Neutralité du Net : le Conseil d’État en faveur des services spécialisés
Et d'un traitement à part pour les gros fournisseurs de contenus
Le 09 septembre 2014 à 13h20
7 min
Internet
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Le Conseil d'État vient donc de remettre son étude sur le numérique et les droits fondamentaux (le télécharger). Au sujet de la neutralité du Net, l'institution publique française va dans le même sens que le gouvernement : s'il est en faveur de la neutralité, les services spécialisés sont tout aussi importants à ses yeux. Le Conseil souhaite même qu'une facture asymétrique spécifique aux géants du Net soit appliquée.
Égalité de traitement et « best effort »
Il y a quelques jours, Pascal Rogard, le directeur général de la SACD, a récemment déclaré : « je déteste le concept de neutralité du net ». Une phrase-choc qui visait en particulier les géants du Net qui profitaient selon lui de cette neutralité pour écraser les plus petits acteurs. Si Axelle Lemaire, la secrétaire d'État au numérique, a pour sa part indiqué qu'elle ne cautionnait pas les propos du patron de la société des auteurs, l'avis du Conseil d'État sur ce sujet vient d'être dévoilé. Et il sonne comme un écho à nos oreilles.
Le Conseil explique en effet dans son document que « la reconnaissance de l’accès à internet comme un droit fondamental oblige à garantir l’égalité de traitement des particuliers et des entreprises dans cet accès : c’est l’enjeu des débats sur la "neutralité du net" ». L'institution rajoute qu'il n'y a neutralité que si les opérateurs ont un traitement égal des flux de données, ceci peu importe le contenu. « Elle correspond à l’architecture originelle d’internet, qui repose sur le principe du « meilleur effort » (« best effort ») : chaque opérateur fait de son mieux pour assurer la transmission de tous les paquets de données qui transitent par son réseau, sans garantie de résultat et sans discrimination. »
Plus de services spécialisés et une facture asymétrique pour les gros fournisseurs
En faveur de la consécration de la neutralité du Net dans le droit, au regard de la définition fournie ci-dessus, de son importance pour les libertés fondamentales et des menaces qui existent à son encontre, l'institution note toutefois qu'il convient, « dans le cadre de la proposition de règlement de l’Union européenne («quatrième paquet télécoms»), de prévoir une définition suffisamment large des « services spécialisés », dans le cadre desquels les opérateurs peuvent proposer un niveau de qualité garanti et supérieur à celui de l’internet généraliste ».
Cette précision est majeure et nous rappelle le feuilleton du début de l'année où les eurodéputés ont sacralisé la neutralité du Net au mois d'avril, mais avec une définition stricte des services spécialisés notamment. Or le Conseil d'État explique que le projet des députés européens « apparaît excessivement restrictif » et qu'il faut donc l'assouplir. Trois modifications sont ainsi présentées par l'institution :
- Revenir sur la définition des mesures de gestion de trafic, qui ne seront autorisées qu'en cas de congestion « temporaire et exceptionnelle ». Le Conseil trouve cette définition trop restrictive et souhaite plutôt changer la conjonction de coordination « et » par « ou » et donc pouvoir autoriser les mesures de gestion de trafic en cas de congestion « temporaire ou exceptionnelle ».
- Revenir sur la définition des services spécialisés de Bruxelles, qui implique d'offrir « une fonctionnalité nécessitant une qualité supérieure de bout en bout », là encore trop restrictive au goût de l'institution. « Il serait souhaitable que des services de qualité supérieure se développent même si un tel degré d'exigence n'est pas strictement nécessaire au service. »
- Pourquoi pas appliquer une facturation asymétrique aux plus gros fournisseurs de contenus (type Google, Apple, etc.). « Ces gros fournisseurs devraient alors payer, non pour bénéficier d'une qualité supérieure, mais pour ne pas voir leur qualité d'accès dégradée » indique le Conseil d'État.
Ces trois modifications, qui malmènent la définition même de la neutralité du Net, ne sont cependant pas une surprise. Il y a cinq mois, nous avions en effet eu vent de la position du gouvernement français sur ce sujet épineux. Nous apprenions ainsi que la France soutenait « la position adoptée par la Rapporteure (de la Commission ITRE, ndlr) en ce qu’elle garantit un service d’accès à l’internet de qualité tout en permettant le développement d’offres commerciales innovantes (« services spécialisés »). »
Opposé aux amendements voulant encadrer les services spécialisés, dont certains ont finalement été votés par le Parlement européen, le gouvernement a tenu à insister sur l'un des points qui nous intéressent ici : « contraindre les fournisseurs de services spécialisés à proposer des fonctionnalités nécessitant une qualité supérieure de bout en bout semble trop attentatoire à la liberté de commerce et au développement de services plus performants (ex : la TVIP risquerait de ne plus pouvoir être considérée comme un service spécialisé). »
On se souviendra qu'à la même période, l'eurodéputée socialiste Catherine Trautmann expliquait qu'il fallait donner « une définition plus précise des "services spécialisés" pour qu'il n'y ait pas de confusion avec les services d'accès à Internet, pour lesquels nous voulons une référence contraignante au principe de neutralité du net ».
On le voit donc ici, la position du Conseil d'État est bien plus proche de celle du gouvernement que celle du Parlement européen ou encore de Catherine Trautmann. Certes, l'institution note qu'en contrepartie d'une large définition des services spécialisés, « les autorités de régulation des communications électroniques devraient disposer de prérogatives suffisantes pour empêcher les services spécialisés de nuire à la qualité de l’internet généraliste ». Mais une large définition ouvre aussi la porte à d'éventuels abus.
Les plateformes, un cas à part
Enfin, concernant les plateformes sur la toile, le Conseil d'État estime qu'elles « ne peuvent être soumises à la même obligation de neutralité que les opérateurs de communications électroniques ». Il explique ainsi qu'un moteur de recherche, par exemple, a pour essence « de hiérarchiser les sites internet », et par conséquent, on ne peut demander un traitement égalitaire à l'instar de la neutralité du Net (voir notre analyse complète sur ce sujet).
Cette logique est différente du Conseil national du Numérique qui parle bien, lui, de neutralité des plateformes, même si ce dernier avait tout de même indiqué en juin dernier qu'il fallait interdire « toute forme de discrimination à l’égard des acteurs partenaires et usagers, qui ne soit pas justifiée par des impératifs de protection des droits, de qualité du service ou par des raisons économiques légitimes ». Une justification qui laissait une porte ouverte là encore à d'éventuels abus.
Le CNNum comme le Conseil d'État ont toutefois, tous les deux, insisté sur les rapports entre les plateformes, leurs utilisateurs et leurs concurrents. Le second indique notamment que les plateformes « devraient être soumises à une obligation de loyauté envers leurs utilisateurs, tant les utilisateurs non professionnels dans le cadre du droit de la consommation que les utilisateurs professionnels dans le cadre du droit de la concurrence ». Le CNNum avait lui aussi utilisé le terme de loyauté (ainsi que de transparence) vis-à-vis des modes de collecte, de traitement et de restitution de l’information. La non-discrimination sur les contenus partagés, les conditions économiques d’accès aux plateformes ou encore l’interopérabilité avec les autres plateformes avaient aussi été mis en avant.
Neutralité du Net : le Conseil d’État en faveur des services spécialisés
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Égalité de traitement et « best effort »
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Plus de services spécialisés et une facture asymétrique pour les gros fournisseurs
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Les plateformes, un cas à part
Commentaires (33)
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Abonnez-vousLe 09/09/2014 à 13h29
Ces gros fournisseurs devraient alors payer, non pour bénéficier d’une qualité supérieure, mais pour ne pas voir leur qualité d’accès dégradée
Ce n’est pas contradictoire avec
les autorite´s de re´gulation des communications e´lectroniques devraient disposer de pre´rogatives suffisantes pour empe^cher les services spe´cialise´s de nuire a` la qualite´ de l’internet ge´ne´raliste
?
Et ,du coup, je ne vois plus de neutralité du net …il suffira de payer pour rester en priorité dans le débit globale.Et ,donc ,ce qui n’en auront pas les moyens devront soient disparaitre soit fournir une qualité médiocre…
Le 09/09/2014 à 13h36
Le 09/09/2014 à 13h38
Et ainsi le conseil d’état tue toute concurrence car seul les grands groupes pourront tenir la course.
Haaa la françe … ça a toujours été notre spécialité de tuer les TPE / PME pour favoriser de grands groupes …
Sans parler de l’aspect libertés individuelles …
Le 09/09/2014 à 13h40
Le 09/09/2014 à 13h43
C’est la neutralité du net 2.0. On va l’appeler les cas particuliers du net.
Si tu utilises un service spécialisé (voir la mention légale), ok t’as du débit (en l’absence d’abus (voir la mention légale)). Si tu use d’un un service asymétrique (voir la mention légale), la qualité est non garantie. Et les autres, c’est best effort (voir la mention légale).
Donc en gros, on va payer pour des offres où des services spécialisés seront mis en avant avec une qualité de service presque garantie.
Vivement la V2.0 des propositions.
Le 09/09/2014 à 13h54
C’est bien gentil tout, mais j’ai pas envie de payer plus cher/d’être ralenti quand j’accède à mes sites pedo-crypto-zoo-anarcho-terroristes " /> paske le beauf du 5eme à décidé de regarder “plus moche la life”™ en 8K sur son écran 90” payé en 48 fois sans frais avec son RSA.
Et la définition initiale
Elle correspond a` l’architecture originelle d’internet, qui repose sur le principe du « meilleur effort » (« best effort ») : chaque ope´rateur fait de son mieux pour assurer la transmission de tous les paquets de donne´es qui transitent par son re´seau, sans garantie de re´sultat et sans discrimination.
me parait se suffire à elle-même. Chacun fait de son mieux et tout le monde est traité de la même manière.
ps: c’est moi ou les accents partent en cahouète lors du copier/coller ?
Le 09/09/2014 à 13h55
Oui enfin bon, c’est la Loi Européenne qui prime, l’avis du Conseil d’Etat, on s’en tamponne un peu.
Le 09/09/2014 à 14h02
Splendide backdoor qu’ils nous font là.
Et dans quelques mois on va voir que les services des copains, si possible ceux qui font la propagande du gouvernement, avec une QoS prioritaire sur le reste car ce sont des “services spécialisés”.
Ainsi on verra des aberrations du genre TF1.fr prioritaire sur google.fr.
Liberté, égalité, fraternité, neutralité: mon cul.
Le 09/09/2014 à 14h07
Hmm le parlement européen n’a pas été dans le sens inverse il y a quelques mois ?
Le 09/09/2014 à 14h07
Le 09/09/2014 à 14h11
Le 09/09/2014 à 14h29
Indochine
Le 09/09/2014 à 14h31
Le 09/09/2014 à 14h34
Est que l’auto-hébergement deviendra de fait un “service spécialisé” ?
" />
Le 09/09/2014 à 19h48
L’Oréal, Areva, Alstom " />
Le 10/09/2014 à 06h58
Le web 3.0 va être super. 2 sites: Facebook.con et Google.con
Le 10/09/2014 à 08h34
Le 09/09/2014 à 14h34
Le 09/09/2014 à 14h39
Le 09/09/2014 à 14h42
Le 09/09/2014 à 14h43
Le 09/09/2014 à 14h47
Le 09/09/2014 à 14h49
Le 09/09/2014 à 14h54
Le 09/09/2014 à 15h21
Le 09/09/2014 à 15h28
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Le 09/09/2014 à 16h23
Le 09/09/2014 à 16h26
Le 09/09/2014 à 17h54
Les clowns ont parlé, et comme d’habitude ils envoient du lourd " />
“On reprend le texte, on change ça, ça et encore ça: et ça y est, on peut faire payer un max pour les faire accéder sans trop se fatiguer vos services spécialisés à peu près fonctionnels.”
Un jour (peut-être?), nous aurons des gens un tant soit peu compétent (et pas des pantins) aux postes où ils sont affectés, et tout ira tout de suite beaucoup mieux, comme par magie…