoncée pour d’autres recouvrements fiscaux.
Y a-t-il eu mensonge par omission ?
Le 28/12/2019 à 10h15
150€ d’amende si demain j’achète un paquet de clope au marché noir mais rien pour le vendeur.
Le 28/12/2019 à 12h34
Le 28/12/2019 à 12h49
« Pour que le délit de vente à la sauvette soit punissable, il faut qu’un arrêté municipal la prohibe sur le territoire communal concerné. Dans ce cas, la simple vente à la sauvette est punie de six mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende (article 4446-1 du Code pénal).
Sinon, la simple exploitation de la vente à la sauvette – le fait de toucher de l’argent d’un revendeur – est punie de trois ans d’emprisonnement et d’une amende de 45 000 euros.
Mais il peut y avoir aussi des circonstances aggravantes : quand le revendeur est un mineur ou s’il y a plusieurs revendeurs. Dans ce cas, la peine porte sur cinq ans d’emprisonnement et une amende de 75 000 euros. Plus grave : l’exploitation de la vente à la sauvette est punie de dix ans d’emprisonnement et de 1 million 500 000 euros lorsqu’ elle est commise en bande organisée. » (Le Monde duTabac)
Le 28/12/2019 à 13h07
Le 28/12/2019 à 14h42
à partir du moment où le Conseil constitutionnel admet le principe de la collecte de masse comme conforme à la Constitution, le “périmètre” de cette collecte de masse ne demande qu’à se développer. Le Conseil constitutionnel s’est prononcé spécifiquement sur une loi en particulier. La jurisprudence (l’ensemble des décisions judiciaires) évolue en permanence.
NB: Les principes constitutionnels sont limités par la loi (la règle). Cette dernière tient sa légitimité par une décision du “Peuple” représenté par ses élus (les Parlementaires).
Le 28/12/2019 à 15h28
Et quid pour les réseaux “décentralisés” type Mastodon/Diaspora ?
Le 28/12/2019 à 23h19
Même si les données sont rendues publiques par les personnes concernées, il y a atteinte à la vie privée.
Errr, il me semblait que tout ce qui était publié sur FB avec option “amis d’amis” ou “publique” était considéré comme ne bénéficiant plus des protections propres aux communications privées (diffamation/insultes/harcèlement), ce n’est plus d’actualité ou ça ne concerne que le civil? " />
Et « dans la mesure où elles sont susceptibles de dissuader d’utiliser de tels services ou de conduire à en limiter l’utilisation, [les dispositions contestées] portent également atteinte à l’exercice de la liberté d’expression et de communication ».
Hum, genre on peut se plaindre de ne pas pouvoir se vanter de ses conneries par crainte d’être attrapé ? Sans dec ? " />
Seul truc qui titillerait c’est la non-enquete et la non-présomption d’innocence mais on en est pas encore la n’est ce pas? " />(sinon un défilé de fake remplira surement le bouzin)
Le 29/12/2019 à 00h03
Quand ils parlent de “sites de mise en relation”, il s’agit des sites de rencontres ou c’est plus large ?
Le 29/12/2019 à 01h00
L’état pourra donc faire du Web Scraping comme n’importe quel script-kiddie ? C’est un scandale !
Autant j’ai confiance dans les script-kiddies, autant je me méfie de mon propre état.
#ironie #puissance1000
Le 29/12/2019 à 13h34
En même si les gens sont assez cons pour parader sur les RS…
Comme disait l’autre, le “pour vivre heureux, vivons cachés” n’a jamais été aussi vrai " />
Le 29/12/2019 à 14h21
Et bien, va te cacher, et paie tout en espèce, pour voir. Tu me fais rire.
Le 29/12/2019 à 15h19
Le 29/12/2019 à 16h55
C’est bien, alors restez bien caché. Bercy n’atteindra pas votre éminente furtivité.
Tu me trouves morose ? je te trouve prétentieux à te mirer dans la connerie d’autrui.
Le 29/12/2019 à 17h08
Le 29/12/2019 à 17h18
Dans le mal absolu, on avait les pédophiles, les terroristes, les nazis, les téléchargeurs, les zadistes-antinuke-OGM et gaz de schiste, on a désormais ajouté les fumeurs ! Je note …
(nota : je suis non fumeur)
Le 29/12/2019 à 17h23
Donc en gros, toutes les annonces du boncoincoin sont aspirées, et comme elles ont pour la plupart, un numéro de téléphone dont l’annuaire inversé intégral est déjà mis à disposition de l’État, Bercy va connaitre en temps réel toutes les transactions de particulier à particulier. Trop génial !
Le 29/12/2019 à 21h55
Étrange qu’aucun Bisounours n’ait encore prononcé la formule magique “Si t’as rien à cacher, blablabla” en commentaire.
" />
Le 29/12/2019 à 23h18
Le 29/12/2019 à 23h46
Le 29/12/2019 à 23h57
Le 30/12/2019 à 00h16
Le 30/12/2019 à 09h11
Allé c’est parti ! 2020 commence bien purée !
A force la France va réussir à faire passer la Chine et les autres pour des enfants de cœur " />
Je vais aller racheter une ancienne station de forage en eaux internationale histoire de parce que là à terme on va frôler la puce dans le c.. " />
Le 30/12/2019 à 12h26
Le 30/12/2019 à 13h40
[quote:6164368:Kiroha]
Allez : on est parti pour que 2020 commence comme 2019 a fini !
" />
Le 30/12/2019 à 17h52
Une excellente nouvelle. Bercy se dote enfin des moyens informatiques nécessaires à la lutte pour la fraude fiscale. C’est le pendant logique de la baisse du nombre de vérificateurs.
Le 30/12/2019 à 18h00
Ne nous emballons pas Ce n’est qu’une expérimentation. " />
Le 30/12/2019 à 18h03
Ca va dans le sens général de l’évolution du contrôle fiscal à la DGFIP depuis X années. Sauf que les outils ne sont pas au point ; leur perfectionnement passe par ce genre de systèmes.
En attendant bien sûr un contrôle systématique du fichier des écritures comptables des entreprises lors du dépôt de chaque liasse fiscale. Ce genre de système enverrait du lourd.
Le 30/12/2019 à 18h24
ben c’est ce que je fais ( à99%)
Le 27/12/2019 à 21h37
Prochaine étape, la CEDH ?
Y a plus qu’à ! Mais là, il faut déjà aller jusqu’en Cassation avant, non ?