Retour en douceur sur la détection exceptionnelle d’un neutrino d’ultra-haute énergie
Pour quelques TeV t’as plus rien

Une coalition internationale annonce la détection d’un neutrino d’ultra-haute énergie grâce au télescope KM3NeT installé au fond de la mer Méditerranée. Okay… so what ? Une meilleure compréhension de l’Univers et de possibles avancées technologiques.
Le 13 février à 13h39
8 min
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Le Journal du CNRS ne mâche pas ses mots sur cette découverte : « Un séisme ! C’est littéralement ce qu’ont enregistré les détecteurs de l’expérience KM3NeT/ARCA, le 13 février 2023 ». On parle bien de 2023, date de la détection du phénomène.
Émergence d’une nouvelle astrophysique des neutrinos
En effet, le temps de laisser les scientifiques analyser les données et écrire un article, puis permettre aux pairs de le relire et le valider, on arrive à une publication le 12 février 2025 de l’étude. Nature indique l’avoir reçu le 19 août 2024 et accepté le 18 décembre de la même année. Le replay de la conférence sur les résultats scientifiques de la collaboration KM3NeT est disponible ici.
Le Centre national pour la recherche scientifiques continue de plus belle : cette découverte « a laissé les astrophysiciens abasourdis. Les photomultiplicateurs […] ont détecté le neutrino le plus énergétique jamais mesuré : 220 petaélectronvolts (PeV), soit près de 30 fois l’énergie du précédent record ».
Pour Paschal Coyle, porte-parole de KM3NeT, « nous assistons littéralement à l’émergence de l’astrophysique des neutrinos à ultra-haute énergie ». Ok super, c’est bien beau tout cela, mais de quoi parle-t-on et pourquoi c’est important ? Next vous explique.
Le neutrino est l’un des quatre messagers de l’astrophysique
Déjà, commençons par la base : c’est quoi un neutrino ? Le CEA (Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives) explique que c’est l’un des quatre messagers de l’astrophysique, aux côtés des rayonnements électromagnétiques, des rayons cosmiques et des ondes gravitationnelles.
Celles-ci ont eu droit à leurs heures de gloire en 2016, avec un prix Nobel l’année suivante pour Rainer Weiss, Kip S. Thorne et Barry C. Barish afin de récompenser « leurs contributions décisives au détecteur LIGO et l'observation des ondes gravitationnelles ».
- Les quatre messagers de l’astrophysique
- Observation d’ondes gravitationnelles et fusion de trous noirs : tout ce qu’il faut savoir
Comme leur nom l’indique, les neutrinos sont… neutres (c’est-à-dire non chargés) et n’interagissent donc « que très faiblement » avec leur environnement. Ils sont intéressants, car ils peuvent « sortir d’endroits très denses, tels les cœurs des galaxies, non observables par les rayonnements électromagnétiques, ce qui nous donne des renseignements précieux, autrement inaccessibles ». D’où leur surnom de messagers.
Ils se propagent « plus vite que la lumière »
Corollaire évident : ils sont très difficiles à détecter. La solution : faire en sorte que le neutrino interagisse pour se transformer en muon. Ce dernier se propage alors « dans l’eau plus vite que la lumière, émet un cône de lumière bleutée, la lumière Tcherenkov ». Des « télescopes à neutrinos », il en existe plusieurs : dans la mer Méditerranée (ANTARES, KM3NeT), dans le lac Baikal (GVD), dans la glace du pôle Sud (IceCube)…
Attendez, comment ça plus vite que la lumière ? Il me semblait que rien n’allait plus vite que la lumière ! C’est vrai… mais cette affirmation est valable dans le vide. Vous avez peut-être déjà entendu parler d’un autre cas où la vitesse de la lumière est dépassé : les faisceaux hertziens pour la transmission de données. Ils sont plus rapides que la lumière dans une fibre optique (200 000 km/s environ), ils sont donc particulièrement prisés pour le trading haute fréquence.

Des neutrinos à ne plus savoir qu’en faire
Revenons aux neutrinos. Si la difficulté est de les détecter, on peut les chercher un peu n’importe où, car ils sont plus qu’abondant dans l’univers (et sur Terre) : « Chaque seconde, ils sont 60 milliards à traverser chaque centimètre carré de notre planète [y compris les humains évidemment, ndlr] sans laisser la moindre trace », expliquait le CNRS en 2020.
L’Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (IRFU du CEA) ajoute que les « neutrinos sont les particules élémentaires les plus abondantes de l'univers. Pour chaque électron, proton, et neutron de l’Univers, il y a 1 000 000 000 de neutrinos et ces particules si légères et aux interactions si rares, influencent malgré tout l’évolution de l’Univers primordial ».
Bon courage pour arrêter les neutrinos…
Une mise en perspective pour bien se rendre compte de la faible interaction : « Pour arrêter la moitié des neutrinos venant vers nous, il faudrait construire un mur de plomb d‘une épaisseur de 9 000 milliards de km », explique Sonia El Hedri (chercheuse CNRS au laboratoire Astroparticules et Cosmologie).
Problème donc : « seul un neutrino sur dix milliards traversant la Terre parvient à interagir avec un atome ». Cette très faible interaction fait qu’on parle parfois de « particules fantômes ». Les neutrinos « sont émis en ligne droite lors d’évènements cosmiques ». Leur masse est « un million de fois plus faible que celle d’un électron », explique le CNRS.
Mais ils sont très intéressants, car le neutrino « nous apporte des informations précieuses, inaccessibles autrement par des méthodes plus classiques, sur les phénomènes astrophysiques extrêmes dont ils sont originaires ». On parle d’explosions d’étoiles ou de trous noirs par exemple.
Dans le cas présent, l’origine n’a pas encore été identifiée. Selon le Journal du CNRS, « les neutrinos sont peut-être à l’origine de la présence de la matière dans l’Univers ». Bref, leur étude laisse entrevoir de potentielles belles découvertes.

220 PeV : ok, mais ça correspond à quoi ?
L’article scientifique parle d’une « détection exceptionnelle » avec un neutrino « d’une énergie inédite d’environ 220 pétaélectronvolts (PeV), soit trente fois supérieure à celle de tous les neutrinos précédemment détectés à l’échelle mondiale ».
Revenons déjà sur le calcul de cette mesure. Dans l’article scientifique publié dans Nature, les chercheurs donnent des explications : « Nous détectons un muon avec une énergie estimée à 120 (+ 110 - 60) pétaélectronvolts (PeV) », soit une énergie comprise entre 60 et 230 PeV pour simplifier (les puristes m’excuseront cette simplification un peu trop simpliste).
« Compte tenu de son énorme énergie et de sa direction presque horizontale, le muon provient très probablement de l’interaction d’un neutrino d’énergie encore plus élevée à proximité du détecteur », ajoutent les chercheurs. C’est ainsi qu’ils ont estimé les 220 PeV (avec une marge de + 570 PeV et - 100 PeV).
Les précédents records étaient de 6,05 ± 0,72 PeV et « un neutrino muonique supérieur à 10 PeV à partir de l’observation d’un muon de 4,4 PeV ». Avec 220 PeV, on est bien largement au-dessus des précédents records.

Un neutrino aussi « fort » qu’une libellule ?
Sonia El Hedri donne des ordres de grandeur permettant de comprendre les niveaux d’énergies en jeu :
« C’est tellement considérable qu’on peut commencer à le comparer à des phénomènes macroscopiques de la vie de tous les jours. Par exemple, c’est comparable à l’énergie d’une libellule en vol, à l’énergie d’une balle de ping-pong qu'on lancerait sur une hauteur de 1 m ou à l’énergie de gouttes de pluie. Ce sont des objets ou des êtres qui sont constitués de milliers de milliards de milliards de molécules alors que là, on a une particule élémentaire qui transporte la même quantité d’énergie ».
Cela change quoi cette haute énergie par rapport aux autres neutrinos ? « Cette découverte exceptionnelle ouvre de nouvelles perspectives pour la compréhension des phénomènes énergétiques extrêmes de l’Univers et l’origine des rayons cosmiques », explique le CNRS.
Des « retombés concrètes » pour les technologiques du futur ?
Le but de KM3NeT est de détecter les neutrinos astrophysique de haute énergie, « qui arrivent assez rarement sur Terre comparés à des neutrinos venant d’autres sources ». Si on combine la rareté avec le très faible niveau d’interaction, on comprend qu’il faut des détecteurs « les plus grands possibles ».
La chercheuse du CEA prévoit des « retombés concrètes sur les développements technologiques futurs. Il s’agit de construire en plusieurs milliers d’exemplaires des instruments qui vont ensuite être mis dans de l’eau salée à une pression de 250 atmosphères pendant 15 ans sans maintenance ».
On peut imaginer que des idées de datacenters immergés puissent en profiter un jour. Microsoft, par exemple, a déjà tenté l’expérience avec son projet Natick. Si les résultats semblaient prometteurs, la difficulté d’accès au matériel (comparé à la Terre ferme) était un vrai problème auquel KM3NeT n’apporte aucune amélioration. Le projet a été abandonné l’année dernière. La Chine aussi tente l’expérience avec son projet Highlander.

Retour en douceur sur la détection exceptionnelle d’un neutrino d’ultra-haute énergie
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Émergence d’une nouvelle astrophysique des neutrinos
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Le neutrino est l’un des quatre messagers de l’astrophysique
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Ils se propagent « plus vite que la lumière »
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Des neutrinos à ne plus savoir qu’en faire
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Bon courage pour arrêter les neutrinos…
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220 PeV : ok, mais ça correspond à quoi ?
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Un neutrino aussi « fort » qu’une libellule ?
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Des « retombés concrètes » pour les technologiques du futur ?
Commentaires (10)
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Le 13/02/2025 à 16h46
Le 13/02/2025 à 17h01
Plus sérieusement, c'est quand même incroyable de penser qu'on est constamment traversé par des milliards et des milliards de ces particules. Sans compter le reste.
C'est un vrai miracle qu'on arrive à tenir à peu près en un seul morceau
Le 13/02/2025 à 17h23
Et qu'un neutrino, c'est une des particules élémentaires qui constituent les particules atomiques, qui elles-mêmes constituent les noyaux des atomes…
Le 13/02/2025 à 18h28
Le 13/02/2025 à 19h03
J'ai un peu de mal à voir le rapport avec les datacenter immergée et des détecteur de neutrino
Le 13/02/2025 à 19h28
Mais oui l'articulation de cette partie est un peu spéciale.
Le 13/02/2025 à 23h40
Le 14/02/2025 à 08h26
Le 14/02/2025 à 15h21